Emile Gaboriau, Lecoq et l’affaire du Valfeuillu

Le deuxième roman policier de Gaboriau commence à paraître en 1866, l’année du succès de la nouvelle publication de ses premiers pas dans le genre. Un genre qui n’existe pas encore et dont il est l’un des précurseurs. Ce nouveau roman qui paraît d’abord en feuilleton dans Le soleil, comme le précédent, et dans Le petit journal, est intitulé Le crime d’Orcival.

Tout commence avec la découverte du corps de la comtesse Berthe de Trémorel par deux braconniers, Jean Bertaud dit Le crime d'Orcival (Dentu, 1865)La Ripaille et son fils, Philippe. Après quelques hésitations, ils vont signaler leur découverte au maire d’Orcival dont dépend la propriété du Valfeuillu où habitait la défunte et où son cadavre gît, dans une mare.

M. Courtois, le maire, s’empresse de prévenir le juge de paix, le père Plantat, et se rend dans la demeure en attendant le juge d’instruction, M. Domini. Un policier est envoyé chercher à la préfecture de police de Paris, rue de Jérusalem, pour mener l’enquête. Le temps qu’il arrive, les premiers indices ne laissent pas la place au doute, il y a eu effraction et assassinat du comte et de la comtesse par les malfaiteurs alors que les maîtres de lieux étaient seuls, leurs domestiques partis à la noce de l’ancienne cuisinière du domaine. L’un d’entre eux devient le suspect numéro un, Guespin… Alors que l’on recherche encore le corps du comte, Lecoq, agent de la sûreté, débarque et commence ses investigations.

L’apparence de Lecoq quand il arrive n’a rien de celle que l’on attendrait d’un agent de la sûreté mais certains indices laissent à penser qu’il ne s’agit pas véritablement de la sienne, juste d’un accoutrement emprunté, destiné à tromper les autres. Lecoq débarque et, même s’il apparaissait brièvement dans le précédent roman, on le découvre véritablement. Il considère le père Tabaret, celui qui menait l’enquête dans L’affaire Lerouge, comme son maître et effectivement, il inspecte les lieux du crime comme son mentor, ne laissant rien lui échapper, scrutant les moindres recoins. En quelques pages, nous comprenons qu’il s’agit d’un adepte de ce que sera la police scientifique par la suite. Et d’un adepte du déguisement, son apparence changeant en permanence. Mais il s’agit surtout d’un policier hors pair, à l’esprit aiguisé, à la motivation inébranlable. Aux méthodes réfléchies, ne laissant rien au hasard.

Voyons donc […] comment je dois m’y prendre pour arriver à découvrir la conduite probable d’un homme dont les antécédents me sont connus ? Pour commencer je dépouille mon individualité et m’efforce de revêtir la sienne. Je substitue son intelligence à la mienne. Je cesse d’être l’agent de la Sûreté, pour être cet homme, quel qu’il soit.

Et, en effet, il ne lui suffit que d’une dizaine de pages pour débrouiller le mystère. Car contrairement à son feuilleton précédent, Gaboriau ne s’intéresse pas tant à la marche de la justice, dans cet opus, qu’aux événements et à leur enchaînement conduisant un être humain au crime. Au travers de l’histoire du meurtrier, nous sommes témoins de la lente dégringolade d’un homme, sa chute inexorable. Un destin auquel il semble ne pouvoir échapper… Un parcours qui mène au crime, inéluctablement. Un roman noir avant l’heure.

C’est que la logique de la vie, hélas ! enchaîne fatalement les unes aux autres toutes nos déterminations. C’est que souvent une action indifférente, peu répréhensible en elle-même, peut être le départ d’un crime.

Comme pour le roman précédent, nous sommes dans la noblesse, la bourgeoisie, celle des riches demeures et des gens de maison. Celle qui ne fraie pas avec le peuple ou qui s’en mord ensuite les doigts… Deux femmes sont l’image de ces risques à mélanger les milieux, les strates, les castes, Pélagie Taponnet, dite Jenny Fancy, et Berthe Lechaillu, devenue épouse Sauvresy (le mari comptant parmi ses relations le comte de Commarin, personnage central du roman précédent) puis comtesse de Trémorel. A l’instar du roman précédent, les femmes sont fortes, font faire aux hommes des folies. Presque malgré elles, à l’image de Laurence Courtois.

Après l’enquête et la recherche du coupable, les fausses pistes, les preuves cachées dans L’affaire Lerouge, cette fois, Gaboriau a bâti un roman mettant avant tout l’accent sur la trajectoire des personnages. Le mal naîtrait des circonstances…

Il continue à enrichir son univers dans le roman suivant, poursuivant les aventures de Lecoq.

Emile Gaboriau, Tirauclair et la veuve Lerouge

Après plusieurs ouvrages décrivant la société de son époque et les gens qui la font, Emile Gaboriau abandonne un peu son côté chroniqueur, pour se lancer dans le roman. Le feuilleton. A la manière de Paul Féval dont il fut le secrétaire et peut-être même le nègre.

En 1863 selon les uns, en 1865 selon d’autres, paraît son premier roman dans le journal Le pays, sans grand succès. Il suscitera l’intérêt en paraissant de nouveau en 1866 dans Le soleil. Il y introduit, dans son envie de continuer à détailler la société, la description d’une enquête policière, c’est L’affaire Lerouge. Il ne s’en cache pas, il s’essaie à ce roman après L'affaire Lerouge (Dentu, 1865)avoir lu les nouvelles d’Edgar Allan Poe mettant en scène le chevalier Dupin. Et après la lecture du Jean Diable de Féval.

L’affaire commence par la découverte d’un corps, celui de la veuve Lerouge et suit, presque au gré du hasard, différents personnages impliqués dans l’intrigue. Ce sera tout d’abord Tabaret, dit Tirauclair, qui aide bénévolement la police, la rue de Jérusalem à l’époque. Il observe avec acuité la scène du crime, en tire des conclusions saisissantes et rapides. Plus rapides que celles des professionnels patentés, impressionnant en cela le juge d’instruction, Daburon. Par un heureux hasard, alors que le passé de la veuve Lerouge est plutôt flou, Tabaret découvre son histoire grâce à ses voisins… Voisins, dont le fils avocat a été victime d’une machination à la naissance. Nous suivons ensuite ce fils avocat pour revenir à Tabaret faisant la révélation de ses découvertes à Daburon, le juge. Juge qui se trouve également proche des protagonistes de l’histoire, ayant nourri des sentiments plus que profonds pour celle qui est la fiancée de celui qui a usurpé l’héritage de l’avocat et peut-être commis le meurtre…

Nous allons de rebondissement en rebondissement, suivant au gré du récit l’histoire de chaque personnage mêlé à l’intrigue de manière plus personnelle que d’ordinaire. Les chapitres alternent les points de vue. Suivant un protagoniste puis l’autre, puis encore un autre. Ce sont les pensées, les souvenirs, les sentiments, de ces personnages qui nous sont exposés. Ce sont les pensées de chacun, les tentatives de raisonnements objectifs parasités par des sentiments moins nobles, qui apparaissent au fil des pages. C’est aussi le cheminement de la justice avec ses défauts, ses contradictions. Le dilemme entre mener à bien et promptement une enquête et prendre le temps de la réflexion pour ne pas se laisser emporter par de trop faciles évidences. Chacun est confronté à ses contradictions sans s’en rendre compte, nous seuls, extérieurs, voyons les difficultés à mener rationnellement une enquête quand on s’y implique de manière très personnelle… prenant parti pour l’un ou l’autre. Même sans se l’avouer.

Le comte et le vicomte de Commarin, au cœur de l’intrigue, voient leur vie bouleversée, leurs relations remises en cause… Mais ils ne sont pas les seuls que cette enquête touche au plus profond, Daburon, le juge d’instruction, Tabaret, l’enquêteur hors pair admiré d’un personnage très secondaire, apparaissant à peine, Lecoq, ne sont pas non plus épargnés.

C’est, au final, le cours de la justice qui est remis en cause, cette justice faillible puisque menée par des hommes, aux prises avec leurs propres sentiments aussi bien que leurs convictions. Un questionnement plutôt qu’une remise en cause, un questionnement qui insiste sur l’interrogation suivante : pour cent coupables arrêtés et châtiés justement, peut-on accepter l’arrestation et la condamnation d’un innocent, un seul ? Est-ce un prix à payer et vaut-il de l’être ?

Comme le cours de la justice, les mœurs de l’aristocratie sont également disséquées, les grands principes des relations avec le reste de la société également…

Avec L’affaire Lerouge, Gaboriau a donc commis un roman policier, comme ceux que nous connaissons actuellement, remontant le fil d’une enquête, partant du meurtre et des premières constatations pour fouiller la vie des différents protagonistes et suspects. Un roman policier mâtiné d’étude de mœurs et lorgnant du côté de certains courants littéraires de l’époque comme le naturalisme. Tout ceci pour nous offrir une intrigue qui se lit avec une certaine avidité et une certaine curiosité, nous découvrons ou redécouvrons un monde, une époque, sous l’angle de ses travers…

Après ce premier succès, Gaboriau devient feuilletoniste et peut poursuivre l’œuvre qu’il vient d’entamer. D’autres enquêtes, d’autres romans, vont pouvoir voir le jour. Un personnage secondaire va venir sur le devant de la scène dès l’histoire suivante. Il deviendra récurrent.

Emile Gaboriau sous mes yeux

Gaboriau est un nom que je connaissais. Un nom entendu ici ou là. Un nom que je ne parvenais pas à rattacher à l’un ou l’autre des courants littéraires qui ont nourri le XIXème siècle. Je ne savais pas de quelle teneur était son discours. Et puis, en flânant ici et là, j’ai croisé son nom un peu plus souvent. Il m’est vite apparu qu’il était un auteur important dans le domaine dont je parle plus particulièrement. Un auteur de littérature populaire, autre catégorie dans laquelle on range facilement tant de bouquins, genre qui m’intéresse plus particulièrement dans ce qu’il a pu faire pour l’accès de tout un chacun au livre, à l’écrit…

Comme je l’ai dit précédemment, j’ai pu accéder à l’œuvre d’Emile Gaboriau parce qu’elle est désormais passée dans le domaine public. Chacun peut s’en emparer, j’en ai profité. Elle est dans ce domaine public qui nous reste accessible… tandis qu’un autre est en train d’être privatisé, victime d’un copyfraud d’état… Lire le site de savoirs comm1 peut être intéressant sur le sujet. Et ça en particulier.

Profitons-en tant qu’on le peut, lisons et partageons les œuvres du domaine public !

Emile Gaboriau, même s’il fait l’objet de réédition régulière, reste un auteur dont les romans sont difficiles à dénicher. Il convient toutefois de saluer, comme me le rappelait Oncle Paul dans son commentaire de mon article précédent, les éditions Omnibus ou Galodé qui ont publié récemment certaines œuvres du romancier. De plus, et j’y reviens, en allant sur les librairies de vente en ligne, vous pouvez accéder à ses écrits sous forme numérique, gratuitement (domaine public oblige). J’ai donc pu lire la prose d’un auteur du XIXème, un Emile, presque précurseur du suivant (Zola) tant il a voulu décrire la société telle qu’elle existait, il a surtout détaillé les travers de ces nantis un peu dépassés par l’évolution du siècle, les aristocrates. Pour ce faire, il a exploré un genre de narration peu usité à l’époque, le roman judiciaire comme il le nomme lui-même. Roman judiciaire qui ressemble à s’y méprendre à nos romans policiers contemporains… Gaboriau serait donc un précurseur, pas un inventeur, ayant emprunté un chemin déjà proposé par Edgar Allan Poe et son chevalier Dupin ou encore par Paul Feval, mentor de notre Emile, et avec lequel il avait collaboré (en tant que nègre) pour Jean Diable, un roman mettant déjà en scène un enquêteur aux méthodes scientifiques, comme je l’ai dit précédemment…

J’ai apprécié la lecture des romans de Gaboriau, des romans à rebondissements puisque d’abord publiés en feuilleton, et aux personnages fouillés. Il y a un travail littéraire indéniable sous la plume de l’écrivain. Je vais me pencher sur ses œuvres dans pas longtemps, à partir de L’affaire Lerouge, ses écrits précédents relevant plutôt de la chronique satirique…

Emile Gaboriau entoilé

J’entame aujourd’hui le parcours de l’œuvre d’un nouvel auteur. Nouveau sur le blog, mais plutôt ancien en ce qui concerne la littérature… On pourrait le considérer comme un successeur de Poe. Un de ses lecteurs ayant pris la plume.

Bien qu’ayant sévi au XIXème siècle, Emile Gaboriau n’est pas absent de la toile. Il n’y a pas une grande place mais sa présence atteste d’un intérêt encore actuel.

La reconnaissance dont il jouit est confirmé par les honneurs dont il fait l’objet sur l’encyclopédie en ligne et collaborative, Wikipédia, point de départ éventuel connaître un peu mieux le bonhomme. D’autres sites parlent de ce romancier feuilletoniste, considéré comme l’un des pères du roman policier. Notamment du roman policier français. Le site Lisons.info lui consacre une petite biographie. 13ème rue se fend d’un dossier sur cet écrivain de littérature populaire, dossier en plusieurs pages évoquant son parcours, des débuts comme nègre de Paul Féval, qu’il considérera comme son mentor et avec lequel il collabore notamment pour l’écriture de Jean Diable, roman mettant en scène un enquêteur aux méthodes quasiment scientifiques, aux publications posthumes en passant par ses lectures de Poe. André Bourgeois en parle également su son site au travers d’une biographie et du résumé de quelques uns de ses ouvrages, il avoue même être surpris du peu de notoriété d’un tel écrivain.

Pour évoquer son parcours géographique, deux sites peuvent être relevé, celui de Terres d’écrivains qui se met dans leurs pas, notamment dans ceux de Gaboriau, et celui de la mairie du 17ème arrondissement de Paris qui évoque son passage rue de l’Hôtel de Ville devenue rue des Batignolles, quartier où il a situé l’un de ses romans ayant traversé le temps, Le petit vieux des Batignolles. Pour compléter ce parcours autour de sa notoriété, le site La France pittoresque s’inspire d’un article de 1930 du Petit Journal, dans lequel a sévi Gaboriau, pour se demander si l’écrivain français n’est pas le véritable père de Sherlock Holmes.

Pour lire Emile Gaboriau, il est possible d’acheter ses bouquins en librairie, quelques uns d’entre eux ayant fait l’objet de rééditions plus ou moins récentes, mais ses œuvres étant désormais dans le domaine public, elles sont accessibles gratuitement. In libro veritas, vous en propose quelques uns, Ebooks libres et gratuits fait de même, les mettant à disposition sous plusieurs formats, Feedbooks n’est pas en reste, les proposant même en version anglaise si besoin est.

Pour en finir avec ce tour d’horizon, j’ai gardé le meilleur pour la fin, deux sites qui méritent qu’on s’y attarde, pas seulement pour Gaboriau. Tout d’abord k-libre qui consacre à l’auteur une page et quelques autres sur certains de ses bouquins. Ensuite, Roman populaire qui lui fait tout naturellement une place et replace ses œuvres dans le genre auquel il se consacre…

Désormais, Emile Gaboriau n’est plus un étranger, on connait son parcours, de sa naissance en Charente Maritime à sa mort à Paris en passant par les petits métiers qu’il a exercé avant de se lancer dans la littérature, d’abord comme nègre de Paul Féval puis seul, l’arrivée de la notoriété avec la publication de L’affaire Lerouge puis sa collaboration avec Le Petit Journal

J’évoquerai prochainement ma lecture de ses romans, sur liseuse, avant de me consacrer à chacun d’entre eux

Franz Bartelt, nuit noire

En fin d’année 2012, paraît un roman de Franz Bartelt édité par D’un Noir si Bleu. Ce nouveau roman s’intitule Facultatif Bar est il est résolument noir.

L’action se déroule dans une ville indéfinie, entre la place Carrée, l’avenue Carnot et la place aux Becs, et au-delà par effet domino. Dans le quartier des Becs et ceux qui l’entourent pour Facultatif Bar (D'un noir si bleu, 2012)les dommages collatéraux. L’action prend place au cours d’une nuit comme les autres, ou presque, où les personnages vont se croiser comme ils l’ont déjà fait au cours de bien des autres nuits… Ils vont se croiser au milieu de tous ceux qui grouillent à ces heures-là…

Tant que les paumés ne franchissaient pas le périmètre de la place Carrée et celui du carrefour des Becs, ils étaient libres d’agir à leur guise. Il en mourait beaucoup, une dizaine par nuit. Personne n’en portait le deuil. C’était des drogués qu’on retrouvait sous les portes cochères, des nouveau-nés dans le fond des poubelles, des alcooliques qui se jetaient d’un toit, des filles qu’on dépeçait après les avoir violées, et, parfois, avant. Rien que de très banal. Les plus robustes survivaient jusqu’au moment où ils trouvaient leur maître. Ils le trouvaient immanquablement.

Le décor est planté…

Tout commence avec l’arrestation de Félicien Querque dans un supermarché où il cherche de toute évidence à provoquer pour se faire embarquer. Au poste, l’inspecteur Granier refuse de le garder, de l’enfermer malgré ses demandes répétées, il le fait jeter dehors. Jéronimo, journaliste, passant par là, recueille Querque à bord de son véhicule et accepte d’aider ce dernier à aller en prison en rédigeant un article… L’inspecteur Granier quant à lui décide de passer la nuit dehors à arpenter les rues de la ville comme il le fait de temps à autre. L’épouse de l’inspecteur, Olga, profite de l’absence annoncée de son mari pour aller chercher le frisson en ville… Tout ce petit monde va se croiser au cours de la nuit, errant autour du Facultatif Bar, s’y abreuvant, se confiant à sa gérante et propriétaire, Ginette Maugru. Jéronimo et Querque vont y retrouver Zurpath et Truniek, deux anges déchus. Granier va y descendre pour inspecter les chambres ouvertes dans les étages aux couples cherchant l’anonymat, Olga Granier y viendra aussi… L’inspecteur croisera également des tueurs à la poursuite de Jéronimo… Les cadavres se multiplient.

Toutes ses allées et venues et leurs conséquences sont observées par Ginette Maugru et le boucher Trousquaille et ses deux apprentis.

Pas d’événement incongru pour mettre le chaos dans cet univers, juste des destins qui s’entrecroisent et qui suffisent à eux seuls à semer le désordre et la mort. Seulement des êtres mus par leurs angoisses. Une nuit presque ordinaire où la trajectoire de certains connaîtra sa fin… Une nuit peut être plus noire que d’ordinaire.

Bartelt sème les corps mais également les âmes perdues, détruites, déglinguées. Il les sème et observe les conséquences de leurs errements. Un mari et une femme pas si désunis que cela, un fils et sa mère plus soucieux l’un de l’autre qu’il n’y paraît, des anges victimes de la surpopulation des cieux et contraints de frayer avec les vivants…

C’est un roman fort, prenant et sordide que nous donne à lire le romancier. Un roman qui peut faire penser au Grand Bercail , avec sa vision de la torture comme ciment de la société. Comme fondement. Qui peut faire penser également à  La chasse au grand singe ou encore à Massacre en Ardennes par sa vision désabusée des humains. Une humanité qui n’est plus guidée par “la soif et l’amour” mais qui “se nourrit d’injustices et de violences”. Ou peut-être les deux.

Franz Bartelt, fée et cimetière

En 2011, Bartelt revient du côté des éditions Le Dilettante où il avait déjà publié deux romans en 2008,  La belle maison et Les nœuds. Ça s’appelle cette fois La fée Benninkova. Et c’est une fiction loufoque, décalée.

L’histoire nous est racontée par Clinty Dabot, elle débute quand la fée Benninkova débarque chez lui. Elle déboule chez lui, de force, pour utiliser ses toilettes, et cette irruption est le La fée Benninkova (Le Dilettante, 2011)prétexte à un retour en arrière pour expliquer comment il en est arrivé là. Car elle le découvre déprimé. Ruiné, au bout du rouleau… Parce qu’il l’a accueillie, Benninkova lui promet de réaliser un vœu et lui demande d’y réfléchir… La réflexion appelle les souvenirs et l’arrivée de la créature magique, car c’en est une, est comme un signal, celui du grand déballage. Seulement, Benninkova est une fée sans baguette, elle doit en attendre une nouvelle et les confidences prennent de l’ampleur avec le temps qui s’écoule.

Au fur et à mesure de ses souvenirs, le narrateur revit sa relation avec Marylène, la caissière du supermarché. Clinty Dabot est handicapé et quand Marylène lui prête attention, il sait qu’il a enfin trouvé quelqu’un avec qui partager pas mal de choses. Et elle va se montrer particulièrement conciliante… Il peut alors rattraper le retard accumulé dans les relations humaines… Mais on n’a rien sans rien…

Bartelt s’en donne à cœur joie en instillant un peu de fantastique dans une histoire qui pourrait n’être qu’un constat socialisant, le récit d’un banal fait divers. Rien n’étant jamais banal sous la plume de l’écrivain, on voit se dérouler sous nos yeux la descente, la dégringolade, d’un naïf… Mais la naïveté ne nuit pas toujours et la fée Benninkova se charge de le lui prouver.

C’est féroce, irrévérencieux, caustique, et, comme toujours, servi à point.

Après un retour chez Le Dilettante, c’est Gallimard que retrouve Franz Bartelt l’année suivante. Il y était déjà revenu en 2010 pour le recueil de nouvelles La mort d’Edgar. Il y revient cette fois pour un roman, Le testament américain, qui trouve parfaitement sa place dans sa bibliographie et ses thèmes de prédilection. Une petite communauté, un groupe de personnes, se trouve confronté à un événement improbable.

Le petit village de Neuville hérite de Clébac Darouin, un millionnaire états-unien, né par hasard dans la commune, mort récemment et ayant tenu à être enterré dans sa terre natale.Le testament américain (Gallimard, 2012) L’héritage n’a rien de classique, il s’agit d’un cimetière. Un cimetière aménagé par des paysagistes et des architectes et où chaque habitant se voit offrir une sépulture. Une sépulture qui a tout du tombeau grandiose, plus grand que la vie si chère à ceux d’outre-Atlantique, habitable s’il ne s’agissait pas d’un tombeau. Les esprits s’en trouvent bouleversés… Chacun connaît désormais sa dernière demeure et ça chamboule un peu.

Les habitants prennent pourtant la nouvelle avec philosophie, un certain bon sens. Mais des petits riens vont les faire évoluer, vont bousculer le quotidien du patelin reculé.

C’est une galerie de personnages que nous offre le romancier. Une galerie de personnages somme toute ordinaires mais confrontés à une situation extraordinaire, incongrue, déstabilisante. Le premier à en faire les frais, à profiter du cadeau du millionnaire n’est autre que le maire, Albert Pneu, qui trépasse lors de l’inauguration du lieu… Un maire par intérim est désigné, il s’agit de René Vendrèche, et tout pourrait aller pour le mieux.

La veuve doit être satisfaite, comme il est de coutume dans le village, dans tous ses appétits, Fricoteau s’y colle… René Vendrèche a la velléité de tout régenter bien que doté d’une certaine bêtise…

Tout se déglingue, tout passe à la moulinette, l’inceste ancestral d’une famille, les constructions du village moins solides que celles du cimetière et la nouvelle qui commence à se répandre au-delà des frontières de la commune et dont il faut gérer l’impact.

Le village est confronté à des choix difficiles, chaque habitant hésite, des amants s’affrontent pour savoir s’ils seront toujours unis pour l’éternité ou pas, d’autres familles hésitent à accueillir de nouveaux membres en leur sein…

Bartelt s’amuse à décrire les tares de ses contemporains en les plaçant dans une situation qui va révéler leurs travers, leur capacité d’adaptation frisant le grotesque. Et on s’amuse avec lui.

Ça frise le plaisir inavouable de voir ainsi maltraité son prochain. Mais, c’est tellement bon. Et si bien conté.

L’année 2012 n’est pas finie pour l’écrivain, un autre roman paraît aux éditions D’un noir si bleu, un roman dont on reparle bientôt. Un roman noir.