David Cage et le Net

J’aborde un auteur qui n’est pas connu de la planète polar. Celle des livres. Mais il s’agit bien d’un auteur, d’un créateur qui se revendique comme tel. Et qui n’est jamais loin de notre genre de prédilection. Sa présence sur la Toile est importante, le monde numérique, en ligne, n’étant pas étranger à son activité.

David Cage est un créateur de jeux pour console. Bien qu’exerçant sur un autre support que celui que nous prisons, nous lecteurs, il a l’ambition d’un auteur, celle de jouer avec les sentiments et de raconter des histoires. Il nous invite à être les acteurs de ses histoires.

J’ai découvert Cage récemment, ce français s’est fait une place dans le monde du jeu vidéo en apportant son propre univers et des histoires pas si éloignées de celles que nous goûtons particulièrement. Des univers sombres, des personnages qui s’enfoncent, qui luttent pour avancer ou survivre dans un monde civilisé qui l’est de moins en moins.

En faisant le tour de la toile, j’ai découvert que c’était également un créateur polémique. Il revendique sa différence, met en avant son originalité en n’hésitant pas parfois à analyser de manière particulièrement critique ses concurrents.

Les articles réagissant à ses provocations (mais sont-elles vraiment des provocations ou juste la vision d’un auteur sur ce en quoi il croit et le milieu dans lequel il gravite ?) son pléthores. Je ne m’attarderai pas sur eux, je vous propose plutôt quelques liens qui pourront vous permettre de mieux le connaître avant que je vous raconte un peu comment je le perçois moi-même.

Pour aborder le bonhomme, il peut être intéressant d’aller faire un tour du côté du site de sa boîte de production jusqu’ici uniquement dévolue aux jeux qu’il a imaginés. Wikipédia s’est fendu d’un article sur lui, il reste toutefois assez succinct. Pour aller plus loin, je vous conseille plutôt de lire l’article que Jeuxvideo.com lui a consacré dans son dossier sur les grands du jeu vidéo.

Pour avoir un aperçu des réactions que peut provoquer David Cage et des avis que certains pratiquants de jeux vidéo peuvent avoir sur les siens, lisez ce court texte signé Derek sur fluctuat.net.

Enfin, une vidéo le présente juste avant la sortie de son dernier jeu en date, cela peut être intéressant…

Je vous raconterai très bientôt comment j’ai découvert cet auteur dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à il n’y a pas longtemps et je m’étendrai ensuite sur ses trois créations en date.

Cris et ronronnements

Je me trouve face à un mystère… Je me souviens parfaitement avoir lu le premier tome des aventures du cher chat détective privé, mais je ne me souviens pas comment il a atterri entre mes mains. Tout est imaginable.

Après quelques questions autour de moi, il semblerait que j’ai émis le désir de lire cette BD, mais d’où me venait cette envie ? Elle a débarqué chez moi à ma demande, je parle de la BD. Voilà tout ce que je sais. Alors d’où m’est venu l’idée d’y jeter un œil et d’aller jusqu’à l’acquérir ? Un blog ou un site fréquenté assidument en aurait fait une critique, une critique attirante ? Pas le moindre souvenir. J’aurai découvert l’existence de la série au travers d’une descente chez le libraire ? Décidément, ma mémoire flanche. Elle serait apparue sur mon écran au travers d’un clic qui en aurait entraîné un autre ? Vraiment, j’ai beau me triturer les quelques neurones qui peuplent ma boîte crânienne, je ne trouve, je ne vois pas, je n’ai même pas le moindre embryon d’un début de souvenir…

Je ne sais pas si s’est grave mais c’est comme ça. Il y a parfois des mystères. Toujours est-il qu’un tome a succédé à l’autre puis un autre encore et encore un autre. Je ne me suis pas lassé et j’espère que Diaz Canales et Guarnido nous offriront bien d’autres aventures dans leur monde animal si fidèle reflet du nôtre.

Ça ne peut pas être sur suggestion de mon chat, je ne comprends que très rarement ce qu’il tente de me dire…

J’ai lu les albums au fur et à mesure et c’est ainsi que je vais les évoquer.

Le premier à m’être tombé dans les pattes est donc celui qui est paru en 2000 et dont le titre ne déparerait pas sur un blog consacré au roman noir, Quelque part entre les ombres.

Blacksad, Quelque part entre les ombres (2000)Ses aventures commencent bien mal pour notre détective. John Blacksad a été convié sur le lieu d’un meurtre. La victime lui est familière, une ancienne cliente. Plus que familière d’ailleurs, une ancienne cliente, actrice à la beauté fatale, au charme de laquelle il n’avait pu résister… Ça remue des souvenirs qui faisaient déjà mal avant cette issue criminelle, radicale.

John Blacksad, privé comme on se les est cent fois imaginés, va mener l’enquête. Il n’a pas le choix. Une enquête qui le mènera loin, très loin, beaucoup trop loin, mais il ne peut qu’aller jusqu’au bout. Plus humain que beaucoup d’entre nous.

La couverture annonçait la couleur, nous sommes plongés dans la noirceur, celle du hard-boiled et de beaucoup des pages que l’on a pu tourner. Celle de ces détectives qui n’ont plus rien à perdre plus rien à gagner. L’atmosphère est sombre, les pensées du personnage principal à l’avenant, désabusées. Un personnage qui a arrêté de croire en son prochain et qui se contente de traverser… en tentant de rectifier quelques criantes injustices. Un de ces héros solitaires.

C’est un hommage que nous proposent les deux auteurs, un hommage au roman et au film noirs. Un bien bel hommage.

La qualité de la série va se confirmer avec le deuxième opus, paru en 2003. Arctic-Nation nous convie de nouveau au pays du roman noir et au cœur de ce que les Etats-Unis ont pu connaître de plus répugnant. Si proche de ce que l’on vit encore.

John Blacksad, dessiné par Guarnido, ancien des studios Disney, qui nous offre-là une autre facette de ce que l’anthropomorphisme animalier peut apporter à la description de l’homme, Blacksad, Arctic-Nation (2003)une facette plus dérangeante, John Blacksad, donc, est de nouveau plongé dans une histoire peu reluisante. Et peut-être même beaucoup moins que la première. Après avoir parcouru les alentours du cinéma des années 50 au cours desquelles le film noir a connu l’une de ses apogées, cette fois nous sommes toujours dans les années 50 mais du côté des relents nauséabonds de la ségrégation et autre klu klux klan. Cette fois, c’est la disparition d’une enfant noire dans ce quartier où il faut mieux ne pas l’être qui amène notre greffier.

La couleur dominante, comme sur la couverture, est le blanc, comme le poil de la plupart des animaux du milieu dans lequel Blacksad enquête. Les images tendent au noir et blanc. Et l’histoire tend une nouvelle fois à cette couleur tellement prisée quand il s’agit de décrire les mœurs humaines. Tellement en accord avec elles.

Les dialogues sont une fois de plus à la hauteur de ces observations frappées au coin d’un certain désespoir que l’on attend d’un privé digne de ce nom…

En 2005, le duo d’auteur nous offre une nouvelle déclinaison des aventures de ce chat noir que nous avons fini par adopter. Une déclinaison qui aura, cette fois, des teintes vermeilles. Blacksad, Âme Rouge (2005)Nous sommes toujours aux Etats-Unis et toujours dans les années cinquante, mais après le cinéma et tous ceux qui se laissent attirer par ses lumières, après le racisme, nous allons naviguer, avec Âme rouge, dans les eaux troubles de la chasse aux sorcières et du milieu auquel elle s’attaque, celui des intellectuels ayant quelques sympathies communistes.

Une nouvelle fois, ce qui intéresse nos deux auteurs, ce sont les relations humaines et tout ce qui peut les biaiser, les altérer, les rendre viciées. John Blacksad va fourrer ses pattes, risquer ses griffes, dans le milieu des contempteurs de la guerre froide et autres partisans d’un rééquilibrage entre les deux superpuissances qui s’affrontent désormais sur la scène international. Blacksad va encore se laisser aller à son romantisme et à son intérêt pour ses semblables, pourtant englués dans certaines mesquineries bien basses au regard des discours nobles qu’ils affichent.

Notre privé est à la hauteur, il ne se laisse pas impressionner et finira par aller au bout, même si, une fois de plus, la vérité qu’il découvre n’est pas bien reluisante.

Il aura fallu attendre cinq ans pour qu’un nouvel opus vienne enrichir la série. En 2010, paraît L’Enfer, le silence. Cette fois, la couverture est dans les tons bleus. Un autre pan des années 50 nous est proposé, son versant musical. Le blues, bien sûr, si proche de l’univers noir. Un hommage à la Nouvelle Orléans nous est annoncé par les auteurs en préambule, unBlacksad, L'Enfer, le silence (2010) hommage qui vient s’ajouter à celui qu’ils rendent d’album en album au noir.

Bluesies et déglingués, c’est ainsi que vont nous apparaître cette aventure et les personnages qui la jalonnent. Une belle galerie de personnages que les auteurs vont cette fois privilégier à une intrigue bien ficelée. Même si l’intrigue reste intéressante, on sent transpirer à chaque page leur passion pour cette musique et tout ce qu’elle peut véhiculer comme légendes et histoires. On est à New Orleans et le rythme ne peut être que syncopé, alternant certaines plages de plaisir simple, comme cette scène de carnaval, avec d’autres plus dramatiques, plus sombres et désespérées…

Au long des différents opus, Diaz Canales et Guarnido nous ont offert à chaque fois une approche différente, une vision, un angle différent, pour nous parler de ce que nous aimons, le roman noir. Ils ont adopté des points de vue sans cesse nouveaux pour nous permettre de revisiter ces territoires arpentés si souvent.

Un véritable hommage, plein de respect, et d’un intérêt allant au-delà de la simple copie des univers que nous avons auparavant visités.

L’intérêt et le plaisir d’ouvrir chacune des aventures, de les relire, nous font saliver en attendant le prochain numéro