Dorothy B. Hughes quelque part sur la Toile

Avant de parcourir l’œuvre de Dorothy B. Hughes et comme pour tou·te·s les auteur·e·s dont je parle sur le site, je me suis d’abord intéressé, en guise d’introduction, à la présence de la romancière en ligne.

En ce qui concerne la partie francophone, le tour est assez vite fait. En dehors des chroniques concernant la réédition de son livre majeur, Un homme dans la brume d’abord titré Tuer ma solitude, pas grand-chose à se mettre sous les yeux. A l’exception d’un article dans l’incontournable encyclopédie collaborative, difficile de dénicher un texte généraliste sur cette romancière qui a pourtant marqué les premières décennies du roman noir. Pour les lecteurs francophones, il ne reste plus qu’à s’échapper de la Toile et lire l’entrée qui lui est consacrée dans le Dictionnaire des Littératures Policières ou de fouiller dans les greniers ou bibliothèques pour parcourir l’entretien qu’elle avait accordé à la revue Polar en 1983 dans son numéro 27, le sixième de la nouvelle formule. Et c’est à peu près tout… ou il faut maîtriser la langue de Joyce Carol Oates.
En allant voir du côté anglo-saxon, on trouve, en effet, un peu plus de lecture pour se familiariser avec cette auteure. Tout d’abord sur le site de Sarah Weinman, Women Crime Writers, une page lui est consacrée. Une analyse plus fouillée nous est proposée sur Crime Reads par Dwyer Murphy, il y met en avant l’un de sentiments principaux qui parcourt les œuvres de la romancière, l’effroi. La postface que l’on peut lire dans la dernière édition d’Un homme dans la brume est également accessible dans sa version originale sur the Paris Review. Enfin, Sarah Weinman s’est fendue d’un article beaucoup plus développé que la présentation évoquée plus haut, c’était pour le Los Angeles Review of Books.
Avec ces quatre articles en anglais, une approche intéressante de l’œuvre de Dorothy B. Hughes est possible.

Dans les prochaines semaines, je vais m’atteler, à mon tour, à vous faire découvrir l’écrivaine en partageant avec vous mes impressions de lecture. Une romancière dont je n’avais pas entendu parler avant de me pencher sur le sujet des auteures de polar pour une série d’articles dans l’excellent noir magazine L’Indic (et je ne dis pas ça parce que j’y contribue un peu) et dénicher son nom dans les études que Benoït Tadié a consacré au roman noir.

Duane Swierczynski, enquête sur trois générations de Walczak

Le dixième roman de Duane Swerczynski paraît en 2016, deux ans après le précédent, Canari. Il s’intitule Revolver et son titre ne change pas en traversant l’Atlantique, quatre ans plus tard, sous la plume traductrice de Sophie Aslanides.

Stan Walczak et George W. Wildey se désaltèrent en cette chaude après-midi du 7 mai 1965. Ils sont dans un bar qui fait le coin de Fairmount et de la 17ème rue à Philadelphie. Leur indic est en retard alors, pour patienter, George glisse quelques quarters dans le juke-box. Tandis que les chansons défilent, les deux flics échangent sur leur famille, le prochain match des Phillies ou les groupes que leurs fils apprécient, puis Revolver (Payot & Rivages, 2015)rient à l’écoute de la deuxième chanson programmée. Une polka d’un groupe de North Philly d’origine polonaise, comme Stan. Quand un homme entre dans le bar, revolver à la main, leur humeur change.
Le 7 mai 1995, l’inspecteur Jim Walczak amène Cary, son fils, au coin de Fairmount et de la 17ème pour déposer un bouquet et boire une bière, une Schmidt’s, à la santé de son père et de son équipier, tombés sous les balles trente ans plus tôt.
Le 7 mai 2015, Audrey Kornbluth assiste à l’inauguration d’une plaque en mémoire de Stan Walczak, son grand-père, et de George Wildey. Elle a vingt-cinq ans, revient à Philadelphie pour la première fois depuis longtemps et croise sans réel plaisir le reste de sa famille. Ses études en criminologie la tiennent loin de là, à Houston. Un choix personnel pour couper les ponts.

Swierczynski nous mène à la suite de trois générations autour d’une même affaire, celle qui a entraîné l’assassinat de Stan et George en 1965. Pour ces eux-là, il refait le parcours qui les a amenés dans ce bar le jour fatal. Pour Jim en 1995, c’est une enquête sur un meurtre précédé d’un viol et la sortie du meurtrier de son père qui l’occupent. Quant à Audrey, ce sont les études qu’elle peine à poursuivre et certaines questions qui la préoccupent concernant le meurtre de Stan et George qui la poussent à choisir de mener l’enquête cinquante ans plus tard pour les besoins d’un devoir universitaire.
En 1965, des émeutes ont lieu et Stan voit son équipier habituel blessé alors qu’un autre flic, un noir, leur avait été adjoint, George Wildey. Le duo se forme et commence à essayer de remuer quelques histoires sombres de la ville. Jim, de son côté, mène son enquête consciencieusement tout en filant le meurtrier de son père. Audrey, hostile à se famille, s’accordant difficilement avec les épouses de ses frères, devenus tous les deux flics, s’attaque à l’enquête comme pour appliquer ce qu’elle a appris et découvre très vite des contradictions entre la version officielle et ses propres constats.
Le romancier avait déjà exploré le passé de sa ville dans Date limite, ainsi que les différentes générations d’une même famille et un mystère originel. Il avait continué à mêler différentes générations à son intrigue dans Canari.
Dans cette nouvelle fiction et, comme évolution marquante du romancier, on peut constater que l’humour n’est plus à chaque coin de page ou de réflexion, seule Audrey fait preuve d’une causticité singulièrement développée. Le dézinguage, les saillies ravageuses ne sont plus de mise. Une évolution que l’on se prend parfois à regretter. On est dans un plus grand classicisme, l’Histoire ne se prêtant visiblement pas à un tel traitement.
C’est un roman agréable que nous propose, malgré tout, le romancier. L’un de ces romans basés sur des événements prenant place à différentes époques comme on en lit parfois dans la littérature états-unienne. Un passage obligé pour certains écrivains du genre, à l’image d’Ellroy ou de Lehane. On tourne les pages avec plaisir, chaque génération ayant sa part de secrets à révéler.

L’évolution constatée ici, ainsi que les remerciements, constituent une raison supplémentaire à l’attente du prochain opus de l’auteur. Quelle empreinte personnelle Duane Swierczynski va-t-il mettre à son incursion dans cette tendance déjà explorée par quelques prédécesseurs ?