David Peace dans mes rayonnages

Ellis m’était arrivé par la télévision (j’en reste persuadé), Peace, quant à lui, a débarqué dans mon univers, ma galaxie (ma maison, quoi !) par le biais d’un autre média… J’en suis sûr aussi. Un média dont les origines, les racines, sont bien plus anciennes, puisqu’il s’agit d’un périodique, un hebdomadaire qui se veut culturel et qui balaie large, Télérama. La télévision n’est pas bien loin. Pour survivre, les médias écrits ont adopté ce nouveau venu et l’ont intégré à leurs sujets de préoccupation, s’y consacrant même exclusivement pour certains d’entre eux…

Je me souviens de cet article consacré à la sortie du dernier opus de sa série, le Red Riding Quartet. Il était sûrement signé par Michel Abescat, l’homme qui nous gratifie désormais, concurrence et évolution médiatique galopante obligent, de la savoureuse émission en ligne, le Cercle Polar. L’un des derniers numéros, à l’heure où j’écris, est d’ailleurs consacré au bonhomme qui nous occupe pour le moment, monsieur David Peace.

Je me souviens donc avoir lu cet article. Je ne parcourais alors pas autant la Toile pour connaître des avis sur les dernières sorties et je ne voulais pas encore découvrir le roman noir que j’avais jusque là picoré au gré de mes envies et sans réelle organisation. J’aimais pourtant Ellroy et d’autres, Manchette ou Daeninckx… Mais le goût de m’y consacrer de manière presque exclusive ne m’était pas encore venu.

Le petit problème que je rencontre pour vous en parler, c’est que la mémoire  que j’ai de cet événement (et je vous assure qu’elle ne flanche pas, je me souviens très bien !) se heurte de nouveau à un autre souci de mémoire… numérique, celle-là. En ligne. Malgré l’existence d’archives sur le site de l’hebdomadaire, l’article en question n’est plus accessible, leurs archives ne remontent pas aussi loin. On nous vante l’accès à une mémoire extraordinaire, sans limite, et voilà qu’à la première petite recherche, on se cogne à ses limites ! Gardez votre bibliothèque ! Ne mettez pas tout dans les lecteurs numériques ou les mémoires en ligne !

Bref. Je me souviens de cet article et de l’achat qui a suivi, l’achat du premier opus de la série, 1974. Ce fut une révélation… J’ai enchaîné ensuite comme j’ai pu avec la fin de la série et les romans suivants du monsieur.

Je vais revenir sur l’ensemble de son œuvre dans pas si longtemps.

David Peace agrippé par la Toile

Je m’attaque aujourd’hui, de nouveau, à un monument. Un monument du roman noir, un de ces romanciers qui font avancer la littérature tout simplement… par delà tout carcan. Vous avez lu le titre, vous le savez, je vais évoquer David Peace. En commençant par sa présence sur notre vaste toile francophone et un peu (un tout petit peu) au-delà.

Un tel auteur ne peut être que présent, très présent, en ligne. Un tel auteur devenu culte, lu, lu et relu, disséqué par plus d’un… Mais un tel auteur reste un auteur récent, jeune, même pour notre réseau qui nous paraît parfois avancer plus vite que tout. Qui nous semble parfois défier le temps. Il faudra peut-être attendre encore un peu pour que Peace soit aussi présent qu’on pourrait s’y attendre. Il a une reconnaissance, un article à son nom dans Wikipédia, aussi bien en anglais qu’en français. Mais cette reconnaissance s’arrête là, les articles sont courts, fautes d’avoir pu accéder à des informations fouillées, fautes d’avoir été rédigés par des gens qui avaient le temps. Ils ne l’ont même pas pris pour s’attarder sur son œuvre. Mais je suis sûr que ça viendra, David Peace est un jeune auteur, un auteur récemment apparu, comme je le disais.

Pour en savoir un peu plus, il faut aller du côté de A l’ombre du polar, qui nous en parle plus longuement. Ça date de 2004 mais c’est déjà plus proche du bonhomme, je trouve. Pour nous en rapprocher un peu plus, il faut aller voir du côté des gens qui ont eu la chance, les veinards, d’approcher l’auteur et de lui poser quelques questions. Jean-Marc Laherrère fait partie de ceux-là et il nous le fait partager, sur son blog, et sur Bibliosurf. D’autres entretiens sont disséminés çà et là sur la Toile, façon puzzle, on finit par avoir une vision plus nette du monsieur et de ses intentions, de sa vision de l’écriture. Il y a notamment Libé et 20 minutes. Avec Libé, les questions ne sont pas toujours très pointues, elles permettent de remettre l’auteur dans son contexte.

Enfin, pour en finir avec ce tour de la Toile, deux sites nous offrent une approche de l’écrivain particulièrement intéressante. Sur Mollat.com, Olivier et Karine signent une présentation de l’œuvre claire et rapide. Ils font le tour de ce qu’on peut dire sur l’auteur… Mais l’article incontournable, le plus fouillé et peut-être le mieux écrit est l’œuvre de Stéphanie Benson, sur Europolar. A travers sa lecture de GB 84, elle nous propose une analyse de son style qui vaut le détour. A lire absolument.

Je reviendrai très bientôt sur ma rencontre avec les bouquins du monsieur et sur cette œuvre, justement, qu’il nous offre depuis quelques années déjà.

Bret Easton Ellis et le diable

Alors qu’il a déjà joué avec quelques figures de la croyance, de la culture ou de la fiction populaires, Bret Easton Ellis s’y remet. Après les vampires (Zombies), le terrorisme (Glamorama), un certain fantastique (Lunar Park), les tueurs en série (American Psycho) et le monde estudiantin (Moins que zéro et Les lois de l’attraction), cette fois, c’est le diable qui passe à la moulinette.

C’est peut-être ce qui caractérise l’auteur, ce travail autour de certaines figures emblématiques d’une culture quotidienne, d’une culture plus proche de nous, plus évidente, d’une culture Suite(s) Impériale(s)non estampillée « approuvée par les universités, les universitaires, les intellectuels » qui nous est imposée parfois (souvent ? tout le temps ?) et qui en arrive à paraître être la seule à pouvoir porter ce nom de « culture ».

Attention ! Pas de grand discours, pas de grandes théories, ces figures sont ancrées dans le réel, elles en sont des composantes. D’après Ellis. Elles en sont tellement des composantes que nous les croisons tous les jours, que nous vivons à côté, en le sachant ou pas. Qu’elles sont une partie de nous-mêmes.

En revenant à l’un de ces personnages, Clay, et à sa première fiction, Moins que zéro, Ellis ne revient pas en arrière. Il observe la progression, l’effet du temps (les « ravages » ?). L’état de ses personnages après 25 années de plus à lutter pour vivre, se coltiner aux autres.

Pour mieux mettre leurs travers en évidence, leurs évolutions, Ellis utilise un autre pan de la culture populaire, le roman noir (mais il pourrait nous sembler que ce fut déjà le cas plus d’une fois). La forme et le fond ont donc à voir avec cette culture populaire évoquées plus haut. Et Ellis, un écrivain reconnu, adulé, va encore du côté de ses semblables plutôt que de l’élite pour nous toucher. C’est un écrivain de son temps, un écrivain qui ne vit pas dans une tour d’ivoire et qui ne se complait pas, ne se repait pas de cette image qu’on lui colle et dont il joue parfois au point d’en devenir agaçant.

Il y a, de plus, un véritable travail, une recherche de la simplicité qui n’est pas habituelle chez lui, il nous perd une fois de plus mais d’une façon différente. Sommes-nous en train de lire un scénario imaginé par Clay et qu’il écrit, qu’il imagine sous nos yeux ? Sommes-nous en train d’observer les ravages chez lui, dans son esprit, de la société et de ses congénères ?

Ellis ne nous donne bien sûr aucune réponse, il nous laisse nous faire notre opinion, s’abstient de nous asséner une quelconque leçon et se contente de nous raconter ce qu’il observe et comment il le perçoit. Le travail d’un artiste. Un écrivain exigeant.

C’est vrai que sa simplicité déroute, qu’on peut avoir la sensation d’un livre simplet, mais les livres d’Ellis, les précédents en tout cas, mûrissent (en nous), prennent de l’ampleur, jusqu’à atteindre leur véritable dimension. Je n’ai pas toujours eu l’impression d’être devant un chef-d’œuvre en le lisant mais, à chaque fois, les jours et les semaines passant, je me rendais compte que ses bouquins m’avaient marqué assez profondément, qu’ils étaient de ceux dont je me souviendrais aussi longtemps que mon esprit ne partira pas en quenouille. A n’en pas douter, celui-là sera de ceux-là même si, après Lunar Park, on savait qu’il ne pourrait pas produire un roman aussi fort, il est parvenu à me prendre de nouveau par la main pour m’emmener dans un univers qui n’est pas le mien et que j’ai pourtant l’impression de connaître. Dans un esprit qui n’est pas le mien mais qui est tellement humain, dérangé, fragile.

Tim Cockey à l’ouvrage

Tim Cockey est un écrivain qui s’amuse, qui ne se prend pas au sérieux. Il y en a d’autres, bien sûr, des tas, mais lui le fait avec légèreté. Il n’est pas le seul, bien entendu, mais il fait parti de ces écrivains, pas si nombreux finalement, qui parviennent à nous faire passer leur plaisir, leur envie de s’amuser, de nous amuser…

Cockey est arrivé en 2000 sur la scène polardeuse avec un premier roman réjouissant, léger. Avec un ton bien à lui. Alors, c’est vrai que ça peut parfois paraître vain, un ton si léger peut s’envoler, nous lasser, mais l’humour dont fait preuve l’écrivain nous tient, nous fait continuer, juste pour le plaisir de sourire, de pouffer pour ne pas rire.

Hitchcock Sewell est croque-mort et possède l’élégance de ne pas se prendre au sérieux, le bon goût d’être la première cible de ses saillies, d’aucuns appelleraient cela le véritable Le croque-mort a la vie dure (2000)humour, celui tourné vers soi. Hicthcock ne se prend pas au sérieux mais, finalement, il ne prend pas grand-chose au sérieux et traverse ainsi la vie et les épreuves avec une telle nonchalance, une telle façon de ne pas s’y intéresser plus que ça, juste en passant, que le danger glisse sur lui. Le bouscule, le malmène, sans jamais le toucher vraiment… physiquement s’entend. Car au niveau du moral, du psychique, on peut dire qu’il n’est pas épargné et c’est peut-être ça qui fait de lui cet être en retrait, détaché, difficile à toucher. Une manière de se préserver. Mais quand il plonge, il plonge.

Dans ce premier opus, Le croque mort a la vie dure (The hearse you came in on), c’est à la suite d’une demande bien particulière qu’il se trouve embarqué dans une drôle d’histoire… Une jeune femme vient lui demander d’organiser son enterrement. Une jeune femme bien vivante pourtant. Et Hitchcock qui, malgré ce flegme qui pourrait faire de lui un parfait sujet de sa majesté, ne demande finalement qu’à être séduit va se laisser embarquer…

J’en ai fait une chronique sur (ô surprise !) Pol’Art Noir.

Un an plus tard, Cockey remet ça. Hitchcock Sewell revient dans de nouvelles aventures. Pour nous apporter cette détente que nous prisons tellement.Le croque-mort préfère la bière (2001)

Le croque-mort préfère la bière (Hearse of a different color) nous conte les mésaventures de Hitchcock, une nouvelle fois victime de son romantisme. C’est Hitch lui-même qui nous raconte comment il se laisse emporter par un joli minois… celui d’une défunte déposée à sa porte alors que le blizzard fait rage sur Baltimore. Après avoir navigué au sein du monde politique un an plus tôt, il gravite, cette fois, dans les milieux huppés de la ville, pas plus reluisants que ceux qu’il avait fréquentés précédemment. Et si proche de milieux beaucoup moins favorisés…

J’en ai également parlé sur Pol’Art Noir, allez-y voir.

En 2002, arrivent sur les gondoles états-uniennes les troisièmes péripéties de Hitch, Le croque-mort à tombeau ouvert (The hearse case scenario).

Le croque-mort à tombeau ouvert (2002)Cette fois, notre croque-mort favori vole au secours d’une pauvre femme éplorée (c’est vrai qu’il a tendance à le faire souvent), une de ses meilleures amies, accusée du meurtre d’un certain Calmar Martin. Cette fois, il va balader sa grande carcasse dans les boîtes de nuit de sa ville, Baltimore. Cette ville est un personnage à part entière des romans, comme souvent chez d’autres, on y sent un attachement sincère de la part de Hitch autant que de Cockey, tous deux originaires de la cité… Dans cette intrigue, un nouveau personnage débarque, au côté des acolytes habituels de notre héro. Alcatraz, son chien, Julia, son ex-femme, Billie, sa tante et associée, sont rejoints par un détective privé improbable, particulièrement abimé, Pete Munger. Et Cockey s’amuse avec cette composante incontournable des polars classiques comme il s’amuse dans chacune de ses intrigues avec les passages obligés du genre.

Toujours au même rythme d’un roman par an, le roman suivant débarque, Le croque-mort est bon vivant (Murder in the hearse degree).

Comme pour les précédents opus, Hitch se laisse embringuer dans une sale histoire pour les beaux yeux d’une femme… Une femme qu’il a bien connue, intimement. Notre croque-mortLe croque-mort est bon vivant (2003) va devoir se débrouiller, se dépêtrer d’une bien sale affaire, une affaire sordide comme les précédentes et touchant une fibre peut-être plus sensible pour certains.

Après toutes sortes d’endroits, des sphères différentes de la société états-unienne, voilà Hitch qui s’approche de la religion et de son traitement outre-Atlantique, un pan de son traitement, celui qui mêle étroitement mercantilisme et spiritualité au point de ressembler parfois à une secte… ou d’en être.

Bien que sérieuse, l’intrigue est agrémentée de moment de détente, bien sûr. Tout au long de l’histoire, Hitch doit aussi faire avec Pete Munger, ce nouveau boulet dans sa vie…

Cockey s’amuse du désespoir sans le dénigrer, il adopte une attitude distanciée qui ne retire aucune gravité au monde qui est le nôtre…

Cockey et Hitch achèvent leur parcours avec un dernier volume, Le croque-mort enfonce le clou (Backstabber). Je ne sais si c’est le fait de savoir qu’il n’y en aurait plus après mais j’ai Le croque-mort enfonce le clou (2004)moins apprécié cette ultime aventure. Est-ce parce que, cette fois, c’est un homme qui demande au croque-mort de voler à son secours, un homme et non une femme ? Non, je ne crois pas. Est-ce à cause de la bourde de l’éditeur qui nous annonce en quatrième de couverture la mort de la séduisante et peu farouche ex-femme de Hitch ? Peut-être mais pas seulement. Julia ne meurt pas et l’histoire aborde un autre pan de notre société, celui du sort que l’on réserve aux personnes âgées.

C’est toujours traité comme ça, presque en passant… Presque. Cockey prend peut-être moins de distance avec son sujet ou lui offre un aspect plus sérieux, je ne sais pas. Peut-être qu’il a éprouvé une certaine lassitude et que c’est une des raisons qui en fait le dernier opus de la série… Toujours est-il que Cockey a ensuite arrêté et Hitch n’est plus réapparu.

Quand je dis que Cockey a arrêté, ce n’est pas tout à fait vrai, déjà peu visible sur la Toile française, il a trouvé un moyen d’en disparaître quasiment complètement en changeant de nom et en changeant d’éditeur… Tim Cockey est devenu Richard Hawke et aucun lien n’est fait entre les deux sur les quatrièmes de couv’ du nouveau venu…