Don Winslow sous mes yeux

Cela fait peu de temps que j’ai commencé à lire les romans de Don Winslow. Un auteur dont j’avais pourtant entendu parlé depuis longtemps. Il est présent sur la toile, comme je l’ai déjà dit, mais ses bouquins sont également souvent chroniqués sur les sites spécialisés, blogs ou autres. Il est loin d’être un inconnu.

Il aura pourtant fallu que je parcours les rayons d’une librairie, que j’explore un peu, plus désœuvré que d’habitude, en territoire inconnu, pour tout dire en vacances, pour me saisir d’un de ses romans. Il s’agissait en l’occurrence de La patrouille de l’aube, encore suffisamment récent, en poche, pour ne pas avoir été renvoyé à son éditeur.

Après cette première lecture convaincante, je me suis dit qu’il pouvait avoir sa place sur mon blog… mais quelles ne furent pas mes difficultés à dégotter ses premiers romans ! Ceux de la série Neal Carey. Malgré la reconnaissance dont il bénéficie, Winslow subit le même sort que beaucoup, ses livres sont vite remplacés sur les étagères, une rotation qui ne laisse pas beaucoup de place à la mémoire, retour à une autre époque et ses fameuses oubliettes… N’habitant pas une ville richement dotée en librairies, et encore moins en librairies où exercent des libraires véritables, il m’a fallu fureter sur le net. Attendre la bonne occasion, car certains livres devenus rares sont proposés à des prix particulièrement élevés, indécents. L’occasion devient un marché aussi lucratif que celui des éditeurs en place.

Bref, j’ai eu la série Neal Carey en main et Winslow est depuis revenu dans l’actualité avec la traduction d’un roman datant déjà d’une quinzaine d’années, Dernier verre à Manhattan.

Je vous reparle de toutes ces lectures dans quelques jours.

Don Winslow en ligne

Don Winslow est un auteur connu et reconnu. Connu surtout pour la partie la plus récente de son œuvre, la californienne. Mais elle ne se résume pas à cela. Pour mieux appréhender la richesse de son parcours littéraire, pourquoi ne pas remonter à la source, puis se laisser glisser jusqu’à ses derniers romans qui lui ont valu l’étiquette d’auteur du cool…

Pour mieux le connaître, un petit tour sur la toile peut déjà nous en apprendre un peu sur le bonhomme. Un romancier qui a pas mal bourlingué avant de se poser, de prendre la plume. Un auteur qui est passé d’un métier à un autre, de détective privé à guide de safari ou encore professeur, comédien, metteur en scène. Né à New York, il a grandi dans le Rhode Island avant de s’installer dans la Nebraska puis à San Diego, Californie.

De la même manière que ses pérégrinations, ses romans sont passés d’un éditeur à l’autre, tant aux Etats-Unis, de St Martin’s à Knopf puis Simon and Schuster, qu’en France, de Gallimard au Masque, en passant par Jean-Claude Lattes, puis Fayard et le Seuil.

Pour mieux le connaître et approcher sa biographie officielle, un petit tour par ces différentes maisons d’édition peut être une bonne entrée en matière. En commençant, pourquoi pas, par Fayard, éditeur d’un de ses romans les plus marquants, La griffe du chien. En continuant par Le Masque, et en terminant par la maison-mère, les éditions Jean-Claude Lattès. Après ça, vous ne pourrez pas dire que vous ne connaissez pas son âge, 60 ans cette année, ni ses fameux différents métiers.

Pour mieux connaître sa bibliographie, l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia, propose un article intéressant de ce point de vue. Le site k-libre offre une page avec des liens qui peuvent vous permettre d’aller plus loin et de parfaire votre documentation sur la bonhomme.

Pour approcher un peu plus de la personnalité du romancier, si cela est nécessaire, Quais du polar met en ligne une présentation plus personnelle ainsi que ses polars fétiches. La page anglaise de l’encyclopédie citée précédemment aborde ses méthodes de travail.

Enfin, pour terminer ce tour d’horizon, sachez que l’auteur a son site officiel. Si vous souhaitez entendre sa voix, un entretien accordé à Keith Rawson et mis en ligne sur You Tube peut satisfaire votre curiosité.

Et pour confirmer qu’il puise son inspiration aussi dans ses propres expériences, l’article de Yan Plougastel sur le site du Monde évoquant les différents endroits où Don Winslow est allé semble également retracer le parcours de Neal Carey, le premier personnage récurrent du romancier.

Comme d’habitude, avant d’aborder son œuvre et ma lecture de ses romans, j’évoquerai rapidement ma rencontre avec ses bouquins

James Sallis, John Turner en fin de parcours

En 2007, paraît le troisième et dernier opus de la trilogie que Sallis a consacrée à John Turner. Il s’intitule Salt River et ne change pas de nom en traversant l’Atlantique trois ans plus tard, traduit par Isabelle Maillet. Le titre reste anglais peut-être pour répondre à une certaine mode, une tendance, mais aussi parce que l’atmosphère de la série, l’atmosphère musicale, baigne dans la bluegrass et que le titre choisi correspond à un morceau du genre.
Deux ans se sont écoulés depuis l’aventure précédente. John Turner a franchi le cap auquel il avait résisté jusque là, il est devenu shérif à la suite de Lonnie Bates, Don Lee, puis de J.T. Burke, sa fille, repartie à Seattle.
Alors qu’il échange avec Doc Oldham sur un banc de la rue principal, une voiture vient s’encastrer dans la façade de Salt River (Gallimard, 2007)l’hôtel de ville. Les premiers secours portés, le chauffeur se révèle être Billy, le fils de Lonnie Bates, disparu depuis plusieurs mois. Son retour en ville se solde par un transport jusqu’à l’hôpital, aux soins intensifs. La voiture que conduisait Billy appartenait à une vieille femme pour laquelle il a travaillé quelques temps, une vieille femme qui est retrouvé par Turner quelques jours plus tard alors qu’elle vient de subir une agression. Il n’a pas pu s’y rendre plus tôt, pris qu’il est désormais par les problèmes quotidiens de sa ville, un chien qui aboie trop fort, les tempêtes qui se succèdent et démolissent un peu plus la ville, Eldon qui débarque et se cache, soupçonné d’un meurtre dont il ne peut jurer n’être pas l’auteur, un ami d’Isaiah Stillman dont ce dernier aimerait connaître les circonstances exactes de l’assassinat…
Turner ne peut plus vivre cette vie qu’il s’était choisi, isolé dans sa cabane à l’orée d’un bois, non loin d’un lac. Il ne peut plus savourer que rarement cet état contemplatif qu’il recherchait, qu’il avait fait sien. Le quotidien l’occupe, les souvenirs remontent, notamment ceux de ses échanges avec celui qui l’a formé à la psychologie, Cyril Fullerton.
Le passé, […] c’est comme la pesanteur. Il te maintient sur la terre ferme mais il n’arrête pas de te tirer vers le bas, d’essayer comme la terre elle-même, de te revendiquer.
Turner avance, ou se maintient debout, alors qu’autour de lui le vide s’étend. Que sa propre histoire l’envahit, le submerge.
Tout comme les nations, les individus en arrivent toujours à se laisser gouverner par l’autonarration – des récits étoffés par l’échec autant que par la réussite et qui, avec le temps, durcissent jusqu’à former des images qu’ils pensent inattaquables. […] La narration est devenue un objectif en soi, qu’il faut se réapproprier à tout prix.
Une nouvelle onde de choc frappe le narrateur et personnage principal. Une onde de choc qui le secoue alors qu’il ne s’est pas remis des précédentes, qu’il tente toujours de faire son deuil. Alors qu’il observe cette ville où il a élu domicile se déliter, s’écrouler.
Et tout cela, avec le style remarquable de Sallis, au rythme d’une musique d’un autre temps, renaissant sans cesse, au gré des décennies et des musiciens.
Après John Turner, James Sallis nous offre un roman isolé, d’un seul tenant, puis revient voir du côté de son héro sans nom, le Chauffeur.

James Sallis et John Turner aux prises avec un autre temps

En 2005 paraît le deuxième opus de la trilogie John Turner, Cripple Creek. Il nous parvient deux ans plus tard, traduit par Stéphanie Estournet et Sean Seago. Toujours sous le même titre énigmatique, où il est question de crique abîmée ou peut-être de musique… Et c’est en effet, au son de la guitare ou du banjo, une certaine destruction qui va s’installer dans ce livre singulier.
John Turner, après avoir été sollicité par le shérif Lonnie Bates lors du premier opus,  Bois Mort, est devenu l’adjoint de Don Lee, l’ancien adjoint de Bates, devenu lui-même shérif. Lonnie Bates ne s’est pas totalement remis de l’aventure précédente et retarde son retour, s’organisant une autre vie.
Cripple Creek (Gallimard, 2005)Alors qu’il revient d’avoir conduit en prison un homme recherché, Turner apprend de Don Lee qu’il a arrêté un chauffard dont le coffre contenait 200 000 dollars en liquide. L’homme est dans une cellule du commissariat en attendant un éventuel transfert. Le transfert n’aura pas lien car John Turner en débarquant le lendemain matin constate qu’un commando est venu délivrer le suspect laissant sur le carreau la secrétaire, June, fille de Lonnie Bates, et le shérif Don Lee. Turner part alors pour Memphis mener l’enquête sur le suspect dans cette ville où il a été flic, dans une autre vie. Sa manière de suivre une piste est pour le moins expéditive et il manque d’y passer lui-même, sauvé in extremis par une femme à sa recherche depuis quelques jours.
Une fois, cette première partie achevée, Turner regagne son patelin isolé, sa cabane encore plus isolée, avec à sa suite cette femme, J.T. Burke, qui lui a sauvé la vie, qui voulait le trouver et qui n’est autre que sa fille. Le rythme se fait alors plus paisible, contemplatif… Mais une certaine incertitude s’installe, le bois qui borde la maison de Turner devient inquiétant, paraissant abriter une vie inhabituelle.
L’onde de choc des premières pages se prépare.
C’est un roman étonnant que nous offre James Sallis. Un roman où passées les premières pages et l’expédition de Turner à Memphis, il ne se passe plus grand-chose, où les petits riens constituent l’essentiel. Les échanges avec les uns et les autres deviennent le cœur du roman. J.T., la fille retrouvée, Val, l’amante en plein questionnement, Doc Oldham, le docteur danseur de claquettes, Eldon, le musicien sevré, Nathan, le voisin ermite, et Isaiah Stillman, un nouveau venu, emplissent la contemplation de John Turner. Il ne semble plus rien se passer mais les alentours deviennent hantés et le choix de Miss Emily, une opossum, de s’installer dans la cabane de Turner, confirment qu’essayer de tout comprendre, de tout maîtriser, est vain.
Bien souvent, il n’y a pas de bonne réponse, pas de solution […]. On veut toujours qu’il y en ait une. On a besoin d’y croire.
Tout étant trop calme, on en vient à redouter les dernières pages, espérant que rien ne viendra gâcher un certain équilibre, même si quelques changements surviennent, que l’inquiétude que l’on ressent est juste une part de l’imagination du narrateur et personnage central…
Comment se fait-il que, si souvent, nous ne commencions à identifier quelque chose – à en éprouver le désir, et à comprendre son caractère unique – qu’au moment où elle change irrévocablement et nous échappe ?
Quelques corps tombent, succombent, frappant Turner. Mais la guitare et le banjo accompagnent ses réflexions, égrainant les notes d’une bluegrass déjà évoquée lors du premier opus, une bluegrass qui pourrait avoir inspiré son titre au roman.
Deux ans plus tard, la trilogie s’achève avec  Salt River.

Marcus Malte, Besançon et le retour de Mister

En 2008, l’année suivant la sortie de  Garden of love et son succès, valant une reconnaissance méritée à son auteur, Marcus Malte revient à la novela, cette forme de roman court qu’il a déjà, à plusieurs reprises, exploré. Ça s’appelle Poser ma besace à Besac et est édité par Aéropage.

Un homme revient à Besançon, trente ans après. Trente ans après sa fuite, un départ pour le moins précipité. Trente Poser ma besace à Besac (Aéropage, 2008)ans après une sale histoire, une histoire qui n’avait pas été celle qu’il attendait. Il revient dans cette ville où certaines frontières existent toujours, ces frontières qu’il avait tenté de franchir. Il revient parce que son neveu, le fils de sa sœur, a disparu. Peut-être la même histoire que la sienne, une histoire qui, de toute façon, fera écho à la sienne. C’est le passé qu’il retrouve en même temps que le présent, une partie de son passé, pas forcément la partie qu’il a fui.

Il retrouve sa sœur, sa nièce, s’immisce dans leur vie, dans leurs vies. Et, au milieu, il y a cette absence, celle de Loïc. Ce neveu qu’il va apprendre à connaître, en creux, à travers les autres.

Il retrouve sa ville, en arpente les rues, en découvrent les nouvelles frontières, les évolutions. Obliger de frayer avec la jeunesse du présent, celle qui fréquentait Loïc. Obliger de se replonger dans ce qu’il avait plus ou moins fui…

C’est une novela prenante, touchante, que nous offre Marcus Malte. Une histoire racontée à la première personne et qui ne peut que faire écho à nos propres expériences, à notre propre découverte des relations et de ces rues difficiles à traverser, de ces autres, nos semblables, impossibles à côtoyer, parce que plusieurs mondes vivent les uns près des autres, sans se confondre, sans se mêler… Peut-être juste dans notre imagination.

Trois ans plus tard, en 2011, paraît un nouveau roman de Marcus Malte, Les harmoniques, dans la “série noire” de Gallimard. Un roman qui marque le retour de Mister et de Bob, deux personnages rencontrés dès le premier opus de l’auteur,  Le doigt d’Horace. Un duo qui avait mené une enquête en marge de l’intrigue. On avait revu Mister dans le deuxième roman de Malte, Le lac des singes puis une fois encore au cours de son incursion dans l’univers du Poulpe avec  Le vrai con maltais.

Pour le titre, Mister nous donne sa définition des “harmoniques” :Les harmoniques (Série Noire Gallimard, 2011)

Les notes derrière les notes […] Les notes secrètes. Les ondes fantômes qui se multiplient et se propagent à l’infini, ou presque. Comme des ronds dans l’eau. Comme un écho qui ne meurt jamais.

[…]

Ce qu’il reste quand il ne reste rien […] C’est ça les harmoniques. Pratiquement imperceptibles à l’oreille humaine, et pourtant elles sont là, quelque part, elles existent.

Le livre, après l’évocation d’une femme, Vera Nad, s’ouvre sur un dialogue, qui fait immédiatement penser, pour les familiers de l’œuvre du romancier, aux deux acolytes de son premier roman… Et, après quelques lignes, le doute disparaît, il s’agit bien d’eux. Sur un coup de tête, Mister, pianiste de son état, a demandé à Bob, chauffeur de taxi ne prenant pas de client, de l’emmener à la mer. Ce qu’il a fait. Sur le chemin du retour, le meurtre d’une femme, celle de la première page, est évoqué. Et Mister veut reprendre l’enquête, pas convaincu par les conclusions de celle-ci.

Ils la reprennent. Suivent ses traces, d’atelier de théâtre en atelier de peintre. Parmi les rejetons de l’ex-Yougoslavie, de cette guerre qui a notamment vu Vukovar s’effondrer. Leur recherche est entrecoupée de chapitres à part, retraçant quelques épisodes de la vie de Vera, ayant pour titre une musique écoutée, savourée, dans les pages précédentes (Wallflower, Maiden Voyage, Blue in green, Summertime, …).

Bob et Mister suivent les pas de Vera et mènent une enquête compliquée. D’autant plus compliquée que ce ne sont pas des enquêteurs professionnels. Mister, dominé par ses sentiments, s’engouffre dans tous les nouveaux indices pour changer son point de vue et voir des meurtriers en tout le monde. Bob préfère une réflexion plus cérébrale, prenant chaque piste avec des pincettes, se méfiant de tout et de tous… Ils devront chercher derrière les apparences, dans le passé, ce passé dont les ondes font encore onduler le présent. A eux deux, ils nous proposent un duo décalé, comique par instants… Même si l’histoire n’a rien de comique.

Même si l’histoire nous emmène faire un tour du côté d’hommes sans scrupule, sans amour de leur prochain, juste mus par leur soif de pouvoir et d’argent, les deux se confondant souvent. Marcus Malte nous offre une description sensible, touchante. Il ose remuer certaines réalités, nous faire part de sa vision des choses et de certaines personnes. Les politiques et leurs accointances avec le grand banditisme sont invités dans la danse…

Tout cela nous donne un roman atypique comme ceux de Malte jusqu’ici. Un roman à la prose soignée, au style tutoyant la poésie.

Les harmoniques est un roman prenant au rythme proche de ce blues du sous-titre.

Après ce roman, Malte revient aux novelas, une forme de fiction qui lui convient décidément bien.