En 1948, Léo Malet publie sous son nom, après La vie est dégueulasse et Le cinquième procédé, un troisième roman, Le dernier train d’Austerlitz. Il s’éloigne pour un temps de son détective vedette pour nous offrir une récréation autour des rapports d’un romancier avec son héro, entre autre.
1938, Jean Refreger est à la morgue pour reconnaître un corps. Même s’il n’en reste plus que le tronc, il identifie formellement la victime, Karl Verden, mais le juge chargé du dossier a également vu une autre personne l’ayant identifié comme quelqu’un d’autre. Le dossier semble dans une impasse et devant la réaction de Refreger, le magistrat lui conseille s’il tient vraiment à la vérité de mener lui-même l’enquête.
Quelques années plus tard, Refreger est en plein travail, l’écriture de son nouveau roman. Comme d’habitude, il en connaît déjà le titre, La Triple énigme d’Auteuil, mais découvre l’intrigue au fur et à mesure qu’il avance même s’il sait et s’est noté quelques éléments qu’il y intégrera. Tout cela est interrompu par l’arrivée d’une lettre de sa femme partie du côté du Loir-et-Cher, leur fils est malade et en ces temps de guerre finissante, nous sommes début août 1944, il est difficile de trouver des médicaments. Refreger décide de les acheter lui-même, mais il constate très vite que les envoyer sera délicat, la poste ne fonctionnant plus sereinement avec l’avancée des alliés et la débandade allemande. Il se résous à les amener lui-même. Pour cela, il lui faut d’abord taper quelques connaissances afin d’obtenir de quoi se payer le billet de train.
Renonçant au billet donné par Suzanne Bertin après que la conversation se soit transformée en dispute, il obtient un peu de Marcel Lepain à qui il doit pourtant déjà pas mal puis s’en va négocier avec son éditeur et parvient à prendre le dernier train au départ d’Austerltitz. Une fois installé, il nous apprend, puisque c’est lui le narrateur, qu’il a également voulu récupérer l’argent que lui devait Baratet mais qu’arrivé chez lui, c’est son cadavre qu’il a découvert. Poignardé dans le dos. Son périple en train, dans cette période troublée, ne se déroulant pas aussi paisiblement qu’en d’autres temps, quand le service public signifiait encore quelque chose, sans lien avec le bénéfice ou la rentabilité, détaché du capital, Refreger doit dormir dans une gare, cherchant le coin le plus calme, il tombe nez à nez, pour ainsi dire, avec le cadavre de Suzanne Bertin, tuée de plusieurs balles dans le dos, un tableau roulé à la main. Œuvre qui ressemble étonnamment à du Renoir.
De retour à Paris après quelques jours et dans l’ambiance de la libération, Refreger se voit proposer par son éditeur de mener l’enquête sur les assassinats qu’il a découverts. Ça pourrait faire un bouquin particulièrement intéressant. Etant donné l’avance qu’il lui propose, le romancier ne peut pas dire non… et c’est parti pour une aventure pleine de rebondissements, elle n’en manquait déjà pas, menée tambour battant, dans ce style vif qui est celui de Malet. On croise de faux-FFI, des trafiquants du marché noir, des flics qui ont été résistants, d’autres qui ont tenu la baraque, la Tour Pointue, en attendant des jours meilleurs, l’un d’entre eux dénommé Jules Magrenotte, presque l’homonyme d’un commissaire célèbre.
Malet s’amuse avec une intrigue qui pourrait être légère si elle ne prenait pas place à cette époque charnière, douloureuse. L’auteur en profite pour décrire une société en plein flou, déstabilisée, cherchant un nouvel équilibre après des années destructrices et délétères.
Malet joue avec l’époque pour construire une intrigue somme toute classique, se coltinant avec les travers inavouables de son époque.
Un roman curieux… dans lequel il s’amuse aussi de son image, celle d’un auteur se prenant tout à coup pour le personnage qu’il a créé, Bill Lantelme en l’occurrence, avatar improbable d’un Nestor Burma. Il s’amuse aussi de lui-même en donnant comme patronyme à son personnage central celui de l’un des pseudos sous lesquels il écrit encore à l’époque des romans qu’il ne veut pas signer Léo Malet. Patronyme quasiment identique, à une syllabe près, de celui du personnage central du premier volet de sa “trilogie noire”, La vie est dégueulasse.
Roman curieux qui se lit facilement, rapidement, et permet de passer un moment agréable, divertissant.
L’année suivante, Malet renoue avec Burma et Gros plan du macchabée puis s’en éloigne le temps d’un roman, Le soleil n’est pas pour nous, deuxième opus de sa trilogie noire, avant d’y revenir avec Les paletots sans manches.