Après deux romans écrits coup sur coup et ayant confirmé une certaine notoriété, Murakami va mettre du temps pour son livre suivant. Il va chercher, comme à son habitude, tâtonner… Et nous offrir finalement, en 1992, Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, roman au titre de nouveau en référence à une, non, deux chansons.
Avec ce roman, Murakami nous promène dans un Japon actuel, à la suite d’un homme rattrapé par son passé, incapable de s’en défaire. Sans qu’on sache réellement si tout ce qu’il vit est le fruit de son imagination ou si son passé est venu le hanter… Mais il le hantait déjà auparavant.
C’est de nouveau une histoire à la lisière, qui frôle les limites de notre monde pour se frotter à quelque chose d’autre. Une histoire d’amour pas complètement évidente, une histoire d’amour dont les racines plongent dans l’incertain… Comme souvent pour les histoires d’amour ?
Hajime a vécu une amitié intense dans sa jeunesse, amitié intense avec une fille unique, comme lui. Tellement importante, cette amitié l’a marqué comme un premier amour… Nous naviguons sans cesse dans l’incertitude. La vie de Hajime prend un tour nouveau, bizarre, instable et toute l’histoire va le devenir, bizarre et instable, nous obligeant à accepter cette incertitude…
C’est un roman prenant, dont on veut connaître la suite. Murakami excelle encore dans l’économie au niveau du style, une simplicité qui fait mouche, touche, et retranscrit les sentiments pour nous les faire ressentir à notre tour. Il y a décidément un grand talent chez cet auteur.
Après ce roman court, c’est un roman d’une autre épaisseur que nous propose l’auteur à partir de 1994, Chroniques de l’oiseau à ressort. D’une ampleur impressionnante et qui brasse quantité d’approches autour des pérégrinations d’un personnage central, un personnage miné par les interrogations… Interrogations sur les raisons du départ de sa femme, sur ces femmes qui l’entourent, qui apparaissent comme par enchantement, interrogations sur la bonne manière de rebondir, de trouver un endroit pour se concentrer sur ce qui le préoccupe sans subir d’interférences… Sans emploi, il veut comprendre ce qui lui arrive, ce que la perte d’un emploi et de son épouse peuvent signifier ou lui laisser entrevoir de l’avenir. Il va aller loin dans l’introspection, franchir quelques portes. Descendre profondément, dans les tréfonds, entendre parler d’un événement militaire dont il ne savait rien et rentabiliser un don dont il veut connaître l’origine, comprendre la provenance.
C’est un roman total, comme le dit lui-même Murakami. Un roman qui se confronte à une page d’histoire, au surnaturel qui, pour son auteur, n’est autre qu’un monde dont nous avons tous conscience et que nous ne parvenons pas toujours à distinguer du monde réel. Toru Okada entend régulièrement un oiseau à ressort chanter, il n’a pas trouvé de meilleur nom pour cette oiseau inconnu et va finir par être lui-même surnommé ainsi, il devient l’oiseau à ressort dont nous lisons les chroniques… dérangeantes, déstabilisantes…
Des chroniques toutes murakamiennes comme vous l’aurez compris…
Petite anecdote sur ce roman… En ouvrant le recueil de nouvelles L’éléphant s’évapore, j’ai eu la surprise de tomber sur les premières pages des Chroniques de l’oiseau à ressort. Il s’agit de la nouvelle que Murakami a d’abord publiée avant de la développer. En me laissant aller à ma curiosité, en laissant libre court à ce vilain défaut, j’en ai appris d’autres, notamment grâce au mémoire d’Antonin Bechler (accessible en PDF). Ce livre sur l’oiseau à ressort n’a pas été de tout repos pour Murakami. Après l’avoir commencé, il a décidé d’en élaguer une partie, qui est devenue Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil. Il a mis ensuite quelque temps à écrire les chroniques, la nouvelle intitulée en français L’oiseau à ressort et les femmes du mardi étant publiée avant, comme un avant-goût. Un an après, en 1995, Murakami va même ajouter une troisième partie au roman, les Chroniques… auront donc mis du temps à sortir de sa plume. On a là une approche intéressante du processus de création de Murakami et qui, en l’occurrence, nous a offert deux romans, un court et un long, en tentant d’en écrire un. Deux romans qui valent le détour, si différents l’un de l’autre que l’on a du mal à imaginer qu’ils soient issus de la même intrigue originelle…
Un petit livre est paru ensuite, nous permettant de lire une nouvelle de Murakami à l’occasion de son adaptation cinématographique. Il s’agit de Tony Takitani. Parue en 1996, cette nouvelle nous raconte l’histoire d’un homme ayant perdu sa femme et ne sachant que faire des vêtements que celle-ci a collectionnés en telle quantité qu’une pièce entière leur est dédiée… Nous avons là une réflexion sur la perte et les traces laissées derrière soi au travers d’une histoire courte. Comme toujours, il n’y a pas de réflexion imposée mais l’intrigue invite à imaginer, réfléchir… Murakami rend intelligent, ou donne cette impression ô combien gratifiante !
très intéressant le passage sur la naissance du roman « les chroniques… » !
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