Après un roman qui a pu en inspirer d’autres, un serial killer et son super saigneur, un peu comme le Dexter de Jeff Lindsay et son passager noir ou le Patrick Bateman de Brett Easton Ellis, le romancier retrouve sa ville et sa noirceur.
Il s’y installe pour quatre romans qui constitueront le fameux quartet de Los Angeles. Il s’y installe et s’attaque d’emblée à cette affaire qui le hante, qu’il a déjà évoqué ici ou là, notamment dans ses deux premiers romans, Brown’s requiem et Clandestin.
C’est en 1987 que paraît Le Dahlia Noir (The Black Dalhia). Avec cette histoire, Ellroy se plonge dans le Los Angeles de la fin des années quarante qu’il avait déjà évoqué dans Clandestin. Il brosse un portrait d’une police bouffée par la corruption, la soif de pouvoir de certains et la folie d’une société en pleine mutation.
Ellroy, en s’attaquant à cette affaire qui a nourri les journaux de son pays pendant si longtemps, au point d’en faire l’un des cas célèbres du XXème siècle aux Etats-Unis, s’inflige ce qu’il a jusqu’ici infligé à ces personnages… Un retour en arrière, la fouille méthodique d’un esprit, d’une âme obnubilée par ce meurtre, en écho à un autre. Il fouille cette obsession et en fait un de ses romans majeurs.
En 1947, le 15 janvier, le corps nu et coupé en deux d’Elizabeth Short est retrouvé dans un terrain vague. L’une des grandes énigmes judiciaires vient de naître. Elle avait vingt-deux ans, rêvait de percer à Hollywood et va marquer son pays. Les deux flics qu’Ellroy met sur l’affaire forment un duo de boxeurs, Bleichert et Blanchart. Un duo de flics qui s’enfonce pour exorciser certains souvenirs de leur auteur.
Elizabeth Short pourrait être l’archétype de toutes ces femmes, jeunes, qui viennent, au sortir de l’adolescence, tenter leur chance dans la ville du cinéma… Toutes ces jeunes femmes qui se fracassent à une réalité beaucoup moins brillante, moins dorée. Elle en est l’archétype jusqu’à sa fin prématurée. Bleichert et Blanchart prennent la suite et se fracassent à leur tour à une certaine réalité. Ils vont, comme d’autres personnages du romancier avant eux, être écartelés entre deux femmes, Betty et Kay… Deux femmes ou deux types de femmes.
Parallèlement, plusieurs personnages apparaissent, des personnages qui vont habiter l’œuvre d’Ellroy pour quelques temps, Buzz Meeks, Ellis Loew, Mickey Cohen…
Avec ce roman, Ellroy crée et délimite un univers qu’il va parcourir en long, en large et en travers pendant plusieurs années… Il évacue également des souvenirs, s’en débarrasse en leur offrant un épilogue imaginaire.
C’est une œuvre forte car peu de choses sont passées sous silence, peu de descriptions, peu de pensées, peu d’états d’âmes. Comme à son habitude, Ellroy va très loin, et nous emmène toujours plus loin, au bord de la nausée…
Deux ans plus tard paraît Le grand nulle part (The big nowhere). Une des œuvres particulièrement recommandables du romancier. Particulièrement recommandable à mes yeux. Peut-être parce que l’étalage, l’évocation d’une de ses lubies, dans le roman précédent, lui permettent cette fois d’écrire sans cette histoire en tête. Parce qu’il en est débarrassé, au niveau de l’écriture au moins. Et qu’il peut construire une intrigue, écrire, se pencher sur son style, sans arrière pensée.
On y voit l’apparition d’une de ses grandes figures narratives, le trio. Une trinité de personnages qui va parcourir l’histoire. L’ambitieux Mal Considine de la criminelle, Danny Upshaw obsédé par une série de meurtres et Buzz Meeks, voulant se servir d’un statut de flic retrouvé pour continuer ses trafics… Un trio torturé, qui se lance sur une affaire pour des raisons bien différentes, auquel s’ajoutent deux personnages croisés auparavant, Dudley Smith et le procureur adjoint Ellis Loew. Deux enquêtes se mêlent, une chasse aux rouges et la traque d’un assassin, et deux femmes chamboulent la donne…
C’est un roman qui marque une étape dans la carrière de l’écrivain, une structure se met en place et un sujet, une intrigue, sont exploités à fond pour faire ressortir la pourriture d’une société. Ellroy nous offre un roman foisonnant, dont on ne peu se défaire et qui hante le lecteur (au moins celui que je suis) des années après sa lecture. Les hommes vont se révéler dans l’épreuve bien différents de ce qu’ils croient, leurs motivations vont évoluer ou adopter leur véritable visage au cours des épreuves que chacun va traverser.
C’est un roman immense, l’un des plus marquants dans l’œuvre du romancier, l’un de ceux, vous l’aurez compris, que j’ai préférés. Ellroy réussit, de mon point de vue, si bien son tour de maître que dans les romans suivants, cette structure sera sa marque de fabrique. Il a trouvé avec ce livre une dimension nouvelle pour son œuvre et va l’explorer de fond en comble par la suite…
L’auteur talentueux qu’il était jusque là s’est mué en auteur incontournable. Rester à ce niveau sera dur, une épreuve, une lutte dont il ne sortira pas toujours vainqueur mais qu’il recommencera à chaque bouquin. Sans se lasser, un combat sans cesse renouvelé, qui ajoute du piment à chaque nouvelle fiction.
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