En 2008, l’année suivant la sortie de Garden of love et son succès, valant une reconnaissance méritée à son auteur, Marcus Malte revient à la novela, cette forme de roman court qu’il a déjà, à plusieurs reprises, exploré. Ça s’appelle Poser ma besace à Besac et est édité par Aéropage.
Un homme revient à Besançon, trente ans après. Trente ans après sa fuite, un départ pour le moins précipité. Trente
ans après une sale histoire, une histoire qui n’avait pas été celle qu’il attendait. Il revient dans cette ville où certaines frontières existent toujours, ces frontières qu’il avait tenté de franchir. Il revient parce que son neveu, le fils de sa sœur, a disparu. Peut-être la même histoire que la sienne, une histoire qui, de toute façon, fera écho à la sienne. C’est le passé qu’il retrouve en même temps que le présent, une partie de son passé, pas forcément la partie qu’il a fui.
Il retrouve sa sœur, sa nièce, s’immisce dans leur vie, dans leurs vies. Et, au milieu, il y a cette absence, celle de Loïc. Ce neveu qu’il va apprendre à connaître, en creux, à travers les autres.
Il retrouve sa ville, en arpente les rues, en découvrent les nouvelles frontières, les évolutions. Obliger de frayer avec la jeunesse du présent, celle qui fréquentait Loïc. Obliger de se replonger dans ce qu’il avait plus ou moins fui…
C’est une novela prenante, touchante, que nous offre Marcus Malte. Une histoire racontée à la première personne et qui ne peut que faire écho à nos propres expériences, à notre propre découverte des relations et de ces rues difficiles à traverser, de ces autres, nos semblables, impossibles à côtoyer, parce que plusieurs mondes vivent les uns près des autres, sans se confondre, sans se mêler… Peut-être juste dans notre imagination.
Trois ans plus tard, en 2011, paraît un nouveau roman de Marcus Malte, Les harmoniques, dans la “série noire” de Gallimard. Un roman qui marque le retour de Mister et de Bob, deux personnages rencontrés dès le premier opus de l’auteur, Le doigt d’Horace. Un duo qui avait mené une enquête en marge de l’intrigue. On avait revu Mister dans le deuxième roman de Malte, Le lac des singes puis une fois encore au cours de son incursion dans l’univers du Poulpe avec Le vrai con maltais.
Pour le titre, Mister nous donne sa définition des “harmoniques” :
“Les notes derrière les notes […] Les notes secrètes. Les ondes fantômes qui se multiplient et se propagent à l’infini, ou presque. Comme des ronds dans l’eau. Comme un écho qui ne meurt jamais.
[…]
Ce qu’il reste quand il ne reste rien […] C’est ça les harmoniques. Pratiquement imperceptibles à l’oreille humaine, et pourtant elles sont là, quelque part, elles existent.”
Le livre, après l’évocation d’une femme, Vera Nad, s’ouvre sur un dialogue, qui fait immédiatement penser, pour les familiers de l’œuvre du romancier, aux deux acolytes de son premier roman… Et, après quelques lignes, le doute disparaît, il s’agit bien d’eux. Sur un coup de tête, Mister, pianiste de son état, a demandé à Bob, chauffeur de taxi ne prenant pas de client, de l’emmener à la mer. Ce qu’il a fait. Sur le chemin du retour, le meurtre d’une femme, celle de la première page, est évoqué. Et Mister veut reprendre l’enquête, pas convaincu par les conclusions de celle-ci.
Ils la reprennent. Suivent ses traces, d’atelier de théâtre en atelier de peintre. Parmi les rejetons de l’ex-Yougoslavie, de cette guerre qui a notamment vu Vukovar s’effondrer. Leur recherche est entrecoupée de chapitres à part, retraçant quelques épisodes de la vie de Vera, ayant pour titre une musique écoutée, savourée, dans les pages précédentes (Wallflower, Maiden Voyage, Blue in green, Summertime, …).
Bob et Mister suivent les pas de Vera et mènent une enquête compliquée. D’autant plus compliquée que ce ne sont pas des enquêteurs professionnels. Mister, dominé par ses sentiments, s’engouffre dans tous les nouveaux indices pour changer son point de vue et voir des meurtriers en tout le monde. Bob préfère une réflexion plus cérébrale, prenant chaque piste avec des pincettes, se méfiant de tout et de tous… Ils devront chercher derrière les apparences, dans le passé, ce passé dont les ondes font encore onduler le présent. A eux deux, ils nous proposent un duo décalé, comique par instants… Même si l’histoire n’a rien de comique.
Même si l’histoire nous emmène faire un tour du côté d’hommes sans scrupule, sans amour de leur prochain, juste mus par leur soif de pouvoir et d’argent, les deux se confondant souvent. Marcus Malte nous offre une description sensible, touchante. Il ose remuer certaines réalités, nous faire part de sa vision des choses et de certaines personnes. Les politiques et leurs accointances avec le grand banditisme sont invités dans la danse…
Tout cela nous donne un roman atypique comme ceux de Malte jusqu’ici. Un roman à la prose soignée, au style tutoyant la poésie.
Les harmoniques est un roman prenant au rythme proche de ce blues du sous-titre.
Après ce roman, Malte revient aux novelas, une forme de fiction qui lui convient décidément bien.