Dashiell Hammett : le détective de la Continentale à Poisonville

En 1929 paraît le premier roman de Dashiell Hammett. Il s’intitule Red Harvest et marque l’histoire littéraire puisqu’il est considéré comme le premier roman noir, ce nouveau genre, mauvais genre, issu du roman policier qui s’en tenait jusqu’ici aux énigmes à résoudre ou résolues au cours du livre. Quelques évolutions avaient déjà eu lieu mais il faut Moisson Rouge (Gallimard, 1929)toujours des jalons et Hammett en constitue un. Cette fois-ci, l’intrigue ne repose pas tant sur la résolution d’un meurtre et la découverte du meurtrier mais plutôt sur la description d’une atmosphère, d’une époque, avec un héro qui n’en est plus vraiment un, un héro qui va s’abîmer, prendre des coups, morfler, et adopter un comportement plus que répréhensible… Un héro qui pourrait être un lointain cousin du justicier des romans d’aventures ou des westerns. Un lointain cousin tombé dans une réalité pas vraiment exotique, une société dépravée, aux mains des trafiquants et des industriels sans scrupules. D’une police corrompue.

Le roman nous parvient quelques années plus tard, en 1932, sous le titre Moisson rouge, traduit par P.J. Herr. Cette traduction sera révisée par Henri Robillot pour la “série noire”. Il bénéficiera en 2009 d’une traduction intégrale de Pierre Bondil et Nathalie Beunat. C’est de cette dernière dont je vais parler.

Un homme, le narrateur et personnage principal du roman, débarque à Personville dont il a seulement entendu parler auparavant affublée d’un surnom semblant facile, Poisonville. Il est détective privé, travaillant pour une agence de San Francisco, la Continentale. Après avoir appelé son client et fixé un rendez-vous pour la soirée, il s’installe dans un hôtel.

La rencontre n’aura pas lieu, son client se faisant assassiner à l’heure où ils devaient se voir.

Donald Willson travaillait au Herald, le journal local. Un journal appartenant à son père, le grand manitou de la ville, propriétaire des fonderies qui ont fait sa prospérité. Le narrateur, dont nous ne connaitrons pas le nom, décide de savoir qui l’a privé d’un client. Son enquête l’amène à constater que la ville est pourrie, aux mains d’un quatuor peu fréquentable. Mais il poursuit sa recherche et finit par confondre le coupable… Nous n’en sommes toujours qu’au début du roman et l’enquête est bouclée. Le roman policier tel que nous le connaissions jusque là laisse alors sa place.

La ville est pourrie, le détective a pu, au cours de son enquête rondement menée, croiser le quatuor qui la régit. Il les a notamment vus grâce à Dinah Brand, une femme qui n’a l’air de rien et que seul l’argent intéresse. Une maîtresse de luxe, moyennant finance, jeune et déjà usée. Une femme qui n’a l’air de rien mais de chez laquelle Willson sortait quand il est mort, chez laquelle le narrateur a croisé Max Thaler dit Whisper, l’un des maîtres de la ville. L’un des maîtres de la ville avec Pete the Finn, Lew Yard et Noonan, le chef de la police. Apprenant que Donald Willson avait décidé de dénoncer cette collusion et la corruption qui gangrène la ville, le détective décide de prendre le relais… Il force la main d’Elihu Willson et poursuit sa mission à Poisonville, une mission qui se transforme en croisade et où les règles n’existent plus.

Une mission dans laquelle il va se perdre, utilisant les méthodes de ceux contre qui il lutte. Une mission qui se transforme en croisade, une tentative d’assainissement par le vide. Les mauvaises herbes éliminées à coup d’exfoliant, ratissées, moissonnées. Et la moisson est sanglante.

Dans ce roman raconté à la première personne, on est dans l’action. La réflexion a servi au narrateur pour mener l’enquête sur le meurtre de son client mais c’est l’action qui prime par la suite. Les personnages ne sont décrits, perçus, que par leurs comportements et leurs paroles… La ville est décrite pour mieux asseoir une atmosphère délétère, nauséabonde. Pour donner une toile de fond aux règlements de compte en série. Hammett y va à l’économie, ne s’emportant pas dans un lyrisme mal venu quand il s’agit de décrire des morts en cascade. Il se cantonne au factuel et lui donne une force dérangeante.

Ce roman n’est que le premier d’une œuvre courte mais marquante. Le détective de la Continentale va revenir dans le suivant, Sang Maudit.

Dashiell Hammett sous mes yeux

Hammett est le genre d’auteur dont il est difficile de se souvenir quand on l’a lu pour la première fois. Difficile également de se remémorer la première fois où l’on a entendu son nom.

Il y a eu Humphrey Bogart, bien sûr, en Sam Spade… Il y a eu cette période des années 80 où je me penchais plus sur le cinéma que sur les bouquins, où j’approfondissais plus ce qui concernait le septième art et où l’un des auteurs phares était Wim Wenders. Wim Wenders et son Hammett avec Frederic Forrest. Et un peu plus tard, le film des frères Coen, Miller’s Crossing

Puis il y a eu les premières lectures de roman noir, Manchette notamment. Manchette si proche de Hammett.

En 2009, de nouvelles traductions ont été proposées par Gallimard, des traductions moins marquées “série noire”, l’occasion de redécouvrir Hammett et ses cinq romans. De profiter du travail de Pierre Bondil et Nathalie Beunat.

Il est temps d’en parler, de redécouvrir sa bibliographie, brève dans le domaine romanesque.

Dashiell Hammet et ce que l’on peut en lire

Il ne semble plus nécessaire de présenter celui que l’on a surnommé “le père du roman noir”. Le début du XXème siècle l’a vu débouler, proposant une nouvelle forme de roman policier, une évolution résolument ancrée dans la réalité urbaine de son pays, dans la réalité sociale, moins basée sur la résolution d’une énigme. Faisant la part belle à l’action, la psychologie des personnages s’inscrivant en filigrane.

Pour mieux connaître l’œuvre et le bonhomme, un petit tour sur la toile peut apporter quelques éclairages.

Il a l’honneur des encyclopédies en ligne, collaboratives ou non, Wikipédia, Larousse et Universalis. Il a également l’honneur de quelques sites de références, permettant de mieux cerner son importance. On le retrouve ainsi sur Roman Populaire, sur 13ème rue ou encore A l’ombre du polar.

Son importance ne se limite pas à la littérature, Hammett, après un passage éclair par le roman, est devenu un scénariste hollywoodien, c’est ce que nous rappelle le site Ciné-Ressources, catalogue collectif des bibliothèques et archives de cinéma, un site intéressant pour les curieux de tous poils.

Pour confirmer l’importance du romancier, deux sites, destinés notamment aux enseignants, consacrent l’écrivain en se fendant d’une présentation. Il s’agit du Blog des Lettres et de la République des Lettres.

Pour terminer ce tour d’horizon du web, un article de Bruno Corty dans le Figaro donne un éclairage différent à l’auteur. Il s’agit d’un article consacré à Interrogatoires de Hammett, traduit par Nathalie Beunat.

En dehors du web, plein d’ouvrages évoquent ou sont consacrés à Hammett, pourquoi ne pas commencer par là ?

Craig Johnson, Walt Longmire, chiens méchants

Chaque année, quand le printemps s’annonce, un nouvel opus des aventures du shérif du comté d’Absaroka pointe son nez et vient étoffer la bibliographie de Craig Johnson. Cette année, il s’intitule Molosses. C’est, comme depuis le début, Sophie Aslanides qui s’est chargée de la traduction de ce qui s’appelait Junkyard Dogs dans le Wyoming, et qui est paru en 2010 là-bas. Et ce sont, comme depuis le début, les éditions Gallmeister qui se chargent de la publication.

L’hiver s’est installé, lui qui n’en était encore qu’à ses prémisses dans le roman précédent, Dark Horse. L’hiver s’est Molosses (Gallmeister, 2014)installé et le comté d’Absaroka panse ses plaies ; Walt Longmire souffre encore de sa cavalcade deux mois plus tôt, boitant bas, son œil continuant d’être plus récalcitrant à chaque épisode ; et Sancho, le Basque, adjoint du shérif, ne se remet pas de l’agression dont il a été victime quelques mois plus tôt. Le comté panse ses plaies et chacun s’occupe des autres, indispensable quand il s’agit de Longmire, qui sans cela ne se soignerait pas, c’est Ruby, la standardiste, qui s’y colle ; plus expérimental en ce qui concerne Saizabitoria, le shérif allant jusqu’à lui coller une enquête qu’il crée quasiment de toute pièce autour d’un pouce manquant.

Le roman s’ouvre sur un épisode savoureux, faisant penser à la nouvelle parue hors commerce par chez nous, Un vieux truc indien. Un vieil homme se fait soigner dans une ambulance après avoir été trainé par la voiture familiale sur quelques kilomètres. Trainé au bout d’une corde, attachée à cette voiture, pour assurer ses acrobaties sur le toit de la maison lors du ramonage au kérosène (!) indispensable de la cheminée… Malheureusement, celle qui a emprunté la voiture pour quelques courses n’avait pas connaissance de cette technique pour éviter tout accident. Une scène cocasse qui nous rappelle d’entrée où nous sommes et nous réinstalle confortablement dans l’univers imaginé par le romancier. Dans son univers et son style.

Le vieil homme, George Stewart s’occupe d’une casse et de la déchetterie communale, le “site municipal de dépôt, tri et récupération des déchets”, attenante et est en conflit avec son voisin, Ozz Dobbs Jr, promoteur immobilier… Dans le même temps, je le disais plus haut, Longmire doit affronter la dépression de son adjoint basque, ce dernier ayant décidé de retourner du côté de la pénitentiaire. Et Henry Standing Bear prend en main l’organisation du mariage de Cady, la fille du shérif.

C’est une aventure qui apparait comme une respiration dans la série. George “Geo” Stewart, son fils et sa belle-fille, Ozzie Dobbs et sa mère, formant une communauté quelque peu excentrée du comté et un microcosme où semblent se concentrer toutes les figures de relation de voisinage imaginables. Du coup, les allers et retours des flics se concentrent sur ce petit univers… L’épisode apparait comme une respiration dans la série également parce qu’il fait la part plus belle aux répliques bien senties des uns et des autres et à cet humour du shérif qui vous colle le sourire au long de la lecture. Et qui bien souvent possède une certaine profondeur, une humanité philosophe.

La Nation Cheyenne sourit – il avait une tolérance élevée pour les crétins. Forcément, cela faisait deux cents ans qu’ils lui faisaient le même genre de coup.

L’épisode parait plus léger jusqu’à ce que l’action, le suspens, rattrapent les protagonistes et le lecteur. Malgré la tempête de neige qui s’abat sur les environs, les flics se doivent de sortir, rappelant en cela l’épisode d’un an plus tôt lors du premier opus de la série, Little Bird. La neige s’amoncelle et les rebondissements également, frôlant parfois l’excès. Une histoire de trafic vient pimenter l’atmosphère étouffée et endormie du coin et les chiens du titre, les molosses, ceux de la décharge annoncés dans le titre, ajoutent une note originale au tout.

Ce n’est peut-être pas un épisode majeur de la série mais sa construction le rend intéressant. En effet, la légèreté agréable avec laquelle Craig Johnson dispose ses pions, amène ses billes comme en passant, laisse petit à petit la place à un enchaînement d’événements conduisant à cette scène finale qui ponctue chacun de ses romans. Une scène finale violente malgré la météo, et prenante.

Ça tombe presque dans tous les coins, l’incapacité de Longmire à trancher rapidement ou sa volonté de ne pas le faire ayant quelques conséquences fâcheuses. Les cicatrices s’ajoutent à celles des épisodes précédents, le doute se fait plus présent.

C’est léger, moins profond que les précédents, mais une fois la dernière page fermée, on se dit que l’année qui va s’écouler avant la prochaine aventure du shérif Longmire, Tous les démons sont ici, et les suivantes, pourrait paraître bien longue s’il n’y avait tous ces autres écrivains que nous apprécions également…