Bret Easton Ellis pris dans la Toile

Pour changer, je vais m’intéresser à un auteur peut-être surmédiatisé. Autant les deux premiers sur lesquels je me suis penché sont particulièrement discrets sur tous ces sites accessibles à distance depuis votre ordinateur, autant Bret Easton Ellis est visible et plus que visible. Il s’agit alors d’aller au-delà de l’image que l’on nous propose pour revenir à l’essentiel, l’œuvre. Car Ellis est avant tout un écrivain et un grand écrivain.

Autre difficulté pour sélectionner ce qui relève vraiment de l’intérêt pour sa littérature, Ellis est actuellement dans l’actualité puisque son dernier roman vient de paraître outre-Atlantique et ne va pas tarder à inonder les rayons des librairies dans notre cher pays. Je ne ferai pas allusion à ce dernier bouquin tant que je ne l’aurai pas lu et je ne retiendrai pas les endroits où l’on ne parle que de lui.

Bret Easton Ellis est un auteur qui pourrait être étiqueté roman noir s’il n’avait cette notoriété, cette reconnaissance. Méritée. Il est peut-être de ceux qui ont contribué à faire de ce genre un genre à part entière au niveau littéraire, de ceux qui ont permis de conférer au genre un intérêt autre que tout juste curieux ou poli.

C’est un grand que tout le monde s’arrache, s’accapare et que l’on voit aussi pas mal ailleurs que dans l’actualité littéraire. Il en joue tout en regrettant cet état de fait. Tâchons de voir s’il est possible de se recentrer sur son talent, son écriture et ce qu’on peut en dire, sur ce qu’il en est dit sur les différents lieux auxquels la toile (gigantesque et mondiale) nous donne accès.

Je vais sélectionner.

Il faut revenir aux fondamentaux comme le conseillent certains… conseillers, entraîneurs ou « coaches » de tous ordres (sportifs mais pas seulement). Quand on veut en savoir plus sur un auteur, il faut chercher du côté des sources connues et reconnues…

Malheureusement, comme je l’ai déjà dit, en ligne il n’existe qu’une encyclopédie accessible sans abonnement, sans avoir à payer… Recouper les avis et les points de vue en multipliant les entrées sur un thème choisi n’est donc pas aisé. J’ai un peu triché, je l’avoue. Bénéficiant d’un accès en ligne à Universalis, j’ai pu aller plus loin que l’embryon d’article proposé aux moins chanceux. J’ai donc une nouvelle fois pu comparer l’intérêt d’une encyclopédie collaborative (vous voyez de laquelle je veux parler, celle que tous les étudiants prisent au point d’en faire la principale inspiration de leurs travaux) et d’une encyclopédie plus « classique », faisant également à la collaboration mais sélectionnant assez drastiquement ses collaborateurs.

Dans l’encyclopédie à l’accès payant, P.-Y. Pétillon, s’attarde sur l’œuvre de Ellis, détaillant plus particulièrement trois de ses livres, le premier, Moins que zéro (Less than zero), son roman emblématique, American psycho et enfin le roman qui suivra ce dernier, Glamorama, roman de la confirmation définitive du talent d’Ellis. Cette approche est particulièrement intéressante puisqu’elle reprend l’œuvre d’Ellis en la reliant à ses différentes influences, d’Elvis Costello à Don DeLillo. Wikipédia, dans l’article qui lui est consacré, préfère une approche plus en surface, côté éditorial et anecdotique… Elle propose, ce qui est un plus par rapport à sa concurrente payante, une bibliographie.

Mais l’œuvre d’Ellis est analysée en long en large et en travers par de nombreux internautes… et mon petit doigt me dit qu’elle sera également évoquée ici même dans pas très longtemps. J’ai effectué une petite sélection des sites qui me semblent présenter un intérêt dans leur approche de l’œuvre de l’auteur états-unien, notamment ceux qui s’intéresse au moins autant au contenu qu’à l’emballage, l’apparence, les à-côtés de l’énorme succès qu’elle a rencontré. Cette brève sélection est bien sûr toute personnelle.

Sur fluctuat.net, une présentation rapide mais déjà plus fouillée que wikipédia ou, en tout cas, allant dans le sens qui m’intéresse, celui d’un intérêt pour l’œuvre plus que pour l’homme, nous parlons de littérature, non ? Cette article propose également d’autres liens pour approfondir… Sur Whisky Beat & Poésie (?), une série de pages nous parle d’Ellis et de son œuvre jusqu’à Glamorama paru il y a déjà plus de dix ans. L’analyse et la présentation la plus intéressante est, pour moi, celle dont s’est fendu le Cafard cosmique à l’occasion de la sortie de Lunar Park, roman précédent celui qui sortira le mois prochain, que dis-je ?, ce mois-ci (on me dit dans l’oreillette que ça serait même déjà fait !), dans sa traduction française, Suite(s) Impériale(s) (Imperial Bedrooms). Un site non-officiel en anglais se charge de recenser l’actualité du monsieur, on peut s’en contenter même si l’offre dans ce domaine est, comme je le disais plus haut, abondante.

Enfin, pour avoir une idée de l’auteur et de sa façon de jouer avec les médias et de se comporter dans les entretiens qu’il accorde et que l’on peut retrouver en quantité sur la Toile, je vous en propose deux (des entretiens), l’un accordé au magazine Transfuge et accessible sur Dailymotion et l’autre sur le plateau de Tout le monde en parle.

J’aborderai dans pas longtemps l’œuvre de cet auteur, à mon avis, particulièrement important dans la littérature des dernières années et dans le roman noir également…

Hugues Pagan, son œuvre (2ème partie)

Après avoir enchaîné les livres à raison d’un à deux par an, Pagan adopte un nouveau rythme pour ce qui sera, pour lui, une trilogie. On sait qu’à cette période, il va également faire une expérience qui le marquera fortement. En 1988, il est l’un des OPJ appelé sur les lieux d’une catastrophe ferroviaire (celle des sous-sols de la gare de Lyon en juin 1988). Voilà peut-être qui explique également son changement de rythme et la teneur des trois bouquins qui vont suivre.

En 1990, trois ans après son dernier roman, Pagan publie un nouveau roman chez Albin-Michel. Il s’intitule L’étage des morts. Avec ce nouvel ouvrage, il s’affirme définitivement comme un des grands auteurs français du roman noir. C’est, L'étage des morts (Albin Michel, 1990)en tout cas, mon sentiment. Il semble aller encore plus loin que pour ces bouquins précédents. Il porte assez haut ce qui faisait son style, jusque là.

On retrouve un flic à la dérive, un flic dans la lignée de Katz (Boulevard des allongés) ou de Schneider (La mort dans une voiture solitaire et Vaines recherches). Un flic sans nom, à la manière de Robin Cook et de sa série sur l’Usine. Un homme, une ville et le désespoir, le blues et la musique qui pourrait aller avec.

Sur le site Pol’Art Noir, c’est MacOliver qui s’est collé à la chronique du roman. Mon avis est un peu plus bas, le voici :

« Pagan nous offre une fois de plus une plongée dans la ville, dans la nuit. Une fois de plus mais pas une fois de trop. Avec Pagan, ça n’est jamais une fois de trop, il y a trop de talent chez cet auteur-là pour bouder le plaisir qu’il nous offre à chacun de ses bouquins ouvert.

Un flic raconte à la première personne son errance. Peut-être son dernier coup d’éclat. Un flic errant qui s’accroche à ces convictions, c’est tout ce qu’il lui reste pour ne pas sombrer complètement. Il nous raconte la mort d’un de ses collègues pas forcément plus paumé que lui ou que ceux qu’il côtoie chaque jour.
Comme toujours chez Pagan, il nous présente un personnage au bord de l’abîme, un personnage qui colle tellement à son style, sans cesse en équilibre, si près de se casser la gueule. Mais c’est de nouveau un plaisir, un grand plaisir et l’on se prend à regretter amèrement qu’il n’y ait pas plus de bouquins de cet auteur, qu’il se soit détourné de la littérature beaucoup trop prématurément. Ou peut-être avait-il tout dit ?

« Je m’étais battu, sans doute pas très bien, pour que des gosses – les leurs, les miens, ceux de tout le monde -cessent de se piquer et de crever de surdose, pour que les promoteurs immobiliers cessent de faire griller des vieilles dans les immeubles qu’ils convoitent, pour qu’on arrête de traiter les blacks, les biques, les basanés et ceux qui n’ont pas eu de chance comme des chiens. Moi aussi je m’étais battu pour un monde plus juste et plus fraternel, jour après jour, nuit après nuit. Bien sûr que ça n’était pas raisonnable, mais je n’avais jamais été raisonnable, seulement fidèle autant que je l’avais pu à la devise de mon ordre. J’avais rêvé d’un monde où les flics cesseraient de faire des pipes aux gros et aux riches, et de latter les pauvres et les laissés-pour-compte, où les commissaires ne se sucreraient plus sur les expulsions et les vacations funéraires… J’avais rêvé… C’est lorsqu’on est tombé tout en bas, avec l’angle de dérive d’une plaque de fonte lancée dans un égout, qu’on se rend compte… D’abord on rêve, après on meurt. Nul n’est jamais aussi fort ni endurant qu’il le croit. Je m’étais battu et j’avais perdu.
Rideau. »

Oui, peut-être qu’il a tout dit. »

Le désespoir de Pagan est peut-être plus profond, plus personnel…

Trois ans plus tard, paraît chez Rivages Tarif de groupe. Cette fois, c’est un flic qui a franchi le pas, un flic qui n’en est plusTarif de groupe (1993) un, il a quitté l’Usine mais on ne peut pas se défaire de ce métier et il le rattrape avec une affaire non élucidée, trop vite classée. Le flic replonge et nous plonge dans les travers de la police. Pagan règle ses comptes avec cet homme désabusé, au bord de l’abîme, de la folie, et qui ira jusqu’au bout. Le flic a, cette fois, un nom, Chess. Mais son nom n’ôte rien au désespoir, à l’échec d’où il vient et vers lequel il retourne irrémédiablement. Sur une bande son bien à lui (rien qu’à lui ?) et qui vaut également le détour.

Je l’ai chroniqué sur Pol’Art Noir, si vous voulez aller plus loin, elle est .

Il faut attendre quatre ans pour que le dernier roman de Pagan débarque sur les gondoles. Il s’agit d’un roman qui mériterait d’y être encore en tête tellement il nous emmène loin. Dernière station avant autoroute.

De nouveau la musique, de nouveau la nuit, de nouveau un flic sans nom au bord du gouffre. Ça ressemble aux précédents dit comme ça, mais chaque roman de Pagan se détache du précédent pour aller plus loin, nous proposer de nouveaux tours et détours, un nouveau chemin que l’on arpente en long, en large, avec ce désespoir, ce blues qui colle Dernière station avant l'autoroute (1997)tellement à tout, à chaque seconde.

Voici ce que j’en disais sur Pol’Art Noir à la suite de la chronique de MacOliver :

« Un flic sans nom, le narrateur, nous raconte sa lente dégringolade.

Les affaires se succèdent à la brigade de nuit dont il est le commandant. Mais il ne croit plus à grand-chose. Quasiment plus à rien.

La vie, on a bien fini par s’en rendre compte, c’est jamais qu’un de ces tristes bouis-bouis où jamais on ne repasse les plats.

Les affaires se succèdent, petites ou grandes, délicates ou pas. Un incendie dans une cave tue une dizaine de squatter, un sénateur se suicide dans la chambre d’un hôtel qui tient à sa réputation, à la discrétion, une femme en tue une autre… Il doit en même temps se battre, combattre sa hiérarchie, qui lui reproche sa trop grande indépendance. Il aurait pu finir plus haut, grimper les échelons mais il y a renoncé. Peut-être à la suite de l’enquête que l’on suivait dans L’étage des morts dont quelques personnages sont évoqués au passage et qui nous était également raconté par un flic sans nom de l’Usine, lointain cousin de celui de Robin Cook. L’univers des deux écrivains est si proche qu’on ne peut s’empêcher de penser au maître du roman noir britannique quand on lit les romans de Pagan.

L’affaire du sénateur suicidé va poursuivre notre narrateur, le pousser un peu plus vite dans la pente. Il a eu la mauvaise idée d’être là le premier pour les constatations et on redoute qu’il ait mis la main sur des documents compromettants, il a en plus la mauvaise idée de s’approcher de beaucoup trop près de l’ancienne épouse de l’homme politique.

Pagan nous offre un condensé de Pagan. On retrouve dans ce roman tout ce que l’on a pu trouver au long de ses romans précédents, un personnage principal complètement désabusé qui ne voit plus l’intérêt de continuer à faire semblant, à se conformer à des codes sans intérêt, sachant que nous finirons tous de la même façon et que c’est vers cela qu’il faut aller quelle que soit la manière.

C’est jamais le même chemin qu’on suit, c’est quand même bien au même endroit qu’on va.”

Dernière station avant l’autoroute est le dernier livre à ce jour de Hugues Pagan. Un chant du cygne, un bilan presque, sans en avoir la lourdeur, l’aspect rébarbatif. Comme son personnage, on se dit que le romancier a tout dit. Dit tout ce qu’il avait à dire, qu’il en a fait le tour. Il va même plus loin que précédemment, montrant un personnage qui se décide à renoncer à tout ou presque, qui se laisse couler.

C’est un grand roman, un roman dérangeant, un roman exigeant. Le roman d’un romancier qui aura marqué le polar français de son empreinte et dont l’importance mérite une plus grande reconnaissance… même si il est évident que Pagan ne court pas après.

Plus rien de grave ne peut se produire depuis l’invention de l’aspirine.”

Après cette dernière station, on se demande qu’elle est l’autoroute empruntée, pas sûr de ne pas avoir tout simplement suivi le cauchemar d’un homme revenu de tout, pas sûr que ce que l’on a lu fasse partie d’une certaine réalité ou du rêve. Un rêve sacrément noir. Pas sûr que le narrateur ne soit pas entré dans sa propre fiction. Plus sûr de rien. Et tout cela, comme toujours, accompagné d’un blues désespéré, d’une bande son de qualité.

Il n’y a rien au-dessus du blues, sauf peut-être le blues.”

Je le dis et le redis, Pagan est un auteur à lire, un auteur à savourer pour tous les amateurs de roman noir, tous les amateurs de grande littérature car elle n’est pas toujours là où on nous le dit.

Hugues Pagan, son œuvre (1ère partie)

Hugues Pagan est né en 1947, donc. Après des études de philosophie, il devient enseignant puis entre dans la police. C’est alors qu’il exerce dans cette administration qu’il commet son premier roman.

En six ans, Pagan va publier pas moins de sept romans. Des romans qui seront d’abord publiés dans la collection Fleuve Noir puis chez Albin Michel et enfin Rivages.

En 1982 paraît le premier de ses romans, La mort dans une voiture solitaire dans la collection Fleuve Noir. Ce roman sera de nouveau publié en 1994 chez Rivages/Noir dans une version comprenant une quarantaine de pages La mort dans une voiture solitaire (Fleuve Noir, 1982)supplémentaires. Pages qui avaient été supprimées de la première version.

Dans ce roman, l’univers de Pagan s’installe et l’un de ses personnages récurrents, l’inspecteur Schneider, entre en scène. Dès ce premier roman, Pagan nous offre un bouquin d’une grande tenue, d’une grande qualité. Le blues, la ville, accompagnent les pérégrinations de l’histoire, en sont des personnages à part entière. Un bouquin prenant avec un personnage principal flic, revenu de tout. Schneider, comme souvent dans le roman noir se bat contre tous pour mettre à jour une vérité que personne ne tient réellement à voir révélée. Il se bat contre sa hiérarchie et contre une certaine société, la nôtre, qui comme lui a renoncé à pas mal de choses.

C’est un grand roman, avec un personnage écorché qui n’est pas sans nous rappeler le flic sans nom de Robin Cook, ce flic qui allait apparaître bientôt dans la Série Noire. Ces deux romanciers, par lesquels j’ai commencé mon blog me semblent très proches dans leurs thèmes et leur vision de la société. Ce sont deux grands romanciers par leur style également, j’en ai cité quelques extraits dans la chronique que j’ai faite de ce livre sur Pol’Art Noir.

Quelques mois plus tard, en 1983, paraît le deuxième roman de Pagan, de cet auteur qui a déjà marqué les esprits dès son entrée dans le paysage noir français.

L’eau du bocal adopte un tout autre ton que le premier roman du monsieur. Il s’agit d’une histoire sérieuse traité sur un mode loufoque, un peu déjanté, légèrement décalé. Une histoire qui n’a rien de franchement drôle et qui meL'eau du bocal (Fleuve Noir, 1983)t une nouvelle fois aux prises un flic et sa hiérarchie. Le roman est noir, résolument, avec une vague d’attentats qui se répand, mais, encore une fois, la manière de le raconté est légère et ironique. C’est un roman comme on n’en croise pas si souvent dans l’univers littéraire français, un roman un peu doux dingue et qui n’est pas sans rappeler par le ton adopté Robin Cook, encore une fois, son deuxième roman en particulier, Bombe surprise. Une histoire de terrorisme narré sur un mode humoristique. C’est un roman curieux et qui confirme définitivement le talent hors norme de Pagan, capable d’écrire sur tous les tons avec un égal bonheur. J’en parle également .

Le troisième roman de Pagan paraît la même année. Il s’agit de Je suis un soir d’été. Roman que je n’ai pas encore lu à ce jour et dont je ne pourrai pas vous dire grand-chose puisqu’il est l’un de ceux les moins évoqués de son œuvre. J’y reviendrai quand il sera enfin tombé entre mes mains.

En 1984, Pagan commet une nouvelle fois deux romans. Le premier d’entre eux, son, déjà, quatrième s’intitule Boulevard des allongés. Après L’eau du bocal et, peut-être, Je suis un soir d’été, Pagan signe là un retour radical au roman noir pur jus. On retrouve un flic désabusé, un lointain cousin de son premier flic, Schneider. J’en ai également parlé sur Boulevard des allongés (1984)le site Pol’Art Noir, à la suite de la chronique de Patrick Galmel, voici ce que j’en disais :

“Hugues Pagan poursuit son exploration de la ville, de ses côtés sordides ou inavouables. Et de la police qui se débat pour mettre un peu d’ordre dans le désordre, en se perdant parfois, en franchissant les limites qu’elle veut imposer aux autres.

Katz est un flic sur le fil, infréquentable, franc-tireur, solitaire. Qui s’enfonce un peu plus chaque jour.

« Des voitures roulaient dehors, dans la rue, il les entendait à peine. Un néon palpitait et incendiait par intermittence les hautes vitres de l’atelier, mauve et tarabiscoté, mais il ne le voyait pas, il en avait seulement conscience, comme il avait conscience de ceux qui rôdaient dans la nuit, inlassables, et tissaient leurs toiles, habiles et patients ou maladroits et furtifs, de toutes les manières promis au même sort, bientôt happés et englués, piqués par les autres habitants de l’ombre, sucés, vidés, et Katz au petit matin retrouvait leur enveloppe livide sur le marbre de l’institut médico-légal, et il fallait encore les ouvrir, les découper, à moins qu’on dût se livrer à une séance de puzzle macabre, la nuit était une mer qui déposait sur la grève ses restes au petit matin, quand la lumière grise et sans relief tombait d’en haut et se dissolvait, et ne détaillait rien, une mer sans conscience, sans mémoire, sans remords. Sans haine. »

Katz est un flic détruit qui s’est approché trop près de ce contre quoi il luttait. Qui s’est laissé casser par son métier…
Alors, bien sûr, on se perd un peu au début du roman, on ne sait parfois plus où l’on en est. Mais les personnages sont comme nous, la réalité les dépasse, ils n’en connaissent qu’une partie et c’est déjà trop. Pagan ne nous perd jamais complètement et on finit par se repérer dans cet univers où les sentiments de chacun, des sentiments exacerbés, n’ont pas leur place. Il faut faire taire les moindres faiblesses qui pourraient nous perdre.

Le style de Pagan est à la mesure de ce qu’il raconte, fort et désespéré. Prenant pour peu que l’on soit prêt à s’enfoncer dans les côtés sombres de la société, dans la noirceur qui va de pair avec l’homme, avec tout homme.”

C’est de nouveau un roman poignant que Pagan nous offre.

Son deuxième roman de l’année 1984 est Vaines recherches, le roman qui marque le retour de l’inspecteur Schneider. C’est également le dernier de ses livres à paraître dans la collection Fleuve Noir.

Schneider est un alter ego de l’auteur et il va de nouveau devoir affronter une sale affaire.

J’en avais parlé en marge de la chronique de MacOliver sur Pol’Art Noir :

“La criminelle « B » est de permanence. La criminelle « B », c’est celle que commande Schneider, le flic plus que désabusé Vaines recherche (Fleuve Noir, 1984)que Pagan nous avait présenté dans son premier roman, La mort dans une voiture solitaire. Et comme à chaque fois que la « B » est de permanence, de sales affaires pleuvent. La poisse ! D’autant que le temps est à la poisse, avec la canicule qui s’est abattue sur la ville. De sales affaires qui s’acharnent sur Schneider, qui lui en veulent personnellement. Le viol de la maîtresse de Catala, l’un de ses équipiers, et un fou qui zigouille les femmes au hasard à la manière d’un tireur d’élite et qui adresse des messages à Schneider.

Pagan nous offre une plongée dans un commissariat, avec le tout venant et les plus grosses affaires que doivent se coltiner les membres de la criminelle. C’est un roman court mais quand c’est du Pagan, court ou pas, cela reste un plaisir à lire. Il n’approfondit pas les différents événements, reste en surface, avec la chaleur et les affaires qui se succèdent, les flics n’ont pas le temps, Pagan non plus.

C’est un plaisir léger que nous offre le romancier, un plaisir qu’il serait dommage de bouder. Une prose d’une telle qualité est tellement rare !”

Pagan confirme un ton, une manière d’appréhender la fiction avec ce roman, il colle à la réalité et décide parfois de ne pas entrer dans des détails auxquels nous n’aurions pas accès dans la réalité.

Son roman suivant, publié chez Albin Michel en 1985, va s’attaquer à un autre thème, un thème qu’il n’avait pas abordé Last affair (1985)jusque là ou pas aussi frontalement, un thème qui semble un peu éloigné de son univers, l’espionnage, le contre espionnage et, plus familier pour lui, la manipulation. Last Affair aborde le versant caché de notre société, celui que l’on veut dérober à notre vue.

C’est, encore une fois, un roman légèrement à part dans la bibliographie de Pagan mais il reste bien de lui, en ce sens que son talent est toujours là, intact, tellement prenant pour le lecteur. Celui que je suis en tout cas. Je l’avais chroniqué ici.

Avant d’entamer une trilogie qui marquera en même temps la fin de son œuvre romanesque, Pagan fait une première incursion chez Rivages avec Les eaux mortes. Nous sommes en 1986.

Une nouvelle fois, l’histoire se déroule devant nous sans qu’il y ait pléthore d’explications, de retours en arrière. OnLes eaux mortes (1986) devinera le passé du personnage principal en creux, dans certaines évocations en passant, sur lesquelles il ne s’appesantira pas.

C’est à nouveau un homme lessivé, usé, mais qui a sauté le pas, un ex-flic qui s’est rangé des voitures mais sur lequel une nouvelle affaire va tomber. Un personnage croisé jusque là est important dans ce roman, il s’agit de la voiture, celle du héro, enfin héro… Cette humanisation d’une voiture m’a rappelé Belletto et sa trilogie lyonnaise où les automobiles avaient également une grande importance, parfois les dernière compagnes des narrateurs. J’ai également évoqué mes impressions de lecture de ce bouquin par .

Je reviendrai prochainement sur la trilogie de Pagan qui a suivi ces romans. Une trilogie qui lui a demandé un autre rythme d’écriture et qui a donc également été son adieu à la littérature, le voyant ensuite voguer vers une autre forme d’écriture, les scénarii.

Hugues Pagan et la Toile

La présence ou non d’un auteur sur beaucoup de sites n’est bien sûr en rien représentatif de son talent… Peut-être un peu plus de l’intérêt qu’il suscite.

Après Robin Cook, je m’interroge une nouvelle fois, à l’heure où le polar fait l’objet d’articles de plus en plus nombreux, comment se fait-il que quelques-uns de ses représentants les plus intéressants ne soient que si peu évoqués ? Si peu connus ou reconnus quand leur talent, leur importance sont soulignés par beaucoup d’amateurs éclairés du genre ? Il est vrai que j’évoque le polar alors qu’un auteur comme Pagan est sans doute à ranger du côté du roman noir. Distinction subtile.

Alors, est-ce que ce sont ces cases dans lesquelles on veut ranger le moindre romancier qui cloisonnent à ce point le paysage littéraire ? Les maisons d’édition s’engouffrent allégrement dans cette tendance, créant des collections de plus en plus spécialisées, de plus en plus ciblées, quand le talent devrait être le critère principal… Le talent est il est vrai une denrée au combien difficile à évaluer, à comptabiliser. Une denrée tellement mise à toutes les sauces qu’on n’est plus sûr de ce qu’elle signifie vraiment, de ce qu’elle désigne.

Pagan a eu la chance d’être édité mais pas d’accéder à la reconnaissance qu’il méritait… et il est parti voir ailleurs ! La notoriété pour continuer à écrire est indispensable… Une certaine notoriété.

Mais la popularité sur le Net est-elle si essentielle ? Si représentative de celle d’un auteur ailleurs ? J’arrête là mes questions, j’y reviendrai sans doute un jour ou l’autre.

Pagan n’est donc pas un auteur très connu, pas tellement facile à connaître étant donnés les canaux actuels de la reconnaissance. C’est un peu pourquoi j’en parle aujourd’hui, pour rétablir à mon tout petit niveau cette absence injuste de l’auteur dans les conseils que l’on peut donner quand la question porte sur les auteurs de référence du roman noir. Pour moi, Pagan est une référence. Mais comment ai-je fini par accéder à son œuvre ?

Contrairement à Robin Cook, il n’avait pas, à l’époque, eu les honneurs d’une adaptation cinématographique. Il les a eu depuis mais malheureusement le résultat n’a pas été à la hauteur du bouquin adapté (L’étage des morts devenu au cinéma Diamant 13) et le succès (là, je ne dirais pas malheureusement, il a été au niveau de la qualité du film) n’a pas été au rendez-vous… Et bien, une nouvelle fois, c’est par curiosité, telle personne aimait tel auteur que j’aimais et conseillait Pagan, j’ai donc tenté le coup. Ça devait être encore une fois sur le site Pol’Art Noir, sur son forum plus exactement. Il existe bien d’autre endroit sur la toile pour s’y retrouver et dénicher l’auteur qui va nous subjuguer, nous plaire et devenir l’un des incontournables des rayons de notre bibliothèque perso. Soyons curieux !

Je reviendrai sur l’œuvre d’Hugues Pagan dans mon prochain billet bien évidemment, histoire d’enfoncer un peu plus le clou.

Hugues Pagan sur la toile

Après Robin Cook, j’aborde un nouvel auteur incontournable et trop méconnu, à mon goût, du roman noir, Hugues Pagan.

Je croyais Hugues Pagan discret sur la toile… Il l’est peut-être mais moins que je le pensais. De nombreux sites l’évoquent. Trouver des informations sur l’homme qu’il est n’est pas si difficile. Pas si proche de l’envoi d’une bouteille à la mer, comme je l’imaginais au départ.

En sélectionnant, on parvient à en savoir pas mal sur lui, même si ce que l’on apprend concerne le plus souvent son actualité immédiate, son actualité la plus récente. Et Pagan a ceci de particulier qu’il a cessé d’écrire des romans depuis pas mal de temps. Il continue à écrire mais sous une autre forme et avec un certain succès, il est devenu scénariste.

Ceux qui aimaient ses romans se sont fait une raison ou, ils sont comme moi, à espérer encore un retour à la forme romanesque.

En parcourant la toile, on peut donc en apprendre pas mal sur lui.

Pour commencer, son CV est accessible, il permet de garder en tête son actualité, tout au moins une actualité récente. Je ne sais pas si la page est mise à jour régulièrement mais on peut le supposer. Pagan est né à Orléansville le 17 avril 1947, il a enseigné la philo avant de devenir flic puis écrivain. Son parcours dans la police est évoqué par Sandro sur AgoraVox dans un article intéressant donnant un avis sur le bonhomme. Oui, Pagan est sans doute l’un des auteurs français de roman noir les plus talentueux qu’il nous soit permis de lire, c’est, vous vous en doutez, pourquoi je l’évoque ici. Les liens proposés par Sandro, contributeur et modérateur de ce site incontournable qu’est AgoraVox, sont également éclairants, un article intéressant, je le répéte. En continuant à fouiner sur le Net, et en ne s’attardant pas sur l’article particulièrement succinct proposé sur Wikipédia (il a le mérite d’exister, Pagan n’ayant même pas les honneurs d’un article dans l’Encyclopedia Universalis), on peut approfondir la connaissance l’écrivain grâce à un article datant de 1997, signé Patricia Tourancheau. Il est de l’époque où Pagan publiait son dernier roman, dernier paru encore à ce jour, Dernière station avant l’autoroute. On ne le savait pas au moment où P. Tourancheau rédigeait son papier. Pagan a donc arrêté les romans pour se consacrer au scénario. Les raisons de cette évolution sont évoquées ici, même si on peut se dire que ce n’est pas si simple. Pagan en avait fini avec une trilogie, il évoquait un flic revenu de tout, tel qu’il l’avait été lui-même à l’époque et c’est à ce moment qu’il avait quitté la police. En écrivant dessus peut-être est-il devenu évident que c’était le moment pour lui de quitter l’écriture romanesque pour continuer dans une écriture différente. C’est ce que peut laisser supposer également cet article sur le site scribd. Il peut aussi laisser espérer quelques manuscrits au fond d’un tiroir ou en cours et se situant ailleurs qu’en ville, personnage privilégié des œuvres du romancier jusque là.

Pour continuer à approfondir la connaissance de Pagan, deux articles me paraissent incontournables, une interview, accordée à Franck Frommer et Patricia Osganian, et un article écrit par Pagan lui-même dans la revue Passant ordinaire et intitulé Pédadogie de la violence ?

Pour conclure avant de revenir sur mon approche de l’œuvre de Pagan et ce que j’en pense, deux liens vers des écrivains (Hervé Sard et Eric Fouassier) qui confirment que les grands auteurs ne peuvent laisser indifférents. Quoi ? Je suis de parti pris ?

Robin Cook devient Derek Raymond (œuvre 2ème partie)

 Robin Cook a donc disparu du paysage littéraire britannique (le PLB ?) pendant plus de dix ans. A-t-il réellement cessé d’écrire pendant cette période ? A-t-il été capable de renoncer à la page blanche alors qu’il avait déjà commis pas moins de six romans ? Autant de questions qui restent, pour moi, sans réponse. L’article de François Guérif pour l’encyclopédie Universalis ne s’attarde pas sur cette période. Il faudrait peut-être s’adresser à son exécuteur littéraire, l’écrivain gallois John Williams (oui, l’écrivain, pas le musicien spielbergien !).

Il a de nouveau bourlingué, enchaînant les petits métiers, s’installant en France, dans le sud, l’Aveyron. Une impasse porte son nom à Rodez.

Et puis, il est revenu à la littérature. Au roman noir.

Ce premier roman du retour, Le soleil qui s’éteint (Sick Transit) a d’abord été publié en France, en 1983. Il le sera peut-être bientôt en Angleterre mais il leur faudra retrouver d’abord le Le soleil qui s'éteint (Gallimard)manuscrit original, la seule version existante étant, à ce jour, la française. Dans Le soleil qui s’éteint, on retrouve certaines obsessions de Cook,  certains leitmotivs, la décadence de la société anglaise notamment. Mais on voit poindre un autre thème, celui de la lente déchéance d’un homme déjà détruit. On pouvait l’avoir senti avec Quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre mais seulement senti.L’arrivée des femmes au premier plan même si elles n’étaient pas absentes des ouvrages précédents… Là, l’absente est au premier plan.

Ce n’est pas un roman majeur de Cook mais c’est son roman du retour, un roman qui annonce l’arrivée d’un nouveau Robin Cook et d’une série qui marquera le roman noir. Mon avis sur ce livre se trouve, encore et toujours, sur Pol’Art Noir, ici.

Il est mort les yeux ouverts (He died with his eyes open) marque le début de la série appelé l’Usine, the Factory dans sa version originale. Il confirme le retour de Robin Cook et nous prouve qu’il n’a rien perdu de la vigueur, de la force qui avait été la sienne dans les bouquins qu’il a appelé ses « romans de jeune homme » (Ceux que j’ai évoqués précédemment).Il est mort les yeux ouverts (Gallimard)

Il confirme le retour de Robin Cook, à tel point qu’il va de nouveau être édité dans sa langue maternelle Mais là, un souci se pose. Pendant sa longue interruption, un autre Robin Cook s’est fait connaître, un auteur de thrillers médicaux venu des Etats-Unis. Robin Cook, l’original, le premier sur la place, va donc changer de nom pour les éditions anglo-saxonnes, il sera désormais Raymond Derek. Il l’est toujours…

Il est mort les yeux ouverts, qui fut d’abord intitulé dans sa version française On ne meurt que deux fois et fut adapté sous ce titre par Jacques Deray, marque l’arrivée de ce sergent sans nom affecté à la section A14, celle des crimes non résolus. Ce sergent désabusé mais qui s’accroche comme un forcené aux enquêtes qu’on lui confit, ce sergent, ou sa déclinaison, que l’on retrouvera dans les opus suivants de l’Usine.

Robin Cook donne le sentiment d’enquêter sur lui-même dans cette fiction. N’est-ce qu’un sentiment ?

C’est Patrick Galmel himself qui a chroniqué ce roman sur le site Pol’Art Noir, mon avis apparaît un peu plus bas, je le reproduis ici in extenso, il date de janvier 2007 :

« Avec ce roman, Robin Cook entame une série, un an après être revenu dans le monde des romans publiés… c’était en 1983.
Il revient et il nous raconte l’histoire d’un type qui a mis du temps à se décider à écrire. Il nous raconte l’enquête menée par un flic sur ce type et pour mener cette enquête, le flic, sans nom, se laisse petit à petit couler dans le monde de la victime, Staniland.
C’est un roman prenant, difficile à lâcher, même si la découverte du coupable n’est pas ce qui importe. Ce qui importe, c’est la découverte de la victime. L’histoire est racontée à la première personne et elle s’intéresse à ce Staniland qui a une vie étrangement semblable à celle de Cook lui-même. On est captivé par cet auteur qui finalement mène l’enquête sur lui-même et n’épargne rien à ses personnages principaux. Des personnages trop lucides pour supporter de vivre, trop lucides sur eux-mêmes et leurs contemporains.
On peut aimer ce livre pour de nombreuses raisons. La principale étant peut-être d’avoir entre les mains l’œuvre d’un grand romancier.
Un grand romancier douloureusement lucide.
 »

Le deuxième opus de la série de l’Usine paraît en 1984. Le sergent sans nom revient et après avoir mené l’enquête du point de vue de la victime, il cherche à comprendre le meurtrier. Ça s’appelle Les mois d’avril sont meurtriers (The devil’s home on leave). De nouveau, Cook nous propose une histoire dont on se souviendra. Les meurtres sont particulièrement barbares Les mois d'avril sont meurtriers (Gallimard)et ne peuvent laisser indifférents.

Ce roman a également été adapté au cinéma, cette fois par Laurent Heynemann, avec plus de bonheur. Même si bonheur n’est sûrement pas le bon mot. Disons qu’on y retrouve l’univers de l’écrivain et une certaine vision de celui-ci… Une légère trahison, mais est-ce que ce ne sont pas les trahisons qui font les meilleures adaptations ?

Toujours est-il que ce roman, qui n’a pas la qualité de la précédente, mais qui est parmi les Série Noire marquantes, en annonce d’autres. On pense notamment à l’excellent J’étais Dora Suarez, roman emblématique de Cook, auquel on a malheureusement tendance à réduire son œuvre mais qui sans doute l’un de ses plus dérangeants. L’un de ceux qui porte haut son approche du roman noir.

Dans Les mois d’avril…, on assiste à la lente descente d’un homme, une fois de plus mais pas une fois de trop. Robin Cook n’est pas n’importe qui, je le rappelle et chacun de ses romans se savoure.

C’est Freddie Noon qui l’a chroniqué sur Pol’Art Noir, mon avis, lisible plus bas, est le suivant :

« Un sergent de police, qui croit en son boulot et qui s’y accroche puisqu’il n’a plus rien en dehors, se voit confier une enquête. Une enquête sur un meurtre. On a retrouvé un corps difficile à identifier puisqu’après l’avoir tuée, on a fait cuire la victime, rendant toute empreinte inexistante, on lui a également broyé la mâchoire et ôté les dents. Le corps a ensuite été enfermé dans quatre sacs plastiques trouvé dans un dépôt abandonné…

Le policier-narrateur dont on ne connaîtra jamais le nom est épris de justice et travaille à l’A14, au service des décés non éclaircis, service qui s’intéresse aux victimes sans importance, qui n’intéresse personne et dont les meurtres seraient habituellement classés rapidement. Il va mener son enquête avec sérieux, application, sans se laisser influencer car finalement ce meurtre sans importance va se révéler d’un grand intérêt, relié à une affaire qu’on avait soigneusement évité de mener à fond étant donné ses connections avec les relations internationales et le contre-espionnage. Comme il n’en à rien à faire, comme il a renoncer à sa carrière, le sergent va aller au bout de son affaire.

Robin Cook nous offre là son deuxième opus de la série sur l’Usine. Cette série qui dépeint des policiers revenus de tout, anonymes, et allant au bout de leurs affaires, jusqu’à se détruire.

Dans le premier opus, le policier s’intéressait à la victime, au point de suivre sa trace, de prendre presque sa place. Dans ce deuxième volet, il s’intéresse au coupable, lui rendant visite plus qu’il ne faut, discutant avec lui au-delà de ses obligations professionnelles, le forçant à l’accepter pour recueillir des confidences plus qu’approfondies. Au final, comme toujours, c’est un roman singulier que Robin Cook nous donne à lire. Une photographie plutôt noire de l’Angleterre des années 80 sur fond de contre-espionnage, thème qu’il avait déjà abordé pour son retour à la littérature dans Le soleil qui s’éteint. Le contre-espionnage n’est qu’un prétexte pour aborder la violence humaine, sa noirceur, sa propension à trahir. Il nous offre également le portrait d’un flic blessé, perdu, ne sachant vraiment où il est que quand il travaille.

C’est un roman moins touchant peut-être que le premier opus de la série, Il est mort les yeux ouverts, peut-être moins personnel, mais d’une qualité indéniable et d’une telle sensibilité, sans concession, qu’elle provoque parfois le malaise ou, en tout cas, un sentiment assez dérangeant…

“Les assassins sont comme les militaires : ennuyeux et dérangeant en même temps.” »

Le troisième opus de la série de l’Usine paraît en 1986. Inexplicablement, ce sera le dernier de Cook à être édité dans la Série Noire. Inexplicablement parce qu’à cette époque, et certainement grâce aux adaptations de ses deux précédents bouquins, Robin Cook rencontre le succès.Comment vivent les morts (Gallimard)

Je me souviens avoir vu la première adaptation, celle de Deray à sa sortie, la deuxième peu de temps après, et pourtant, Robin Cook n’a pas été à cette époque un nom qui a fait tilt pour moi. Comme je l’ai déjà dit, ça viendra beaucoup plus tard.

Le troisième opus s’intitule Comment vivent les morts (How the dead live). Cette fois, le sergent sans nom, récurrent de la série, part enquêter en dehors de Londres. Sur l’affaire Mardy. La disparition d’une femme. C’est un roman particulier dans la série puisque le personnage principal ne se met à la place ni de la victime ni du meurtrier. Il découvre la vie d’une petite communauté, ses petits arrangements, qui vont finir par le dégoûter. Il parvient tout de même à suivre la lente déchéance d’une personne et les résistances de ceux qu’il doit côtoyer pour l’occasion ne l’empêcheront d’aller au bout. Dernier objectif qu’il peut se fixer, auquel il peut se raccrocher même s’il sait qu’il y aura des conséquences…

J’en ai parlé sur Pol’Art Noir, ici.

Avant de poursuivre sa série, Robin Cook a commis un roman qui en sort. A part. Un roman fort, un roman qui se déroule dans cette France devenue la deuxième patrie de l’écrivain.

Cauchemar dans la rue (Nightmare in the street) fut, comme je l’ai dit plus haut, refusé par Gallimard. Cook alla voir ailleurs et ce fut chez Rivages et la collection dirigée par François Cauchemar dans la rue (Rivages)Guérif qu’il atterrit, on pourrait tomber plus mal mais difficilement mieux. La collection Rivages/Noir va l’éditer et se charger des suivants ainsi que de ses œuvres de jeunesse, « de jeune homme », non éditée en France jusque là.

Cauchemar dans la rue paraît en 1988. Pour un roman, Cook s’échappe donc de l’Usine mais reste dans son univers et nous offre un roman âpre, dur, lucide et désabusé.

Il nous conte la lente déchéance, la fin, d’un policier au bout du rouleau. Un policier qui en perdant son boulot va tout perdre.Qui en se voyant s’enfoncer, en sachant où il va, ne peut que regretter sa fin. Si étroitement liée à la fin d’un amour qu’il ne croyait jamais pouvoir vivre et auquel il doit renoncer… Ça peut paraître à l’eau de rose, romantique, mais c’est un romantisme noir, sombre. Un romantisme de fin du monde.

Un grand roman qui, pour moi, est l’égal de Quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre ou de Il est mort les yeux ouverts.

J’en parle également ici, si cela peut compléter mon propos ou l’enrichir.

En 1990, Robin Cook offre à ses lecteurs ce qui est, pour beaucoup, son chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre qui ne doit, à mon avis, en aucun cas faire oublier le reste. Un arbre qui ne peut cacher la forêt. J’étais Dora Suarez (I was Dora Suarez) est certainement l’un de ses romans les plus prenants, les plus captivants, mais il ne doit en rien occulter les autres bouquins deJ'étais Dora Suarez (Rivages) ce grand auteur, son œuvre ne peut se résumer à ce roman que d’aucuns qualifieront de « majeur ». Il y a toujours intérêt à se pencher sur des ouvrages « mineurs » si tant est que ça puisse exister. En particulier chez Robin Cook.

Dans ce roman, on retrouve le sergent sans nom. Il va se coltiner à une affaire qui pourrait être la quintessence de ses préoccupations et des préoccupations de son auteur. Le policier va suivre, au point d’en faire une croisade personnelle, la destinée d’une fille détruite par cette société dont elle ne voulait pas. Cette société qui lui a rendu au centuple sa trahison, on ne peut s’en échapper sans payer un prix et le prix que devra payer Dora Suarez est un prix exorbitant, un prix que l’on ne pourrait souhaiter à son pire ennemi, comme on dit. En même temps qu’il suit cette destinée malheureuse, on constate que son meurtrier est aussi détruit qu’elle. Laminé, anéanti par les mêmes forces…

Dora Suarez n’est pas seulement l’un des grands romans de Cook, c’est un grand roman tout court, par delà les frontières du genre, de ce noir qu’il a contribué à lancer ou relancer en Angleterre. C’est un grand roman tout court comme quelques autres de ses œuvres, vous l’aurez compris.

J’arrête là mon parcours au long de la bibliographie du monsieur n’ayant pas encore lu ses ouvrages suivants. Je reviendrai à Robin Cook plus tard, pour évoquer ses deux dernières fictions, Le mort à vif et Quand se lève le brouillard rouge.

Je reviendrai également sur sa vie, ce qu’on en dit, une fois que j’aurai parcouru le numéro spécial que la revue Polar lui avait consacré lors de sa disparition ainsi que celui de la revue 813 parut à la même époque quand je me le serai procuré… Et si d’autres ouvrages le concernant me tombent entre les mains, je les évoquerai également…

Je me pencherai peut-être ensuite sur ses nouvelles.