Jean-Patrick Manchette, 1972 : poursuite, enlèvement et western

Un an après être apparu dans le paysage du polar, du roman noir, Manchette enchaîne.

Nous sommes en 1972 et il va publier pas moins de trois romans dans la même année.

Il commence avec Ô dingos, ô châteaux.

En ouverture, nous assistons à l’exécution d’un homme par Thompson, tueur professionnel enfin apaisé par la réussite de sa mission. Apaisé au point de pouvoir manger deux choucroutes à la file. Il est ensuite engagé pour tuer un enfant…

Ô dingos, ô châteaux ! (Gallimard, 1972)Puis, une voiture de luxe emprunte une route qui mène à une demeure reculée. Une demeure qui héberge des personnes mentalement perturbées. L’homme que son chauffeur amène jusque là est un bienfaiteur qui prend sous sa coupe ceux qui peuvent sortir et leur offre un emploi. Pour l’heure, il s’agit de Julie Ballanger. Elle est présentée à Michel Hartog qui l’emmène sans attendre hors de l’établissement. Au cours de sa brève visite, il a eu le temps de faire un don généreux et de se montrer agressif et froid.

Julie a été engagée pour prendre soin du neveu d’Hartog, Peter. Elle découvre son nouveau lieu de travail, lieu de vie. Un immeuble rien que pour eux. Elle a tout juste le temps de faire connaissance avec les autres employés, avec son patron, qu’elle et Peter sont victimes d’un enlèvement… Enlèvement qui, bien rapidement, pourrait se transformer en exécution sommaire dont on veut la faire passer pour responsable. Mais elle parvient à s’enfuir et une course-poursuite s’engage entre les tueurs et Julie et l’enfant. Une course-poursuite qui n’évite pas les questions, les pourquoi…

A un rythme soutenu, nous suivons alternativement Julie et ses poursuivants. Poursuivants qui ont des accointances avec la police et autres services officiels, poursuivants menés par Thompson, celui de la séquence d’ouverture. Un Thompson qui, au fur et à mesure que sa mission se transforme en fiasco, voit sa santé se détériorer, incapable d’ingurgiter la moindre nourriture. Un Thompson que ne renierai peut-être pas un autre Thompson…

Le rythme est soutenu et le style de Manchette se révèle une nouvelle fois d’une grande force. Neutre, en retrait, le plus descriptif possible mais ne s’attachant principalement qu’aux actions… Et le grand capital en prend pour son grade, cette absence d’humanité qui habite ceux qui convoitent l’argent et la puissance qu’elle pourrait donner.

Manchette poursuit l’année avec Nada.

Il paraît, comme les précédents, à la “série noire” et confirme l’univers que l’écrivain s’est créé en deux romans solos et un en duo. En effet, on y voit revenir le commissaire Goémond, celui qui était apparu dans L’affaire N’Gustro. Un autre clin d’œil nous est fait. Emile Ventrée, que Julie avait croisé lors de sa fuite dans le roman précédent, est de nouveau victime d’un personnage de Manchette. Présenté comme une caricature du vendeur, représentant toujours sur les routes et près à tenter l’aventure avec la première auto-stoppeuse venue, c’est, cette fois, sa résidence secondaire qui subit l’effraction d’un autre personnage en fuite.

Comme pour N’Gustro, nous connaissons dès le premier chapitre le sort réservé à ceux que nous allons suivre ensuite.Nada (Gallimard, 1972) Quelques individus organisés en groupuscule anarchiste se préparent à enlever l’ambassadeur des Etats-Unis. Ils cherchent encore un ou deux associés pour l’action soit possible.

Avec l’arrivée d’Epaulard, convaincu finalement par Buenaventura Diaz, le crime paraît possible et la petite bande s’organise pour cueillir le diplomate lors de sa visite hebdomadaire à un bordel huppé. L’action, qui devait au départ se dérouler en douceur, vire à la violence, avec morts du côté des services de l’ordre ou de sécurité… Pendant que la chasse s’organise, le petit groupe rejoint sa planque à la campagne.

Nous connaissons l’issue du méfait par un gendarme ayant participé à l’assaut de la fermette isolée, un gendarme nommé Poustacrouille. Manchette aime ces noms parfois éloquents. Il aime toujours autant la narration directe, sans fioriture et nous laisse voir l’état d’esprit de ses personnages au travers de leurs actions. Ou de leurs paroles. Il nous offre une galerie de militants désabusés. Certains quittant le navire avant même le début, ne croyant plus à la violence. D’autres en revenant en cours de route. D’autres ayant cessé de croire aux idéaux qui les guidaient jusque là. Le terrorisme politique en prend pour son grade, tout comme le terrorisme étatique, celuis qui ne s’embarrasse de scrupules et exécute plutôt que de s’en remettre à la justice…

C’est noir, direct et toujours aussi prenant.

Pour conclure cette année riche en romans publiés, Manchette s’attaque au western (c’est écrit sur la couverture) avec la complicité de B.J. Sussman. Son deuxième roman à quatre mains s’intitule L’homme au boulet rouge… Enfin, roman à quatre main, disons plutôt qu’il s’agit d’un roman de commande dont la trame est fournie par un scénario de Barth Jules Sussman. Scénario qui ne connaîtra pas de passage à l’écran.

L’action se déroule aux Etats-Unis tandis qu’en France, les Versaillais reprennent l’église Saint-Christophe à la Villette. L'homme au boulet rouge (Gallimard, 1972)Elle se déroule principalement dans une plantation du Texas même si quelques escapades nous sont offertes. Une plantation de coton qui emploie des bagnards sur une terre qui sans cet apport à peu de frais ne pourrait exister sur la terre aride où elle se trouve. Potts y croit, le propriétaire, il y croit d’autant plus qu’il base son entreprise sur l’exploitation de main d’œuvre quasiment gratuite. Une main d’œuvre au milieu de laquelle Greene se morfond. Greene qui est là parce qu’il a refusé d’entrer dans l’armée, tant celle du nord que celle du sud. Greene qui revient sur l’exploitation après s’en être évadé une première fois et qui va, de ce fait, devoir traîner derrière lui un boulet rouge. Pruit, chargé de surveiller les prisonniers, n’a pas apprécié la première évasion de Greene dont il a été l’une des victimes. Il apprécie d’autant moins Greene que celui-ci n’a qu’une idée fixe, s’enfuir au Mexique avec Callie, la femme qui le trouble, une prostituée…

Greene va devenir emblématique d’une lutte au sein de l’exploitation, ces travailleurs sans droit, corvéable à merci, qui vont se prendre à revendiquer un peu de considération. Il y a du Germinal dans ce western… Du Germinal et une fin à l’aune de celle que Manchette nous a offert dans trois de ses romans précédents, L’affaire N’Gustro faisant figure d’exception.

Le style de Manchette s’adapte à son sujet, ou peut-être est-il si particulier que tout sujet s’y adapte. Sans s’attarder sur de grands tableaux, l’écrivain nous donne à ressentir le climat, l’atmosphère, au travers de l’illustration de ce qu’ils produisent sur les corps. La sueur, la recherche de l’ombre, les marques des coups… Ce n’est pas une de ses œuvres majeures mais c’est décidément l’œuvre d’un grand romancier.

Après deux années à explorer différents sous-genres du polar ou du roman noir, un casse et ses conséquences, une variation sur un fait politique marquant, la traque d’un innocent, l’acte politique démystifié ou le western, Manchette va s’attaquer à la figure incontournable du genre dans lequel il évolue et auquel il impulse un élan nouveau, le détective privé

Craig Johnson, Walt Longmire et l’insoupçonnable

Octobre, l’automne a encore des relents d’été finissant dans les Hautes Plaines. Le shérif Longmire revient pour sa cinquième aventure… Il arbore les cicatrices des précédents opus, celle sur l’œil, récoltée alors qu’il enquêtait sur le meurtre de Mari Baroja, celle autour du cou, peut-être un vestige de son combat contre Virgil White Buffalo, et son oreille estropiée d’avoir gelé un an plus tôt. En effet, si l’on se fie à la succession des saisons, une année a passé depuis notre rencontre avec le policier du comté d’Absaroka. Et nous allons vivre quelques jours avec lui, passant de l’été automnal finissant à l’hiver frémissant.

Dark Horse est, comme les précédents romans, raconté par le shérif lui-même. Il vient de paraître aux éditions Dark Horse (Gallmeister, 2013)Gallmeister, quatre ans après sa parution aux Etats-Unis. Son titre n’a pas fait l’objet d’un changement en traversant l’Atlantique, juste la suppression de l’article, et ce choix nous est expliqué avant le début du roman par Sophie Aslanides, la traductrice habituelle de la série. L’expression “dark horse” désigne quelqu’un ou quelque chose aux chances ou aux qualités inattendues, insoupçonnées. Quelque chose ou quelqu’un qui avance masqué.

En l’occurrence, et même s’il n’est pas le seul, c’est le cas de Longmire. Il enquête sur une affaire de meurtre qui a amené dans sa prison une femme qu’il croit innocente. Intuition. Une affaire qui s’est déroulée dans un autre comté et qui ne devrait pas l’occuper. Mais la femme est hébergée dans sa prison (échange de bon procédé entre comtés) et il est préoccupé. Une femme, de nouveau, celle-ci s’appelle Mary Barsad. Après Mélissa Little Bird, Mari Baroja, Cady, sa fille, et Ho Thi Paquet, voilà que son intuition et son métier le mènent une nouvelle fois dans les pas d’une femme. Une femme et pas mal d’hommes. Longmire avance masqué puisqu’il enquête dans un comté qui n’est pas le sien. Dans un comté où il se fait passer pour un agent d’assurance. Dans un comté qui va nous permettre de le connaître un peu plus car c’est aussi celui de son enfance. Celui dans lequel le ranch de ses parents se situe.

Longmire avance masqué et se méfie de tout et de tous. Wade Parsad est mort dans l’incendie de son ranch. Incendie qu’il avait peut-être lui-même allumé en commençant par l’écurie abritant les chevaux de sa femme. Mais avant que son corps soit carbonisé, il a reçu six balles. Mortelles dès la première. Sa femme est accusée et Longmire a du mal à y croire. Autant que le shérif du comté de Campbell où s’est produit le crime… Il a, en quelque sorte, appelé son voisin à la rescousse. Longmire arrive à Absalom sous couverture. Il interroge ceux qui auraient pu vouloir la mort de Wade Barsad. Et ils sont nombreux. Ils les interrogent tout en arpentant les environs… Mais être sous couverture, y rester, n’est pas si simple. Surtout quand d’autres avancent également masqués…

Craig Johnson nous offre un roman prenant. Comme les précédents. Un roman où nous continuons à savourer les atermoiements de Longmire quant à sa vie personnelle, Cady repartie à Philadelphie, Vic continuant à le troubler plus que de raison, Henry Standing Bear veillant… Un roman construit comme le précédent avec des allers et retours vers le passé. Mais cette fois, il s’agit d’un passé immédiat, nous allons et venons entre le présent et la semaine qui l’a précédé, celle qui a fait mûrir le doute.

Nous arpentons également les environs, d’Absalom à la Powder River, en passant par le ranch des parents du shérif et par la Twentymile Butte, une mesa, contrairement à ce que son nom indique… La nature a la part belle, comme souvent. La nature et ceux qui la peuplent, chevaux, chiens, grand-duc et sturnelles. Les humains aussi sont à l’honneur, un vieux cow-boy, un tenancier de bar, les participants à un tournoi de boxe, des agents du FBI, une guatémaltèque et son fils. Et quelques traditions viennent s’ajouter comme le cutting, le reining et d’autres concours autour des chevaux. Et toujours le pouvoir des armes à feu, leur pouvoir et leur histoire, associé ici, notamment aux “buffalo soldiers”, dont j’avais déjà croisé le nom sans réellement savoir à quoi cela faisait référence.

C’est une nouvelle fois un roman d’une grande richesse, avec son personnage principal qui avance lentement, pour éviter les erreurs, les faux pas. Ce qui le sert dans son boulot et le dessert dans sa vie privée… Cette conscience de l’humanité et de ses imperfections.

… plus on a affaire avec la loi, moins on y croit. […] A l’image d’une étrange petite religion particulière, la seule chose qui fait que le système fonctionne est précisément la chose dont il vous prive – la foi.

Longmire avance et le roman prend son temps pour atteindre un rythme qui nous tient en haleine, chevauchant malgré nous… comme le shérif. Chevauchant finalement avec plaisir.

Un roman pour se souvenir, parce que le souvenir est important.

Si personne ne se souvenait de vous, est-ce que vous aviez vraiment été là ?

Comme pour les précédents, en refermant ce livre, je me dis qu’il va falloir prendre son mal en patience jusqu’au prochain pour retrouver Walter Longmire, Henry Standing Bear, Cady, Vic, le Chien et tous les autres. Tout cet univers si prégnant.

Jean-Patrick Manchette, 1971 : Bastid et N’Gustro

En 1971, paraît dans la “série noire” le premier roman signé Jean-Patrick Manchette. Comme pour d’autres (Oppel, etc…), il n’a pas commis ce roman seul, c’est avec Jean-Pierre Bastid qu’il s’y est attelé. Le livre s’intitule Laissez bronzer les cadavres ! et fleure bon la tradition de la collection.

Il fleure bon la tradition et pourrait apparaître comme un hommage. Il fait tellement penser à d’autres, d’autres Laissez bronzer les cadavres ! (Gallimard, 1971)ambiances, d’autres auteurs. Il fleure bon l’entrée en littérature, un certain passage obligé, une certaine manière de se conformer aux règles en vigueur. Depuis plus ou moins longtemps. On peut notamment pointer le respect de la règle des trois unités, unité de lieu, de temps et d’action. En effet, tout (ou presque) se déroule au même endroit, un hameau perdu dans les environs de Pont-Saint-Esprit, en un jour et autour d’une seule et même action. Ce respect de la règle est sûrement un choix, celui de rendre l’intrigue plus efficace, plus prenante. Celui de se rapprocher d’une écriture cinématographique dont Manchette voulait faire sa spécialité et que Bastid pratiquait déjà depuis quelques années.

Dans le hameau que possède Luce, une “peintresse”, plusieurs personnes sont venues passer leurs vacances, invitées par Luce ou l’un ou l’autre de ses invités. Il y a Max, un écrivain plutôt sur la mauvaise pente, Brisorgueil, le jeune amant de Luce, avocat qui commence à sérieusement l’ennuyer et trois invités de ce défenseur des justiciables… C’est jour de ravitaillement et c’est le tour des trois acolytes de s’y coller, il y a Rhino, gérant d’un restaurant, Gros, son associé et Jeannot, un jeune poète qui déclame de temps en temps dans leur auberge. Sauf que nous découvrons rapidement qu’ils ne sont pas vraiment ce qu’ils annoncent. Ou pas seulement. En effet, ils profitent de leur expédition pour braquer un convoyeur de fond transportant deux cent cinquante kilos d’or. A se partager en quatre puisque Brisorgueil est leur complice.

Alors qu’ils retournent au hameau, espérant s’y terrer pendant que toutes les polices de France et de Navarre traqueront les braqueurs sans pitié, ils ont exécuté tous les convoyeurs de fond, ils prennent en stop deux femmes et un enfant qui se rendent également dans le hameau de Luce. Seulement cette femme, son enfant et sa nurse sont recherché pour avoir soustrait le petit à la garde de son père… Et c’est par là que le malheur arrive. Un gendarme trop zélé, qui a appris les avis de recherche par cœur, invite son acolyte à aller jeter un œil dans le hameau, histoire de vérifier qu’il ne s’agit pas des trois de l’avis de recherche. Sans s’en douter, les deux motards de la marée-chaussée s’engouffrent dans ce qui va ressembler à une bataille rangée… Et c’est tout l’objet du livre, ces quelques heures d’échanges de tir, de combat à main armée, entre l’ordre et les truands, où les alliances vont fluctuer…

Intrigue prenante, efficace, mais surtout exercice de style. On convoque les obligations du genre et on les accommode… Cette histoire de hameau livré à des gangsters, avec quelques innocents au milieu, m’a énormément fait penser aux Loups dans la bergerie de Jean Amila. Comme une variation sur le même thème. C’est moins fouillé socialement, moins approfondi du côté des personnages, que le roman de leur ainé, mais ça en a parfois l’allure…

Bref, avec ce roman, Bastid et Manchette ont fait leurs preuves et vont pouvoir s’aventurer sur d’autres territoires. Les leurs.

S’aventurer sur d’autres territoires, c’est ce que Manchette s’empresse de faire. Son roman suivant, cette fois en solo, s’appelle L’affaire N’Gustro et il paraît quasiment à la suite de son duo avec Jean-Pierre Bastid. C’est même, en fait, la publication du premier roman qu’il a soumis aux éditions Gallimard et que la collection “série noire” lui avait demandé de retoucher.

Ce roman nous offre une intrigue résolument ancrée dans le présent. Pas dans l’actualité immédiate mais dans une L'affaire N'Gustro (Gallimard, 1971)actualité encore douloureuse, sensible.

D’entrée, un homme, Henri Butron est suicidé par deux exécutants, exécuteurs. Des documents sont retrouvés, embarqués et livrés à un homme dans ce qui ressemble à un manoir. Cet homme, un africain, visiblement important et ayant du pouvoir va passer la nuit à écouter la bande des confessions de Butron, confessions que ce dernier a enregistrées lui-même dans l’espoir de se sauver…

En même temps que nous lisons l’histoire de ce Butron et son implication dans l’affaire N’Gustro, les échanges entre George Clémenceau Oufiri, ministre du Zimbabwin, et le colonel Jumbo, chef de la police de ce même pays, entrecoupent leur écoute et notre lecture. Butron est un homme qui, dès l’adolescence, a poussé loin la rébellion et qui, ensuite, s’est compromis dans des actions violentes et flirtant avec l’extrême-droite. A force d’actions plus ou moins réfléchies, il fréquente des milieux pas forcément recommandables. Oufiri et Jumbo échangent pour leur part sur leur avenir, sur le coup qu’ils viennent de fomenter et qui pourrait bien leur ouvrir les portes du pouvoir. Complet celui-là.

Manchette n’est plus seulement dans l’exercice de style, il est, en plus, dans le renouvellement du roman noir à la française. Il en propose une évolution, l’inscrivant dans la réalité de l’époque. Et l’y inscrivant avec talent. Car ce roman se lit sans effort, avec plaisir. Et garde ce goût d’ancrage dans une réalité politique, en l’occurrence une variation autour de l’affaire Ben Barka, encore à l’œuvre de nos jours. Il milite et dénonce une certaine façon de penser, à l’extrême, conduisant à une violence aveugle. Il milite et prend position, commettant une œuvre résolument politique. De plus, Manchette est parvenu, avec un sujet inscrit dans une époque, à écrire un roman qui reste, qui marque. Un sujet qui permet au roman noir français de prendre une nouvelle dimension.

Il parvient à nous accrocher avec un style tout en retenu, presque en retrait. Un style précis, neutre, allant à l’essentiel… Prenant. Un style encore recherché aujourd’hui…

L’année suivante, en 1972, Manchette poursuit son exploration des codes du polar. Il la poursuit en se les appropriant pour continuer à renouveler le genre, lui donner un nouvel élan…

Jean-Patrick Manchette dans mes rayonnages

Il y a bien longtemps que Manchette est sur mes étagères. Bien longtemps qu’il a atterri dans mes mains. Bien avant qu’on en cause sur le net.

Bien longtemps… et il faut un effort de mémoire pour me souvenir de la manière dont il est arrivé jusque là. Il me semble, sans en être sûr, qu’il fait parti de ceux qui sont arrivés chez moi par le cinéma. Manchette se rêvait écrivain pour le cinéma… il est devenu un écrivain adapté par le cinéma. Je sortais des lectures prescrites par l’éducation nationale, il me fallait, comme beaucoup d’élèves lecteurs me trouver de nouvelles sources de conseils littéraires. Truffaut avait déjà pas mal déblayé le terrain, je n’étais pas réfractaire à ce genre dans lequel sévissait monsieur Manchette pour avoir découvert auparavant les goûts littéraires de l’auteur de cinéma, une référence pour moi, humble curieux.

Il devait donc s’agir d’une adaptation d’un roman de Manchette. Pour être franc, je n’en ai pas vu depuis bien longtemps de ces adaptations. Je ne les ai pas toutes vues non plus. En fouillant et farfouillant dans les recoins de ma mémoire, il n’y en a qu’une qui me revient. Celle de Jacques Bral. Avec Jean-François Balmer. L’adaptation de Morgue pleine devenu pour le grand écran Polar. Le héro le plus récurent du romancier (toujours dans mes souvenirs, je suis en cours de relecture), Eugène Tarpon, y est particulièrement bien campé. Je me souviens surtout de l’atmosphère. Un film qui mériterait que je le revois, ne serait-ce que pour vérifier les qualités qui ont permis de me le remémorer tant d’années plus tard.

J’ai découvert par la suite que Manchette aurait pu déjà m’intéresser, m’attirer, dans la foulée des films d’Alain Delon dans lesquels il était impliqué comme, par exemple, Trois hommes à abattre ou Pour la peau d’un flic mettant en scène, pour ce dernier, le même Eugène Tarpon que dans le film de Bral… mais j’avoue qu’ils ne m’ont pas suffisamment plu pour me pousser à chercher qui pouvait avoir imaginé de telles histoires…

Manchette a été l’un des premiers auteurs de roman noir que j’aie lu. Sa relecture récente a confirmé son talent à mes yeux. J’en recause incessamment sous peu.

Jean-Patrick Manchette en ligne

J’aborde aujourd’hui un auteur que l’on ne présente plus… On a dit beaucoup de choses sur lui. On en a écrit beaucoup. On en trouve pas mal sur le net.

Il y a bien sûr les incontournables de la connaissance, ces encyclopédies collaboratives ou non. Pour la collaborative, l’article est documenté et offre une première approche de l’auteur. Pour la non collaborative ou d’une autre manière, l’article de Michel Lebrun n’est accessible qu’en étant abonné, un extrait nous est proposé pour nous allécher.

Il y a ensuite la présentation proposée par ses éditeurs. Celui qui a publié tous ses romans, Gallimard, dans sa “série noire”. Et celui qui a publié d’autres textes du romancier, comme ses chroniques, et son dernier roman inachevé, Payot et Rivages.

Manchette est bien sûr également présent les sites polars. Incontournable. On le trouve ainsi sur Pol’Art Noir, avec un lien vers les chroniques consacrées à tous ses romans, sur A l’ombre du polar, sur k-libre, avec toute unes série de liens vers des articles consacrés à ses romans, d’autres à l’actualité du romancier qui, bien que disparu, fait encore parler de lui, sur Polars pourpres, avec un onglet pour sa bibliographie.

D’autres sites plus généralistes s’intéressent également à l’écrivain. Ainsi, davduf publie le dernier entretien accordé par l’auteur à Combo et intitulé La position du romancier noir solitaire. Les vitrines numériques de certains médias habituellement sur papier nous en parlent, comme L’express ou Cairn avec sa revue Mouvements qui lui consacrent des articles fouillés par Jérôme Dupuis et Franck Frommer.

Même s’il n’est pas nécessaire de faire la preuve de sa notoriété, Manchette a également les honneurs de sites anglo-saxons, ainsi Detectives beyond borders qui le range dans les auteurs ayant eu une grande influence sur le genre, ou encore cette page qui lui est consacrée sur le site Marxists Internet Archive.

Si, plutôt que de lire sur lui, vous préférez écouter ou voir. Il y a le numéro que lui ont consacré Christine Lecerf et l’émission Une vie, une œuvre de Matthieu Garrigou-Lagrange sur France Culture avec quelques invités prestigieux et quelques liens dont j’ai déjà parlé. Il y a également cet entretien qu’il avait accordé en 1983 à France 3 Champagne-Ardenne à l’occasion du festival du polar.

Enfin, j’ai gardé pour la fin trois liens indispensables.

Il y a d’abord le dossier de Mauvais genres publié à l’occasion du dixième anniversaire de la mort du romancier avec tout plein de signatures, de Daeninckx à Mesplède en passant par Villard et bien d’autres. Il y a ensuite le texte que lui consacre Serge Quadruppani sur son blog. Il y a enfin le site qui lui est entièrement dédié.

Avec tout ça, vous aurez de quoi faire…

Je vous parle prochainement de ma rencontre avec l’œuvre de Manchette avant de l’évoquer plus concrètement.

XIII, Sente, Jigounov, le Mayflower et… ça repart

Jean Van Hamme et William Vance en ont fini avec leur personnage amnésique. Mais ils n’ont pas fermé la porte à une suite éventuelle, imaginée par d’autres. Yves Sente, qui l’a déjà fait pour Blake et Mortimer, à la suite d’Edgar P. Jacobs, ou encore pour Thorgal, autre série de Van Hamme, se lance en s’associant à Iouri Jigounov. Le premier opus de leur contribution à la série s’appelle Le jour du Mayflower et paraît en 2011.

Comme leurs prédécesseurs, Sente et Jigounov s’inspirent de l’histoire des Etats-Unis pour l’intrigue. Le titre ne nous y trompe pas. Ils se lancent dans l’aventure en reprenant également l’aspect central de la série, l’amnésie du personnage Le jour du Mayflower (Dargaud, 2011)principal et en relançant le complot qui était la toile de fond des volumes précédents.

Débarrassé de tout ce qui l’empêchait de se pencher sur son infirmité, MacLane s’y consacre pleinement. Il consulte. Il consulte et ça n’est pas forcément bien vu puisqu’il continue à faire l’objet d’une surveillance multiple. Le passé ne peut être entièrement effacé. XIII est l’objet de convoitises, de méfiances… Et se trouve bientôt, de nouveau, accusé à tort, obligé de fuir, tout en cherchant, parmi les indices qu’il a réussi à glaner, un déclencheur, un stimulateur de sa mémoire perdue… Ce sera le Mayflower, ce bateau qui a vaincu une mer démontée pour traverser l’Atlantique, accoster au large de Cape Cod et en mémoire duquel Thanksgiving est commémoré. Un lien existerait entre XIII et ce fameux bateau… Un lien dérangeant puisque de nouveau les armes se déchaînent dans son sillage. Il doit s’enfuir et rejoindre deux de ses amis, les Préseau, en France…

Les ingrédients sont là, le ton est respecté. Sente marche dans les pas de Van Hamme tandis que Jigounov emprunte ceux de William Vance. Mais en même temps, la série prend une nouvelle impulsion, connait un certain renouveau.

Elle se poursuit l’année suivante avec L’appât.

En couverture, c’est le colonel Jones… Après les Préseau, d’autres proches de MacLane reprennent le collier, regagnent une place dans la nouvelle série. Outre Jones, Ben Carrington réapparaît.

Cette fois, tandis qu’il profite de l’hospitalité de ses amis en France, XIII doit se décider à aller délivrer Jones, prisonnière des talibans en Afghanistan. Il reprend contact pour l’occasion avec Carrington, coulant une paisible retraite chez sa L'appât (Dargaud, 2012)sœur et élevant son petit-fils. Tous les deux, ils acceptent d’apporter clandestinement la rançon qui permettra de délivrer Jones et les autres prisonniers. En même temps Betty, marquise de Préseau, part aux Etats-Unis pour poursuivre sur place les recherches que menaient XIII et y exploiter certains indices qu’il n’a pas eu le temps d’approfondir lui-même…

Le renouveau se confirme. Outre l’exploration de l’histoire des Etats-Unis, Sente inscrit la série dans l’actualité, dans l’histoire immédiate. Les intrigues menées en parallèle, comme dans certains opus précédents, entre le présent et le passé de XIII, sont rythmées et à rebondissement.

Et puis, le personnage de Betty s’étoffe, devient l’un des moteurs de l’histoire. Ce n’est pas le moindre intérêt de cette nouvelle série pour moi, tant il semblait avoir été sous-exploité précédemment au point que Van Hamme en avait créé un clone en la personne de Jessica Martin…

La série prend un nouvel élan sans renier l’ancienne, notamment au travers de ce nouveau personnage de tueuse qui n’est pas sans rappeler les précédents ennemis de MacLane…

Sente et Jigounov ne nous perdent pas en chemin et ont trouvé un angle pour relancer la série qui n’est pas sans intérêt… Les prochains opus devront confirmer cette impression. Il n’y a plus qu’à attendre.