En 2011, paraît outre-Manche le troisième roman de Stuart Neville, Stolen Souls. Il nous parvient en 2013, traduit par Fabienne Duvigneau, sous le titre très fidèle d’Ames volées. C’est la deuxième fois que l’inspecteur Jack Lennon est l’un des personnages principaux, mais ce livre constitue la suite des deux précédents… ne serait-ce que par la présence de sa fille Ellen.
Les événements qui nous sont racontés commencent à la veille de Noël… et se poursuivent le jour même de cette fête. Pas une fête pour tout le monde…
Jack Lennon vit désormais avec sa fille, Ellen. Il vit dans l’appartement de Belfast qu’on lui connaît, en voisin de Susan et de sa fille Lucy… Susan qui continue à lui garder Ellen quand il le demande, Susan qui lui donne toute son attention. Et justement, il va de nouveau la solliciter car il doit assurer un tour de garde au commissariat en espérant que rien ne se passera tant qu’il sera de service. Mais, bien sûr…
Rien ne se passe comme il l’aurait voulu car, au même moment, une prostituée tue l’homme qu’elle recevait, un lituanien, affilié au grand banditisme. Alors que le corps est transporté pour être caché par deux autres hommes qui craignent les représailles du chef de bande, accessoirement frère du macchabée, la fille parvient à s’enfuir… S’ensuit une chasse dans laquelle s’affrontent les forces de l’ordre et cette mafia venue de l’est…
Les points de vue alternent, l’histoire en change et se centre sur l’un ou l’autre des personnages au fur et à mesure que l’intrigue progresse. Il y a, bien sûr, Jack Lennon, mais aussi Galya, la fille venue de Lituanie et en fuite après avoir occis celui qui aurait pu être son premier client, Billy Crawford, au nom changeant, recueillant Galya, mais à la personnalité abîmée et représentant un grand danger pour la jeune femme, et enfin, Herkus, un lituanien, chauffeur et homme à tout faire, exécuteur des basses œuvres, d’Arturas Strazdas, l’homme à la tête d’une filière plutôt lucrative de trafic d’humains…
En parallèle de la course-poursuite et de la course entre Lennon et Herkus pour retrouver la fille, qui elle tente d’échapper à son geôlier, les personnages sont décrits avec une grande force. Des personnages détruits, aux prises avec leurs démons. Ceux qui hantent Lennon, ressurgis des aventures précédentes, ceux qui poussent Billy Crawford à la folie, ceux que Strazdas tente de fuir en s’enfonçant un peu plus dans la consommation de drogue… Les démons de Galya sont ceux qu’elle doit affronter tout au long d’une intrigue qui en fait le personnage central, le noyau de l’histoire.
C’est un troisième roman fort et prenant que nous offre Neville. Un roman qui s’approche de plus ne plus du thriller comme nous l’avait laissé présager l’évolution déjà perçu entre son premier et son deuxième opus. Mais un roman, je le répète, qui nous donne à lire, à rencontrer, des humains à la personnalité dérangée. Un roman d’une grande violence, d’une grande âpreté. Aucun ne peut en sortir sans cicatrice. Aucun, pas même le lecteur, ne peut en sortir inchangé…
Cette fois, Stuart Neville s’est détaché de l’intrigue des deux premiers romans, l’histoire récente de l’Irlande n’est plus au centre des événements, elle n’en est plus la cause directe. Belfast en revanche garde toute son importance.
“La grisaille, la pluie, la haine, il y avait quelque chose ici qui vous tapait sur les nerfs. Même l’air qu’on respirait vous fichait les boules.”
Il s’agit plutôt du début d’une série, celle qui voit Jack Lennon encaisser les coups et les coups bas. Celle qui le voit agir malgré lui, sans réfléchir, juste mu par son instinct, faisant des choix dictés par une morale qui ne peut que lui mettre à dos un maximum de gens.
“Jack Lennon avait agi en imbécile quand il s’était engagé dans la police. Quand il avait décliné les honneurs après avoir sauvé la vie d’un collègue qui essuyait une attaque par balles. Quand il avait abandonné sa fille encore dans le ventre de sa mère. Quand il avait entraîné un tueur nommé Gerry Fegan de l’autre côté de la frontière pour satisfaire une vengeance.
Lennon savait qu’il s’était comporté en imbécile toute sa vie, mais cela ne l’avait jamais arrêté.”
Une série qui s’amorce et dont l’un des personnages récurrents m’a plus marqué que les autres, il s’agit d’Ellen, la fille de Lennon et de Mary McKenna. Une enfant qui a souffert dans les deux premières histoires, une enfant qui n’est pas sans rappeler Gerry Fegan, autre personnage marquant de Neville. Elle vit les enquêtes de son père, la violence faite aux victimes innocentes au travers de ses rêves. Et on de demande comment elle pourra grandir avec l’accumulation de souffrances qu’elle engrange.
Neville va abandonner sa série le temps d’un roman, Ratlines, avant d’y revenir.