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Dorothy B. Hugues, Griselda, les frères Montefierrow et une bille bleue

En 1940 paraît le premier roman signé Dorothy B. Hugues, neuf ans après la sortie d’un recueil de poèmes. Il s’intitule The So Blue Marble et est publié par un éditeur New Yorkais, Duell. Sept ans plus tard, il est traduit par Jean Benoît pour paraître dans la collection « Detective Club » des éditions suisses Ditis sous le titre La boule bleue.

Alors qu’elle regagne l’appartement qu’elle occupe durant son séjour à New York, Griselda est accostée par deux jeunes hommes bien mis juste à l’entrée de son immeuble. Ils semblent la connaître quand elle n’a aucune idée de qui ils peuvent être. Ils ne se La Boule bleue (Deux Mondes, 1940)présentent que par leur prénom, David et Danny, et se ressemblent comme deux gouttes d’eau si ce n’était leur chevelure, l’un est aussi blond que l’autre est brun. Haut de forme, canne et frac, ils sont habillés comme au sortir d’une soirée mondaine. Malgré ses réticences, elle n’a d’autre choix que de les laisser monter avec elle, leurs cannes ont quelque chose d’inquiétant. Ils sont à la recherche d’une boule bleue et Ron (Con dans la version originale), l’ex-mari de Griselda, propriétaire de l’appartement qu’elle occupe, en est, d’après eux, le possesseur. Heureusement, Gig, voisin et ami de Ron, pointe le bout de son nez… Les jumeaux s’esquivent. Mais ils sont tenaces.
Ce n’est que le début d’une intrigue tendue. Griselda se trouve emportée dans une aventure sur laquelle elle n’a aucune prise. Elle subit et les événements qui s’enchaînent sont de plus en plus inquiétants, s’enfonçant dans le crime un peu plus à chaque fois. Elle est témoin des exactions provoquées par l’attrait de cette boule bleue et n’envisage rien d’autre qu’accepter les événements. Ses sœurs se retrouvent également impliquées, d’un côté et de l’autre, au même titre que cette classe qu’elle côtoie habituellement, acteurs, banquiers, journalistes, producteurs.
C’est une histoire glaçante, prenante, que nous lisons en nous demandant jusqu’où tout cela ira. La police, en la personne de l’inspecteur Tobin et du sergent Moore, finit par glisser son nez dans l’affaire mais celle-ci est bien délicate et nécessite de prendre des gants pour ne pas commettre d’impair, d’où une certaine lenteur et l’impression renforcée que Griselda n’a d’autre alternative que subir. D’autant qu’elle est obnubilée par l’idée de n’entraîner personne dans sa lente descente.

Avec ce premier roman, Dorothy B. Hughes introduit dans la haute société new yorkaise les mœurs que l’on ne prête qu’au crime organisé. L’envie de pouvoir et de domination n’épargne pas les hautes sphères, au contraire, c’est même ce qui la caractérise. Cette envie peut mener particulièrement loin. Et la sensibilité humaine est cruellement absente. Pas de sentiment quand il s’agit de l’appât du gain. Les seuls qui en éprouvent deviennent des victimes ou, au mieux, sont abusés.
Le McGuffin cher à Hitchcock prend ici la forme d’une bille bleue, un artefact qui renferme un secret pour dominer la terre et ses habitants, et permet à la romancière de décrire sous un jour particulièrement sombre et inquiétant une micro-société que l’on devrait envier ou admirer. Griselda y évolue sans bien comprendre, elle connaît les codes mais tout lui échappe. Elle perd le contrôle et se trouve spectatrice forcée, comme dans un cauchemar, dans un monde qu’elle ne reconnaît qu’à peine. Elle sait ce qui se passe, est complètement effrayée par le peu de considération que les jumeaux et sa jeune sœur portent aux autres et à leur vie, tout en étant des membres à part entière, bien installés, reconnus, recherchés, du microcosme qui est également le sien. Elle est comme en état de léthargie, sans prise sur sa propre volonté, doutant de tout et de tous. Le roman noir étend son champ d’action, s’étend à l’ensemble des strates qui constituent l’organisation humaine. La beauté et le mal font bon ménage, fascinent, séduisent.
Le style est efficace, simple, ciselé. Il l’est d’autant plus que son éditeur a obligé la romancière à élaguer une bonne part de son manuscrit, peut-être pour en éliminer certaines scories, peut-être pour n’en garder que le cœur et s’épargner d’éventuelles digressions inutiles.

Après cette première incursion plutôt plaisante, on se dit que lire Dorothy Belle Hughes est une bonne idée. On est curieux de savoir comment peut évoluer cette œuvre dont le ton s’annonce singulier.
Les policiers croisés dans ce premier roman apparaissent également dans le deuxième, L’Ours a fait un testament, qui paraît quelques mois plus tard. Quant à Griselda, il faudra attendre le troisième, La Blonde du Bar Bambou, pour la voir réapparaître.

3 réflexions sur “Dorothy B. Hugues, Griselda, les frères Montefierrow et une bille bleue

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