Harry Crews, MaryBell et Enigma

En 1968, paraît aux Etats-Unis le premier roman d’Harry Crews, The Gospel Singer. Il nous parvient seulement en 1995, traduit par Nicolas Richard, sous le titre Le chanteur de Gospel. Pour un premier roman, c’est une réussite.

A Enigma, Willalee Bookatee Hull est en prison. Il observe la rue principale depuis sa cellule. Une banderole accapare son attention, celle qui souhaite la bienvenue au Chanteur de Gospel, l’enfant du pays, une nouvelle fois de retour. Willalee Bookatee, comme tout le monde en ville, attend avec Le chanteur de Gospel (Gallimard, 1968)impatience que le chanteur débarque. Il sera sûrement le seul à pouvoir l’aider à comprendre ce qui l’a poussé là. A comprendre pourquoi MaryBell Carter est morte sous soixante-et-un coups de pic à glace. MaryBell était également une enfant du pays, une jeune fille exemplaire, admirée de tous pour son implication dans la vie de la ville. Une jeune fille qui faisait fantasmer tous les hommes tant elle était belle, un corps à l’image de son âme.

L’attente de Willalee est la même que la plupart des habitants de la ville et ce pour diverses raisons. Gerd, le frère du chanteur, voudrait partir d’Enigma et voit dans la venue de ce dernier une opportunité pour quitter la ville. La mère de MaryBell voudrait qu’il chante pour sa fille, seul avec elle dans le salon funéraire où elle l’a faite embaumer ne sachant pas combien pourrait durer l’attente avant l’arrivée du Chanteur. D’autres habitants s’impatientent également, notamment parce que le chanteur de gospel peut guérir les corps et convertir les âmes… MaryBell fut la première d’une longue série.

Il finit par arriver, escorté par Didymus, son agent, chauffeur, confesseur et conseiller. Et l’atmosphère pesante se confirme. Le temps tourne à l’orage, le chanteur est assailli par la foule qui veut des miracles… Sa voix est si pure qu’il ne peut être qu’un envoyé de Dieu.

Chaque homme invente le monde et en justifie chaque chose par son propre miracle, de même que chaque homme est convaincu que son nom apparaît en premier sur le parchemin des Cieux.”

Harry Crews nous décrit une ville du sud des Etats-Unis, de Géorgie, dans laquelle tout est lourd. Le chanteur est originaire d’une famille plus que modeste, éleveuse de porcs, dont personne n’aurait imaginé qu’elle puisse enfanter un tel homme. Beau, admiré. Il est originaire d’une ville qui n’a rien pour elle et son succès a suscité bien des envies et des fantasmes, à l’image de cette foire aux monstres qui suit désormais chacun de ses déplacements. Une foire aux monstres dirigée par un nain au grand pied.

Dans cette ville, la religion provoque bien des excès, la nécessité rendant crédule. Mais les croyances ont besoin de concret, Dieu n’ayant pas épargné le coin, et le chanteur est devenu, bien malgré lui, l’incarnation des croyances, de toutes les espérances. Un énorme poids pèse sur ses épaules, lui qui n’a vu au départ dans le Gospel qu’un moyen de s’échapper de sa ville et de s’enrichir. Qu’un moyen d’être adulé… Le voici adulé au-delà du raisonnable.

Les hommes pour qui Dieu est mort s’idolâtrent entre eux.”

Harry Crews nous décrit une ville où tout est excessif, où les hommes semblent habités par la folie. Où le chaos règne et où la mort de MaryBell a libéré une certaine violence. Il nous le décrit d’une manière qui pourrait être loufoque, qui est déjantée et qui devient inquiétante, car même l’humour peut provoquer l’angoisse.

Personne n’est ce qu’il semble être, l’image que les uns et les autres se sont construite a plus de force que ce qu’ils sont réellement. Il faut se conformer au désir de la foule mais cela devient parfois impossible, excessif. La croyance populaire peut prendre des formes effrayantes, affolantes, et le drame monte au fur et à mesure. Il ne se passe pas beaucoup de choses mais l’atmosphère se fait à chaque page plus oppressante. Les événements sont inéluctables. Personne ne peut fuir sa souffrance.

“La souffrance est le plus beau cadeau que Dieu ait transmis à l’homme.”

C’est un premier roman excessif, déjanté, allumé et prenant qu’a écrit Harry Crews. Un premier roman fascinant, sans pitié. Hors norme, ancré dans un univers déjà bien reconnaissable. Dans la vision d’un auteur. Un roman particulièrement réussi pour peu que l’on aime, que l’on goûte ce type d’ambiance. Ce ton si particulier. Un roman où les seuls gens normaux sont ceux que la société juge différents, qu’elle met au ban. Un grand roman.

L’année suivante, Harry Crews publie de nouveau. Ce sera Nu dans le jardin d’Eden.

Harry Crews sur mes étagères

Quelques fois, on cherche à découvrir des auteurs que l’ont n’a pas encore lu. Sans savoir lesquels. On cherche la nouveauté, le changement. Il y en a tant dont on a entendu parler, tant sur lesquels on hésite à jeter son dévolu, qu’il faut effectuer quelques tâtonnements, qu’il faut revenir sur ces chroniques que l’on a lues et retrouver ceux qui nous avaient vraiment tentés. Ou ceux qui pourraient nous plaire, qui pourraient nous apporter quelque chose de nouveau, d’original, de jamais croisé auparavant. Pas toujours simple.

Il y a quelques temps, je me trouvais dans cette situation. Des bouquins bien empilés là où je les entasse en attendant de les lire, des bouquins qui n’attendaient qu’à être ouverts, lus et, pourquoi pas, chroniqués. Mais j’avais envie aussi de lire quelque chose de différent, quelque chose de qualité, quelque chose pouvant me surprendre… Je l’ai dit, pas simple.

J’ai donc décidé de faire le tour de ces blogs que je consulte régulièrement, que je lis avec plaisir. Je suis revenu, en l’occurrence sur un site qui m’avait déjà décidé à lire James Sallis, il s’agit du Vent Sombre. Harry Crews est un des auteurs que Philippe Cottet apprécie, un des auteurs dont il explique l’originalité de manière particulièrement intéressante et attrayante.

J’ai donc sauté le pas et commencé à lire les romans de cet auteurun auteur qui, au fil des pages, s’est révélé comme particulièrement talentueux et rare. A mon tour de vous en parler. En commençant par son premier, Le chanteur de Gospel.

Harry Crews sur la Toile

Un nouvel auteur entre aujourd’hui sur le blog. Pas forcément une grande gloire, mais il a au moins le mérite de me plaire et de m’avoir donné envie de partager ma lecture de ses romans. Comme à chaque fois, je commence par feuilleter les pages qui sont déposées à son propos sur ce vaste océan d’information (je sais, c’est une image particulièrement originale) que constitue la Toile.

Une première constatation, l’écrivain n’est pas très présent, pas vraiment l’objet d’une adulation sans borne, pour un auteur singulier qui le mérite pourtant largement.

La cause littéraire nous en offre une rapide présentation qui a le mérite d’être pour le moins concise, une première approche qui ne peut se suffire à elle-même. Feedbooks nous en propose une présentation plus fouillée, quelque chose de plus approfondi, agrémenté d’un extrait d’entretien avec Maxime Lachaud, l’un de ses aficionados. Pour continuer avec les sites francophones, on peut lire l’article que Sabrina Champenois lui a consacré au moment de sa disparition, en 2012. Une disparition qui semble avoir provoqué quelques réactions, le besoin de le saluer ou de s’arrêter sur son œuvre pour ceux qui n’avaient pu le faire de son vivant. Il en est ainsi des libraires indépendants du Canada qui lui consacrèrent un texte dans leur revue Les libraires. Pour mieux cerner l’homme, on peut ensuite lire la chronique de Livres connections à l’occasion de la sortie de son autobiographie, Des mules et des hommes. Il y a également les deux textes du blog Le western culturel. Et pour finir ce tour d’horizon dans la langue de Molière, il y les incontournables, Pol’Art Noir et Wikipédia.

On peut ensuite aller se promener du côté anglophone, ces sites et pages en ligne dans la langue de Faulkner. Comme de ce côté-ci de l’Atlantique, certains articles sont apparus quand l’écrivain disparaissait. Celui du New York Times, signé Dwight Garner, en est un exemple. Mais Crews n’a pas été l’objet d’article seulement à cette occasion, pour preuve l’article que lui consacrait Jeff Calder en 1977 dans l’Atlanta Gazette et qui est accessible dans ses archives sur The swimming pool Q’s.

Pour confirmer l’ancrage du romancier au sud, deux textes sont accessibles. Celui de John McLeod sur la New Georgia Encyclopedia et celui de Baynard Woods pour The Millions abordant les liens de Crews avec la littérature de cette partie des Etats-Unis.

Enfin, et pour terminer ce tour d’horizon, deux derniers sites valent qu’on s’y attarde. L’un parce qu’il permet d’entendre la voix du romancier, il s’agit de Wired for books. Et l’autre parce qu’il s’agit d’un site qui lui est consacré, A large & startling figure.

Avant d’aborder ma lecture de ses romans, je parlerai de ma rencontre avec son œuvre, due notamment à un blogueur émérite qu’il me fallait bien saluer un jour.