Murakami Haruki à l’oeuvre (3)

Cinq ans après Les chroniques de l’oiseau à ressort, paraît le roman suivant de Murakami. Les amants du Spoutnik marque une évolution dans sa façon d’aborder une histoire.

Il a mis cinq ans, non pas parce que l’inspiration l’a fui mais parce qu’il s’est consacré pendant ce temps à une enquête, une série d’interviews avec des victimes de l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo par la secte Aum. Cet événement, survenus deux mois après le tremblement de terre de Kobe, sa ville natale, l’a profondément marqué, le faisant revenir au Japon alors qu’il vivait aux Etats-Unis et le faisant s’intéresser à des faits on-ne-peut-plus réels bien loin de ses fictions habituelles. Il publiera une série d’entretiens et un recueil de nouvelles directement inspirées de ces deux catastrophes.

En 1999, de retour à la fiction, il nous offre donc ces amants du Spoutnik. Nouvelle évolution. C’est un roman court, un Les amants du Spoutnik (1999)roman à la construction assez simple, par opposition à ses romans longs qui entrecroisent de multiples intrigues qui finissent par se rejoindre. Cette fois, le narrateur n’est pas spectateur de sa propre vie, obligé de s’y intéresser, de la prendre en main, il est le spectateur d’une histoire qui lie deux autres personnes. C’est un triangle mais un triangle dont il est plutôt exclu. Spectateur à nouveau.

Ce narrateur sans nom est amoureux de Sumire qui tente en vain d’écrire une histoire éditable et Sumire, quant à elle tombe amoureuse Myû, femme plus âgée qu’elle et qui devient sa patronne. Au cours d’un voyage en Grèce, Sumire va disparaître après que Myû ait résisté à ses avances… Le narrateur part à sa recherche et découvre la vie de Myû puis leur histoire lors de ce voyage.

De nouveau, nous sommes à la frontière du surnaturel, d’autres mondes existent relié au nôtre… Murakami explore les sentiments et nous donne un roman intriguant, bizarre, une fois de plus déstabilisant. Je l’ai dit autrement par .

Il entreprend ensuite la rédaction d’un nouveau roman, un roman total, un roman synthèse comme il les appelle. Non sans être passé par la case nouvelle entre temps, comme à son habitude, et être revenu sur le tremblement de terre et l’attentat au gaz sarin.

Ne trouvant le moyen d’écrire un roman sur ces deux événements marquant de 1995, il écrit Kafka sur le rivage qui est publié en 2003. Nouveau roman foisonnant. Où les intrigues se mêlent, s’imbriquent, avancent en parallèle.

Kafka Tamura, 15 ans, s’enfuit de chez lui, il part pour Shikoku et décide de visiter une bibliothèque dont il avait vu des photos auparavant, lui le passionné de ce genre d’endroit. Il cherche à comprendre ce qui lui manque, à savoir où ce Kafka sur le rivage (2003)manque se situe et s’il pourra jamais combler ce vide. Nous apprenons en parallèle, au moyen de dossiers confidentiels de l’armée, qu’un incident a pris place à la fin de la deuxième guerre mondial, des enfants, une classe, ont perdu connaissance en même temps. Nous suivons également Tanaka, personnage un peu simple, mais qui a le don de parler aux chats et de pouvoir ainsi mener des enquêtes et retrouver ceux que leurs maîtres recherchent… Ces trois intrigues vont se développer, s’effacer pour laisser plus de place aux autres et tendre vers un même point, se frôler. La question du temps se pose au bout d’un moment, quand se passe l’une par rapport à l’autre, quand vont-elles aboutir à une seule et même histoire. Le surnaturel fait une nouvelle fois avancer les choses, attire.

“ Ce qu’on nomme l’univers du surnaturel n’est autre que les ténèbres de notre esprit.”

Les personnages se frottent aux frontières de notre monde, les cherchent.

“Il y a un autre monde à côté du nôtre.”

C’est un livre prenant, intense, bouleversant. Comme le dit Marie-Laure Delorme, citée en quatrième de couverture, Murakami « fait appel à notre souplesse et à notre ouverture ». Il écrit surtout des livres qui nous donnent l’impression d’avancer, qui nous font avancer, j’en suis sûr. Il nous donne à lire des livres qui touchent un recoin de notre esprit dont nous ne soupçonnons pas toujours l’existence. Et il le fait avec une telle grâce, qu’il faut le lire, il est si rare de rencontrer un auteur aussi talentueux et intriguant.

Murakami Haruki à l’oeuvre (2)

Après deux romans écrits coup sur coup et ayant confirmé une certaine notoriété, Murakami va mettre du temps pour son livre suivant. Il va chercher, comme à son habitude, tâtonner… Et nous offrir finalement, en 1992, Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, roman au titre de nouveau en référence à une, non, deux chansons.

Avec ce roman, Murakami nous promène dans un Japon actuel, à la suite d’un homme rattrapé par son passé, Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil (1992)incapable de s’en défaire. Sans qu’on sache réellement si tout ce qu’il vit est le fruit de son imagination ou si son passé est venu le hanter… Mais il le hantait déjà auparavant.

C’est de nouveau une histoire à la lisière, qui frôle les limites de notre monde pour se frotter à quelque chose d’autre. Une histoire d’amour pas complètement évidente, une histoire d’amour dont les racines plongent dans l’incertain… Comme souvent pour les histoires d’amour ?

Hajime a vécu une amitié intense dans sa jeunesse, amitié intense avec une fille unique, comme lui. Tellement importante, cette amitié l’a marqué comme un premier amour… Nous naviguons sans cesse dans l’incertitude. La vie de Hajime prend un tour nouveau, bizarre, instable et toute l’histoire va le devenir, bizarre et instable, nous obligeant à accepter cette incertitude…

C’est un roman prenant, dont on veut connaître la suite. Murakami excelle encore dans l’économie au niveau du style, une simplicité qui fait mouche, touche, et retranscrit les sentiments pour nous les faire ressentir à notre tour. Il y a décidément un grand talent chez cet auteur.

Après ce roman court, c’est un roman d’une autre épaisseur que nous propose l’auteur à partir de 1994, Chroniques de l’oiseau à ressort. D’une ampleur impressionnante et qui brasse quantité d’approches autour des pérégrinations d’un personnage central, un personnage miné par les interrogations… Interrogations sur les raisons du départ de sa femme, sur ces femmes qui l’entourent, qui apparaissent comme par enchantement, interrogations sur la bonne manière de rebondir, de trouver Chroniques de l'oiseau à ressort (1994)un endroit pour se concentrer sur ce qui le préoccupe sans subir d’interférences… Sans emploi, il veut comprendre ce qui lui arrive, ce que la perte d’un emploi et de son épouse peuvent signifier ou lui laisser entrevoir de l’avenir. Il va aller loin dans l’introspection, franchir quelques portes. Descendre profondément, dans les tréfonds, entendre parler d’un événement militaire dont il ne savait rien et rentabiliser un don dont il veut connaître l’origine, comprendre la provenance.

C’est un roman total, comme le dit lui-même Murakami. Un roman qui se confronte à une page d’histoire, au surnaturel qui, pour son auteur, n’est autre qu’un monde dont nous avons tous conscience et que nous ne parvenons pas toujours à distinguer du monde réel. Toru Okada entend régulièrement un oiseau à ressort chanter, il n’a pas trouvé de meilleur nom pour cette oiseau inconnu et va finir par être lui-même surnommé ainsi, il devient l’oiseau à ressort dont nous lisons les chroniques… dérangeantes, déstabilisantes…

Des chroniques toutes murakamiennes comme vous l’aurez compris…

Petite anecdote sur ce roman… En ouvrant le recueil de nouvelles L’éléphant s’évapore, j’ai eu la surprise de tomber sur les premières pages des Chroniques de l’oiseau à ressort. Il s’agit de la nouvelle que Murakami a d’abord publiée avant de la développer. En me laissant aller à ma curiosité, en laissant libre court à ce vilain défaut, j’en ai appris d’autres, notamment grâce au mémoire d’Antonin Bechler (accessible en PDF). Ce livre sur l’oiseau à ressort n’a pas été de tout repos pour Murakami. Après l’avoir commencé, il a décidé d’en élaguer une partie, qui est devenue Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil. Il a mis ensuite quelque temps à écrire les chroniques, la nouvelle intitulée en français L’oiseau à ressort et les femmes du mardi étant publiée avant, comme un avant-goût. Un an après, en 1995, Murakami va même ajouter une troisième partie au roman, les Chroniques… auront donc mis du temps à sortir de sa plume. On a là une approche intéressante du processus de création de Murakami et qui, en l’occurrence, nous a offert deux romans, un court et un long, en tentant d’en écrire un. Deux romans qui valent le détour, si différents l’un de l’autre que l’on a du mal à imaginer qu’ils soient issus de la même intrigue originelle…

Un petit livre est paru ensuite, nous permettant de lire une nouvelle de Murakami à l’occasion de son adaptation Tony Takitani (1996)cinématographique. Il s’agit de Tony Takitani. Parue en 1996, cette nouvelle nous raconte l’histoire d’un homme ayant perdu sa femme et ne sachant que faire des vêtements que celle-ci a collectionnés en telle quantité qu’une pièce entière leur est dédiée… Nous avons là une réflexion sur la perte et les traces laissées derrière soi au travers d’une histoire courte. Comme toujours, il n’y a pas de réflexion imposée mais l’intrigue invite à imaginer, réfléchir… Murakami rend intelligent, ou donne cette impression ô combien gratifiante !

Murakami Haruki à l’oeuvre (1)

Le premier roman traduit de Murakami, dans l’ordre chronologique des parutions au Japon, est le troisième opus d’une trilogie. La trilogie du Rat. Les épisodes précédents sont toujours attendus de ce côté-ci du monde…

La course au mouton sauvage est arrivée chez nous en 1990, huit ans après sa parution originale. Murakami avait déjà La course au mouton sauvage (1982)une certaine notoriété, ayant obtenu le prix Gunzo pour son premier roman, le premier de la trilogie du Rat, dont le titre pourrait être traduit par Ecoute le chant du vent et qui date de 1979. Ce premier opus est publié alors qu’il n’a que vingt-neuf ans et qu’il vient de passer un certain temps à chercher une manière d’exprimer les sentiments dans la langue japonaise, lui qui se sentait plus proche, plus à même de le faire en anglais… D’entrée, Murakami se situe comme un novateur, c’est ainsi qu’il est perçu dans son pays.

Avec La course…, il achève donc sa trilogie, passe à l’écriture à plein temps et nous offre une histoire déjà très proche de l’univers qu’il développera plus tard, très proche de cette narration qu’il va faire évoluer au fur et à mesure des années. Un homme, ayant fondé sa société, se voit contraint de mener une quête pour permettre à son entreprise de ne pas péricliter. La publication d’une revue dont il a la responsabilité est suspendue à cette quête, la recherche d’un mouton rare, très rare, qui apparaît accidentellement sur une des photos que devait utiliser le magazine. Lorsqu’il part à la recherche du fameux mouton, sa vie est au bord de basculer, en équilibre instable, sa quête va l’amener dans un univers qu’il ne soupçonnait pas, le rapprochant d’un ami qu’il a côtoyé auparavant, le Rat.

La frontière entre le rêve et la réalité est particulièrement fine dans les romans de Murakami, dans celui-ci notamment. Avec un style d’une grande simplicité, il parvient à nous captiver, à nous donner envie de tourner les pages dans une intrigue qui ne multiplie pourtant pas les rebondissements. Des histoires se succèdent à mesure que l’homme avance, des histoires qui font avancer l’histoire, des intrigues imbriquées les unes dans les autres. Comme je l’ai déjà dit ici, Murakami nous offre dès le début (le début de son histoire chez nous en tout cas) un roman inclassable… et il ne s’arrêtera pas en si bon chemin.

Après cette première entrée en matière et une pause consacrée à l’écriture de nouvelles, Murakami va écrire et publier deux de ses romans les plus importants de mon point de vue. A commencer par La fin des temps. Paru en 1985, ce livre est un livre marquant… qui m’a marqué en tout cas.

Deux histoires se font échos, s’entrecroisent sans que l’on soit bien sûr qu’elles aient un rapport entre elles. Une histoire qui s’appelle le pays des merveilles sans merci et une autre la fin du monde (cette partie étant le développement La fin des temps (1985)d’une nouvelle, comme souvent chez Murakami). Dans ces deux histoires, le personnage principal nous parle à la première personne. Dans les deux histoires, il découvre un monde qui ne semble finalement pas si nouveau que cela.

Nous pénétrons, avec ce roman, un peu plus dans l’univers de Murakami. Un univers où les pensées, l’imagination, ont autant d’importance que la réalité. Un univers où les pensées et la réalité s’imbriquent tellement qu’elles s’influencent l’une l’autre.

Le monde imaginaire que nous offre Murakami ne semble jamais bien loin de celui dans lequel nous vivons, le monde réel qu’il décrit peut parfois paraître déjà hors du temps, difficile à appréhender… si proche des difficultés que nous avons parfois à le comprendre.

La fin des temps est un superbe roman mêlant deux univers parallèles, deux univers pas si parallèles au final puisqu’ils se croisent, sans que l’on n’en soit jamais vraiment sûr. Murakami nous entraîne dans ses intrigues en nous prenant par la main et en nous montrant que le rêve peut parfois être effrayant et la réalité rassurante.

Le roman suivant, paru en 1987, s’intitule La ballade de l’impossible. C’est une nouvelle fois le développement d’une nouvelle… nouvelles qui lui servent de champ d’exploration littéraire et de défrichement de ce que la littérature offre comme possibilités, lui offre comme possibilités. Ce roman s’inscrit de manière clair dans la réalité, l’imagination restera dans la tête des personnages, influençant leurs actions mais ne venant jamais polluer, changer, ébranler le monde réel. Même si ce monde réel peut parfois paraître étrange. C’est un retour à ce qui avait fondé ses deux La ballade de l'impossible (1987)premières œuvres, non traduites à ce jour (ai-je l’air de le regretter ?).

C’est un roman d’apprentissage, un roman du passage à l’âge adulte et l’un de ses plus gros succès au pays du soleil levant. Le titre original fait référence à une chanson des Beatles, qu’il reprend d’ailleurs, Norwegian Wood. Il s’agit là de l’une des facettes de la narration chez Murakami qui n’hésite pas à évoquer, à convoquer son univers personnel fait notamment de chansons des années 50 à 70… Dans ce roman en particulier, la musique revêt une grande importance. Pour son pouvoir d’évocation à n’en pas douter. Et pour ce que cela peut nous rappeler de l’adolescence, où elle définit tellement les personnes ou à travers laquelle les adolescents se définissent tellement. Sans le dire, sans lourdeur, Murakami nous raconte la fragilité de ce moment de la vie. En nous captivant une fois de plus.

Il écrit quasiment instantanément, et presque en réaction au précédent un roman qui renoue avec la trilogie du Rat. Comme un besoin de revenir à ce qui avait fondé son travail, à ce qui avait été son évolution avant La ballade de l’impossible. Danse, danse, danse paraît en 1988. Et connaît également le succès, comme une conséquence de l’énorme vague soulevée par La ballade

Dans ce roman, écho à sa première trilogie puisqu’on y retrouve le même narrateur mais que le Rat n’est plus évoqué, le personnage principal retourne sur ses pas, retourne sur le chemin qu’il avait emprunté lors de sa quête du mouton siDanse, danse, danse (1988) particulier. Le personnage revient sur ses pas et surtout à l’hôtel par lequel il était passé la première fois. Mais cet hôtel a changé, gardant le même nom mais entièrement reconstruit. Un hôtel moderne qui cache pas mal de secrets. Dans lesquels le narrateur pourrait bien se perdre.

Vous l’aurez compris, d’un roman à l’autre, l’œuvre de Murakami change, évolue, prenant toujours une nouvelle forme jamais totalement étrangère aux précédentes.

Murakami recherche un style simple, un style suffisamment évocateur n’étouffant toutefois pas l’intrigue, n’étouffant pas l’univers qu’il développe sous nos yeux, au fil des pages.

Une fois de plus, nous sommes emporté dans un espace à part, un espace où le réel et le fantastique se mêlent, s’entrecroisent…

Après le succès important des deux romans écrits coup sur coup, Murakami va mettre du temps à retrouver le chemin de la fiction, du romanesque… Il va mettre du temps pour aboutir à un des romans importants jalonnant son œuvre plutôt prolifique dont il faudrait également évoquer les nouvelles, nombreuses.

Haruki Murakami sur mes étagères

C’est là que je l’ai trouvé. Sur mes étagères.

Il y était déjà quand je me suis penché sur le bonhomme. Pratique, non ? Je n’ai pas eu à me pencher trop bas, à inspecter les avis en ligne. Il était là, pas comme une évidence, pas tout à fait, mais presque.

La couverture d’un de ses romans (à vous de deviner lequel !) m’a fait de l’œil pendant quelques temps, la tête blanche d’un chat en porcelaine derrière des poissons rouges ou jaunes qui nagent… Il m’a fallu un moment pour y arriver. Le titre du livre (non, je ne le vous dirai pas) ne m’attirait pas particulièrement, trop excentrique, trop poétique, ou voulant se donner trop des airs de je ne sais quoi.

Ce roman n’est pas resté seul bien longtemps, un signe. D’autres du même l’ont rejoint, avec des titres toujours aussi particuliers, excentriques, mais qui devenaient moins bizarres. On s’habitue, on se laisse adopter, séduire.

Je parcourais les quatrièmes de couverture en me disant que, finalement, je les lirai bien ces bouquins.

J’ai succombé assez vite, en fait. J’en ai lu un puis deux et j’ai décidé de me mettre à ma vieille marotte, les lire dans l’ordre chronologique de leur parution originale (dans la langue de Mishima, je veux dire). Et j’en suis arrivé maintenant à celui dont la couverture m’avait fait de l’œil au tout début et qui s’avéra être l’un des derniers en date.

Au fur et à mesure de l’exploration de l’œuvre de Murakami, j’ai également eu envie d’explorer d’autres romanciers de son pays, des romanciers qui pourraient lui être proches. J’ai feuilleté Yoko Ogawa, excellente novelliste, Junichiro Tanizaki, un grand ancien, et bien d’autres…

J’avais déjà lu Mishima mais la porte d’entrée vers la littérature du soleil levant aura été Murakami, après, ou en même temps que quelques approches par des romanciers européens, anglais, de ce pays lointain, je pense à David Peace ou Mo Hayder…

L’œuvre de Murakami me touche vraiment, allez savoir pourquoi, un auteur qui se permet beaucoup sans que ça ne soit jamais artificiel, au contraire, tout lui semble si familier, tout semble si évident. Une œuvre d’une grande originalité et si proche de chacun.

Murakami continue à écrire, sa dernière œuvre est en cours de traduction. Parue au Japon l’année dernière, ce roman, en trois tomes, a battu des records de vente, atteignant un tirage assez impressionnant… Et sa carrière n’est pas finie, il est également en cours de traduction en anglais… Et Murakami a quelques accointances avec les pays baragouinant cette langue.

Un grand, je vous dis !

Murakami Haruki en ligne

Murakami est un nom qui se porte beaucoup au niveau artistique. On a entendu parler de Takashi et de son exposition à Versailles. En littérature, Ryu cohabite avec celui que je vais maintenant évoquer, Haruki. Ces différents Murakami n’ont a priori aucun lien familial et Haruki est assez visible sur la toile, plus que les autres en ce qui concerne sa partie francophone… Pas de parasitage donc.

Murakami Haruki est un auteur dont la notoriété est importante, il est régulièrement pressenti pour le Nobel, pour succéder à Oe Kenzaburo en ce qui concerne le Japon… Mais Murakami n’est pas seulement un auteur nobélisable, c’est un auteur d’une grande inventivité, qui sait créer un univers à chaque ouvrage, qui sait nous emporter à la limite du rêve et de la réalité… Nous ne sommes pas dans le roman noir comme les auteurs précédemment évoqués ici, mais nous sommes à coup sûr du côté des grands auteurs. De ceux, qu’à mon avis, il faut avoir lus, ou en tout cas qui méritent de l’être. Je ne suis pas le seul à le penser puisque Murakami est également un auteur qui a ses lecteurs, nombreux, un peu partout dans le monde.

Sur la Toile, donc, il est présent, un peu partout. Il fait l’objet de nombreuses présentations plus ou moins intéressantes ou fouillées. Il a été l’auteur du mois en octobre 2005 sur le site Lecture & Ecriture. L’occasion d’un échange entre lecteurs sur quelques uns de ses romans après une présentation rapide de l’auteur, l’occasion de parcourir son œuvre. Une présentation rapide avec bibliographie nous est également proposée par Wikipédia, sans s’attarder longuement sur l’œuvre et le style du romancier elle nous propose un rapide survol de ce que l’on peu dire sur lui. Sur Un monde à lire, la biographie de Murakami est agrémentée de l’extrait d’une interview parue dans l’Express, malheureusement ni cette interview ni le texte de présentation de l’auteur ne sont datés mais cela paraît récent puisqu’est évoqué le roman Kafka sur le rivage paru en France en 2006…

Deux sites incontournables nous parlent également de Murakami. Shunkin.net, site consacré à la littérature japonaise nous offre, outre une rapide biographie, une bibliographie complète des œuvres traduites en français et une série de sites évoquant l’auteur… Sur Le cafard cosmique, dont j’ai déjà parlé, une présentation par Mr C. toujours aussi intéressante est mise en ligne. Je termine mon tour d’horizon de la toile avec une analyse fouillée de Alain François sur le site Le portillon, à lire.

Pour en finir avec la présence de Murakami Haruki en ligne, je vous citerai un site qui lui est entièrement consacré, en anglais, une interview datant de 1997, accordée à Laura Miller, en anglais, de nouveau, assez longue et intéressante sur le site Salon, et son site officiel, toujours en anglais… eh oui… Murakami a des liens très forts avec cette langue et la culture d’outre-Atlantique.

Très présent, très prisé, reconnu, au point d’avoir un article à son sujet, signé Anne Bayard-Sakai, dans l’Encyclopaedia Universalis, Murakami est avant tout un auteur d’une grande richesse et d’une grande profondeur, à l’univers si particulier…

Après une brève évocation de ma rencontre avec son œuvre, je vous parlerai de celle-ci.

Peace au coup par coup

Après sa tétralogie, David Peace a pris du temps pour continuer son exploration de l’Angleterre. L’Angleterre et le Yorkshire, ou le Yorkshire comme partie prenante de l’histoire du pays. Mais avant, il s’est un peu aéré.

Pour se reposer, aller voir ailleurs, il nous offre tout d’abord deux textes réunis dans un bouquin, M comme menace, l’un M comme menace (2001, 2003)écrit pendant sa tétralogie (2001), en marge, et l’autre commis juste après en être venu à bout (2003). Deux nouvelles qui nous offrent comme un peu d’air, un dépaysement. Nous ne sommes plus dans le Yorkshire, Peace nous donne un aperçu de son existence du moment. A sa manière. Pas de regard vers son pays, nous sommes cette fois au Japon. Le Japon, son pays d’adoption, à l’époque. Juste un coup d’œil, il en reparlera plus tard.

Les deux courtes nouvelles nous offrent tout le talent de l’auteur, ce talent à faire monter la peur, la terreur. Il écrit ces deux nouvelles comme deux récréations, presque plus légères. Plus courtes que les romans précédents, elles n’en atteignent pas l’ampleur mais donnent assurément un aperçu de son talent. Son talent à habiter des personnages notamment. J’ai évoqué ces deux textes ici.

Il retourne ensuite vers son pays, vers son passé.

Une année dans la vie de l’Angleterre. Une année pas prise au hasard… L’Année des années quatre-vingt, 1984. Celle des grandes grèves, des grands mouvements… Peace n’a pas intégré ce roman à la série précédente bien qu’il la suive chronologiquement. Cette fois, il n’est plus question de l’étrangleur du Yorkshire, on aborde un fait qui a marqué le pays. Un fait social. Peace continue de régler ses comptes avec sa jeunesse. Il revient sur un autre événement qui a GB 84 (2004)marqué son adolescence. Thatcher contre les ouvriers… Un pays en plein chamboulement et qui ne sera plus le même après cette année. Cassé.

De mars 1984 à mars 1985, Peace nous conte les événements à travers le destin de plusieurs personnages. Il nous offre encore un récit plein, prenant et déstabilisant. On le serait à moins avec ce qui secoue le comté et le reste du pays. Chaque chapitre est précédé d’un extrait de journal, un journal qui nous est livré comme ça, sans aération, en continu, brut.

Brut, comme le style de Peace, un style sans fioriture, direct. Mais un style qui finit, comme dans le Red Riding Quartet, par nous offrir une description de personnages particulièrement fouillée. Nous sommes une nouvelle fois dans leurs pensées, dans ces préoccupations qui parfois parasitent ce qu’ils vivent. Les chamboulements qui maltraitent l’Angleterre sont aussi vécus par chacun, vécus dans leur chair. GB 84 (2004) est particulièrement éprouvant, un roman noir, social, un roman qui nous offre de suivre l’intrigue de tous les points de vue, grévistes, politiques, casseurs de grève… Rien n’est laissé à l’écart et ça vous frappe, vous met k.o.

Avec ce roman, Peace confirme tout ce qu’il avait montré précédemment…

Pour continuer à nous décrire, à disséquer son Yorkshire natal, David Peace explore ensuite un nouveau pan de la culture populaire du coin. De ce qui peut marquer de manière indélébile une époque, le championnat anglais. Le championnat de foot.

Après le fait divers, les mouvements sociaux, nous voici au cœur du sport qui fait vibrer la nation tout au long de 44 jours (2006)l’année. Il se retourne vers une année, enfin, beaucoup moins qu’une année, quelques jours, quarante-quatre exactement, où le Yorkshire a vibré pour son équipe de Leeds, l’année qui a suivi sa victoire en championnat, celle qui a vu arriver Brian Clough pour la diriger.

Les personnages n’étaient déjà pas tous fictifs dans les romans précédents, cette fois, dans 44 jours (2006), aucun ne l’est. Et plutôt que de suivre tout un public, Peace décide de suivre un homme, un homme qui va tenter de se faire accepter dans ce coin où il ne fait visiblement pas si bon vivre. Où l’acclimatation n’est pas si simple. Et cet homme n’est pas n’importe lequel, considéré comme l’un des plus grands entraîneurs anglais, il suit pas à pas Brian Clough dans ce qui aura été l’un de ses plus cuisants échecs… Car la constante de Peace est bien de décortiquer, de s’attarder sur l’échec. Après les atermoiements d’une police dépassée par une série de meurtres, ceux d’une nation dépassée, détruite par les nouveaux rapports économiques, il nous montre la difficulté à bien mener un boulot qui pourrait demander du temps mais qui n’en laisse pas… Il faut être efficace tout de suite, pas le temps de s’installer. Le public ne fait pas de cadeau.

Brian Clough se rattrapera ensuite avec Nottingham Forest.

Après avoir sondé, autopsié, sa région, Peace a décidé de s’intéresser à ce pays où il a vécu une quinzaine d’années, le Japon. La trilogie est en cours, j’y reviendrai.

David Peace et son quartet

David Peace a fait une entrée fracassante, à la fin du siècle dernier, dans le petit monde du roman noir… Un petit monde qui ronronnait tranquillement, ou, en tout cas, est-ce l’impression qu’ont donné les sorties des quatre opus du Red Riding Quartet. Il a remué cet univers dans lequel chacun se sentait bien, il l’a remué comme personne n’avait dû le faire depuis Ellroy et sa montée en puissance dans les années 80.

David Peace est arrivé et a jeté à la face de tous ses angoisses et ses obsessions, il a fallu encaisser et se dire que nous avions là quelqu’un qui ne nous laisserait plus tranquille.

Peace arrive donc, en 1999, avec un roman au titre improbable, juste une année, mais une année qui représente beaucoup pour les habitants du Yorkshire, l’année où tout a commencé…

1974 est un roman à la première personne, un récit halluciné, habité. Un journaliste en devenir, Edward Dunford, un 1974 (1999)plumitif qui veut dépasser Jack Whitehead, le journaliste criminel de l’année, se lance sur l’affaire de l’étrangleur du Yorkshire. Il s’y lance à corps perdu, comme on se jette dans le vide. Et Dunford va s’enfoncer comme tout un comté s’enfonce à la suite des meurtres de fillettes qui s’additionnent. C’est un récit prenant, haletant, où l’on revit une époque.

Peace nous offre une peinture des personnes de ce temps-là au plus près, sans faire de cadeau, sans rien nous épargner. C’est une région avec ses qualités et ses défauts, avec une certaine culture, une certaine façon de vivre et Peace va nous l’asséner en long en large et en travers. Il colle à ses personnages, s’attachent à leurs pensées hallucinées, à ces obsessions que chacun ressasse comme des mantras. Et il nous les ressasse. Car Peace ne se contente pas de nous raconter une histoire déjà horrible par elle-même, il nous la raconte en y mettant les formes. Ses formes, son style.

Le style de Peace est tout sauf consensuel, tout sauf facile, il faut s’accrocher à ses répétitions, ses boucles de récit, ses allers et retours…

Il entre par la grande porte dans le roman noir et ne va pas se contenter d’y rester, la tétralogie n’est pas finie et il va encore nous embarquer. Plus loin.

Nous retrouvons le Yorkshire trois ans après. Cette fois, c’est 1977, l’année du jubilé d’argent, l’année du cauchemar qui continue pour toute une région.

Les mêmes personnages hantés viennent détruire le peu d’espoir qu’il pouvait nous rester. Les mêmes personnages reviennent pour affronter l’effroi qui a tenu éveillé une partie de l’Angleterre. Peace nous offre encore une tranche de1977 (2000) ce fait divers devenu fait de société, histoire du Yorkshire. Il nous fait suivre le parcours d’individus paumés, en déchéance, en même temps que la décadence s’accentue dans les environs de Leeds. Les points de vue se multiplient, ajoutant une descente à une autre…

Décidément Peace continue de nous bousculer. Il évolue, scande son histoire, l’entrecoupe d’extraits d’émission de radio. Son style, sa façon de raconter une histoire s’enrichit.

Nous n’en sommes qu’au deuxième, nous ne sommes qu’en 2000 et déjà Peace peut rendre accroc, il nous faut le suivant, même si on le redoute, on l’attend. Sans savoir jusqu’où il va aller, on veut le suivre… J’en ai parlé plus longuement ici.

On le redoute et il arrive. Le troisième opus, 1980, sort un an plus tard au Royaume d’Angleterre. Dans ce royaume où il y a décidément quelque chose de nauséabond…

Cette fois, ce ne sont plus des émissions radiophoniques qui viennent ponctuer l’intrigue sans que l’on puisse qualifier ça d’aération. Cette fois, ce sont les extraits d’un journal, écrit d’une traite, sans ponctuation, paragraphe, sans 1980 (2001)aération… Des mots jetés comme ça, à la suite, à la file.

L’affaire de l’étrangleur du Yorkshire avance si peu et gêne tellement aux entournures tout un tas de personnes que l’on finit par enquêter sur l’enquête. Mais comme avant, comme dans les opus précédents, cette enquête semble maudite. Pas de rédemption possible une fois qu’on y a mis un doigt…

Après Dunford, Fraser, Whitehead, c’est au tour de Peter Hunter de s’y coller. De se coller à la narration et de subir la malédiction, le mauvais sort qui s’acharne sur chacun. Il ne faisait pas bon vivre dans le Yorkshire des années 70 et 80, dans la corruption et les malversations, il ne faisait pas bon y vivre mais David Peace est un enfant de cette époque. Il en a subi le traumatisme et nous le transmet avec un style, une force, incroyables.

Il ne lui reste plus qu’à conclure, et nous ne savons si nous pourrons supporter le sevrage.

Quatre ans après la sortie du premier volume, la tétralogie atteint le bout du tunnel, sans s’extraire de la noirceur, sans en sortir. Mais vit-on ailleurs ?

1983 conclut le Red Riding Quartet, et cette conclusion confirme s’il en était besoin l’importance de la série et de son auteur. David Peace est entré en littérature, dans le roman noir, par la grande porte, s’installant d’emblée au côté des 1983 (2002)plus grands. Les comparaisons se sont multipliées, Peace en a revendiqué certaines comme Ellroy auquel son style peut faire penser… Mais, de mon point de vue, les comparaisons sont inutiles, Peace est Peace, un point c’est tout. Et il nous le rappelle avec ce dernier opus, nous bousculant encore, jouant avec nos tripes, notre folie. Allant encore plus loin.

Le roman est à la première, à la deuxième et à la troisième personne. Mais jamais l’on ne s’y perd, jamais on ne perd le fil, jamais on oublie que nous sombrons dans la folie. Qu’il n’y a pas de rédemption. Il boucle la boucle, suis encore des personnages hallucinés, observe le lent effondrement. J’en ai aussi parlé par .

C’est une série marquante, majeure, que Peace nous a offerte pour commencer mais il ne s’est pas arrêté là. Le Yorkshire et l’Angleterre ont subi de nouveau son regard acerbe… avant qu’il aille voir ailleurs.

David Peace dans mes rayonnages

Ellis m’était arrivé par la télévision (j’en reste persuadé), Peace, quant à lui, a débarqué dans mon univers, ma galaxie (ma maison, quoi !) par le biais d’un autre média… J’en suis sûr aussi. Un média dont les origines, les racines, sont bien plus anciennes, puisqu’il s’agit d’un périodique, un hebdomadaire qui se veut culturel et qui balaie large, Télérama. La télévision n’est pas bien loin. Pour survivre, les médias écrits ont adopté ce nouveau venu et l’ont intégré à leurs sujets de préoccupation, s’y consacrant même exclusivement pour certains d’entre eux…

Je me souviens de cet article consacré à la sortie du dernier opus de sa série, le Red Riding Quartet. Il était sûrement signé par Michel Abescat, l’homme qui nous gratifie désormais, concurrence et évolution médiatique galopante obligent, de la savoureuse émission en ligne, le Cercle Polar. L’un des derniers numéros, à l’heure où j’écris, est d’ailleurs consacré au bonhomme qui nous occupe pour le moment, monsieur David Peace.

Je me souviens donc avoir lu cet article. Je ne parcourais alors pas autant la Toile pour connaître des avis sur les dernières sorties et je ne voulais pas encore découvrir le roman noir que j’avais jusque là picoré au gré de mes envies et sans réelle organisation. J’aimais pourtant Ellroy et d’autres, Manchette ou Daeninckx… Mais le goût de m’y consacrer de manière presque exclusive ne m’était pas encore venu.

Le petit problème que je rencontre pour vous en parler, c’est que la mémoire  que j’ai de cet événement (et je vous assure qu’elle ne flanche pas, je me souviens très bien !) se heurte de nouveau à un autre souci de mémoire… numérique, celle-là. En ligne. Malgré l’existence d’archives sur le site de l’hebdomadaire, l’article en question n’est plus accessible, leurs archives ne remontent pas aussi loin. On nous vante l’accès à une mémoire extraordinaire, sans limite, et voilà qu’à la première petite recherche, on se cogne à ses limites ! Gardez votre bibliothèque ! Ne mettez pas tout dans les lecteurs numériques ou les mémoires en ligne !

Bref. Je me souviens de cet article et de l’achat qui a suivi, l’achat du premier opus de la série, 1974. Ce fut une révélation… J’ai enchaîné ensuite comme j’ai pu avec la fin de la série et les romans suivants du monsieur.

Je vais revenir sur l’ensemble de son œuvre dans pas si longtemps.

David Peace agrippé par la Toile

Je m’attaque aujourd’hui, de nouveau, à un monument. Un monument du roman noir, un de ces romanciers qui font avancer la littérature tout simplement… par delà tout carcan. Vous avez lu le titre, vous le savez, je vais évoquer David Peace. En commençant par sa présence sur notre vaste toile francophone et un peu (un tout petit peu) au-delà.

Un tel auteur ne peut être que présent, très présent, en ligne. Un tel auteur devenu culte, lu, lu et relu, disséqué par plus d’un… Mais un tel auteur reste un auteur récent, jeune, même pour notre réseau qui nous paraît parfois avancer plus vite que tout. Qui nous semble parfois défier le temps. Il faudra peut-être attendre encore un peu pour que Peace soit aussi présent qu’on pourrait s’y attendre. Il a une reconnaissance, un article à son nom dans Wikipédia, aussi bien en anglais qu’en français. Mais cette reconnaissance s’arrête là, les articles sont courts, fautes d’avoir pu accéder à des informations fouillées, fautes d’avoir été rédigés par des gens qui avaient le temps. Ils ne l’ont même pas pris pour s’attarder sur son œuvre. Mais je suis sûr que ça viendra, David Peace est un jeune auteur, un auteur récemment apparu, comme je le disais.

Pour en savoir un peu plus, il faut aller du côté de A l’ombre du polar, qui nous en parle plus longuement. Ça date de 2004 mais c’est déjà plus proche du bonhomme, je trouve. Pour nous en rapprocher un peu plus, il faut aller voir du côté des gens qui ont eu la chance, les veinards, d’approcher l’auteur et de lui poser quelques questions. Jean-Marc Laherrère fait partie de ceux-là et il nous le fait partager, sur son blog, et sur Bibliosurf. D’autres entretiens sont disséminés çà et là sur la Toile, façon puzzle, on finit par avoir une vision plus nette du monsieur et de ses intentions, de sa vision de l’écriture. Il y a notamment Libé et 20 minutes. Avec Libé, les questions ne sont pas toujours très pointues, elles permettent de remettre l’auteur dans son contexte.

Enfin, pour en finir avec ce tour de la Toile, deux sites nous offrent une approche de l’écrivain particulièrement intéressante. Sur Mollat.com, Olivier et Karine signent une présentation de l’œuvre claire et rapide. Ils font le tour de ce qu’on peut dire sur l’auteur… Mais l’article incontournable, le plus fouillé et peut-être le mieux écrit est l’œuvre de Stéphanie Benson, sur Europolar. A travers sa lecture de GB 84, elle nous propose une analyse de son style qui vaut le détour. A lire absolument.

Je reviendrai très bientôt sur ma rencontre avec les bouquins du monsieur et sur cette œuvre, justement, qu’il nous offre depuis quelques années déjà.

Bret Easton Ellis et le diable

Alors qu’il a déjà joué avec quelques figures de la croyance, de la culture ou de la fiction populaires, Bret Easton Ellis s’y remet. Après les vampires (Zombies), le terrorisme (Glamorama), un certain fantastique (Lunar Park), les tueurs en série (American Psycho) et le monde estudiantin (Moins que zéro et Les lois de l’attraction), cette fois, c’est le diable qui passe à la moulinette.

C’est peut-être ce qui caractérise l’auteur, ce travail autour de certaines figures emblématiques d’une culture quotidienne, d’une culture plus proche de nous, plus évidente, d’une culture Suite(s) Impériale(s)non estampillée « approuvée par les universités, les universitaires, les intellectuels » qui nous est imposée parfois (souvent ? tout le temps ?) et qui en arrive à paraître être la seule à pouvoir porter ce nom de « culture ».

Attention ! Pas de grand discours, pas de grandes théories, ces figures sont ancrées dans le réel, elles en sont des composantes. D’après Ellis. Elles en sont tellement des composantes que nous les croisons tous les jours, que nous vivons à côté, en le sachant ou pas. Qu’elles sont une partie de nous-mêmes.

En revenant à l’un de ces personnages, Clay, et à sa première fiction, Moins que zéro, Ellis ne revient pas en arrière. Il observe la progression, l’effet du temps (les « ravages » ?). L’état de ses personnages après 25 années de plus à lutter pour vivre, se coltiner aux autres.

Pour mieux mettre leurs travers en évidence, leurs évolutions, Ellis utilise un autre pan de la culture populaire, le roman noir (mais il pourrait nous sembler que ce fut déjà le cas plus d’une fois). La forme et le fond ont donc à voir avec cette culture populaire évoquées plus haut. Et Ellis, un écrivain reconnu, adulé, va encore du côté de ses semblables plutôt que de l’élite pour nous toucher. C’est un écrivain de son temps, un écrivain qui ne vit pas dans une tour d’ivoire et qui ne se complait pas, ne se repait pas de cette image qu’on lui colle et dont il joue parfois au point d’en devenir agaçant.

Il y a, de plus, un véritable travail, une recherche de la simplicité qui n’est pas habituelle chez lui, il nous perd une fois de plus mais d’une façon différente. Sommes-nous en train de lire un scénario imaginé par Clay et qu’il écrit, qu’il imagine sous nos yeux ? Sommes-nous en train d’observer les ravages chez lui, dans son esprit, de la société et de ses congénères ?

Ellis ne nous donne bien sûr aucune réponse, il nous laisse nous faire notre opinion, s’abstient de nous asséner une quelconque leçon et se contente de nous raconter ce qu’il observe et comment il le perçoit. Le travail d’un artiste. Un écrivain exigeant.

C’est vrai que sa simplicité déroute, qu’on peut avoir la sensation d’un livre simplet, mais les livres d’Ellis, les précédents en tout cas, mûrissent (en nous), prennent de l’ampleur, jusqu’à atteindre leur véritable dimension. Je n’ai pas toujours eu l’impression d’être devant un chef-d’œuvre en le lisant mais, à chaque fois, les jours et les semaines passant, je me rendais compte que ses bouquins m’avaient marqué assez profondément, qu’ils étaient de ceux dont je me souviendrais aussi longtemps que mon esprit ne partira pas en quenouille. A n’en pas douter, celui-là sera de ceux-là même si, après Lunar Park, on savait qu’il ne pourrait pas produire un roman aussi fort, il est parvenu à me prendre de nouveau par la main pour m’emmener dans un univers qui n’est pas le mien et que j’ai pourtant l’impression de connaître. Dans un esprit qui n’est pas le mien mais qui est tellement humain, dérangé, fragile.