Après Fred Underhill et ses merveilles, sa recherche de moments qui font que la vie vaut la peine… de ces moments qui le poussent vers l’avant, Ellroy revient au présent et brosse le portrait d’un nouveau personnage central, Lloyd Hopkins.
Lloyd Hopkins est flic et il apparaît pour la première fois en 1984 dans Lune sanglante (Blood on the moon). Il apparaît pour la première fois lors des émeutes qui ont embrasé le quartier de Watts à Los Angeles en 1965. Il apparaît lors d’un
épisode sanglant au milieu du chaos… Il n’est pas le premier à apparaître, un autre personnage l’a précédé, un poète, victime d’un viol un an auparavant.
Nous retrouvons ensuite Lloyd Hopkins au début des années 80, il est flic et sa réputation n’est pas forcément reluisante. Un bon flic mais inquiétant pour ses collègues, tellement épris de justice qu’il est prêt à dépasser certaines limites… Epris de justice et obsédé par les femmes. Lloyd Hopkins est un flic hors norme, capable de débusquer le crime là où d’autres n’avaient jusqu’ici rien vu… Un mano a mano va s’enclencher. Un mano a mano entre deux hommes étrangement semblables, étrangement proches, aux obsessions étrangement similaires. Ils ne concrétisent pas leur amour, leur obsession pour les femmes, de la même manière mais…
Ellroy avait privilégié un personnage dans ses deux premiers romans, nous décrivant leur itinéraire au travers de leur point de vue, faisant d’eux les narrateurs d’une intrigue à la première personne. Cette fois, l’écrivain se fait narrateur et observe de près deux individus, deux personnages passablement abîmés. Deux personnages dont l’origine d’un certain désordre psychologique est à chercher dans le passé. Un passé, encore une fois, si semblable.
D’où leur vient cette manière si différente de le conjurer ? De tenter de s’en affranchir ? Leur manière est-elle si différente ?
Ellroy nous offre un roman fort, très fort. Noir, très noir. Un roman qui marque, qui dérange, qui bouscule.
Le style d’Ellroy évolue, il gagne en précision, en concision, et s’adapte parfaitement à l’intrigue. Les personnages sont fouillés, leur côté sombre, inavouable est mis en lumière et l’âme humaine n’en sort pas forcément grandie.
C’est également une illustration de la société états-unienne, de la folie qu’elle engendre, de la paranoïa qui lui est inhérente…
La même année paraît le deuxième volet de ce qui sera une trilogie. Lloyd Hopkins revient et ses démons sont toujours présents même s’il en perçoit mieux l’origine et les conséquences en ayant accepté que certains souvenirs refassent surface.
Dans A cause de la nuit (Because of the night), Lloyd Hopkins paie ses excès. Son intelligence au-dessus de la moyenne, ses capacités de déduction, de séduction, ne lui sont d’aucun secours. Au contraire. Sa femme et ses filles l’ont quitté et sa conception toute personnelle de la façon de mener une enquête l’isole. Sa passion excessive pour les femmes et son boulot s’est retourné contre lui.
Il doit avancer, se plonger dans le travail pour peut-être trouver une issue. Son boulot, ses méthodes, lui ont bien permis d’aller de l’avant, de purifier un peu le monde lors de son enquête précédente, même si elle lui a aussi apporté son lot de douleurs.
Alors Hopkins se plonge dans cette enquête sur un triple meurtre, il mène aussi des investigations sur la disparition d’un autre flic… Et il va directement dans un piège, tendu par un manipulateur, un homme capable de jouer avec l’esprit des autres et voulant se mesurer à celui du flic d’Ellroy. Un homme dont le destin pourrait paraître inéluctable.
Après avoir aidé son personnage central à se relever encore et encore dans l’opus précédent, le romancier l’enfonce, l’observe qui s’écroule. Il scrute en parallèle, comme dans l’opus précédent, celui que son personnage récurrent affronte, un psychiatre, “voyageur de la nuit”.
Avec cette trilogie, Ellroy a pris le virage du noir. De manière décisive. Il a pris ce virage et l’assume, apportant un souffle, une dimension au noir, qui n’est pas sans rappeler certains ainés… Affronter les pires penchants de l’être humain est ce qui semble intéresser Ellroy. Les pires penchants de l’humain dont son pays semble avoir provoqué l’éclosion, ou en tout cas, les avoir poussé à un certain paroxysme.
Le troisième et dernier opus de la série atterrit sur les gondoles d’outre-Atlantique en 1986. La colline aux suicidés (Suicide hill) achève de nous raconter la destinée de Lloyd Hopkins. Cette série qui devait comprendre cinq volumes
s’arrête au troisième, son auteur désirant passer à autre chose. Après avoir chassé les démons de son personnage, avoir rendu floues les frontières entre le Bien et le Mal, il veut s’attaquer à ses propres cauchemars. Mais avant, il contemple une dernière fois la chute d’Hopkins…
Le monde est si proche des obsessions du personnage principal, sexe, violence, drogue, décadence… La société est dévoyée et Lloyd Hopkins ne peut tout changer. Son intelligence, un certain génie, sa violence, le condamnent. Tout comme sa recherche de l’amour…
De nouveau, le flic va devoir affronter un jumeau, un jumeau qui choisit pour parvenir à ses fins, assouvir ses rêves, de basculer du mauvais côté de la loi… C’est bien par amour qu’il commet ses méfaits, qu’il perpétue ses crimes mais l’addition va devenir salée, son parcours ensanglanté.
De son côté, Hopkins continue de payer ses égarements, loin de sa famille, dans le collimateur de ses supérieurs. Il continue de se perdre dans les méandres de son esprit, de ses convictions, de ses instincts et de sa vision de la manière de faire respecter la loi. Une vision qui penche bien souvent du mauvais côté aussi. Avec des méthodes plus que contestables.
Nous avons fini par nous attacher à ce personnage miné, plombé, dévasté. Nous avons fini par nous y attacher malgré tout, remettant sans cesse en question nos propres convictions pour mieux le suivre, le comprendre. Nous avons suivi Ellroy loin, très loin, emporté par un conteur hors pair qui n’en a pas fini avec nous. Un conteur qui de nouveau nous décrit sa ville, y retourne avant de s’y plonger complètement dans un quatuor qui marquera le roman noir, qui confirmera que le roman noir a toute sa place dans la littérature. Quoi qu’on en dise.