Au premier trimestre 2015, D.O.A. nous avait offert la première partie de son dyptique autour de l’Afghanistan, Pukhtu : primo. En même temps qu’un nouveau territoire, il poursuivait là ses fictions sur le monde post 11-septembre, y incluant même certains des personnages qu’il avait créés pour ses premières incursions dans le sujet, à la “série noire”. Le lien était évident et il le confirmait ainsi. Enrichissant son univers romanesque. Ce lien se confirme d’ailleurs pleinement dans ce deuxième volet, Pukhtu : secundo, sous-titré Comme des loups, faisant la part belle à ceux qui étaient au premier plan dans Citoyens Clandestins, les seuls nouveaux d’envergure de ce dyptique s’avérant être Shere Khan, le chef de clan pachtoune, et Peter Dang, le journaliste.
Comme pour les séries venues d’outre-Atlantique auxquelles le premier opus faisait penser, le livre débute par un rappel de l’épisode précédent, à la manière de ces fictions télévisuelles : “Précédemment, dans Pukhtu…”
Après ce résumé, nous rappelant la collusion entre guerre et économie, parallèle, illégale ou non, l’action démarre là où nous l’avions laissée, forte d’entrée. Nous sommes en septembre 2008…
Ghost est mal en point. Aux mains des talibans, l’espoir n’est plus de rigueur. Il faut résister.
Les première pages sont prenantes, violentes. Il s’agit d’une guerre et la compassion n’y a pas sa place.
Les rapports évoluent ensuite au fil des événements. Fox, malgré les difficultés, les doutes, a fini par gagner la confiance de Voodoo au sein de l’organisation paramilitaire privée 6N. L’heure est à la reconstruction du réseau que Voodoo était parvenu à bâtir et qui s’est vu particulièrement touché récemment. Il doit maintenir actif ce qui lui permet de financer les actions de son groupe et sa retraite, le trafic. En continuant à affronter la concurrence, ennemie et autochtone, principalement. Mais cela n’est pas simple, encore moins quand il faut le mener en même temps que la guerre.
Shere Khan sent la possibilité d’assouvir sa vengeance se rapprocher…
Alors que ces manœuvres se poursuivent, l’intrigue se décentre. Elle change de continent, revenant tout d’abord en France. Comme pressenti à la fin de Primo, Amel Balhimer, la journaliste aux yeux verts, reprend le dessus. Epaulée, accompagnée, protégée, par Daniel Ponsot, le flic, l’un des autres revenants des aventures précédentes, elle décide d’affronter ses peurs et cet homme à l’origine de sa déchéance, Alain Montana. Depuis Citoyens clandestins, la journaliste et l’ancien des services spéciaux sont liés et se méfient l’un de l’autre. Dans le même temps, nous allons en Afrique, au Mozambique, du côté de ce personnage entraperçu et constituant presque une aération dans l’intrigue du Primo, ce personnage que les lecteurs de Citoyens clandestins puis du Serpents aux mille coupures connaissent bien. Il s’est construit une vie mais son passé le rattrape, il va devoir redevenir Lynx, ce pseudo qui lui collait à la peau, cet animal autrefois appelé loup-cervier. En effet, Thierry Genêt a craqué, permettant à la DGSE de débusquer l’ancien exécutant de l’ombre.
J’ai essayé d’en dire le moins possible mais c’est déjà beaucoup.
Tout ce qui s’était mis en place dans l’opus précédent, tout ce que nous avions petit à petit intégré, est bousculé. Pour être plus précis, cela vole en éclats de partout. Explosé. Et, comme dans Primo, le principal moteur de l’intrigue est la vengeance. Le besoin de ne pas souffrir seul. Ce besoin de vengeance, qui continue à nourrir Ali Khan Zadran, s’empare d’autres personnages. L’un des moteurs de la guerre, des conflits, est là, au centre.
Tout vole en éclats et le cœur du roman change. Se déplace. Après les hommes au combat, ceux qui se sacrifient en première ligne, ce sont cette fois ceux qui sont derrière que l’on suit. Les journalistes, les financiers, les profiteurs, et ceux qui subissent, les sacrifiés pour la cause. Une cause bien souvent politique.
La vengeance mène les hommes mais constitue une motivation volatile. Elle pourrait parfois ne plus être suffisante. Pour se battre, il faut ne plus avoir peur de mourir, ou penser que sa mort le sera pour une cause plus grande… Et bizarrement, dans le maelström des luttes, ce n’est plus la haine qui est la plus forte mais bien l’amour ou la volonté de sauver les innocents.
Sur une année, D.O.A. nous balade d’Afrique en Europe, d’Europe en Afghanistan et retour, en passant par Dubaï ou le Pakistan. Il nous promène à la suite de ces personnages ambivalents, que l’on pourrait détester tant ils sont violents, sans pitié, mais dont on se prend à espérer qu’ils survivent, tellement les actions qu’ils mènent nous captivent, nous tiennent accrochés aux pages. Il fait des choix dans l’énorme matériau qu’il a accumulé, élaguant ici ou là, laissant sur le côté certains aspects de l’intrigue, certains personnages. Se constituant ainsi une réserve pour des intrigues potentielles.
Les points de vue alternent, ponctués par les dépêches des agences de presse ou des échanges épistolaires 2.0, jusqu’à un final éprouvant. Dans un style direct, allant à l’essentiel. Comme si l’auteur avait voulu renouer avec ces romans tentant de reconstruire des moments d’histoire, nous tenant en haleine autour d’instants ayant constitués les grands événements du vingtième siècle. Une ambition quasi-journalistique tellement l’intrigue est documentée, étayée, puisant à différentes sources certainement longuement recoupées. Un journalisme loin d’une certaine tendance à la certitude de détenir la vérité, comme si celle-ci pouvait être une et unique.
D.O.A. est au plus proche des individus, pas uniquement de ceux qui détiennent le pouvoir, ceux qui sont établis, mais bien de ceux qui forment la plus grande part de l’humanité.
Il est intéressant de voir le premier plan et les sentiments évoluer. Les deux seules femmes parmi tous ces hommes, Amel et Chloé, finissent par s’approcher du cœur de l’intrigue ou même par le constituer, subissant les événements sans pouvoir les influencer. Les hommes qui gravitent autour d’elles éprouvent à leur égard des sentiments d’une grande ambivalence, retrouvant grâce à elles une part d’humanité…
Décidément, D.O.A. est un écrivain important, ambitieux, dans le paysage littéraire français actuel, un auteur d’une grande exigence, conférant une dimension remarquable au roman noir. Un roman noir teinté de thriller.
C’est avec impatience que l’on va désormais attendre son prochain roman. En se disant que si l’on y recroise quelques uns des personnages qu’il nous a donné de rencontrer, le plaisir s’en trouvera sûrement augmenté, tellement l’univers qu’il a créé a fini par être un peu le nôtre.