En 2011 paraît le premier roman de Séverine Chevalier, Recluses. Après ceux d’Eric Maneval et de Fred Gevart, c’est le troisième à être édité par les toutes jeunes Editions Ecorce, fondées par Cyril Herry, dans la collection Noir.
Un supermarché tout ce qu’il y a de plus classique, avec son rayon poissonnerie, son rayon boucherie, sa boulangerie. Une femme et une fille en arpentent les allées. La femme avec son enfant dans le caddie, la fille avec un panier rouge à la main, vide. Un supermarché tout ce qu’il y a de plus classique avec une femme qui parcours les rayons pour entasser les marchandises dans ses bras, son caddie avec son fils dedans laissé au coin des fromages et des produits laitiers, une fille en robe jaune s’approche et fouille sous sa veste… et c’est l’explosion.
Sous la canicule, la femme tente de continuer à vivre. Nous sommes un mois après l’attentat. Elle décide d’essayer de comprendre ce qui a motivé la jeune fille en jaune en suivant sa piste, en couchant sur le papier son enquête.
Nous la suivons pas à pas alors qu’elle se lance sur la piste de cette Zora Korps dont nous apprenons le nom en même temps qu’elle. De l’école de management où elle étudiait à l’appartement qu’elle partageait avec son père. Elle s’implique dans sa quête.
Puis, quand il s’agit de sortir de Lyon, d’aller voir ailleurs, là où elle passait ses vacances, par exemple, Suzanne embarque sa sœur, Zia. Une sœur lourdement handicapée qu’elle n’a plus vue depuis longtemps. Elles partent tout d’abord en Camargue puis poursuivent leur chemin, au gré des informations glanées ou de l’instinct de Suzanne. A la recherche de la vérité, s’il y en a une.
Nous suivons d’abord Suzanne et son point de vue puis ceux-ci alternent. Passant de celui de Zia à celui du psychiatre qui a suivi Suzanne en prison, à la suite des événements qui nous sont racontés et que nous découvrons. Le docteur Harold Saw a écrit un rapport qu’il envoie à Zia pour qu’il lui soit lu. Huit ans après.
C’est une narration linéaire puis éclatée mais ce qui prédomine reste chronologique, l’errance des deux sœurs, les pensées de Zia. Avec, donc, quelques bonds en avant au gré des passages du rapport du psychiatre. Les deux sœurs errent et s’enfoncent dans un paysage qui n’est plus urbain, de plus en plus isolé, d’une maison inhabitée à un camping désert, un hangar puis une maison au bout d’un chemin. Le temps passe de la canicule au déluge…
Séverine Chevalier, en même temps qu’elle nous balade d’un endroit à un autre, explore les coins et les recoins de son histoire, les coins et les recoins d’une narration faite de répétitions, de descriptions aux détails changeants, d’accès de violence et de moments d’une intime douceur. Avec des personnages en marge, tentant de s’accommoder d’un monde qui ne leur convient pourtant pas. Ses phrases sont simples, directes, la ponctuation riche, avec une économie de mots.
Nous nous laissons emporter par une intrigue aux multiples entrées, aux multiples facettes et ce style prenant qui nous introduit dans un univers original où les choses ne s’expliquent pas, ou difficilement, où les personnages ne parviennent pas à comprendre ce qui les entraîne.
“… nous ne connaissons rien de la plupart de nos actes, […] nous ne savons strictement rien des objets qui nous meuvent…”
C’est un premier roman particulièrement réussi, le livre d’une romancière qui a aussi sans doute beaucoup lu. Un premier roman qui nous rend impatient d’ouvrir le deuxième, tant l’univers et le style que nous avons découvert est original, singulier. Il arrive trois ans plus tard, dans une nouvelle collection des éditions Ecorce, Territori, et s’intitule Clouer l’Ouest.