Murakami Haruki à l’œuvre (4)

Avant d’évoquer les deux premiers tomes de la trilogie en cours de Murakami, je vais m’attarder sur le roman qui l’a précédée et dont je n’ai pas encore parlé.

En 2004 paraît au Japon Le passage de la nuit. Un an après Kafka sur le rivage. Il faudra attendre 2007 pour pouvoir le lire dans la langue de Molière… Les routes menant du pays du soleil levant à l’hexagone sont particulièrement sinueuses.

Le passage de la nuit (2004)A la différence du précédent, et un peu sur le même rythme qu’avant, selon une certaine alternance, c’est un roman court. Un roman court au même titre que Les amants du Spoutnik ou Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil. Là où Kafka… nous emmenait dans la nature, Le passage… reste en ville et nous offre une peinture du passage d’un jour à l’autre dans une mégalopole. Les personnages de ce roman ne sont pas errants mais ils vivent à une heure ou d’autres dorment, ils traversent la nuit différemment de la plupart de leurs congénères.

Comme souvent chez Murakami les chapitres alternent les points de vue, nous passons de celui de Mari à celui de sa sœur, de Takahashi à Koaru. Mari a décidé de passer la nuit éveillée tandis que sa sœur dort, Koaru gère un hôtel actif par nature aux heures de repos des autres et Takahashi répète avec son groupe dans une cave, prenant des pauses régulières.

Tout ce petit monde va se croiser, échanger.

Ce qui peut paraître sommaire, déjà lu, à partir de ces quelques lignes résumant l’intrigue, ne l’est pas, évidemment. Murakami nous entraîne dans une histoire simple mais déstabilisante. S’interroge sur ce que la nuit peut représenter, sur les liens qu’elle pourrait tisser avec un ou des ailleurs. Peut-être nous interroge-t-il aussi. Comment la nuit passe-t-elle ? Qu’y faisons-nous ?

Un roman court mais intrigant.

Derek Raymond, suite et fin (oeuvre 3ème partie)

Je vais finir mon parcours de l’œuvre de Robin Cook avec ses deux derniers romans. Finir mon parcours de l’œuvre romanesque du monsieur, j’y reviendrai sûrement par le biais de la biographie, celle qu’il a écrite notamment, Mémoire vive. J’y reviendrai aussi dès que le dernier de ses opus sera traduit en français… ce qui est en cours. Mais revenons à ces deux dernières histoires.

En 1993, arrive sur les étals Le mort à vif (Dead man upright). Il arrive chez les anglo-saxons avant de venir également échouer dans les meilleures de nos boucheries. Et puis dans les Le mort à vif (1993)autres. Il aura donc fallu trois ans à Robin Cook pour passer à autres choses, pour se défaire de Dora Suarez. Mais pas de ces préoccupations qui le hantaient, pas de ces questionnements qui se faisaient peut-être de plus en plus pressants, et qui hantent plus ou moins chacun d’entre nous.

Le mort à vif est le dernier volet de la série sur l’Usine, the Factory. Cinquième et dernier volet. Le sergent sans nom, celui du service A 14, les ­­­“décès non élucidés”, en reprend pour un tour. Cette fois, il a vent d’une affaire grâce à un ancien de la maison qui soupçonne son voisin de quelques exactions. Les exactions en question vont s’avérer particulièrement sérieuses. Et l’enquête va prendre un aspect inhabituel sous la plume de Cook. L’intérêt va se porter sur les victimes puis sur le coupable, et le biais utilisé par Cook pour s’attarder sur le coupable passe par une nouvelle figure chez lui, une nouvelle figure qui va se répandre dans les romans de ses collègues à une vitesse assez affolante. Nous voyons apparaître un profileur, un type qui s’intéresse aux circonvolutions du cerveau des tueurs en série… Cook innove encore.

Une fois de plus, comme je le disais plus haut, nous suivons un homme qui marche vers sa fin, un homme qui n’a rien trouvé d’autre pour exister que de tuer, qui n’existe pas en dehors de ça. Un homme qui marche vers sa fin, à l’image du personnage principal de Cauchemar dans la rue, à l’image de beaucoup d’autres personnages de Cook. Une fois de plus, Cook nous donne à voir, à lire, la lente agonie d’un humain, broyé et qui détruit avant de disparaître. Comme si c’était la seule voie.

Je dis une fois de plus mais ça n’a rien d’un décalque de ses romans précédents, nous avons une nouvelle approche, un nouvel angle d’attaque. Chaque roman de Cook enrichit son œuvre, et nous enrichit.

Un an plus tard paraît son dernier roman. Un roman hors de la série de l’Usine, même si le sergent sans nom apparaît, le sergent sans nom et le service A 14. Mais ils ne sont qu’une partie de l’histoire, des personnages importants mais périphériques.

Quand se lève le brouillard rouge (Not till the red fog rises) arrive donc en 1994. Cook nous y propose comme un retour sur sa période Derek Raymond. Y sont convoqués les servicesQuand se lève le brouillard rouge (1994) spéciaux que l’on avait croisés pour son retour à la littérature dans Le soleil qui s’éteint, ces services spéciaux vont croiser les malfrats paumés qui ont peuplé depuis toujours. Gus en est un, nous allons le suivre de sa sortie de prison à sa croisade, sa dernière rebuffade, résistance au rôle que d’autres veulent lui assigner. Le contre-espionnage anglais et l’ex-KGB ne vont pas se révéler plus reluisants que les tueurs que Cook a suivi tout au long de se série sur l’Usine. Nous sommes en pleine actualité, en pleine dégringolade à l’est, mais rien ne change vraiment. Le monde que nous décrivait Cook précédemment ne fait qu’avancer, réservant un sort voisin à chacun, une lente déchéance, une inéluctable chute. Ce qui intéresse Cook est certainement la manière dont chacun y résiste ou s’en accommode.

Avec Cook, ce ne sont pas seulement de grandes questions qui sont ressassées mais également des personnages qui sont fouillés, disséqués, leur raison d’être, leur manière de se coltiner avec l’existence, de parcourir leur propre histoire. Il y a une profondeur dans toute l’œuvre de Robin Cook car elle ne tombe jamais dans la facilité. Une œuvre d’une grande exigence de la part d’un auteur qui sera allé très loin dans le questionnement, l’étude de l’âme humaine. Il n’a pas hésité à pointer la noirceur inhérente à notre existence, inévitable.

Un auteur qui a donné au roman noir une importance, une ampleur rare.

Paul Colize sous mes yeux

Il aura donc fallu attendre son cinquième opus pour que j’ouvre un roman de Paul Colize. Comme je l’ai déjà dit, j’avais croisé sa prose au travers de nouvelles en ligne, accessibles facilement. Je l’avais croisée avec un certain plaisir tellement les textes de Colize donnent l’impression d’une simplicité, d’une complicité, qui doit sans doute beaucoup au travail.

Fenêtres sur court (2007)Entrer dans l’univers de Paul Colize par les nouvelles peut d’ailleurs être une bonne idée. Lisibles en ligne pour certaines, elles ont été éditées pour d’autres et nous donnent à voir ce qu’il nous offre. Des personnages savoureux, dont on sent qu’il a pris un certain plaisir à les croquer, des histoires où l’on perd pied tout comme ces fameux personnages. Je pense, par exemple, au recueil Fenêtres sur court qu’il a commis avec d’autres et qui est paru en 2007 chez MMS, nouvelle étape de son parcours éditorial.

Prisant plus particulièrement les romans, je vais reprendre le fil de l’évocation de son œuvre avec le suivant, paru également chez MMS en 2007. Sun Tower m’est apparu comme un exercice de style, élégant, certes, mais ressemblant à un jeu. Une récréation, peut-être, pour Paul Colize qui venait de commettre Quatre valets et une dame et avait sûrement besoin de s’éloigner un peu d’une certaine noirceur et d’aller se reposer sous le soleil, monégasque pourquoi pas. Comme entrée dans son univers romanesque, ce fut un plaisir mitigé, comme je l’ai dit ailleurs, le plaisir de découvrir un auteur intéressant pas le biais d’une œuvre légère…Sun Tower (2007)

Voici ce que j’écrivais justement :

Voilà un roman qui me laisse une impression en demi-teinte. L’impression de passer à côté de quelque chose ou, en tout cas, de n’avoir pu le savourer pleinement, à sa juste valeur.

Je l’avais feuilleté dès qu’il avait atterri chez moi et à la lecture des premières pages, je m’étais dit que cela laissait présager de bons moments. Je l’avais mis de côté, poursuivant ma lecture du moment.

Sa lecture m’a finalement laissé une impression différente de celle que j’attendais.

C’est une histoire classique, un type qui se retrouve embringué dans une aventure qui le dépasse. Bousculé, il se démène tant bien que mal pour s’en sortir. Une sombre histoire de meurtre dans le milieu de la haute finance, des grosses holdings et des grands patrons. On l’a lu cent fois, ou du moins en a-t-on l’impression. Le parcours semble balisé, bien balisé, bien maîtrisé. Les rebondissements sont là, la dose de méchanceté, de roublardise et de naïveté. Tout y est, on a l’impression d’être dans un de ces brillants thrillers états-uniens, avec son pesant de clins d’œil vers Hitchcock (c’est peut-être Monaco qui m’y a fait penser le plus).
Mais il n’y a pas que ça dans ce roman. C’est mon premier Colize (en dehors des nouvelles que l’on peut lire sur le site ou le forum) et j’ai découvert un ton particulièrement plaisant. Le sourire vous quitte rarement à la lecture de ses pages, même quand l’intrigue se fait plus sérieuse. Il y a de petites perles disséminées ici et là (chaque personnage d’abord décrit pas sa taille, l’hyperhydrose du personnage central, les conseils de son patron qu’il se remémore régulièrement). Des personnages que l’on jurerait avoir déjà croisé, ici ou là, sur ce forum même (passion du cinéma, passion de percer pour la jeune journaliste). Un recul qui donne toute sa saveur au bouquin. On ne s’ennuie pas, on parcourt tout ça avec légèreté.

L’impression de demi-teinte, mitigée, est sans doute due au fait qu’avec ce ton, ce style, on se prend à imaginer ce que pourrait donner une histoire moins balisée, plus surprenante…

Je le répéte, Sun Tower est un livre que l’on prend plaisir à lire, une entrée en matière qui donne envie de lire d’autres Colize.

Après cette première lecture, j’attendais le roman suivant. Le ton, le style, m’avaient plu, c’est souvent suffisant pour revenir vers un auteur. Et j’y suis revenu. Avec d’autant plus de La troizième vague (2009)plaisir que cette fois, son ton léger se mariait à une histoire beaucoup plus sérieuse, sombre… proche de pas mal d’auteurs que je prise. Paul Colize avait décidé de s’attaquer à un fait divers, de s’en inspirer pour nous offrir une histoire prenante. Un fait divers qui avait connu deux vagues et dont Colize imagine la troisième.

Avec cette troisième vague, parue en 2009, il s’agit une nouvelle fois d’un thriller, genre dans lequel il s’ébat avec une certaine élégance. Mais un thriller marqué par des tueries qui ont ébranlées le royaume d’où nous vient Colize.

Nous suivons Vassili qui, pour la mémoire d’un ami, va s’improviser enquêteur et frôler plus d’une fois la correctionnelle ou pire. Nous tournons les pages à un rythme soutenu, poussés ou tirés par l’envie de connaître la suite et la fin.

Cette fois, j’ai eu la sensation que le style, le ton, et le sujet se mariaient plutôt pas mal pour nous donner une œuvre dont on peut se souvenir…

L’édition est, de plus, étoffée d’un dossier bien documenté venant compléter, étayer, la variation autour d’un fait divers que nous propose Paul Colize. J’en ai également parlé .

C’est aussi une nouvelle étape dans le parcours de Colize avec un nouvel éditeur, la petite fabrique de polar que sont les éditions Krakoën l’accueille en son sein.

Comme nous le voyons en parcourant l’œuvre de Paul Colize, il est en constante évolution, nous proposant à chaque fois un roman différent, un nouveau point de vue sur ses centres d’intérêt, ses préoccupations.

Avec Le baiser de l’ombre, il confirme cette volonté, cette envie de changer. Et de partager.Le baiser de l'ombre (2010)

Nous retrouvons à l’occasion de ce septième roman un personnage que certains de ses lecteurs avaient déjà rencontré, Antoine Lagarde, celui de Quatre valets et une dame. Il va de nouveau se trouver embarqué dans une intrigue rocambolesque aux multiples rebondissements. Et nous allons le suivre avec plaisir… D’autant plus de plaisir qu’avec ce roman m’est apparu plus clairement l’un des aspects majeurs de l’œuvre de Colize, son intérêt pour la documentation. Le travail que j’évoquais plus haut quant au style est également très présent dans cette volonté de ne pas raconter n’importe quoi, de s’imprégner des lieux et des sujets évoqués. Avec Paul Colize, vous apprenez en vous distrayant. Avec Le baiser… vous connaîtrez un peu mieux Klimt, vous pourrez briller dans les dîners en ville. Ou, comme pour moi, vous pourrez passer un bon moment tout en satisfaisant votre curiosité.

Curiosité qui n’est pas le moindre défaut de Lagarde. Au final, Colize tout en nous dépaysant et nous offrant un bon bol de suspens, d’aventures, nous présente les bons et les mauvais côtés de cette curiosité.

J’en ai aussi parlé par ici.

Depuis 2010 et Le baiser de l’ombre, Paul Colize a accordé à ses fidèles sur le tard une séance de rattrapage en publiant une nouvelle version de Quatre valets et une dame. Antoine Lagarde dans ses premières aventures, cette fois intitulées Le valet de cœur.

Le valet de coeur (2011)C’est un retour en arrière mais un retour intéressant puisqu’il nous permet de connaître un peu mieux ce Lagarde si sympathique, si rassurant, avec tous ces défauts qui le rendent si proche de nous.

Alors que pour le baiser, il se laissait entraîner par sa curiosité à la suite de la mort du père de sa maîtresse du moment, nous le suivons cette fois alors que son propre père vient de décéder. Il se méfie de sa curiosité et se débat avant tout avec sa propre histoire, histoire qui le poussera malgré lui à se pencher sérieusement sur le passé de son paternel.

C’est encore une fois une lecture agréable, avec des héros particulièrement bien vus, bien décrits, si familiers ou pouvant le devenir. Des héros si intéressants qu’on en deviendrait gourmand et que je me suis pris à regretter que Colize ne se soit pas attardé autant sur chacun, notamment sur Janice, qu’il ne l’a fait pour Antoine. Avec cet auteur, on en veut toujours plus.

Le valet de cœur est, à ce jour, le dernier roman de Paul Colize, le troisième paru aux éditions Krakoën. Après l’auto-édition des premiers, il a intégré un circuit plus classique… Et ce n’est pas fini puisque le prochain Colize est annoncé aux éditions de la Manufacture de livres. Un auteur en évolution permanente, exigeant pour nous offrir un roman différent à chaque fois et qui évolue aussi dans son parcours éditorial. Quand je vous disais qu’il ne pouvait que nous intéresser.