John Harvey, Helen Walker, Will Grayson, Ruth et des enfants qui disparaissent en série

En 2009, un an après le bouleversant Cold in hand et deux ans après la première apparition de Will Grayson et Helen Walker dans Traquer les ombres, les voici de nouveaux au premier plan d’un roman de John Harvey, Far Cry. Il nous arrive deux ans plus tard, traduit par Fabienne Duvigneau, sous le titre Le deuil et l’oubli. Un titre qui aurait pu être l’un de ceux de la trilogie Elder, dans sa version française, en tout cas, et l’un des Resnick dans sa version anglaise. Mais c’est bien un Grayson et Walker, le deuxième et dernier à ce jour.

Ruth, chez elle, sort une carte postale de son enveloppe après l’avoir prise dans un tiroir. Elle en lit le texte, un texte qu’elle connaît par cœur, une carte postale de Heather, sa fille, écrite alors qu’elle était en vacances en Cornouailles. Sa dernière carte. Puis Ruth part chercher Béatrice, son autre le-deuil-et-loubli-payot-rivages-2009fille, vivante celle-ci. Will Grayson s’apprête à partir au boulot après son footing matinal, laissant comme toujours sa vie de famille derrière lui. Quand il arrive au commissariat, Helen, son adjointe, l’attend comme d’habitude, assise sur le capot de sa voiture, buvant un café et fumant une cigarette. Elle lui apprend la sortie de prison de Mitchell Roberts, un homme qu’il avait arrêté quelques années plus tôt pour le viol d’une fille de douze ans. Un viol d’on Will est persuadé qu’il n’était pas le premier.

Mitchell devient l’obsession de Will, tellement choqué qu’on laisse en liberté un homme qu’il sent dangereux et capable de récidiver… il s’attache à suppléer aux manques de la police et le surveiller…

Le thème est là, explicite dès les premières pages. Un thème qu’Harvey a déjà abordé à plusieurs reprises, avec Resnick dans Off Minor et, plus récemment avec Frank Elder dans De chair et de sang. Après une ouverture sur Ruth puis Grayson, on suit leur vie de famille et leurs obsessions, Heather pour la femme et le criminel relâché pour le policier. Grayson cherchant des affaires non résolues dont Roberts pourraient être l’auteur, Ruth ressassant, ne parvenant pas à oublié la disparition de sa fille une douzaine d’années plus tôt…

Nous revenons d’ailleurs nous-mêmes dans le passé pour revivre ce choc que Ruth ne peut oublier, qu’elle ne veut oublier. Le choc et sa suite, sa séparation d’avec Simon, le père d’Heather, puis le divorce. Sa lente reconstruction, son remariage et cette deuxième fille qu’elle a eu avec Andrew… Nous revenons dans le passé et vivons l’accident qui a tout changé, les doutes de Cordon, le flic chargé de l’enquête… un flic obstiné dont la vie personnelle est faite d’incertitudes et d’une certaine solitude assumée…

Puis un nouveau bouleversement arrive…

C’est un livre particulièrement bien mené que nous offre John Harvey. Un livre prenant, haletant. Un livre qui vous tient, qui m’a tenu en tout cas, captivé. On sait, on sent ce qui va arriver. On sait en lisant les pages concernant la disparition d’Heather quelle en sera la conclusion mais ensuite aussi on sent, on sait, on devine même vers quelle conclusion on se dirige. On devine qui est le coupable mais, même en le sachant, on veut en être sûr et constater que je ne m’étais pas trompé n’a pas susciter de déception… peut-être ai-je fini par croire que j’avais eu une influence sur l’histoire, ou qu’une réelle complicité s’était installé avec le romancier…

Chaque personnage est intéressant. Will et Helen forment un duo agréable, bien trouvé. Entre Will, père de famille toujours pris entre son boulot et les siens, et Helen, célibataire se cherchant et ne trouvant pas toujours le partenaire attendu… Il y a également Lorraine, le femme de Will, une épouse idéale pour un flic, ayant du caractère. Et puis, il y a Ruth, personnage touchant, attachant. Ruth toujours sur le fil du rasoir, au bord de basculer dans la folie, ne voulant pas oublier sa première fille, mais s’accrochant à sa vie de famille, s’accrochant à la réalité, tandis que beaucoup d’autres à sa place auraient sombré…

C’est un roman d’une grande sensibilité, nous faisant ressentir les doutes et les colères de chaque personnage, ne faisant pas l’impasse sur les dommages collatéraux que peut créer une enquête de police et n’épargnant personne.

Helen Walker et Will Grayson forment décidément un binôme que l’on apprécie… comme souvent pour les personnages centraux des bouquins d’Harvey

Le roman suivant d’Harvey, Lignes de fuite, est publié trois ans plus tard. Il pousse sur le devant de la scène deux personnages secondaires déjà croisés, Cordon, l’inspecteur de Cornouailles de cet opus et Karen Shields, celle de Cold in hand et De cendres et d’os.

John Harvey, le retour de Charlie Resnick

En 2008, dix ans après sa dernière enquête, Charlie Resnick est de retour sous la plume de John Harvey. Il est de retour dans Cold in Hand qui nous arrive deux ans plus tard, traduit, pour cette fois, par Gérard de Chergé avec un titre inchangé. Un titre reprenant celui d’une chanson de Bessie Smith.

En ce 14 février, Lynn Kellogg est sur le chemin du retour. Un retour chez elle après une journée bien chargée, occupée notamment par une négociation avec un homme ayant pris en otage sa famille après avoir découvert l’infidélité de sa femme. Lynn est devenu négociatrice, entre autre, cold-in-hand-payot-rivages-2008depuis que nous l’avons quittée. Elle est également inspectrice principale, mais pour le moment, ce qui occupe ses pensées, c’est de rentrer chez elle et de pouvoir offrir le cadeau qu’elle a préparé pour la Saint Valentin, le DVD d’un concert de Thelonious Monk. Que pourrait-elle offrir d’autre que du jazz à celui qui partage sa vie, Charlie Resnick ? Alors qu’elle circule dans les rues envahies par les enfants sortant de l’école, elle répond à un appel concernant un affrontement entre deux bandes non loin de là où elle est… Une fois sur place, ne réussissant pas à attendre les secours, l’affrontement semblant s’envenimer, elle intervient et sépare deux filles qui se battent au milieu du cercle formé par les autres. Mais, alors qu’elle maîtrise celle qui est armée d’un couteau, elle reçoit une balle dans la poitrine et s’écroule tandis que la jeune fille qu’elle vient de désarmer en reçoit une dans le cou…

Heureusement, Lynn portait un gilet pare-balles, ce qui n’était pas le cas de l’autre victime…

C’est le début d’une intrigue qui mêle les enquêtes et voit s’entrecroiser Resnick et Kellogg. Ils partagent leurs vies, Lynn s’est installée dans la grande maison de Resnick, et leurs enquêtes ne sont jamais loin l’une de l’autre. D’autant que Resnick, qui opérait dans une nouvelle unité de répression des vols, se voit débauché pour enquêter sur le meurtre auquel s’est trouvé mêlée Lynn. Une enquête délicate puisque le père de Kelly Brent, la victime, est particulièrement vindicatif, reprochant notamment à Lynn de s’être servi de sa fille comme d’un bouclier… Dans le même temps, Lynn est préoccupés par une de ces anciennes enquêtes qui doit passer au tribunal. Elle a l’impression d’avoir mis en danger l’un des témoins, une roumaine employée dans un sauna proposant bien plus que des massages. Lorsqu’elle apprend que le procès est reporté du fait de la disparition de l’autre témoin important, Lynn se soucie de plus en plus d’Andreea et de Stuart Daines, un policier venu des douanes et mettant en place une opération destinée à démanteler un vaste réseau de trafic d’armes mais en qui elle n’a aucune confiance…

Resnick de son côté tente de mener l’enquête délicate dont il est chargé…

John Harvey entremêle les enquêtes et revient à son personnage récurrent en resserrant nettement la focale sur Lynn et Charlie, ceux qui avaient pris de plus en plus de poids au fur et à mesure. Lynn est devenue l’égale de Resnick et leur relation est empreinte d’une grande tendresse…

Après avoir chroniqué l’Angleterre de la fin du vingtième siècle au travers des enquêtes de Resnick, Harvey revient vers son inspecteur de la police de Nottingham pour chroniquer cet univers qu’il a créé. Il parcourt les précédents romans de la série au travers des souvenirs de Resnick ; les personnages disparus de la série, partis ailleurs, refont une apparition, juste de la figuration, parfois plus. Une chronique qui sombre dans une immense tristesse, cet univers subissant une violente secousse… Je ne sais pas si cette intrigue touche davantage les fidèles de la série mais elle aura été particulièrement émouvante, touchante, déprimante, pour l’habitué que je suis. J’ai été touché par le rebondissement intervenant au milieu du livre, l’arrivée de Karen Shields dans l’intrigue, celle-là même que nous avions déjà croisé dans le second opus de la trilogie ayant comme personnage central Frank Elder, De cendres et d’os. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun avec ce roman, Resnick se rapprochant imperceptiblement de cet autre flic de Nottingham, comme si c’était à son tour de trinquer, d’en prendre plein la figure… et c’est un Resnick ébranlé que nous suivons puis que nous quittons… ébranlé mais toujours empreint de cette humanité qui le caractérise…

Harvey insuffle dans sa série un peu de ce qu’il avait apporté à son œuvre en s’en éloignant. Il y revient en impliquant beaucoup plus ses personnages dans les intrigues, en ne leur laissant pas la place de simple observateur. Une intrigue toujours teintée de blues et d’une cuisine élaborée, gourmande, sur fond de miaulements de chats… et d’un grand bouleversement. Une intrigue fouillant dans les doutes des uns et des autres, dans leurs certitudes pour mieux les bousculer, nous bousculer…

Avant de revenir une dernière fois à Resnick, Harvey va retrouver les deux policiers qu’il nous avait présenté dans Traquer les ombres en 2007, Grayson et Walker, avec Le deuil et l’oubli. Il y aura ensuite Lignes de fuite et, donc, l’ultime opus de la série Resnick, Ténèbres, ténèbres.

Tim Dorsey, Serge et Lenny écument Miami

En 2004, respectant le rythme annuel de la série, paraît le sixième épisode des aventures de Serge A. Storms, Cadillac Beach. Respectant également la tendance de ce côté-ci de l’Atlantique, il met plus de temps que les précédents à être traduit, sept ans cette fois, toujours sous la plume de Jean Pêcheux, son titre ne changeant pas.

Après la brève évocation d’un audacieux vol de diamants en 1964, nous nous retrouvons dans une limousine avec quatre VRP en vadrouille. Pour conclure leur nuit pleine d’excès, ils ont décidé de faire une mauvaise blague à Dave, un collègue sur le point de débarquer pour le séminaire qui les a cadillac-beach-payot-rivages-2004tous amenés en Floride. Alors que Doug a fini par raccrocher après une conversation avec sa femme à laquelle il a dû mentir, leur voiture s’approche d’un jet privé. Doug, Keith, Rusty et Brad glissent un sac sur la tête de Dave et le balancent de force dans la limousine. Petit souci, alors que la voiture repart, ils découvrent que le type qu’ils ont embarqué n’est pas Dave et qu’il a une arme… Ça se met à dézinguer de partout, dans l’auto et à l’extérieur. Des tireurs embusqués canardent, des 4×4 les prennent en chasse. Seule la dextérité de leur chauffeur leur permet d’échapper aux représailles qui se profilent… Et ça n’est que le prologue !

Puis l’histoire débute et Serge apparaît, d’abord à Tampa en 1996 puis de nos jours… et c’est reparti pour un joyeux maelström de folies.

La vie est un orgasme. C’est bon, mais c’est bref, alors il vaut mieux y prêter attention.

Nous renouons avec le cours de la vie de l’allumé floridien. Alors que les deux précédents opus, Triggerfish Twist et Stingray Shuffle, nous avaient ramenés en arrière, la marche en avant reprend… enfin, tout est relatif. A la suite des deux romans cités, Tim Dorsey semble avoir pris goût aux jeux avec le temps. C’était déjà le cas avec ses prologues qui nous racontaient par anticipation un épisode à venir de l’intrigue. Dans celui-ci, il repart également dans l’autre sens et déroule en parallèle deux moments étroitement liés, l’un entre 1963 et 1964, l’autre, contemporain de sa parution, en 2004. Après la prolepse, l’analepse.

Serge, après la parenthèse amnésique d’Orange Crush, roman précédant chronologiquement celui-ci, est de nouveau flanqué de Lenny. Ils vivent chez la mère de celui-ci et vont retrouver, au cours de rebondissements en série et d’une intrigue aussi échevelée que d’habitude, celles qu’ils ont croisées dans Hammerhead Ranch Motel, la Ville et la Campagne. Le quatuor reconstitué. Sa mémoire retrouvée donne des idées nouvelles à Serge, notamment celle de rentabiliser sa passion pour l’histoire de son état. Il décide de créer une agence proposant des circuits décalés aux touristes désireux de découvrir Miami. Un projet qui peut également lui permettre de mener à bien ses autres objectifs.

… créer ma nouvelle ligne de boissons énergisantes et la tester sur le marché, sauver de l’extinction les souris du marais de Loxahatchee, résoudre le mystère de la mort de mon grand-père, retrouver les diamants volés au cours du plus grand vol de bijoux jamais commis aux Etats-Unis, donner un coup d’arrêt aux activités de la Mafia en Floride du Sud, discréditer Castro sur la scène internationale, aider la Chambre de commerce à restaurer son image, rendre le respect qu’ils méritent à ces hommes et ces femmes qui ont travaillé avec tant de courage pour les services de renseignements américains, faire revenir l’émission Today à Miami pour donner un coup de boost à la fierté et à l’économie locale, vivre mon époque à plein comme Robert Kennedy (si la météo le permet) et accomplir tout cela grâce à mon entreprise fondée sur les principes de la nouvelle économie, du respect de l’environnement, du développement spirituel et de la prise en compte de l’héritage historique. Tout ça par Internet, bien évidemment.

Au fur et à mesure que se déroulent les circuits qu’il propose, un en particulier, les étapes coïncident avec les endroits qui jalonnent l’intrigue de 1963-1964. Une intrigue au centre de laquelle se trouve le grand-père de Serge, Sergio. Un grand-père régulièrement accompagné de son petit-fils, Serge junior.

Et c’est de nouveau l’occasion de découvrir l’histoire de la Floride, cette fois particulièrement celle de Miami. De la visite de Kennedy peu avant son assassinat à celle des Beatles ou de Cassius Clay. Du tournage de Scarface, Raging Bull ou de Goldfinger à celui de l’émission Today ou des séries Miami Vice, Flipper le dauphin ou Les experts : Miami.

Et c’est l’occasion, une nouvelle fois, d’une galerie de personnages savoureux. Une souris baptisée Vonegut ; les acolytes du grand-père, Chi-Chi, Mort, Tommy le Grec ; Lou, une bombe portant la poisse aux hommes dans les bras desquels elle tombe ; Bixby et Miller, agents du FBI ; Mahoney, le détective se croyant dans les années 50, spécialiste de Serge et interné ; des espions en tous genres, pro-Cuba ou pro-USA ; Tony ou Palermo, de la mafia locale ; Mick Dafoe, journaliste sportif ; etc.

Serge multiplie les activités, de tour operator à enquêteur en passant par épistolier actif ou fomenteur d’une opération anti-castriste, sans oublier, bien sûr, sa propension à être là où il ne faut pas et à devenir le centre de l’attention de beaucoup de monde, FBI, CIA, mafia, en n’oubliant pas son penchant pour le meurtre élaboré, à coup de micro-onde ou de peinture dorée (une citation) par exemple, tout en mettant au point son grand plan…

Les mathématiciens ont découvert qu’il y a un ordre dans le chaos. Et moi, j’ai décidé de tabler dessus.

Et son personnage s’enrichit de l’évocation de ses premières années et de ce grand-père à qui il ressemble sur bien des points.

Tim Dorsey tente d’intégrer Serge dans le monde du travail, mais c’est difficile. Le contraire nous eut étonnés ! Il voudrait s’assagir mais ses semblables ne l’entendent pas de cette oreille. Au pays de la libre entreprise et des self-made men, Serge apparaît comme un canard boiteux, trop différent… trop lucide ? Tant pis, de toute façon, on le préfère déjanté !

Toujours au même rythme, l’épisode suivant paraît un an plus tard, Torpedo Juice. Le délai s’accentuant toujours, il ne nous parvient que dix ans après sa parution originale…