En 2006, deux ans après Le Pendu de Trempes, paraît Mirror Lake. Il est, comme le précédent, édité par les éditions Québec Amérique. C’est le premier opus de ce que l’auteure appelle sa trilogie états-unienne.
En exergue, une citation de Thoreau nous prévient :
“Aussi longtemps que les hommes croiront à l’infini, on croira que quelques étangs sont sans fond.”

Robert Moreau se souvient de ce projet, optimiste, qui était le sien quand il s’est installé sur les rives de Mirror Lake. Il avait trouvé cet endroit idéal dans le Maine, loin des hommes. Son chalet était isolé, seul un autre chalet lui faisait face, de l’autre côté de l’eau calme entourée de montagnes. Son chien, Jeff, et lui allaient pouvoir vivre sans plus avoir à subir les autres.
Avant de nous raconter son installation et la découverte de la vanité de son projet, il constate qu’il ne se regarde plus dans l’eau du lac, dont le nom provient pourtant du fait qu’il a la réputation de vous renvoyer votre image, de vous confronter à vous-même et de vous faire découvrir qui vous êtes.
A son arrivée, coupant les ponts avec le Québec où il avait toujours vécu, il avait cru avoir déniché l’endroit idyllique. Quelques minutes, il avait même pensé vivre enfin loin des hommes et de leur propension à tout gâcher, détruire, pourrir. Mais son voisin d’en face avait tiré sa barque dans l’eau pour venir le voir, lui souhaiter la bienvenue et lui offrir quelques petits cadeaux.
“Mirror Lake ne se trouvait malheureusement pas assez loin. Au lieu de m’accorder cette paix de l’âme et de l’esprit n’existant que dans la naïveté de l’espoir, il se chargea de me révéler peu à peu ma sottise, et si je crois encore qu’il existe des hommes qui peuvent habiter un lieu sans l’avilir, je ne crois pas que cela soit vrai des paradis.”
D’emblée Robert a éprouvé de l’antipathie pour ce Bob Winslow qui s’imposait comme ça sans tenir compte de ses envies… Mais, on ne choisit pas ses voisins et, outre le fait que celui-ci avait quelque choses de lui-même, il a eu tendance à s’imposer, s’incruster. Faisant s’envoler les rêves de Moreau dans ce paysage de rêve sur fond des musiques qu’il aime, Ry Cooder, Brel, Arvo Pärt, …
Au détour d’une discussion, il découvre même que Winslow a les mêmes goûts littéraires que lui, King, régional de l’étape, et portant aux nues Cornell Woolrich alias William Irish, ce qui a le don d’ajouter à son antipathie. Mais, à force d’échanges autour d’une bière ou d’un whisky, entre anglais et français, il finit par éprouver de la sympathie pour cet homme de sa génération, un semblable anglophone, qui est allé jusqu’à acheter un chien comme le sien. Bill et Jeff s’entendent aussi bien que leurs maîtres finissent par le faire. Winslow, en plus de Stephen King, lui a offert le roman d’un autre écrivain du coin, Victor Morgan.
Un jour, un homme est aperçu par Winslow, prenant la barque de Moreau, il chavire et se noie. La police débarque en la personne d’un inspecteur ressemblant furieusement à Tim Robbins, à tel point que Moreau décide de l’appeler ainsi. Le noyé reste introuvable mais Robbins vient d’entrer dans l’hsitoire. Au même titre qu’une prostituée prénommée Lola, pour les clients, mais que Moreau rebaptise Anita Swanson, en référence aux deux actrices auxquelles elle lui fait penser…
C’est un roman qui part dans tous les sens. La fiction s’invite à chaque instant dans la vie de Moreau. Ses lectures, les films qu’il a vus, constituent des filtres à travers lesquels il perçoit sa vie et celle des autres. Et, comme en plus, le bouquin qu’il découvre, The Maine Attraction, commence à parasiter sa vie, il ne sait plus très bien où il en est.
Truffé de pensées liées à ce qu’il voit, à ce qu’il a lu, ce qu’il a vu et ce qui lui passe par la tête, car il lui en passe par la tête, Moreau digresse et digresse encore. Il dérive au gré de ses pensées et nous emporte dans un humour incessant, grinçant, désabusé. On sourit et on rit.
“Si j’avais vécu dans un autre siècle, j’aurais écrit des lettres larmoyantes dans lesquelles j’aurais gémi à propose des tourments qu’apporte à l’homme orgueilleux son insensé désir de retrouver une pureté originelle dont sa vanité est indigne. Ça m’aurait soulagé de me lamenter dans un style qui n’était pas le mien et de savoir que quelqu’un , outre-mer ou frontière, attendait l’enveloppe flétrie où se consumait ma peine. Mais j’étais né à la mauvaise époque, celle des messages codés, laconiques, expéditifs et bourrés de fautes qui voyageaient à la vitesse de l’éclair, sans laisser le temps au désir de se morfondre.”
Il y avait jusqu’ici du Duras dans ses romans, ou Michaud s’en réclamait, j’ai trouvé cette fois de forts relents de Djian mais pas seulement. Les personnages et les situations se multiplient pour notre plus grand plaisir, les morts refont surface, les livres deviennent réalité et les films ou les romans sont les références sur lesquelles s’appuyer. Les animaux sont de véritables personnages et l’eau occupe toujours une place importante dans l’univers de la romancière comme un endroit où l’on pourrait se retrouver.
“Je respirais enfin, rien de moins, trois pieds sous la surface, porté par cette masse sombre et liquide que j’avais toujours considérée comme l’élément d’entre les éléments, libérateur et purificateur, qui assure votre joie autant que votre rédemption.”
Andrée A. Michaud ne nous avait pas habitué à ça. Ce livre ne dépare pas dans la liste de ses romans, il adopte un ton que nous ne connaissions pas à son auteure même si Le Pendu de Trempes frôlait parfois l’humour dans les digressions de la pensée de son personnage central. Cette fois, c’est résolument que l’écrivaine le fait. Et, encore une fois pour notre plus grand plaisir, réchauffant nos zygomatiques.
Dans la version de poche (je ne sais pas si cela existait déjà dans l’édition originale), nous avons droit a des annexes qui prolongent l’agréable moment. Des scènes coupées à l’imprimerie, des témoignages d’écriture, comme il existe des commentaires pour les films.
Difficile à trouver de ce côté-ci du globe, moins que certains sur lesquels j’aimerais mettre la main, un peu plus à chaque fois que je referme l’un des bouquins de l’écrivaine, ce roman est à lire. Un vrai roman noir plein d’humour, avec quelques morceaux de fantastiques, Maine oblige.
Le roman suivant de la romancière, deuxième opus de sa trilogie états-unienne, paraît trois ans plus tard et il est le premier à avoir une édition française en plus de la canadienne. Il s’intitule Lazy Bird.