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William McIlvanney, le combat de Dan Scoular

Deux ans après Les papiers de Tony Veitch, William McIlvanney quitte momentanément Jack Laidlaw, lui octroyant malgré tout une brève apparition, en publiant The Big Man. Le roman, traduit pas Freddy Michalski, devient Big Man dans la langue de Zola. Il s’agit d’une histoire sans Laidlaw mais constituant un préambule à son apparition suivante.

 

Quatre hommes dans une voiture s’aventurent dans un coin qu’ils ne connaissent pas. Ils sont à la recherche de Thornbank, une banlieue de Graithnock. Après quelques hésitations, ils finissent par parvenir au pub qui leur avait été indiqué, celui où ils espèrent croiser l’objet de leur venue. Matt Mason avant tout, le chef, déjà croisé dans le Glasgow de Laidlaw.

Dans le même temps, Dan Scoular tente de mener sa vie de famille. Auprès de Betty dont il s’éloigne un peu plus chaque jour sans en savoir exactement la raison, un processus inexorable que ni l’un ni l’autre n’a réellement souhaité mais qui est là et bien là. Entre eux, leurs deux garçons avec lesquels il joue avant de se rendre au pub, sa dernière occupation régulière pour lui qui n’a plus de boulot. Dan ne sait pas exactement où il en est et pourquoi il en est là. Il y a juste quelques moments qui s’imposent à lui, ceux qui sont ancrés dans la vie de la ville, de ses semblables. Une ville qui continue à vivre dans l’emprise d’un passé révolu, avec plus d’un laissé sur le carreau.

Quand Dan débarque dans ce lieu habituellement peuplé des mêmes habitués, les nouveaux venus ont déjà fait leur petit effet. Frankie White, quant à lui, est rassuré de le voir, c’est de lui dont il avait parlé à Matt Mason. C’est que Dan possède un talent particulier qui n’est en rien une fierté pour lui mais qui a contribué à son image, celle que les autres ont de lui. Il est capable d’étendre un homme d’un seul coup et c’est ce qu’il fait une nouvelle fois en prenant la défense d’un jeune habitué, étudiant, pris à parti par l’un des quatre venus de loin. Juste un test en fait, pour vérifier ce qu’avait annoncé Frankie White. Convaincu par le résultat, Mason propose à Dan de combattre pour lui lors d’un match à mains nues prévu quelques jours plus tard. L’argent qui va avec et l’insistance de Frankie parviennent à convaincre Dan pourtant dégoûté par ses excès de violence. Mais s’il peut rapporter de l’argent à la maison, les principes perdent de leur importance.

Alors que Frankie le prépare au combat, Dan s’interroge de plus en plus. Il sait que toutes ces bagarres dont il est sorti vainqueur avaient un point commun, sa colère ou son envie d’en découdre. Dans un combat préparé, programmé, il n’est pas sûr de pouvoir être aussi efficace. Il n’est plus très sûr non plus qu’il a bien fait d’accepter. Ses doutes s’amplifient à mesure que le combat approche, alors qu’ils se rendent à Glasgow pour la dernière semaine de préparation intensive.

Jamais il n’avait érigé ses pensées ou ses convictions en système, toujours avec l’intuition que ce serait une tromperie. Jamais il n’avait imposé de cadre cohérent à son existence ; au contraire, il s’était toujours autorisé à s’ouvrir à la vie, à la prendre comme elle venait, changeant de cadre au fur et à mesure, selon l’événement.

 

C’est un homme plein de doutes auquel William McIlvanney attache nos pas. Il multiplie les points de vue dans son entourage pour nous dépeindre la réalité de cette société de la fin des années soixante-dix, en pleine mutation, ayant abandonné toutes les certitudes de ses aînés. On s’enfonce un peu plus, à chaque mot, à chaque ligne, dans l’esprit de Dan, un esprit où les doutes s’intensifient, prennent de l’ampleur. Où la vision de la société, de son évolution, s’assombrit davantage à chaque pas. Passée d’une solidarité évidente à un individualisme égoïste.

A quoi faire confiance aujourd’hui ? Impossible de faire vaguement confiance à l’avenir historique auquel ses parents avaient cru. Il était aujourd’hui advenu en partie, méconnaissable, comparé à ce qui en avait été prédit. Des conditions matérielles meilleures n’avaient pas créé de solidarité, mais une fragmentation plus grande. Les parvenus de la classe ouvrière étaient au moins aussi égoïstes que tous les autres. Impossible de voter travailliste en toute simplicité, avec l’espoir confiant que le socialisme allait triompher. L’innocence des convictions originelles de ses parents dans la pureté du socialisme ne pouvait pas se transposer à l’époque qui avait suivi l’exercice du pouvoir par le socialisme, tout spasmodique qu’il eût été. Dans le pouvoir, le socialisme avait eu bien du mal à se reconnaître : l’expérience avait été sa névrose, et il avait oublié qu’il n’avait jamais été une politique au même titre que les autres, mais une politique née d’une foi fondée sur l’expérience. La foi perdue, cette foi si justement gagnée grâce aux vies de générations d’individus, et le socialisme n’étaient plus que des mots, et les mots pouvaient se plier à l’infini. Impossible de faire confiance à la nouvelle génération de ceux qui avaient jadis été la source à laquelle le socialisme avait réaffirmé sa foi. De tous côtés, ils concluaient des accords privés avec le matérialisme de leur société, en des termes qui n’incluaient pas la moindre clause, le moindre garde-fou, afin de protéger ceux d’entre eux qui auraient pu être moins chanceux.

Dan Scoular apparaît de plus en plus fasciné par ce qui lui arrive, de plus en plus sidéré, incapable de tirer des conclusions de toutes ses réflexions, de toutes ses observations. Lui dont l’image n’existait jusqu’ici qu’à travers le regard des autres doit apprendre qui il est vraiment et ne plus se contenter de ce que les autres pensent de lui.

Chaque personnage prend de l’épaisseur à mesure que Dan avance, les motivations de chacun gagnent en netteté. Et l’intensité augmente à l’approche du combat qui se déroulera dans un terrain impropre à toute culture près d’une ferme à l’extérieur de Glasgow.

 

McIlvanney parvient à nous rendre intelligible les questionnements de chacun, à nous les rendre proches, l’époque qu’il nous décrit n’étant après tout pas si étrangère à la nôtre, juste une étape la précédant.

Dan, en confrontant ses convictions à ce qui lui arrive, apparaît profondément humain, héritier d’une éducation dont il n’avait pas perçu jusque là toute la portée et finissant par s’y attacher de manière particulièrement profonde.

Le déclic est ce match, l’affrontement semblant paradoxalement l’obliger à choisir une position alors qu’il est déjà embarqué dedans.

 

Six ans plus tard, McIlvanney achève son retour vers Graithnock avec la dernière apparition d’un Laidlaw se lançant sur les traces de son frère, Scott, dont Big Man nous a appris l’existence. Ce sera Etranges loyautés.

5 réflexions sur “William McIlvanney, le combat de Dan Scoular

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  2. « S’ouvrir à la vie, la prendre comme elle vient, changer de cadre au fur et à mesure, selon l’événement »? Ce pourrait être l’ébauche d’une méthode qui nous permettrait d’affronter les surprises que nous réserve sans doute l’année qui vient… nous avons cependant encore quelques jours pour tester la technique traditionnelle (même si les résultats n’en sont pas garantis); faisons des vœux! Je vous souhaite, cher Jérôme, une excellente année et de passionnantes lectures!

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