Non content d’avoir parcouru la société de son pays au travers de sa ville et de fictions ou de révision de certains faits divers, Ellroy étend son champ d’action… Il englobe tout le territoire et revisite les décennies qui le passionnent. Il revisite l’histoire de sa nation en s’attachant aux complots et aux non-dits. Aux côtés sombres, peu reluisants.
C’est en 1995 que paraît American Tabloïd, premier volume de la trilogie Underworld USA. Un pavé au point de vue paranoïaque, digne du pays dont il émane. Un bouquin qui va s’attacher à démonter une période de l’histoire des Etats-Unis en en fouillant les bas-fonds, les côtés inavouables. Démonter l’image qui colle à cette période, en défaire chaque pièce comme d’un puzzle.
Pour ce faire, Ellroy reprend sa trinité, cette construction qui suit l’intrigue au travers de trois personnages. Trois personnages avec leur mal-être, leurs manques, leur passé obsédant. Trois personnages qui n’ont rien de héros mais qui vont côtoyer ces années, tenter d’y survivre… Survivre du 22 novembre 1958 au 22 novembre 1963, de Beverly Hills à Dallas en passant par Chicago, Miami, Washington, D.C.
Il y a Pete Bondurant, homme de main d’Howard Hugues après avoir été adjoint du sheriff du comté de Los Angeles. Homme de main ou homme à tout faire, pourvoyeur de came, de femmes et éventuellement de solution radicale pour certains gêneurs. Il y a Kemper Boyd prêt à tout pour faire son chemin, à s’imposer en se liant par la bande au clan Kennedy, en n’étant pas à une entourloupe près. Il y a Ward J. Littell, alcoolique en voie de guérison, se rapprochant de la mafia et de ses conspirations par des moyens peu recommandables… Tous les trois intéressent les auteurs des complots qui s’ourdissent.
Une belle trinité qui nous emmène d’une côte à l’autre, d’une conspiration à l’autre, qui nous donne à voir des alliances de circonstances entre ennemis de toujours… Nous fait vivre de l’intérieur une époque devenue mythique pour une nation, une époque que l’écrivain va s’acharner à dézinguer, démonter. Il y a comme une concurrence entre la fiction de l’auteur et celle que s’est créé le pays. Une concurrence que l’écrivain veut affronter…
Les seconds rôles de cette histoire sont beaucoup moins fictifs que les premiers. Les frères Kennedy, Edgar J. Hoover, Jimmy Hoffa s’ajoutent à Howard Hugues cité plus haut. Ils ne sont pas les seuls, Lawford, Sinatra, Giancana, Traficante, Marylin ou Ava Gardner viennent étoffer le générique, inévitablement, pourrait-on dire. La CIA, le FBI et la Mafia, entre autres organisations, s’invitent également dans cet impressionnant maelstrom.
Ellroy ratisse large et passe en revue tout ce qui a pu miner l’époque et mener à ce fameux 22 novembre 1963 à Dallas. C’est paranoïaque comme le sont les Etats-Unis, c’est délirant et dans le même temps tellement collé au réel… Car ce qui transparaît dans cet opus, c’est l’énorme travail de documentation qui a prévalu à la rédaction de ce gigantesque roman dont on sent qu’il n’est que la partie émergée de l’iceberg, qu’il n’est qu’une infime parcelle de ce qu’a écrit Ellroy.
Cet important travail d’enquête influence également le style de la narration. Ce style qui a retrouvé un souffle que je n’avais pas senti (sûrement à tort) dans le précédent roman. Les rapports et autres compte-rendu se succèdent, les notes secrètes, les échanges codés et les titres de journaux viennent ponctuer les pages au style épuré, dégraissé, comme l’est le nombre de pages.
Tout cette somme pourrait paraître effrayante mais, au final, Ellroy nous offre un roman qui nous emporte, un roman épuisant, étouffant, nauséabond… un grand roman malade comme le pays dont il est issu et qu’il décrit.
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