Quatre ans après Les jolies choses, un nouveau roman de Virginie Despentes est publié, Teen Spirit. Comme lui, il est édité chez Grasset.
Bruno est un angoissé, il ne sort plus de chez lui depuis déjà plusieurs années. Chez lui, enfin, chez sa copine, Catherine. Il vivote au crochet de celle-ci, ayant essayé de gagner sa vie en traduisant des textes puis y ayant renoncé avec la vague ambition d’écrire un roman. Ambition à laquelle il a renoncé aussi.
Alors qu’il mate J.Lo dans un de ses clips, un coup de fil vient tout chambouler. Alice, son amour d’adolescence, veut le voir. L’angoisse et les souvenirs remontent. L’angoisse de devoir sortir de l’appartement, les souvenirs d’une liaison marquante, l’éveil d’une sexualité qui continue de le hanter. Entre la peur de sortir et l’envie de voir celle qui a disparu soudainement, la curiosité l’emporte. Après un échange âpre avec Sandra, une copine confidente, la seule, rencontrée lors d’un concert de rock. Dans le café d’en bas, une nouvelle le remue. Alice veut qu’il rencontre la fille qu’elle a eu de lui et qui explique la fin précipitée de leur histoire. Elle s’appelle Nancy, treize ans, et commence à la pousser à bout. Elle veut connaître son père et Alice a fini par céder à la demande insistante de l’adolescente. La balle est dans le camp de Bruno, narrateur dépassé par l’événement. La claustrophobie est oubliée illico et l’hésitation le mine. Un changement qui a aussi des conséquences en dehors de son introspection forcée, il est virée par Catherine…
Nouvelle vie, donc nouvel appartement. Pour commencer, il squatte chez Sandra, autre forme de sensibilité. Et il commence à voir sa fille, Nancy. Père d’une adolescente du jour au lendemain, il apprend aussi à faire avec la mère de l’enfant. Une femme appartenant à un autre monde.
“Ce qui faisait la légitimité de sa classe d’origine, odieuse, cruelle, discutable, mais légitimité quand même, c’était le plaisir. Le bon goût, le raffinement, le savoir-vivre… Une toute petite classe sociale privilégiée était le « point de convergence » fitzgéraldien du travail abrutissant la planète entière. Tout le monde trimait pour que ces quelques personnes puissent s’occuper de prendre du bon temps, d’avoir du goût et un bon style.”
Dans ce quatrième roman, Virginie Despentes explore un autre pan de notre société, elle l’explore en décalant son point de vue, en choisissant un angle légèrement désaxé. La mère célibataire et son enfant sont vues du point de vue de l’homme, du père. Un père qui s’ignorait jusque là, qui se découvre et découvre ce que vit Alice. C’est lui le marginal, celui qui vivote de petits boulots alors qu’en face, il y a une femme parfaitement intégrée, active. Mais c’est aussi lui qui va permettre à cette dernière de souffler, de prendre du recul, qui va lui offrir une vision différente de leur fille et essayer de désamorcer les conflits… Dans un monde en fin de vie, ayant perdu toute distance, tout regard critique sur lui-même. Mais n’ayant rien perdu de son cynisme…
“Leur vieux monde prenait l’eau depuis un long moment, ils savaient qu’ils allaient disparaître et, tant qu’à faire, comptaient se la jouer pharaonique : que tous les subalternes soient de la chute finale. Ils avaient réécrit l’histoire mais leur mémoire ne flanchait pas : ils avaient de vieux compte à régler avec la classe laborieuse. A plusieurs reprises, ils avaient failli perdre pied. Maintenant que leur vieil ordre ne tenait plus la route, ils sabordaient le plus large possible, pour ne rien laisser derrière eux.”
L’introspection est fouillée, le ton léger. Comme toujours les personnages sont attachants, au sein d’une description de notre société sans fard… avec quelques morceaux d’humanité. Et une conclusion à l’aune de l’histoire.
C’est un Despentes réussi comme les précédents, peut-être moins profond, mais qui se lit sans effort. Moins noir. Mineur. Plaisant.
Deux ans plus tard, c’est une variation sur le même thème que nous propose la romancière avec Bye Bye Blondie, sur fond de punk.