Andrée A. Michaud, Robert Moreau et Jeff au bord d’un lac

En 2006, deux ans après Le Pendu de Trempes, paraît Mirror Lake. Il est, comme le précédent, édité par les éditions Québec Amérique. C’est le premier opus de ce que l’auteure appelle sa trilogie états-unienne.

En exergue, une citation de Thoreau nous prévient :

Aussi longtemps que les hommes croiront à l’infini, on croira que quelques étangs sont sans fond.

Robert Moreau se souvient de ce projet, optimiste, qui était le sien quand il s’est installé sur les rives de Mirror Lake. Il avait trouvé cet endroit idéal dans le Maine, loin des hommes. Son chalet était isolé, seul un autre chalet lui faisait face, de l’autre côté de l’eau calme entourée de montagnes. Son chien, Jeff, et lui allaient pouvoir vivre sans plus avoir à subir les autres.
Avant de nous raconter son installation et la découverte de la vanité de son projet, il constate qu’il ne se regarde plus dans l’eau du lac, dont le nom provient pourtant du fait qu’il a la réputation de vous renvoyer votre image, de vous confronter à vous-même et de vous faire découvrir qui vous êtes.
A son arrivée, coupant les ponts avec le Québec où il avait toujours vécu, il avait cru avoir déniché l’endroit idyllique. Quelques minutes, il avait même pensé vivre enfin loin des hommes et de leur propension à tout gâcher, détruire, pourrir. Mais son voisin d’en face avait tiré sa barque dans l’eau pour venir le voir, lui souhaiter la bienvenue et lui offrir quelques petits cadeaux.

Mirror Lake ne se trouvait malheureusement pas assez loin. Au lieu de m’accorder cette paix de l’âme et de l’esprit n’existant que dans la naïveté de l’espoir, il se chargea de me révéler peu à peu ma sottise, et si je crois encore qu’il existe des hommes qui peuvent habiter un lieu sans l’avilir, je ne crois pas que cela soit vrai des paradis.

D’emblée Robert a éprouvé de l’antipathie pour ce Bob Winslow qui s’imposait comme ça sans tenir compte de ses envies… Mais, on ne choisit pas ses voisins et, outre le fait que celui-ci avait quelque choses de lui-même, il a eu tendance à s’imposer, s’incruster. Faisant s’envoler les rêves de Moreau dans ce paysage de rêve sur fond des musiques qu’il aime, Ry Cooder, Brel, Arvo Pärt, …
Au détour d’une discussion, il découvre même que Winslow a les mêmes goûts littéraires que lui, King, régional de l’étape, et portant aux nues Cornell Woolrich alias William Irish, ce qui a le don d’ajouter à son antipathie. Mais, à force d’échanges autour d’une bière ou d’un whisky, entre anglais et français, il finit par éprouver de la sympathie pour cet homme de sa génération, un semblable anglophone, qui est allé jusqu’à acheter un chien comme le sien. Bill et Jeff s’entendent aussi bien que leurs maîtres finissent par le faire. Winslow, en plus de Stephen King, lui a offert le roman d’un autre écrivain du coin, Victor Morgan.
Un jour, un homme est aperçu par Winslow, prenant la barque de Moreau, il chavire et se noie. La police débarque en la personne d’un inspecteur ressemblant furieusement à Tim Robbins, à tel point que Moreau décide de l’appeler ainsi. Le noyé reste introuvable mais Robbins vient d’entrer dans l’hsitoire. Au même titre qu’une prostituée prénommée Lola, pour les clients, mais que Moreau rebaptise Anita Swanson, en référence aux deux actrices auxquelles elle lui fait penser…

C’est un roman qui part dans tous les sens. La fiction s’invite à chaque instant dans la vie de Moreau. Ses lectures, les films qu’il a vus, constituent des filtres à travers lesquels il perçoit sa vie et celle des autres. Et, comme en plus, le bouquin qu’il découvre, The Maine Attraction, commence à parasiter sa vie, il ne sait plus très bien où il en est.
Truffé de pensées liées à ce qu’il voit, à ce qu’il a lu, ce qu’il a vu et ce qui lui passe par la tête, car il lui en passe par la tête, Moreau digresse et digresse encore. Il dérive au gré de ses pensées et nous emporte dans un humour incessant, grinçant, désabusé. On sourit et on rit.

Si j’avais vécu dans un autre siècle, j’aurais écrit des lettres larmoyantes dans lesquelles j’aurais gémi à propose des tourments qu’apporte à l’homme orgueilleux son insensé désir de retrouver une pureté originelle dont sa vanité est indigne. Ça m’aurait soulagé de me lamenter dans un style qui n’était pas le mien et de savoir que quelqu’un , outre-mer ou frontière, attendait l’enveloppe flétrie où se consumait ma peine. Mais j’étais né à la mauvaise époque, celle des messages codés, laconiques, expéditifs et bourrés de fautes qui voyageaient à la vitesse de l’éclair, sans laisser le temps au désir de se morfondre.

Il y avait jusqu’ici du Duras dans ses romans, ou Michaud s’en réclamait, j’ai trouvé cette fois de forts relents de Djian mais pas seulement. Les personnages et les situations se multiplient pour notre plus grand plaisir, les morts refont surface, les livres deviennent réalité et les films ou les romans sont les références sur lesquelles s’appuyer. Les animaux sont de véritables personnages et l’eau occupe toujours une place importante dans l’univers de la romancière comme un endroit où l’on pourrait se retrouver.

Je respirais enfin, rien de moins, trois pieds sous la surface, porté par cette masse sombre et liquide que j’avais toujours considérée comme l’élément d’entre les éléments, libérateur et purificateur, qui assure votre joie autant que votre rédemption.

Andrée A. Michaud ne nous avait pas habitué à ça. Ce livre ne dépare pas dans la liste de ses romans, il adopte un ton que nous ne connaissions pas à son auteure même si Le Pendu de Trempes frôlait parfois l’humour dans les digressions de la pensée de son personnage central. Cette fois, c’est résolument que l’écrivaine le fait. Et, encore une fois pour notre plus grand plaisir, réchauffant nos zygomatiques.

Dans la version de poche (je ne sais pas si cela existait déjà dans l’édition originale), nous avons droit a des annexes qui prolongent l’agréable moment. Des scènes coupées à l’imprimerie, des témoignages d’écriture, comme il existe des commentaires pour les films.

Difficile à trouver de ce côté-ci du globe, moins que certains sur lesquels j’aimerais mettre la main, un peu plus à chaque fois que je referme l’un des bouquins de l’écrivaine, ce roman est à lire. Un vrai roman noir plein d’humour, avec quelques morceaux de fantastiques, Maine oblige.

Le roman suivant de la romancière, deuxième opus de sa trilogie états-unienne, paraît trois ans plus tard et il est le premier à avoir une édition française en plus de la canadienne. Il s’intitule Lazy Bird.

Andrée A. Michaud, retour à Trempes

En 2004, dix-sept ans après le premier, La Femme de Sath, et trois ans après le précédent, Le Ravissement, bien difficile à trouver de ce côté-ci du globe, paraît le sixième roman d’Andrée A. Michaud, Le Pendu de Trempes. Pour l’occasion c’est un retour à l’éditeur de son premier livre, les Editions Québec Amérique, ce qui explique peut-être la plus grande facilité à se le procurer pour nous Européens.

Un animal au sommet d’une colline veille sur un village en contrebas. Il ne sait pas pourquoi il le fait mais cette mission lui semble assignée. Alors qu’il observe encore et toujours ces maisons comme pétrifiées, il aperçoit un homme arrivant au volant d’une voiture. Il s’arrête d’abord au bord d’un lac puis reprend sa route jusqu’à la rivière. L’animal comprend alors qu’il doit descendre pour le guider.
Après ce prologue, le narrateur prend la parole. Ou la plume. Depuis soixante-douze heures à Trempes, après vingt-cinq ans d’absence, il mesure les heures grâce à l’ombre du pendu, dans la clairière où il est venu retrouver ses souvenirs. Il est arrivé trop tard de quelques heures, Paul Faber s’est pendu juste avant son retour. Peut-être le narrateur aurait-il pu l’en empêcher s’il avait pu le voir juste avant qu’il mette à exécution son projet. Mais Paul Faber est là, au bout de la corde. Le narrateur décide de ne le dire à personne, venu retrouver le village de son enfance et quelques vérités sur lui et cette époque, il entame une introspection, aidé par cet ami pendu et la faune et la flore de cette forêt qu’il a autrefois parcourue.
Faber était comme un frère et pourtant, il ne l’a plus revu depuis son départ de Trempes. Imprégné de questionnements sur la foi et la religion, il le sait devenu prêtre du village. Il l’a découvert grâce aux corneilles qui volaient au-dessus de lui, en cercle. Et d’un coyote qu’il a trouvé là, une patte en moins, sûrement rongée pour se sortir d’un piège.
Au milieu de cette nature et de ce village presque oublié, la folie guette.

je m’interroge seulement sur le prix de la vie au regard de son poids

Le narrateur est venu à Trempes pour retrouver son passé. Le comprendre, en cerner les incidences sur sa vie depuis. Il était inséparable de Paul Faber et, du jour au lendemain, ils se sont trouvés séparés. De puis, le narrateur, qui finira par avoir un nom, n’a plus voulu s’attacher, éprouver de sentiments. Ou n’a plus su le faire.
Dans une langue riche et précise, Andrée A. Michaud développe son histoire. Chaque phrase est en équilibre, oscillant entre l’affirmation et le questionnement, entre le doute et la certitude, passant du constat à son analyse et une prise de distance teintée d’ironie.
La faune est bien présente, les oiseaux, naturalisés par un habitant du village qui accepte d’héberger l’homme de retour à Trempes, le ou les coyotes protégeant la forêt. La clairière abrite certains souvenirs. L’amitié passée refait surface, entre Paul et le narrateur, leur passion commune pour une fille, Anna. Dans cette forêt, traversée par la rivière des arbres morts, certains événements se sont produits, qu’il faut affronter. Dans toute leur violence, leur tragique.
Proche de la recherche de la mémoire de son premier roman, la romancière s’appuie cette fois sur celui qui détient ces souvenirs et qui doit les faire émerger. Celui qui doit les accepter pour les faire véritablement siens alors qu’il les a jusqu’ici maintenus au dehors. Cela suffisait-il vraiment à l’en préserver ?

Nous nous racontons nos histoires en scrutant l’horizon, comme si nous y cherchions de quoi apaiser le souvenir de nos drames, ou en regardant les branchages amassés sur le sable, les dessins qu’ils y forment, impuissants devant l’infini de l’horizon.

On trouve dans ce roman ce qui avait fait tout l’intérêt de la découverte de son auteure. Ce style qui se développe cette fois autour d’un seul point de vue. Dans un premier temps. Ce flou, ce doute, qui peuvent préserver ou détruire.
Les souvenirs sont une nouvelle fois le siège d’une incertitude engendrant l’appréhension, de l’interprétation et d’une réinvention permanente selon l’heure, l’humeur et la progression de la pensée du narrateur.
Ce que l’on voit n’est jamais certain, sans cesse réinventé par l’esprit.

C’était cela, la réalité, une dimension où la conformité de l’objet au modèle idéal n’existait pas, une forme de chaos, où l’imperfection luttait pour sa survie.

En deux parties encadrées par un prologue et un épilogue, le tout complété, en début de chapitre, de citations d’autres auteurs, Pascal Quignard ou Fred Vargas, par exemple, ou certains que nous ne connaissons pas, Anthony Hyde ou Chet Raymo, c’est un roman dérangeant, pour lequel il faut accepter de ne rien savoir avec précision et certitude. La vérité ne peut s’offrir d’emblée. Si jamais elle peut, à un moment, apparaître.

Deux ans après ce roman paraît le suivant, Mirror Lake.

Andrée A. Michaud, un homme et une femme à Sath et leur souvenir dans un cahier

Le premier roman d’Andrée A. Michaud paraît en 1987 au Canada. Il s’intitule La Fille de Sath et n’est pas édité de ce côté-ci de l’Atlantique mais peut facilement être trouvé, grâce notamment à sa réédition en 2012 dans une version revue et corrigée par l’auteur. C’est celle que j’ai lue.

Deux femmes et un homme descendent un soir du train qui dessert chaque semaine la gare de Sath. Ils sont ensuite aperçus ici et là, principalement aux abords de la plage ou de l’hôtel donnant sur celle-ci. Leur histoire perd de sa netteté au fur et à mesure. Y avait-il bien deux femmes ou une seule ? Quels étaient les liens entre eux ? Pourquoi ont-ils débarqué là, qu’y ont-ils fait ?
Il y a un soir plus marquant que les autres, autour du feu que les jeunes allument sur la plage durant la période estivale. On n’est pas sûr qu’ils se soient parlé. L’une des femmes était souvent aperçue à la fenêtre de sa chambre d’hôtel, attendant, comme l’homme, la nuit pour sortir. Et puis, ils sont sûrement repartis, sans que l’on sache vraiment quand.
C’est une histoire consignée dans un cahier qui nous raconte tout ça. Datée de 1939, elle parvient à une femme, la narratrice, en 1963, déposée devant sa porte.
Après l’avoir lue, des questions se posent à elle, auxquelles elle aimerait trouver des réponses.
Mais Sath n’existe plus. Elle formait un triangle avec deux autres villes, Noth et Euth, qui elles sont réapparues après le ras-de-marée qui avait tout emporté.
Quelques personnes subsistent de cette époque que la narratrice rencontre et dont elle nous livre les témoignages.

C’est une histoire et une atmosphère singulières qui règnent sur ce livre. Deux femmes et un homme dont on ne sait rien déambulent dans une ville sous les regards des habitants sans que rien ne soit clair. On doute même de leur présence, de leur nombre.
Les souvenirs sont flous et, en voulant les éclaircir, la narratrice se passionne, se perd un peu.
Les témoignages et les points de vue qu’elle accumule finissent par apporter un éclairage, par nous permettre de nous forger notre vérité sur ce qui s’est passé. Une vérité, peut-être différente pour chaque lecteur, qui peut avoir à voir avec nos propres expériences, notre propre histoire.

Avec ce premier roman, Andrée A. Michaud mène une enquête qui ne peut aboutir vraiment. Les souvenirs des uns et des autres s’emmêlent, se contredisent ou se complètent. Influencés par le regard de chacun.
Influencée par Duras, la romancière reconnaît la proximité de ce roman avec ceux de l’auteure. Il pourrait aussi y avoir quelque chose de modianesque dans cette quête d’une vérité impossible à établir.
Mais les comparaisons pourraient être nombreuses, un auteur est de toute façon influencé. Ce qui ressort de ce roman, c’est un univers, une écriture, uniques. A la recherche de la précision, cherchant à transcrire des points de vue différents, pour enrichir une intrigue qui tient tout au long des pages. Une écriture qui n’a pas peur des répétitions mais qui les utilisent quand même avec parcimonie pour décrire un été où les allers et retours se répètent malgré tout. Comme tous les étés.

Après ce premier roman, le suivant arrive quatre ans plus tard. Mais Portraits d’après modèles est difficile à se procurer dans notre pays, tout comme les trois suivants, Alias Charlie, Les derniers jours de Noah Eisenbaum et Le ravissement. En 2004, paraît Le Pendu de Trempes.

Andrée A. Michaud sur la Toile et jusque par chez moi

Andrée A. Michaud a été l’auteure phare de la rentrée 2016 en France en ce qui concerne le roman noir et ceux qui le lisent et en parlent, notamment les blogs. Son roman Bondrée faisait l’unanimité et, dans ce cas-là, ne faisant pas parti de ceux qui reçoivent des services de presse, je préfère différer un peu ma lecture. Peur d’être déçu ou d’avoir encore en tête tout ce qui a pu être dit sur le roman.
J’ai donc attendu et, c’est cet été, à la sortie du confinement que j’ai enfin ouvert ce roman qui était dans ma pile de livres à lire, très chère PàL. Et, après cette lecture, j’ai eu envie de lire les autres de l’auteure… je me suis heurté à un petit problème dans ma volonté bizarre, et peut-être un peu trop obsessionnelle, de vouloir lire tous les titres d’un auteur. En effet, il a beau s’agir d’une écrivaine francophone, dénicher ses romans peut s’avérer particulièrement délicat dans le coin où je me meus. Internet et toutes ses boutiques en ligne me sont accessibles et pourtant, il m’a été impossible (à moins de contracter un emprunt à la banque), de dégotter quatre de ses romans. Je ne ferai donc qu’un parcours partiel de l’œuvre et j’en suis désolé.

Pour en savoir plus sur la romancière et son travail d’écriture avant de se pencher sur ses livres, il existe quelques pages intéressantes sur la Toile.
Pour commencer par une approche rapide, autant aller voir du côté de la source des différents sites qui en proposent une (d’approche rapide) sans citer l’origine du texte qu’ils ont copié-collé, c’est-à-dire Wikipédia. Parfois gênant quand on parle d’auteurs et que l’on se dit qu’en respecter les droits pourrait être bienvenu. Pour compléter ce premier aperçu, une vidéo proposée par le Groupe SNCF sur Youtube peut faire l’affaire.
On peut ensuite aller plus loin avec un article et deux entretiens très intéressants. L’article paru dans le quotidien 20 minutes et accessible en ligne retrace le parcours qui a amené à une édition française (de France) de l’écrivaine. Le premier entretien qui vaut d’être lu est proposé par la ville de Lyon dans sa partie culture pour compenser l’annulation du festival Quai du Polar. Le deuxième mené par Christophe Dupuis, bien approfondi autour du travail d’écriture de l’auteure, est publié sur Milieu Hostile.

Voilà pour une première approche, dans les prochains jours et prochaines semaines, je vous ferez part de mes impressions de lecture. Pour patienter et pour vous rafraîchir la mémoire sur ce que la Toile a pu dire des romans d’Andrée A. Michaud, vous pouvez aller voir le recensement qu’en a fait l’excellent site Bibliosurf.