En 1993 paraît le deuxième roman d’O’Connell, Wireless. Il aura un destin particulier en France puisqu’il est édité l’année suivante dans la collection “Rivages / Thriller”, traduit par Freddy Michalski sous le titre La mort sur les ondes. Sa parution en poche, toujours chez Rivages, ne se fera que onze ans plus tard et sera l’occasion d’une nouvelle traduction par Gérard de Chergé, le même que pour le premier roman d’O’Connell, sous un nouveau titre, Ondes de choc. Aucune idée sur les raisons de cette nouvelle traduction, l’auteur n’aurait-il pas aimé ? De Chergé, qui a depuis traduit tous les autres romans de l’écrivain, aurait-il tenu à réparer ce seul incident dans le parcours ? Ou, plus simplement, à réparer quelques accrocs dans la traduction et lisser l’ensemble de l’œuvre de l’écrivain pour lui conserver une unité ?…
J’ai, pour ma part, lu la première traduction. C’est donc d’elle dont je parlerai.
Nous sommes de retour à Quinsigamond, la ville imaginaire, postindustrielle, dont nous avions fait connaissance dans le roman précédent.
Quinsigamond est de nouveau un personnage à part entière de l’histoire, la ville et ses habitants. La description de l’hôtel Penumbra avait fortement marqué l’opus précédent, cette fois, celle d’autres lieux compte également, du diner-boite de nuit “La reine des ondes” de Most et Ferrie à l’immeuble où vit Veronica “Ronnie” Wilcox, qu’elle a elle-même surnommé le “Solitaire”, en passant par les appartements des différents personnages, la station de radio de Ronnie, l’ancien aéroport désaffecté ou la cathédrale St Brendan’s.
Nous sommes de retour, quelques mois après le dénouement de l’intrigue de BP 9. Lenore Thomas n’est plus là, tout comme Cortez. Même s’ils continuent tous deux à hanter les pages. Une nouvelle distribution des pouvoirs est en cours dans Bangkok Park mais l’histoire ne débute pas là.
Elle débute devant la cathédrale. Un homme en planque se repasse le parcours de celui qui l’intéresse, le père Todorov. Il s’agit du prêtre attaché à la cathédrale, un prêtre qui cherche à tendre la main aux différentes factions s’affrontant en ville et qui prêche même à la radio… L’homme attendant devant l’édifice finit par descendre et une scène violente s’ensuit. Nous sommes prévenus, la religion, l’altruisme, ou la radio peuvent tuer. Pour cet opus, il sera plus particulièrement question de cette transmission sans fil qui n’est pas sans rapport avec le roman précédent puisque, comme les services postaux, elle transmet l’information, et comme le Jargon, elle prend sa source dans la parole, le langage parlé.
“Au commencement était le verbe. Le verbe s’est changé en signaux électromagnétiques capables de voler dans les airs. Et le verbe s’est mis à vivre dans le poste. Et le verbe a été interrompu par un message de votre promoteur publicitaire.”
Il est question de radio et de la lutte que se livrent les tenants de l’ordre, avec licence de diffusion en bonne due forme, et les pirates, prônant une liberté jusque sur les ondes. Les stations sont régulièrement piratées à Quinsigamond, et des afficionados de la diffusion sans fil se retrouvent à La reine des ondes (Wireless dans la version originale, le titre désignant à la fois le sujet du livre et le lieu central de l’action) pour échanger sur l’actualité de cette lutte.
G.T Flynn tient une place particulière parmi les fans de radio, il est le confident, l’entremetteur, le bon samaritain de tous. Ronnie Wilcox est une animatrice à part dans le paysage radiophonique local, la seule dont l’émission, le Ligne Libido, bénéficie de la bienveillance des pirates, l’admiration des amateurs. Hannah Shaw est une rescapée du roman précédent, personnage quasiment de figuration, elle a pris le relais de Lenore Thomas à son départ dans Bangkok Park. Ce sont les personnages principaux mais l’intrigue est riche d’une multitude de personnages secondaires, pirates partisans de la manière forte ou des anciennes méthodes, collègues de Ronnie, victimes des pirates, membres des différentes mafias, jusqu’à Speer, agent du FBI plutôt en état de décomposition, mentale, au moins.
Tous les ingrédients sont là pour nous offrir une intrigue de grande envergure, pleine de violence, de sentiments, de doutes et, une nouvelle fois de cette question lancinante du langage et de son pouvoir, de la manière dont il peut trahir ou être interprété, de la manière dont il peut nous servir ou nous desservir…
“La nature de chacun de nous, tous autant que nous sommes, depuis l’aube de la plus aléatoire de toutes les réalités, la conscience humaine, jusqu’aux mille secondes au cours desquels ces mots naissent, se voit prédiquée sur le système le plus primaire et le plus trompeur de tous : le langage.”
Notre propre image est liée au langage et la difficulté à se comprendre en découle…
Ce n’est pas le seul propos de Jack O’Connell.
Il nous décrit également une société malade, gangrénée, par l’industrialisation en décrépitude des sociétés développées, les ruines et les trafics qui en sont issus. Une manière de survivre qui ne profite qu’a quelques-uns, ceux qui gèrent, ceux qui ont le pouvoir. Même si ce pouvoir est bien fragile, notamment au sein des quartiers, prêt à tomber dans d’autres mains. Déclenchant de véritables guerres civiles…
Ce deuxième roman d’O’Connell n’a pas l’étrangeté du premier, il n’en a pas le côté déstabilisant, mais il conserve une grande force qui le place bien au-dessus de ce qu’il nous est donné quotidiennement à lire. Cette grande force vient notamment de la forme très classique donnée à l’intrigue, surtout au travers du choix de l’inscrire dans un lieu unique et sur trois jours. Jack O’Connell confirme son statut d’écrivain remarquable, aux prises avec les doutes inhérents à la condition humaine, ceux qui nous permettent d’avancer, ou nous en empêchent.
Après le langage, la langue, parlée ou écrite, Jack O’Connell centrera son intrigue suivante sur une autre forme de communication, l’image.