Après avoir enchaîné les livres à raison d’un à deux par an, Pagan adopte un nouveau rythme pour ce qui sera, pour lui, une trilogie. On sait qu’à cette période, il va également faire une expérience qui le marquera fortement. En 1988, il est l’un des OPJ appelé sur les lieux d’une catastrophe ferroviaire (celle des sous-sols de la gare de Lyon en juin 1988). Voilà peut-être qui explique également son changement de rythme et la teneur des trois bouquins qui vont suivre.
En 1990, trois ans après son dernier roman, Pagan publie un nouveau roman chez Albin-Michel. Il s’intitule L’étage des morts. Avec ce nouvel ouvrage, il s’affirme définitivement comme un des grands auteurs français du roman noir. C’est, en tout cas, mon sentiment. Il semble aller encore plus loin que pour ces bouquins précédents. Il porte assez haut ce qui faisait son style, jusque là.
On retrouve un flic à la dérive, un flic dans la lignée de Katz (Boulevard des allongés) ou de Schneider (La mort dans une voiture solitaire et Vaines recherches). Un flic sans nom, à la manière de Robin Cook et de sa série sur l’Usine. Un homme, une ville et le désespoir, le blues et la musique qui pourrait aller avec.
Sur le site Pol’Art Noir, c’est MacOliver qui s’est collé à la chronique du roman. Mon avis est un peu plus bas, le voici :
« Pagan nous offre une fois de plus une plongée dans la ville, dans la nuit. Une fois de plus mais pas une fois de trop. Avec Pagan, ça n’est jamais une fois de trop, il y a trop de talent chez cet auteur-là pour bouder le plaisir qu’il nous offre à chacun de ses bouquins ouvert.
Un flic raconte à la première personne son errance. Peut-être son dernier coup d’éclat. Un flic errant qui s’accroche à ces convictions, c’est tout ce qu’il lui reste pour ne pas sombrer complètement. Il nous raconte la mort d’un de ses collègues pas forcément plus paumé que lui ou que ceux qu’il côtoie chaque jour.
Comme toujours chez Pagan, il nous présente un personnage au bord de l’abîme, un personnage qui colle tellement à son style, sans cesse en équilibre, si près de se casser la gueule. Mais c’est de nouveau un plaisir, un grand plaisir et l’on se prend à regretter amèrement qu’il n’y ait pas plus de bouquins de cet auteur, qu’il se soit détourné de la littérature beaucoup trop prématurément. Ou peut-être avait-il tout dit ?
« Je m’étais battu, sans doute pas très bien, pour que des gosses – les leurs, les miens, ceux de tout le monde -cessent de se piquer et de crever de surdose, pour que les promoteurs immobiliers cessent de faire griller des vieilles dans les immeubles qu’ils convoitent, pour qu’on arrête de traiter les blacks, les biques, les basanés et ceux qui n’ont pas eu de chance comme des chiens. Moi aussi je m’étais battu pour un monde plus juste et plus fraternel, jour après jour, nuit après nuit. Bien sûr que ça n’était pas raisonnable, mais je n’avais jamais été raisonnable, seulement fidèle autant que je l’avais pu à la devise de mon ordre. J’avais rêvé d’un monde où les flics cesseraient de faire des pipes aux gros et aux riches, et de latter les pauvres et les laissés-pour-compte, où les commissaires ne se sucreraient plus sur les expulsions et les vacations funéraires… J’avais rêvé… C’est lorsqu’on est tombé tout en bas, avec l’angle de dérive d’une plaque de fonte lancée dans un égout, qu’on se rend compte… D’abord on rêve, après on meurt. Nul n’est jamais aussi fort ni endurant qu’il le croit. Je m’étais battu et j’avais perdu.
Rideau. »
Oui, peut-être qu’il a tout dit. »
Le désespoir de Pagan est peut-être plus profond, plus personnel…
Trois ans plus tard, paraît chez Rivages Tarif de groupe. Cette fois, c’est un flic qui a franchi le pas, un flic qui n’en est plus un, il a quitté l’Usine mais on ne peut pas se défaire de ce métier et il le rattrape avec une affaire non élucidée, trop vite classée. Le flic replonge et nous plonge dans les travers de la police. Pagan règle ses comptes avec cet homme désabusé, au bord de l’abîme, de la folie, et qui ira jusqu’au bout. Le flic a, cette fois, un nom, Chess. Mais son nom n’ôte rien au désespoir, à l’échec d’où il vient et vers lequel il retourne irrémédiablement. Sur une bande son bien à lui (rien qu’à lui ?) et qui vaut également le détour.
Je l’ai chroniqué sur Pol’Art Noir, si vous voulez aller plus loin, elle est là.
Il faut attendre quatre ans pour que le dernier roman de Pagan débarque sur les gondoles. Il s’agit d’un roman qui mériterait d’y être encore en tête tellement il nous emmène loin. Dernière station avant autoroute.
De nouveau la musique, de nouveau la nuit, de nouveau un flic sans nom au bord du gouffre. Ça ressemble aux précédents dit comme ça, mais chaque roman de Pagan se détache du précédent pour aller plus loin, nous proposer de nouveaux tours et détours, un nouveau chemin que l’on arpente en long, en large, avec ce désespoir, ce blues qui colle tellement à tout, à chaque seconde.
Voici ce que j’en disais sur Pol’Art Noir à la suite de la chronique de MacOliver :
« Un flic sans nom, le narrateur, nous raconte sa lente dégringolade.
Les affaires se succèdent à la brigade de nuit dont il est le commandant. Mais il ne croit plus à grand-chose. Quasiment plus à rien.
“La vie, on a bien fini par s’en rendre compte, c’est jamais qu’un de ces tristes bouis-bouis où jamais on ne repasse les plats.”
Les affaires se succèdent, petites ou grandes, délicates ou pas. Un incendie dans une cave tue une dizaine de squatter, un sénateur se suicide dans la chambre d’un hôtel qui tient à sa réputation, à la discrétion, une femme en tue une autre… Il doit en même temps se battre, combattre sa hiérarchie, qui lui reproche sa trop grande indépendance. Il aurait pu finir plus haut, grimper les échelons mais il y a renoncé. Peut-être à la suite de l’enquête que l’on suivait dans L’étage des morts dont quelques personnages sont évoqués au passage et qui nous était également raconté par un flic sans nom de l’Usine, lointain cousin de celui de Robin Cook. L’univers des deux écrivains est si proche qu’on ne peut s’empêcher de penser au maître du roman noir britannique quand on lit les romans de Pagan.
L’affaire du sénateur suicidé va poursuivre notre narrateur, le pousser un peu plus vite dans la pente. Il a eu la mauvaise idée d’être là le premier pour les constatations et on redoute qu’il ait mis la main sur des documents compromettants, il a en plus la mauvaise idée de s’approcher de beaucoup trop près de l’ancienne épouse de l’homme politique.
Pagan nous offre un condensé de Pagan. On retrouve dans ce roman tout ce que l’on a pu trouver au long de ses romans précédents, un personnage principal complètement désabusé qui ne voit plus l’intérêt de continuer à faire semblant, à se conformer à des codes sans intérêt, sachant que nous finirons tous de la même façon et que c’est vers cela qu’il faut aller quelle que soit la manière.
“C’est jamais le même chemin qu’on suit, c’est quand même bien au même endroit qu’on va.”
Dernière station avant l’autoroute est le dernier livre à ce jour de Hugues Pagan. Un chant du cygne, un bilan presque, sans en avoir la lourdeur, l’aspect rébarbatif. Comme son personnage, on se dit que le romancier a tout dit. Dit tout ce qu’il avait à dire, qu’il en a fait le tour. Il va même plus loin que précédemment, montrant un personnage qui se décide à renoncer à tout ou presque, qui se laisse couler.
C’est un grand roman, un roman dérangeant, un roman exigeant. Le roman d’un romancier qui aura marqué le polar français de son empreinte et dont l’importance mérite une plus grande reconnaissance… même si il est évident que Pagan ne court pas après.
“Plus rien de grave ne peut se produire depuis l’invention de l’aspirine.”
Après cette dernière station, on se demande qu’elle est l’autoroute empruntée, pas sûr de ne pas avoir tout simplement suivi le cauchemar d’un homme revenu de tout, pas sûr que ce que l’on a lu fasse partie d’une certaine réalité ou du rêve. Un rêve sacrément noir. Pas sûr que le narrateur ne soit pas entré dans sa propre fiction. Plus sûr de rien. Et tout cela, comme toujours, accompagné d’un blues désespéré, d’une bande son de qualité.
“Il n’y a rien au-dessus du blues, sauf peut-être le blues.”
Je le dis et le redis, Pagan est un auteur à lire, un auteur à savourer pour tous les amateurs de roman noir, tous les amateurs de grande littérature car elle n’est pas toujours là où on nous le dit.
Pertinent ce parrallèle avec Robin Cook, et tout cela donne bien envie de se replonger dans un roman de Pagan… En attendant, j’ai sous la main une BD qui devrait t’intéresser : l’adaptation de « Dernière station… » par Mako et Daeninckx. @+
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ah, Underworld USA… Un vrai ouragan ce bouquin, le truc hors-norme par excellence. Bonne (fin de) lecture.
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