Après l’Angleterre de ses origines vue à travers un fait divers, à travers une grande grève puis le sport national, Peace est allé vers d’autres horizons. Vers ce pays qui fut le sien pendant une quinzaine d’années.
Pour se pencher sur le Japon, Peace, fidèle à lui-même, le scrute au travers de faits divers, d’événements authentiques. Il scrute le Japon pour mieux nous en faire découvrir une époque marquante, celle de l’après-guerre, de ce pays défait.
En 2007 paraît Tokyo année zéro, premier opus de ce qui est déjà annoncé comme une trilogie. Et Peace passe au tamis un autre endroit de son existence, de son histoire. Il remonte dans le temps et nous propose de débarquer dans le Japon ravagé de l’après-guerre. Un Japon anéanti, vaincu. Un Japon qui tente de survivre avant de se relever… Un Japon rampant.
Mais tout détruit qu’il est, ce Japon, alors que l’Empereur s’apprête à annoncer la capitulation, reste un pays aux prises avec la noirceur des hommes, des âmes. Avec le crime.
Minami, inspecteur de police, va faire comme le Japon, il va s’accrocher. S’accrocher pour survivre. Et ce à quoi il va s’accrocher, c’est cette enquête, celle qui débute le jour du discours de l’Empereur. Cette enquête qui se révèle comme non résolue un an plus tard quand d’autres cadavres de femmes nues émergent, refont surface. Minami, pour ne pas sombrer dans le déshonneur, celui qu’apprennent à affronter ses congénères, celui qu’apprend à affronter une nation entière, Minami donc va aller loin, très loin, pour résoudre cette affaire. Il va parcourir un pays détruit, laminé. A la limite de l’insalubrité.
Pour nous présenter le pays qu’il avait adopté pendant une quinzaine d’années, Peace n’hésite pas à plonger, à remuer la fange, à nous en offrir une image nauséabonde. Il adopte pour ce faire certains codes d’une certaine culture que le pays du soleil levant a exporté, ceux du manga entre autre, avec des onomatopées, des sons qui se répètent, comme toujours chez lui. Les sons, les pensées, sont ressassés, répétés jusqu’à l’écœurement, jusqu’à l’overdose.
Nous sommes bien dans l’univers de Peace même si nous avons changé de continent, de culture, à l’orée d’une mondialisation qui s’en emparera également, de cette culture, de ces cultures. J’en ai parlé par ici.
Deux ans plus tard, Peace nous offre une nouvelle vision de son pays d’adoption. C’est Tokyo, ville occupée. Il convoque de nouveau la culture de cette nation pour nous exposer l’histoire d’un cambriolage qui s’est transformé en meurtre de masse. L’histoire d’un cambriolage qui a marqué l’opinion publique d’un pays encore chancelant mais à l’aube d’une renaissance.
Pour nous raconter ce cambriolage, Peace décide de faire de nous un écrivain et de nous faire approcher, toucher du doigt, les affres de la création, les difficultés qu’il y a à vouloir ressusciter des morts, à vouloir de nouveau faire vivre les protagonistes d’une telle histoire. Une histoire déjà racontée par d’autres évoqués à la fin de l’ouvrage, comme Romain Slocombe notamment. Pour construire son roman, il emprunte la structure de deux nouvelles d’Atugawa Ryunosuke dont Rashomon.
Ce sont douze témoignages que nous allons lire. Douze témoignages pour faire la lumière sur cette affaire. Douze témoignages de personnages réunis à la porte noire, réunis pour que l’écrivain puisse faire son œuvre. Douze témoignages pour douze chandelles, en cercle, qui vont s’éteindre au fur et à mesure et de l’obscurité naissante, envahissante, naitra peut-être la lumière.
Au travers de ces douze chandelles et de l’histoire qui les accompagnent, nous n’approchons pas seulement la réalité d’un fait divers mais également la réalité d’un pays… Les victimes, deux inspecteurs, une survivante, deux enquêteurs sur les armes biologiques japonaises, un journaliste, un exorciste, un homme d’affaire mafieux, un condamné, un meurtrier et celle qui reste pour pleurer, vont nous offrir leur vision de l’affaire, leur vision de leur vie pendant l’affaire, nous donnant ainsi à voir un tableau, une fresque et nous indiquant les différents angles sous lesquels nous pouvons l’appréhender. Le fait divers et ses conséquences.
C’est un David Peace jusqu’au-boutiste qui a écrit ce livre. Autant, sinon plus, qu’il l’avait déjà été dans ses œuvres précédentes. Rien n’est passé sous silence, rien ne nous est épargné, pas même les élucubrations, les fantasmes de l’écrivain au travail.
Un David Peace qui nous propose une vision noire du Japon, une vision qui bouscule et il faut nous accrocher, nous aussi, pour ne pas chanceler, ne pas tomber, k.o. au bout du compte.
cette trilogie, dont on attends avec impatience le troisième opus est pour moi un véritable chef d’œuvre, en particulier « Tokyo ville occupé », ou Peace s’est livré à un exercice de style remarquable! je suis sorti de ce roman impressionné, abasourdi par temps de talent et de maîtrise!Quel exercice de style ! Peu peuvent prétendre révaliser avec lui sur ce terrain là.Je me demande comment cet auteur pourra encore me surprendre tant j’ai l’impression qu’il a déjà atteint le sommet de son art! Pour moi Peace est un grand, un très grand.
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tout à fait d’accord avec toi Jérôme,l’évolution d’un auteur est quelque chose de tout à fait intéressant à observer. C’est d’ailleurs à mon avis ce qui fait la différence entre un grand auteur et les autres. Être capable de chercher et trouver d’autres possibles,d’expérimenter d’autres approches c’est quelque chose de périlleux, mais tellement riche d’expériences pour un écrivain. Tiens j’en profite pour corriger une bourde orthographique que j’ai faite dans mon précédent message . Il fallait lire bien sûr: » abasourdi par tant de talents et non « temps »!! ( si tu as la possibilité de corriger n’hésite pas!^^) Merci et à bientôt!
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