Cinq ans après Les chroniques de l’oiseau à ressort, paraît le roman suivant de Murakami. Les amants du Spoutnik marque une évolution dans sa façon d’aborder une histoire.
Il a mis cinq ans, non pas parce que l’inspiration l’a fui mais parce qu’il s’est consacré pendant ce temps à une enquête, une série d’interviews avec des victimes de l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo par la secte Aum. Cet événement, survenus deux mois après le tremblement de terre de Kobe, sa ville natale, l’a profondément marqué, le faisant revenir au Japon alors qu’il vivait aux Etats-Unis et le faisant s’intéresser à des faits on-ne-peut-plus réels bien loin de ses fictions habituelles. Il publiera une série d’entretiens et un recueil de nouvelles directement inspirées de ces deux catastrophes.
En 1999, de retour à la fiction, il nous offre donc ces amants du Spoutnik. Nouvelle évolution. C’est un roman court, un roman à la construction assez simple, par opposition à ses romans longs qui entrecroisent de multiples intrigues qui finissent par se rejoindre. Cette fois, le narrateur n’est pas spectateur de sa propre vie, obligé de s’y intéresser, de la prendre en main, il est le spectateur d’une histoire qui lie deux autres personnes. C’est un triangle mais un triangle dont il est plutôt exclu. Spectateur à nouveau.
Ce narrateur sans nom est amoureux de Sumire qui tente en vain d’écrire une histoire éditable et Sumire, quant à elle tombe amoureuse Myû, femme plus âgée qu’elle et qui devient sa patronne. Au cours d’un voyage en Grèce, Sumire va disparaître après que Myû ait résisté à ses avances… Le narrateur part à sa recherche et découvre la vie de Myû puis leur histoire lors de ce voyage.
De nouveau, nous sommes à la frontière du surnaturel, d’autres mondes existent relié au nôtre… Murakami explore les sentiments et nous donne un roman intriguant, bizarre, une fois de plus déstabilisant. Je l’ai dit autrement par là.
Il entreprend ensuite la rédaction d’un nouveau roman, un roman total, un roman synthèse comme il les appelle. Non sans être passé par la case nouvelle entre temps, comme à son habitude, et être revenu sur le tremblement de terre et l’attentat au gaz sarin.
Ne trouvant le moyen d’écrire un roman sur ces deux événements marquant de 1995, il écrit Kafka sur le rivage qui est publié en 2003. Nouveau roman foisonnant. Où les intrigues se mêlent, s’imbriquent, avancent en parallèle.
Kafka Tamura, 15 ans, s’enfuit de chez lui, il part pour Shikoku et décide de visiter une bibliothèque dont il avait vu des photos auparavant, lui le passionné de ce genre d’endroit. Il cherche à comprendre ce qui lui manque, à savoir où ce manque se situe et s’il pourra jamais combler ce vide. Nous apprenons en parallèle, au moyen de dossiers confidentiels de l’armée, qu’un incident a pris place à la fin de la deuxième guerre mondial, des enfants, une classe, ont perdu connaissance en même temps. Nous suivons également Tanaka, personnage un peu simple, mais qui a le don de parler aux chats et de pouvoir ainsi mener des enquêtes et retrouver ceux que leurs maîtres recherchent… Ces trois intrigues vont se développer, s’effacer pour laisser plus de place aux autres et tendre vers un même point, se frôler. La question du temps se pose au bout d’un moment, quand se passe l’une par rapport à l’autre, quand vont-elles aboutir à une seule et même histoire. Le surnaturel fait une nouvelle fois avancer les choses, attire.
“ Ce qu’on nomme l’univers du surnaturel n’est autre que les ténèbres de notre esprit.”
Les personnages se frottent aux frontières de notre monde, les cherchent.
“Il y a un autre monde à côté du nôtre.”
C’est un livre prenant, intense, bouleversant. Comme le dit Marie-Laure Delorme, citée en quatrième de couverture, Murakami « fait appel à notre souplesse et à notre ouverture ». Il écrit surtout des livres qui nous donnent l’impression d’avancer, qui nous font avancer, j’en suis sûr. Il nous donne à lire des livres qui touchent un recoin de notre esprit dont nous ne soupçonnons pas toujours l’existence. Et il le fait avec une telle grâce, qu’il faut le lire, il est si rare de rencontrer un auteur aussi talentueux et intriguant.