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Jack O’Connell, Quinsigamond, photo et cinéma

Trois ans après le précédent, en 1996, paraît un nouveau roman d’O’Connell, The Skin Palace. Il traverse l’Atlantique deux ans plus tard ; sous la plume de Gérard de Chergé, il devient, Porno Palace.

Quinsigamond constitue de nouveau le décor.

Un nouvel aspect de la communication est abordé, l’image. L’image et son pouvoir, après le langage parlé et sa transmission, son impact. L’image, autre forme de langage, autre forme de communication, autre terrain de lutte pour certains. Autre pouvoir.

L’image est ambigüe. C’est nous qui lui donnons tout son pouvoir, qui déterminons si elle nous apportera la plus grande vérité ou le mensonge le plus rassurant.

Mais Porno Palace est avant tout un roman, une fiction, qui nous emmène dans un univers une nouvelle fois décalé, si proche et si différent du nôtre. Un roman qui nous raconte l’étrange parcours d’une femme, sa bizarre épopée. Un apprentissage inattendu.

De Quinsigamond, nous connaissons déjà Bangkok Park, le quartier de tous les trafics, et son hôtel Penumbra, Porno Palace (Rivages, 1996)aménagé par Cortez dans le premier roman, BP 9. Nous connaissons le Wireless, “La reine des ondes” en français, diner ayant évolué en boite de nuit et quartier général des amateurs de radiodiffusion, décrit dans le deuxième roman d’O’Connell, La mort sur les ondes devenu quelques années plus tard Ondes de choc. Nous découvrons à présent le Palace Erotique Herzog, surnommé Porno Palace, propriété d’Hugo Schick. Un cinéma énorme, majestueux, à l’architecture remarquable, très années folles, art déco flamboyant, démesuré. Un cinéma qui s’est converti dans un genre, comme son nom l’indique, un genre dont son propriétaire est également un réalisateur.

C’est dans un autre cinéma que s’ouvre le livre, le Ballard, un cinéma accueillant seulement deux spectateurs lors de la séance décrite. Un adolescent et une jeune femme. Le film projeté est muet, la première version du Fantôme de l’opéra. L’adolescent est venu pour disséquer les plans, la jeune femme pour se changer les idées, tenter d’oublier la découverte de la maladie de sa mère. Deux pages, juste une introduction… La suite se déroule trois ans plus tard. En trois bobines.

Sylvia Krafft est photographe amateur, une amatrice passionnée. Jakob Kinsky est un passionné de cinéma, désireux de réaliser le film dont il est en train de peaufiner le scénario. Il est également le fils d’Hermann Kinsky, l’un des nouveaux maîtres de Bangkok Park, arrivé de Bohème quelques années plus tôt, juif et truand fuyant les pogroms. Jakob, par sa passion, n’est pas tout à fait dans la ligne de la famille, laissant le soin à son cousin de perpétuer une tradition de violence et d’extorsion.

Sylvia vit avec Perry, un avocat en passe de devenir associé du cabinet pour lequel il travaille. Elle est sortie quelques mois plus tôt d’une période d’isolement, à la suite de la disparition de sa mère. Son temps se partage entre Perry, la photographie amateur, ayant aménagé une chambre noire à la cave, et la boutique de vente et de développement de photos pour laquelle elle travaille. Une vie plutôt rangée qui va prendre un tournant surprenant au cours des premières pages de l’histoire. Lors d’une séance de cinéma, dans un drive-in, Perry accepte d’offrir à Sylvia, plutôt que le bijou qu’il souhaitait, un appareil photo, le quatrième de la jeune femme… pas n’importe quel appareil photo, un Aquinas, le stradivarius de la photo, vendu pour rien, d’occasion, dans une annonce dont elle vient de prendre connaissance, au Rib Room, autre lieu connu de Quinsigamond. Dans l’appareil, une pellicule restait, et c’est le début d’une recherche qui va mener Sylvia d’une librairie de livres érotiques au cinéma mentionné plus haut, en passant par un restaurant itinérant, un défilé d’Halloween, les sous-sols et souterrains de la ville aux abords de la gare de Gompers, une séance photo de l’autre côté du viseur… La recherche d’un photographe mythique, invisible, Terrence Propp. Et c’est tout un monde qui la happe, un monde étrange, attirant, effrayant.

Il est pratiquement impossible aujourd’hui de banaliser quoi que ce soit. Cela suppose d’établir des hiérarchies, d’accorder plus d’importance à une chose qu’à une autre. Or […] nous sommes en train de perdre cette capacité-là. […]  On assiste à un nivellement complet. Nous sommes assaillis depuis trop longtemps. Les images nous agressent en permanence. Toujours plus d’images. Toujours plus rapides. Tout le temps. C’est une sorte de gavage médiatique. De toutes les drogues, c’est celle qui rend le plus dépendant. Nous sommes asphyxiés par les images. Notre vision est devenue toxique à force de surabondance. Ce flux constant annihile notre capacité de jugement. Et d’empathie.

Dans le même temps, nous suivons les démêlés du cinéma avec des puritains, ceux de Jakob avec sa famille tandis qu’il tente de donner le change tout en continuant à poursuivre son objectif de réalisation d’un film. Les extrêmes sont aussi effrayant les uns que les autres.

Le passé des personnages s’imbrique dans leur présent pour donner un ton, une atmosphère particulière à l’ensemble. Pour les hanter. Ce n’est pas une œuvre de plus, une œuvre anodine, en passant. C’est un roman fort, prenant, envoutant que nous propose Jack O’Connell, une œuvre dans la lignée des précédentes, brossant un tableau peu reluisant de la société postindustrielle. Une société violente, dominée par les trafics en tout genre, par les luttes de pouvoir et où les moyens de communication constituent un enjeu important. Une société où le langage et l’image priment… Où l’indépendance ou sa quête pourrait être suspecte, voire dangereuse. Et où toute personne lambda peut se perdre…

C’est un roman prenant, plein de références savoureuses qui ne gâtent en rien l’intrigue. Des références au cinéma notamment, à ces films maudits, à leurs histoires légendaires, ou au film noir, un festival Peter Lorre se déroulant à la télévision pendant le temps de l’histoire.

Plus c’est dépouillé, mieux c’est. Désorientation. Crasse citadine. Le plus d’ombres possibles, sans tomber dans le glauque. […] Les angles, les miroirs, les silhouettes.

Jack O’Connell se sert de ces références, utilise ce qui a déjà été fait, pour nous proposer un univers original, fait des univers que nous connaissons, agencé de telle manière que nous en découvrons un nouveau…

Un nouvel univers devenu familier, avec ses quelques repères, le Rib Room, Raymond Todd, le journaliste radio réactionnaire, la gare Gompers en ruine, ou l’appartement occupé par Sylvia et Perry, celui de Hannah Shaw dans le précédent.

Jack O’Connell est décidément un auteur qu’il faut lire. Un grand.

Son roman suivant paraît trois ans plus tard, à l’aube du millénaire, et apparait par son titre dans la lignée des précédents, Et le verbe s’est fait chair.

4 réflexions sur “Jack O’Connell, Quinsigamond, photo et cinéma

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