Tim Dorsey, Serge retrouve Coleman au No Name Pub

En 2005, paraît la septième aventure annuelle de Serge A. Storms, Torpedo Juice. Elle met dix ans pour traverser l’Atlantique. Dix ans ! C’est long ! Rien à voir avec ce que pourrait faire les meilleurs skippers ou ce que faisait feu le Concorde… Mais enfin, il nous arrive malgré tout dix ans plus tard, traduit comme c’est désormais l’habitude par Jean Pêcheux, sous le même titre. Celui d’un cocktail prisé par quelques personnages.

Le prologue démarre sur un non démarrage. Je m’explique, étant donnée la météo, l’histoire est retardée. C’est ce que nous dit la voix off. Elle tue le temps en nous racontant cela et en nous révélant l’information principale de ce nouvel opus, le retour de Coleman. Il avait voulu tenter sa chance à Hollywood, c’est pourquoi il avait disparu de la série, mais à la suite de son échec, il est de retour… et la réapparition de son personnage se fait avec torpedo-juice-payot-rivages-2005une explication comme d’habitude particulièrement tirée par les cheveux. Le narrateur omniscient cherchant toujours à tuer l’ennui finit par accepter ce que lui propose justement Coleman, des pillules… mauvaise idée ! Une voix off remplaçante prend donc le relais. Et l’histoire commence alors qu’un cadavre a été découvert crucifié tête en bas sur la tour aux chauves-souris.

Alors que l’US 1 est bloquée par les embouteillages, comme à l’habitude, deux flics, Gus et Walter voient les problèmes s’additionner. Les dépêches se succèdent, leur apprenant l’arrivée de personnages potentiellement dangereux. Des personnages avant tout définis par leur véhicule, en l’occurrence, une Plymouth Duster marron et une Trans Am vert métallisée. Des automobiles qui viennent s’ajouter à celle dont nous avait parlé la voix off historique avant de disjoncter, une Mercedes blanche aux vitres teintées. Sans oublier la Buick Riviera dorée modèle 71 dans laquelle prend place Coleman pour fuir le motel dans lequel il logé et dont il ne pouvait payer la note. La même Buick Riviera qui, quelques kilomètres plus loin, dépasse le Greyhound dans lequel Serge est monté avec guitare et bagage, réussissant rapidement à porter sur les nerfs de tous les passagers. C’est que Serge a décidé de percer dans la chanson, de devenir le nouveau Jimmy Buffett…

Tout ce petit monde se dirige vers les Keys. Essaie d’avancer dans le gigantesque embouteillage, sous l’œil de trois habitués du No Name Pub, Sop Choppy, Bob le comptable et Bob sans chemise.

Pour être complet dans la distribution proposée, il faut ajouter Gaskin Fussels, avocat, un parrain de la drogue ayant adopté un surnom original, Brenda et Molly, deux bibliothécaires, et des daims miniatures, emblématiques du coin…

Tim Dorsey, comme pour le précédent opus de la série, Cadillac Beach, situe l’action de ce nouvel épisode dans un endroit unique de Floride. Après Miami, ce sont les Keys. Contrairement à ce que peut laisser penser l’ouverture du roman, il n’y aura pas de voyage, pas de périple. L’unité de lieu parfaitement respectée.

… la beauté naturelle à l’état pur, la liberté sans limites et les autochtones un peu zarbis. […] … ici, personne n’est ce qu’il paraît être. Quand les gens des autres régions du pays veulent se réinventer, ils viennent en Floride. Et quand les gens de Floride veulent se réinventer, ils vont dans les Keys.”

Serge persévère dans son désir d’intégration, après avoir essayé d’accéder au monde du travail et de la libre entreprise, il a cette fois-ci décidé de se confronter à une autre grande valeur cardinale de notre société, le mariage. Pour se marier, il faut une fiancée et Serge s’attelle à la trouver, sans chercher la facilité ou la simplicité, refusant, par exemple, de se tourner vers celle qui se pâme devant lui. Il va, bien sûr, avoir d’autres soucis à gérer dans le même temps, des adeptes, Coleman, une étrange voiture qui le suit…

Tout cela, on s’en doute constitue un cocktail détonant. Et qui va détoner !

Entre un parrain qui n’en est pas vraiment un, un mariage dont les exigences sont surprenantes pour Serge, une quasi-secte qui fait de plus en plus d’adeptes…

Le monde devient décidément trop stressant. Les deux parents qui travaillent, le fric investi qui disparaît en fumée, la course aux activités extrascolaires, les week-ends passés à ne pas pouvoir finir des travaux d’aménagement qui semblaient tout simples sur la chaîne Ma Maison. On ne s’attendait pas à ce que ça ressemble à ça l’âge adulte. « Bordel de merde ! C’est toujours plus de responsabilités ! Peut-être que si je travaille un peu plus dur, ça deviendra plus facile… Eh non, c’est encore plus dur, et… Oh ! putain ! Je fais un infarctus ! »

C’est un épisode surprenant. Un épisode qui se centre, en ce qui concerne Serge, sur la recherche de l’âme sœur. Pas d’arrêts intempestifs pour des photos, pas de circuit pour revisiter l’histoire de la Floride. En parallèle, les intrigues satellites prennent également leur temps, notamment celle du trafic de drogue et de ses implications. Puis les choses s’accélèrent avec le mariage, un superbe mariage, particulièrement original, et une lune de miel à couper le souffle. La série reprend alors son cours, renouant entre autres avec ces morceaux d’histoire, populaire ou officielle. Nous aurons quand même eu le droit pour patienter à quelques épisodes savoureux, les conversations entre les deux flics et la vie de Gus que tout le monde semble connaître, l’élimination d’un cadavre particulièrement bien vue… et, en fil rouge, les démêlées de Fussels avec les autochtones et l’arrivée dans le coin d’un homme d’affaire véreux, promoteur immobilier poursuivi pour détournement mais s’en étant sorti en utilisant des comptes off-shore, un avatar de Madoff ou d’un autre, au prénom peut-être pas si innocent de Donald.

Un roman qui se clôt sur une notice typographique, comme pour deux des précédents, dans leur version française du moins. Une notice, bien entendu, détournée, décalée, humoristique. Une des marques de fabrique de Tim Dorsey. Après Orange Crush et la Leubenhoek Gothic, Cadillac Beach et la Sardonic Bold, elle nous précise que, cette fois, c’est la Kartonia Linotype qui été utilisée pour composer ce livre.

Toujours au même rythme, le huitième épisode paraît l’année suivante aux Etats-Unis et s’intitule The big bamboo. Un rythme peut-être un peu trop soutenu puisque nous l’attendons toujours par ici…

Tim Dorsey, Serge et Lenny écument Miami

En 2004, respectant le rythme annuel de la série, paraît le sixième épisode des aventures de Serge A. Storms, Cadillac Beach. Respectant également la tendance de ce côté-ci de l’Atlantique, il met plus de temps que les précédents à être traduit, sept ans cette fois, toujours sous la plume de Jean Pêcheux, son titre ne changeant pas.

Après la brève évocation d’un audacieux vol de diamants en 1964, nous nous retrouvons dans une limousine avec quatre VRP en vadrouille. Pour conclure leur nuit pleine d’excès, ils ont décidé de faire une mauvaise blague à Dave, un collègue sur le point de débarquer pour le séminaire qui les a cadillac-beach-payot-rivages-2004tous amenés en Floride. Alors que Doug a fini par raccrocher après une conversation avec sa femme à laquelle il a dû mentir, leur voiture s’approche d’un jet privé. Doug, Keith, Rusty et Brad glissent un sac sur la tête de Dave et le balancent de force dans la limousine. Petit souci, alors que la voiture repart, ils découvrent que le type qu’ils ont embarqué n’est pas Dave et qu’il a une arme… Ça se met à dézinguer de partout, dans l’auto et à l’extérieur. Des tireurs embusqués canardent, des 4×4 les prennent en chasse. Seule la dextérité de leur chauffeur leur permet d’échapper aux représailles qui se profilent… Et ça n’est que le prologue !

Puis l’histoire débute et Serge apparaît, d’abord à Tampa en 1996 puis de nos jours… et c’est reparti pour un joyeux maelström de folies.

La vie est un orgasme. C’est bon, mais c’est bref, alors il vaut mieux y prêter attention.

Nous renouons avec le cours de la vie de l’allumé floridien. Alors que les deux précédents opus, Triggerfish Twist et Stingray Shuffle, nous avaient ramenés en arrière, la marche en avant reprend… enfin, tout est relatif. A la suite des deux romans cités, Tim Dorsey semble avoir pris goût aux jeux avec le temps. C’était déjà le cas avec ses prologues qui nous racontaient par anticipation un épisode à venir de l’intrigue. Dans celui-ci, il repart également dans l’autre sens et déroule en parallèle deux moments étroitement liés, l’un entre 1963 et 1964, l’autre, contemporain de sa parution, en 2004. Après la prolepse, l’analepse.

Serge, après la parenthèse amnésique d’Orange Crush, roman précédant chronologiquement celui-ci, est de nouveau flanqué de Lenny. Ils vivent chez la mère de celui-ci et vont retrouver, au cours de rebondissements en série et d’une intrigue aussi échevelée que d’habitude, celles qu’ils ont croisées dans Hammerhead Ranch Motel, la Ville et la Campagne. Le quatuor reconstitué. Sa mémoire retrouvée donne des idées nouvelles à Serge, notamment celle de rentabiliser sa passion pour l’histoire de son état. Il décide de créer une agence proposant des circuits décalés aux touristes désireux de découvrir Miami. Un projet qui peut également lui permettre de mener à bien ses autres objectifs.

… créer ma nouvelle ligne de boissons énergisantes et la tester sur le marché, sauver de l’extinction les souris du marais de Loxahatchee, résoudre le mystère de la mort de mon grand-père, retrouver les diamants volés au cours du plus grand vol de bijoux jamais commis aux Etats-Unis, donner un coup d’arrêt aux activités de la Mafia en Floride du Sud, discréditer Castro sur la scène internationale, aider la Chambre de commerce à restaurer son image, rendre le respect qu’ils méritent à ces hommes et ces femmes qui ont travaillé avec tant de courage pour les services de renseignements américains, faire revenir l’émission Today à Miami pour donner un coup de boost à la fierté et à l’économie locale, vivre mon époque à plein comme Robert Kennedy (si la météo le permet) et accomplir tout cela grâce à mon entreprise fondée sur les principes de la nouvelle économie, du respect de l’environnement, du développement spirituel et de la prise en compte de l’héritage historique. Tout ça par Internet, bien évidemment.

Au fur et à mesure que se déroulent les circuits qu’il propose, un en particulier, les étapes coïncident avec les endroits qui jalonnent l’intrigue de 1963-1964. Une intrigue au centre de laquelle se trouve le grand-père de Serge, Sergio. Un grand-père régulièrement accompagné de son petit-fils, Serge junior.

Et c’est de nouveau l’occasion de découvrir l’histoire de la Floride, cette fois particulièrement celle de Miami. De la visite de Kennedy peu avant son assassinat à celle des Beatles ou de Cassius Clay. Du tournage de Scarface, Raging Bull ou de Goldfinger à celui de l’émission Today ou des séries Miami Vice, Flipper le dauphin ou Les experts : Miami.

Et c’est l’occasion, une nouvelle fois, d’une galerie de personnages savoureux. Une souris baptisée Vonegut ; les acolytes du grand-père, Chi-Chi, Mort, Tommy le Grec ; Lou, une bombe portant la poisse aux hommes dans les bras desquels elle tombe ; Bixby et Miller, agents du FBI ; Mahoney, le détective se croyant dans les années 50, spécialiste de Serge et interné ; des espions en tous genres, pro-Cuba ou pro-USA ; Tony ou Palermo, de la mafia locale ; Mick Dafoe, journaliste sportif ; etc.

Serge multiplie les activités, de tour operator à enquêteur en passant par épistolier actif ou fomenteur d’une opération anti-castriste, sans oublier, bien sûr, sa propension à être là où il ne faut pas et à devenir le centre de l’attention de beaucoup de monde, FBI, CIA, mafia, en n’oubliant pas son penchant pour le meurtre élaboré, à coup de micro-onde ou de peinture dorée (une citation) par exemple, tout en mettant au point son grand plan…

Les mathématiciens ont découvert qu’il y a un ordre dans le chaos. Et moi, j’ai décidé de tabler dessus.

Et son personnage s’enrichit de l’évocation de ses premières années et de ce grand-père à qui il ressemble sur bien des points.

Tim Dorsey tente d’intégrer Serge dans le monde du travail, mais c’est difficile. Le contraire nous eut étonnés ! Il voudrait s’assagir mais ses semblables ne l’entendent pas de cette oreille. Au pays de la libre entreprise et des self-made men, Serge apparaît comme un canard boiteux, trop différent… trop lucide ? Tant pis, de toute façon, on le préfère déjanté !

Toujours au même rythme, l’épisode suivant paraît un an plus tard, Torpedo Juice. Le délai s’accentuant toujours, il ne nous parvient que dix ans après sa parution originale…

Tim Dorsey, Serge A. Storms et l’histoire ferroviaire de la Floride

En 2003 paraît le cinquième opus de la série des Serge Storms, The Stingray Shuffle. Il est traduit, comme d’habitude, par Jean Pêcheux et publié cinq ans plus tard sous le titre de Stingray shuffle. Un titre pas simple à traduire puisqu’il évoque la raie et un déplacement ou une redistribution des cartes, un mélange, un remaniement. Il est bien sûr question des deux dans le roman et de plein d’autres choses, le (silver) Stingray étant un nom donné à l’un des trains circulant en Floride et la redistribution s’attaquant à la série déjà passablement secouée du romancier… Il peut aussi avoir une toute autre signification, comme celle de Serge…

A la saison des raies mantas, l’été, en Floride, les raies se posent sur le fond, près des côtes, sous une petite couche de sable, si bien qu’on ne peut pas les voir. En temps normal, les raies sont du genre à fuir plutôt qu’à combattre, mais si tu entres dans l’eau en marchant normalement et que tu poses le pied sur une d’entre elles, tu la cloues au fond, ce qui ne lui laisse d’autre choix que de te piquer la jambe avec le dard empoisonné qu’elle a au bout de la queue. […]

Mais le stingray shuffle, c’est aussi une excellente métaphore de cette espèce de danse qu’on doit danser chaque jour si on veut survivre en Floride et avoir un peu d’avance sur la dangereuse espèce dite humaine. Tu sais, quand on fait bien attention tout autour et qu’on est prêt à sauter sur le côté à tout moment.

Après Triggerfish Twist qui se situait pendant le premier opus de la série, nous nous retrouvons cette fois en 1997, avant Orange Crush et après Hammerhead Ranch Motel.

Un homme, pris d’hallucinations, tente de traverser une rue sur un pont basculant. Son état et celui de la circulation ne semblent pas favoriser son entreprise. Il ne sait pas au juste ce qu’il fait là et a du mal à se souvenir de son nom… Quand il s’en souvient, il se voit contraint de fuir. Nous le stingray-shuffle-payot-rivages-2003retrouvons ensuite, deux semaines plus tard, sur une plage où, après avoir repris ses esprits, Serge Storms, car c’est bien lui, commence à dispenser un cours sur l’histoire des trains en Floride au seul public possible là où il a échoué, des singes… et ça n’est que le prologue ! Le premier chapitre, quant à lui, s’attache à nous raconter l’histoire de la compétition acharnée que se sont livré quatre équipes de chercheurs pour produire la première machine fiable pour récolter les oranges. C’est l’occasion d’un joyeux et parfois barbare dézinguage tant des scientifiques que des propriétaires des orangeraies… et je ne vous parle pas de l’administration… Dans le troisième chapitre, nous rencontrons les cinq membres d’un cercle de lecture baptisé Bouquins, Bibines, Bonnes femmes. Samantha, Teresa, Rebecca, Maria et Paige sont en plein dans leur période Ralph Krunkleton, l’auteur fort méconnu de… The stingray shuffle, entre autres…

Ajoutez à cela la fameuse mallette contenant cinq millions, celle que nous avons suivie dans les trois précédentes aventures. Chronologiquement, les trois précédentes aventures. Il y a aussi le succès inespéré et imprévisible de The stingray shuffle, dix ans après sa publication, et la sortie de l’anonymat de Krunkleton, ou encore Johnny Vegas, le séducteur cherchant désespérément à perdre son pucelage… Et au milieu de tout cela, Serge, toujours flanqué de Lenny, celui qu’il a rencontré dans Hammerhead Ranch Motel, accompagné de La Ville et La Campagne, Serge, donc, qui se passionne pour l’histoire des trains en Floride, ceux qui ont permis à l’Etat de devenir accessible, une destination privilégiée. Une passion qui lui fait arpenter le Sunshine State, comme il en a l’habitude, qui lui vaut de passer régulièrement au tribunal. Et tout cela en continuant à suivre la mallette… détenue pour l’heure par Paul et Jethro, oui, ceux du motel… elle va bien sûr changer de mains très souvent.

Il ne faut pas oublier non plus le trafic de drogue, l’industrie principale évoquée dans la série. Un trafic et des trafiquants cherchant toujours de nouvelles manières d’acheminer leur précieuse marchandise. Les sous-marins offrant pour l’heure une perspective intéressante.

Tim Dorsey nous trimballe d’un personnage à l’autre, nous bouscule. Ça va vite, on n’a pas le temps de respirer, de souffler. On saute de l’un à l’autre, en en découvrant de nouveaux régulièrement. Avec toujours un retour vers Serge, un personnage que l’on n’aimerait pas avoir pour voisin dans un avion ou pour conservateur dans un musée consacré au chemin de fer ou comme passager dans le train que l’on prend. Ça tombe comme à Gravelotte et pas de manière conventionnelle… impossible quand un adepte de la sophistication comme Serge est dans les parages. Les rebondissements se succèdent et nous croisons au hasard, une troupe d’artistes de cabaret plutôt ringards, un joueur de blues pas vraiment aveugle, des anciens barbouzes des services secrets russes pas doués au service d’un cartel déjà croisé dans Florida Roadkill, une librairie arrondissant son chiffre d’affaire de manière particulièrement répréhensible, des étudiants aisés irrespectueux et finalement châtiés sèchement, une parodie trash du Crime de l’orient express, etc… Pour un temps, l’action est même transférée à New York, qui en prend au passage pour son grade, s’offrant comme figurants la série Law and order et Woody Allen…

C’est drôle, barré, ça fuse, ça jubile… Et ça en arrive à l’explication de cette amnésie dont Serge est frappé dans Orange crush… puis à sa mémoire recouvrée. La boucle est bouclée et nous allons pouvoir repartir de l’avant…

L’année suivante paraît le sixième opus, Cadillac Beach, qui va mettre plus de temps encore que les précédents à nous parvenir, une tendance à la hausse bien dommage que l’on aimerait tellement voir s’inverser.

Tim Dorsey, Serge Storms sur Triggerfish Lane

En 2002, paraît chez William Morrow le quatrième roman de Tim Dorsey, Triggerfish Twist. Quatrième roman qui coïncide avec la quatrième apparition du personnage fétiche du romancier, Serge Storms. Il est traduit en français par Jean Pêcheux sous le même titre et publié en 2006 chez Rivages. C’est le quatrième titre des aventures de Serge Storms mais Dorsey revient en arrière et l’action s’y déroule pendant le premier, Florida Roadkill. Du point de vue du personnage, c’est donc le premier ex-æquo à parler de lui… Je ne sais pas si on se comprend. Mais, en tout cas, cela nous met d’entrée dans le bain, Dorsey n’en a pas fini de partir dans tous les sens.

Edith Grabowski ouvre le livre sur un monologue. Elle se confie à nous avant d’entrer dans un studio californien de télévision pour raconter une nouvelle fois l’histoire de son mariage. Une histoire qui a ceci d’original, pour commencer, c’est qu’Edith est âgée de quatre-vingt-un ans et que son mari, Ambrose Tarrington en a, quant à lui, soixante-dix-huit… mais quand on apprend au cours de ses confidences d’avant plateau que ce mariage triggerfish-twist-payot-rivages-2002s’est déroulé au milieu du chaos et que Serge Storms aurait pu être le témoin de son mari, on se dit que son originalité doit aussi être aussi ailleurs… Elle passe ensuite la parole au narrateur.

L’histoire commence avec l’emménagement à Tampa de Jim Davenport et sa famille. Ce conseiller en consulting a décidé de s’installer en Floride en acceptant une promotion dont personne ne voulait. Sa motivation pour s’installer dans le “Sunshine State” est la publication du palmarès des villes où il fait bon vivre aux Etats-Unis et Tampa est classée troisième, ayant effectué un bond par rapport à l’année précédente. Bond dû uniquement à une erreur dans l’utilisation d’un tableur et ayant eu pour conséquence de déplacer la virgule des statistiques de Tampa… Toute la famille s’installe dans sa nouvelle maison de Triggerfish Lane. Bientôt accueillie par les voisins, amicalement ou non…

Nous sommes devenus une grande nation tellement préoccupée par son nombril que nous nous retrouvons comme le môme qui agite son patin à glace dont le lacet vient de lâcher en pleurant comme un veau. On ne connaît même plus nos voisins. Nous n’avons plus ni vergogne, ni considération, ni sens du devoir, ni sens du sacrifice.

Dans le même temps, après avoir tué par accident un homme qu’ils avaient pris en otage pour lui soutirer son argent, le trio tout juste constitué (ou plutôt retrouvé) de Serge, Coleman et Sharon, se voit contraint d’emménager également dans Triggerfish Lane. Une rue que Coleman, drogué et saoul comme à son habitude, a repérée à la suite d’une virée nocturne hallucinée et pas complètement maîtrisée. Virée nocturne qui s’est achevée par l’incendie involontaire de la maison de Serge…

On suit également John Milton, professeur remplaçant viré, devenant guichetier dans une banque puis vendeur de voitures d’occasion, puis découvrant sa véritable mission après avoir croisé le Christ et l’Antéchrist…

Triggerfish Lane est une rue qui pourrait être paradisiaque. De belles maisons dans une ville floridienne… Mais elle n’est pas ce qu’elle semble être. Objet de la spéculation de Lance Boyle, agent immobilier sans scrupule, elle est peuplée d’une faune particulièrement hétérogène. Et les Davenport la découvrent avec nous.

Il y a Gladys, la voisine envahissante avec toujours un plat à offrir en même temps que quelques commérages, Jack Terrier, le voisin d’en face, acariâtre, fou de sa pelouse et propriétaire d’un pittbull nommé Raspoutine qu’il n’attache pas, une bande d’étudiants toujours défoncés et ces voisins tout nouvellement arrivés, le trio ressuscité que nous connaissons bien…

Il y a Mme Glasgow et son télescope, M. Brinkley qui fait de l’échasse à ressort pour distraire ses insomnies. M. Renfroe nous disait que, si la lumière brillait tard dans la nuit, c’était parce qu’il écrivait un roman pour la jeunesse, mais on a découvert qu’en fait il fabriquait des bombes artisanales. Et bien sûr, il ne faut pas oublier Mme Anderson et ses vocalises tyroliennes. Sans la compagnie d’électricité qui a averti la police que les Crumpet avaient soudain multiplié leur consommation d’électricité par trois, nul n’aurait jamais produit de mandat sous les néons de leur salle de jeux clandestine. Qui j’oublie, encore ? Ah oui ! Tommy Lexington qui ne s’est jamais marié et qui a vécu avec sa vieille mère jusqu’à quarante-cinq ans avant d’être arrêté, tout couvert de sang, dans le MacDonald où il mangeait un Happy Meal.

Une belle brochette. Un échantillon représentatif de l’Amérique ? Ou juste de la Floride ?

Mais il y a également les McGraw, frères de la victime involontaire de Davenport, un cas de légitime défense, et tueurs sans scrupules, les quatre E, quatre vieilles inséparables dont fait parti Edith, celle du monologue d’introduction, Rocco Silverstone, vendeur de voitures d’occasion aux dents longues et aux pratiques plus que limite, et l’agent Mahoney, flic de la vieille école croisé dans Orange Crush, passionné par Serge et féru, comme lui, de l’histoire locale…

Et les histoires alternent, s’imbriquent. John Milton et sa trajectoire en forme de dégringolade, Jim Davenport à la chute parallèle pour une trop grande intégrité, Coleman et Serge qui continuent à voler et tuer… Les histoires alternent et se croisent, notamment au cours d’une virée nocturne au milieu d’une population effrayante.

Tous ces personnages et leurs rencontres donnent des scènes qui se télescopent, se succèdent, se répondent, après cette virée nocturne. Une tentative de fuite dans un parking sans issue, un match de base-ball et ses conséquences, jusqu’à l’apothéose en feu d’artifice pour le quatre juillet, fête nationale faite d’explosions, d’une partie de twister originale, de poursuites et de qui pro quo…

Serge, quant à lui, trace son chemin, de cours donnés à l’université jusqu’à une admiration sans borne pour les derniers héros, les pères de famille, en passant par la prise en charge toujours aussi délicate de Coleman et Sharon, en permanence entre deux trips…

Tout cela dans un monde en perpétuelle évolution… ou régression.

Tout marche à l’envers, maintenant. Avant tu n’étais pas censé manger de la viande. Maintenant, si. Et tu es censé lire les revues dans les boutiques. Et Rob Lowe travaille à nouveau…

On finit essoufflé, ébahi, mais pas loin d’être comblé devant cette peinture jubilatoire d’une société au bord de l’explosion… ce qui devrait nous effrayer est transformé en farce par un Dorsey particulièrement en forme et doué, très doué.

L’année suivante, Tim Dorsey comble le vide entre le numéro deux de la série, Hammerhead Ranch Motel, et le numéro trois, Orange Crush, en publiant Stingray Shuffle, pour nous expliquer, entre autre, l’amnésie dont a été victime Serge.

Tim Dorsey, Marlon Conrad, sénateur

En 2001, le troisième volet des aventures de Serge A. Storms paraît Outre-Atlantique, Orange Crush. L’orange pressée nous parvient en 2005, sous le même titre, traduit par Jean Pêcheux pour la deuxième fois. Il est publié au lendemain de l’élection controversée de George W. Bush dont la Floride aura été l’arbitre discuté.

Nous sommes en 2002, le débat pour l’élection sénatoriale se prépare, les candidats sont en route. Marlon Conrad est le candidat républicain, candidat à sa réélection. Il est accompagné, escorté, jusqu’au lycée où doit se dérouler l’affrontement. Avant cela, il passe par la demeure de orange-crush-payot-rivages-2001Periwinckle Belvedere, l’un de ses soutiens, l’un des soutiens qu’il faut avoir. Et il l’a. Il révise ses réponses sur les sujets attendus et son conseiller s’alarme qu’il ne réussisse pas à trouver même les plus faciles. Le débat se déroule bien jusqu’à une dernière question qui remet la victoire attendue de Marlon Conrad en question. Une question concernant la peine de mort et surtout l’exécution de la sentence au moyen de la chaise électrique. Peine de mort que Conrad considère comme devant être repensée, comme pouvant être remise en question… ce qui n’est pas la bonne réponse de la part d’un républicain bon teint, et surtout en Floride. Le candidat démocrate s’engouffre dans la brèche et donne un avis plus tranché… La réélection de Marlon Conrad semble plus fragile qu’elle ne l’était au départ. Après le débat, un attentat est commis, le lobbyiste de Belvedere, un homme particulièrement crispant, antipathique, sûr de lui, a juste eu le temps de voir son téléphone exploser, et sa tête avec.

Retour en arrière, comme toujours chez Dorsey, pour comprendre comment on en est arrivé là. Nous revenons une année en arrière, puis deux, pour suivre principalement la trajectoire de Conrad… même si nous en suivons d’autres, bien sûr.

Conrad est un fils à papa qui n’a jamais rien fait que profiter de la fortune familiale en siégeant dans des conseils d’administration divers et variés, en créant des sociétés juste destinées à lui rapporter de l’argent en en prenant à ses clients… en jouant au golf… Il est devenu, parce que c’était écrit, vice-gouverneur et continue à user de sa position pour en faire profiter ses proches ou ceux qui le financent, sans aucun égard pour la loi ou une certaine morale. Il passe son temps sur son ordinateur à jouer à la pêche, aux casinos en ligne et autres activités particulièrement oisives. Il ne supporte pas de lire, ses conseillers doivent lui rendre des rapports plus que concis, ne dépassant pas une phrase et une dizaine de mots. Une plaie mais qui semble correspondre à ce qui est attendu de lui. Alors qu’il vaque à ses occupations, que ses deux conseillers s’écharpent pour avoir le plus d’influence, un journaliste découvre que Marlon Conrad n’a pas effectué son service militaire, une semaine sous les drapeaux… Rien de bien méchant… sauf que son unité est appelée, quelques semaines plus tard, dans les Balkans, au Kosovo. Une expérience qui va le changer.

C’est une aération dans la série que nous offre Dorsey en mettant en avant un personnage qui n’est pas son personnage récurrent. Il nous offre aussi et comme à son habitude une galerie de portraits caustiques et particulièrement drôles. Même si ceux qu’il égratigne sont ceux qui tirent les ficelles du pouvoir et que cela pourrait faire froid dans le dos. Nous avons des milliardaires qui ne pensent qu’à dépenser les subventions publics, des politiciens qui ne savent pas ce qu’ils sont censés faire, des professionnels du lobbying… Mais dans la galerie, il y a également, le conseiller de Conrad au nom savoureux, Escrow, son chargé de communication, Pimento, une femme au blouson rouge, tueuse en série, un inspecteur, Mahoney, se prenant pour un détective privé de la grande époque et admirant autant qu’il le déteste Serge A. Storms, et des soldats, hommes du peuple, avec leurs défauts mais beaucoup plus humains que la plupart des autres… N’oublions pas non plus l’indéboulonnable Blaine Crease, reporter de Florida Cable News. Parmi tous ceux-là se cache d’ailleurs Serge, frappé d’amnésie, ayant pour un temps perdu sa folie, n’ayant gardé pour lui que la mémoire de l’histoire de la Floride, l’histoire telle qu’il la conçoit et nous en faisant de nouveau profiter…

Il y a, comme d’habitude des scènes savoureuses, un appel à un standard automatique proposant des choix fantaisistes, un match de tennis, un autre de catch, une tournée électorale comme on aimerait en voir plus souvent, à bord d’un camping-car baptisé Orange Crush parce qu’ayant été utilisé auparavant pour la promotion d’une boisson à l’orange, tournée électorale qui sème les morts à sa suite. Des scènes moins hilarantes, le passage sur la guerre, la visite aux veuves de guerre…

Dorsey, en funambule, brasse large et touche juste. Il émeut autant qu’il fait rire. Equilibre si difficile à trouver. En funambule, il nous mène jusqu’à une fin en apothéose.

Avant de revenir en arrière pour nous expliquer l’amnésie de Serge dans Stingray Shuffle, Dorsey va remonter le temps encore plus loin pour se situer au beau milieu de Florida Roadkill avec Triggerfish Twist.

Tim Dorsey, Serge A. Storms, canicule hivernale et cyclone

En 2000, un an après la première, paraît la suite des aventures de Serge A. Storms, le personnage improbable de Tim Dorsey, Hammerhead Ranch Motel. Il nous arrive trois ans plus tard, traduit par Jean Pêcheux sous le même titre.

Nous reprenons l’histoire là où nous l’avions laissée dans le roman précédent, Florida Roadkill. Serge A. Storms est toujours à la poursuite des cinq millions de dollars cachés, à leur insu, dans le coffre de la Chrysler blanche de David Klein et Sean Been.

Mais avant de reprendre le cours de l’aventure et son rythme échevelé, Dorsey nous offre un prologue. Un prologue comme pour son premier roman hammerhead-ranch-motel-payot-rivages-2000qui commence par des considérations sur la Floride, quasiment les mêmes.

La Floride est si belle qu’on pourrait la croire civilisée.

Dès les premières pages, nous retrouvons Johnny Vegas, cherchant toujours à être dépucelé, et qui a troqué son hors-bord aux couleurs des Miami Dolphins pour une Porsche. Il semble une nouvelle fois sur le point d’arriver à ses fins quand un nouvel incident remet tout en cause. Une Chrysler blanche arrêtée sur le pont qu’il franchit stoppe les ardeurs de sa compagne…

Nous retrouverons le moment de ce prologue un peu plus loin dans le roman. Avant d’y arriver, Serge A. Storms, historien autodidacte de la Floride et psychopathe en liberté, désormais surnommé le Tueur des Keys, parvient à reprendre possession de la mallette contenant le pactole. Mais il se la fait prendre ensuite, de nouveau. Et l’aventure se déroule, au gré des uns et des autres, de l’apparition et de la disparition de personnages que nous croisons le temps de quelques pages ou pour plus longtemps. Il y a Harvey Fiddlebottom, alias Zargoza, le patron du Hammerhead Ranch Motel, et les Diaz, trafiquants bas du front, Art Tweed, à qui on vient d’annoncer la fin proche, et Jethro Maddox, sosie d’Hemingway, Sidney Spittle, voleur de pensions, et Patty Bodine, sa petite amie mineure, La Ville et La Campagne, deux filles en vadrouille, l’équipage d’un avion chasseur de cyclone, Lenny Lippowicz, aux multiples professions et présentement sosie du Sonny Crockett de Miami Vice, alias Don Johnson.

La mallette circule, comme tout ce petit monde, le long des routes de Floride. Routes où l’échantillon que nous propose Dorsey est à l’aune de la population qui y grouille et qu’il ne se prive pas de nous présenter.

Il y avait des voitures bourrées de valises et de radeaux pneumatiques de toutes les couleurs, avec des plaques minéralogiques chantant le beau pays de Dixie, des enjoliveurs décorés d’alligators de Floride et, sur les pare-chocs, des autocollants soutenant la candidature de Fob James au poste de gouverneur de l’Etat. Et puis un camion de maraichers revenant des champs, chargé de melons et de marijuana ; un couple de retraités de Newark qui convoyait des pierres précieuses volées ; un malheureux représentant en bauxite fuyant le mandat d’arrêt que le Michigan lui avait collé pour fraude dans un break mis à mal par les rigoureux hivers de Saginaw. Trois ados fugueurs de Texarkana dans une Taurus volée ; l’ex-président du Paraguay en exil dans une Chevrolet dont la transmission n’allait pas tarder à lâcher ; un ancien agent du KGB qui s’était retrouvé planté en Floride à la chute du régime soviétique et travaillait désormais à son compte comme homme de main pour le Comité démocrate du comté de Broward.

Après avoir vadrouillé le long des routes de Floride, ce petit monde semble attiré par un obscur motel, réplique de ranch du farwest et dont la principale originalité réside dans la décoration de la piscine, des têtes de requins-marteaux empaillés dont il tire son nom, le fameux Hammerhead Ranch Motel. Siège de trafics illicites, attirant une faune douteuse.

C’est de nouveau un savoureux moment de lecture. Nous suivons les personnages au gré de l’intrigue, apprenant leur histoire au fur et à mesure. Ce sont tous des désaxés, marginaux, délinquants, particulièrement sympathiques. Des fous qui ne voient aucun souci à dessouder leur prochain, quand c’est pour leur cause.

Tandis que les différentes histoires s’enchevêtrent autour de Serge, un ouragan, Rolando-berto, tourne autour de Tampa et de l’île où se trouve le motel, une campagne électorale se déroule pour une loi destinée à jeter les étrangers dehors. Tout cela au milieu de la violence et de la folie que la Floride est tellement habituée à produire qu’elle semble faire partie d’elle. Sous la plume déjantée de Dorsey, en tout cas.

Je me suis surpris à tenter de retarder la fin, à essayer de différer certains moments de lecture pour que le roman me dure plus longtemps… mais ça se lit comme du petit lait, ça avance à une vitesse impressionnante, zappant d’un personnage à l’autre, enchaînant les moments forts, pour nous amener vers un final où, une nouvelle fois, la culture de Serge prend tout son sel, Key Largo jouant un rôle dans le dénouement…

Et, alors que les différents protagonistes reprennent la route, on se dit que vivement le prochain, paru un an plus tard, il s’intitule Orange Crush.

Tim Dorsey le long d’une route meurtrière

En 1999 paraît le premier roman de Tim Dorsey chez William Morrow, Florida Roadkill. Il traverse l’Atlantique en à peine un an et se voit traduit, sous le même titre, par Laetitia Devaux pour les éditions Payot & Rivages. C’est une histoire particulièrement rythmée, allumée et qui dézingue… et pour cause, nous sommes en Floride, une Floride qui en avait déjà subit pas mal au plan littéraire mais qui n’a pas encore épuisé l’imaginaire des écrivains. Et on peut dire que Dorsey va lui en faire subir.

Octobre 1997, les World Series viennent de s’achever sur la victoire inattendue des Marlins de Floride à Miami. Le prologue nous promène aux abords de l’US 1, la route qui dessert le stade où a eu lieu l’improbable exploit et s’arrête sur une galerie de personnages et d’événements plutôt marquants… florida-roadkill-payot-rivages-1999un premier aperçu de la Floride selon Dorsey. Un cadavre est découvert dans un motel, l’Orbit Motel, exécuté grâce à une installation assez élaborée. Des clients se succèdent dans une station service et son magasin, clients que nous allons retrouver, pour certains, à quelques kilomètres de là, dans un embouteillage. L’un d’entre eux n’ira pas aussi loin, exécuté par des latinos après avoir tenu des propos racistes à l’encontre de l’employé du magasin. Exécuté de manière particulièrement sauvage, frappé, battu, puis embroché à l’aide d’un appareil à hot dog. Un peu plus loin, deux des clients aperçus à la station service, David Klein et Sean Breen, arrêtent leur Chrysler blanche sur le bas-côté pour porter secours à une tortue essayant de traverser la route particulièrement fréquentée… une autre voiture, une corvette jaune canari, conduite par Coleman, écrase alors sciemment l’animal, Serge, le passager, insulte son compagnon et prend le volant… quelques kilomètres encore et une fusillade éclate entre deux voitures en travers de la route… La Floride dans toute sa splendeur, sa violence…

Si tu veux juger de l’état d’une civilisation, va jeter un coup d’œil dans ses épiceries et ses aéroports.

L’histoire démarre onze mois avant les World Series, onze mois avant la succession d’agressions et de violence à laquelle nous venons d’être soumis dans le prologue. Sharon Rhodes séduit Wilbur Putzenfus de manière particulièrement entreprenante, sur la plage. Le mariage qui s’ensuit est très court, Sharon devenant très vite veuve… Le jour de la mort du pauvre Putzenfus, une femme, autrement plus importante, Celeste Hamptons, fraîchement mariée également, trouve la mort de manière presque aussi stupide… Le jeune veuf et la jeune veuve se rejoignent, lestés d’un héritage intéressant qu’ils s’empressent de dilapider… Le ton est donné, le rythme effréné. Mais la véritable histoire n’est pas là, pas tout à fait…

A la suite d’une arnaque à l’assurance, Serge A. Storms, Seymour “Coleman” Bunsen, qui se sont associés à Sharon Rhodes, se lancent à la poursuite de Richard Veale et de cinq millions de dollars. Ils sont bientôt poursuivis eux-mêmes par ce qui pourrait s’apparenter à un cortège ou une procession tellement le nombre et la variété de ceux qui le composent est impressionnant. Mo Grenadine, un sénateur, détective privé et animateur radio, raciste et homophobe ; Charles Saffron, assureur et blanchisseur pour un obscur cartel costa gordien ; trois membres de ce cartel circulant en limousine ; Susan Tchoupitoulas, une flic en mal de reconnaissance… A cette galerie s’ajoutent David et Sean, les deux copains dans leur virée annuelle pour pêcher et qui s’achève toujours sans poisson ; Max Minimum, un agent immobilier arnaqueur ; trois bikers sans moto…

Un régal. Puisqu’à cette galerie et à l’intrigue principale s’ajoute un nombre important d’histoires annexes, parallèles.

Petit à petit, le trio formé par Serge, Coleman et Sharon prend le dessus et impose son rythme, semant les cadavres sur son périple allant de Miami à l’extrémité des Keys. Un périple motivé par la fuite, un lancement à Cap Canaveral et les World Series mais aussi par la passion de Serge pour l’histoire de l’état ou encore par la consommation effrénée de drogues diverses et variées par ses deux compagnons ou enfin, pour Serge, par la non prise du traitement qui lui ai prescris.

Des abris de surveillance multicolores en forme de soucoupes volantes ponctuaient la côte. L’Atlantique bleu nuit était un peu agité, mais le ciel restait limpide et chaud. C’était un monde où le sexe, les programmes de désintoxication en douze étapes et la chirurgie superflue étaient sureprésentés.

Le contrepoint est principalement apporté par le duo composé de David, le publicitaire, et Sean, le substitut du procureur. Ils contemplent et visitent d’une manière plus paisible les Keys… Contemplent et se remémorent leurs frasques passées, bien plus sages que tout les événements qu’ils côtoient où croisent…

Le style de Dorsey pour nous conter tout ça est classique, empreint d’ironie et d’une bonne dose de sarcasmes. C’est souvent méchant mais jouissif. Fait de maximes à l’emporte pièce et ressemblant à une déclaration d’amour particulièrement corrosive.

Tout évoluait à toute vitesse ! Silos de missiles à Cuba. Ecopes sur la plage. Alligators presque en voie de disparition, et puis non, finalement. Les juntes ont pignon sur rue à Boca Raton. Richard Nixon et Bebe Rebozo se baignent à poil au large de Key Biscayne. On expie les atrocités commises contre les indiens en jouant au loto. Fœtus de requins dans des bocaux de formol, fermes de geckos le long des routes, touristes qui tournent autour des stands de gaufres comme des nuées d’oiseaux sans ailes. Et avant qu’on s’en rende compte, la Nouvelle Floride est là, sous-organisée, sur-construite, mûre pour un ouragan meurtrier qui enverra rouler le dôme géodésique d’Epcot sur l’autoroute comme une balle de golf, un bois numéro un par Buckmintser Fuller.

Pas sûr qu’il s’agisse d’une publicité efficace pour la Floride, si c’en est une, mais il s’agit en tout cas d’un bouquin très recommandable.

Les dernières lignes nous font comprendre que l’histoire n’en finit pas là, la suite au prochain numéro, Hammerhead Ranch Motel, pour une suite échevelée… Pour connaître un peu mieux les origines de Serge A. Storms et approfondir ce premier opus, il faudra attendre Triggerfish Twist.

Comment j’ai rencontré l’œuvre de Tim Dorsey

Je ne suis plus bien sûr… il pourrait y avoir plusieurs versions, pas sûr de la bonne…

Je prenais des photos sur les bords d’une route de Belgique, celle de bottines déchirées. Il m’en avait fallu du temps pour les retrouver. J’avais arpenté les chemins au-delà de Charleroi après avoir pris un verre au Cabaret Vert… Je savais qu’elles étaient là, pas loin, et pendant qu’Alfred fumait son narguilé, j’avais déniché l’endroit. Il était passé par là, le poète. Il avait fini par renoncer à ces souliers usés, abîmés, par ses errances. Il y avait renoncé et ils étaient là, sous mes yeux… juste à côté d’une culotte avec un large trou… ou était-ce ailleurs ? Cette culotte, dont j’ai encore le cliché sous les yeux, enregistré dans mes dossiers, dans un nuage. Peut-être était-ce une route des Ardennes ? Alfred tirait sur un cône à la taille imposante, tentant d’établir un record. Nous n’étions plus loin du musée qui porte le nom du poète, dans une contrée où peu de gens s’aventurent désormais et nous avions éclusé quelques absinthes, dans les derniers endroits où l’on en sert encore… Au loin, les usines désaffectées, les fonderies sans plus rien à fondre, les statues de Guilledou… Ou était-ce plus loin encore ? Aux abords de Colombey ou dans la cour même de la Boisserie, sur ces cailloux qui avaient accueillis les derniers pas du Général, je le savais, c’est là qu’il avait eu cette hésitation, ce léger tassement, annonciateur de ce qui le terrasserait quelques heures plus tard, à son bureau, les images que j’en avais tiré valait leur pesant d’arachide. Alfred tirait sur sa pipe d’opium… Les photos s’accumulaient… Le lit où Jeanne avait dormi en escortant son souverain vers son couronnement, la rue dans laquelle l’un des inventeurs de la conserve avait la première idée de son invention, le lycée où le Grand Duduche était né, la maison où avait séjourné la baronne Dudevant ou les forêts arpentées par les pas d’un écrivain contemporain… J’avais toutes les photos, pour les prendre, il m’avait fallu renoncer à mon traitement, mes médicaments, mais ça valait la peine. Nous avions dû semer cette bande de décervelés qui pensait mettre la main sur notre sacoche, mais nous l’avions vu les premiers !… Alfred, pendant tout ce temps, avait mis au point une nouvelle façon de se shooter qu’il espérait faire breveter…

Un homme nous était passé devant, absorbé par son bouquin, un truc à la couverture colorée qui le faisait sourire et m’avait fait rater ma prise de vue… Il avait fini dans une des écluses de la Meuse et le bouquin dans ma valise… Je l’ai ouvert des mois plus tard…

Ou alors, était-ce tout autre chose ? Un tout autre endroit ? De toutes autres circonstances ?

Une navigation sur la toile, un site qui proposait encore et toujours du noir et qui semblait tenir particulièrement à un auteur… Le blogueur, tenancier du lieu, qui incitait tant et plus à le lire, ce fameux floridien, à la limite du harcèlement…

Encore du noir, ça fait toujours du bien, quand c’est du bon… et Tim Dorsey, c’est du bon, merci encore à Yan de le mettre si bien en avant !

Ça doit être comme ça que j’en suis arrivé à le lire, finalement… Je vous en parle, de ces lectures, très prochainement.

Tim Dorsey en léger différé de Floride

Aujourd’hui, j’entame le parcours de l’œuvre d’un nouvel auteur, un auteur hors norme, inclassable, comme la plupart des auteurs que j’ai abordés jusqu’ici, d’ailleurs. De mon point de vue, en tout cas… Un auteur qui vaut le détour et qui paraît pourtant ne pas avoir convaincu tout le monde de ce côté-ci de l’Atlantique, à commencer par les éditeurs qui nous font languir de plus en plus à chaque roman. On est passé d’un an pour traduire le premier roman à dix pour le dernier, alors que les romans continuent de paraître au rythme de un par an aux Etats-Unis ! Résultats, un retard de dix bouquins…

C’est pourtant un auteur qui fait parler de lui et qui ne se cache pas !

Il a ainsi accordé des entretiens à Steve Glassman sur son site, à Connie Ogle pour le Miami Herald ou encore à Richard McKee dans son livre Florida crime writers : 24 interviews.

En plus des entretiens, il a fait l’objet de plusieurs articles accessibles en ligne. Comme par exemple, celui qui lui est consacré sur Daily Kos par labwitchy. Fantasticfiction lui a consacré une page avec bibliographie et quelques petits plus. Tim Dorsey s’est même exposé davantage, racontant à Valerie Schremp Hahn du St Louis Post Dispatch l’acquisition d’une maison en pierre qui représentait quelque chose de particulier pour sa femme, ou rendant hommage à l’un de ceux qui l’ont inspiré, en l’occurrence John D. McDonald.

En France, il est également présent, évoqué. Ainsi, il a son entrée sur l’encyclopédie collaborative, une page dans le dossier consacré aux polars poilants par la librairie Sauramps ou encore chez k-libre. Il a même son défenseur national reconnu et motivé… Un défenseur, blogueur, qui a, par deux fois, défendu la cause dans Marianne, en 2015 puis dans le dernier numéro spécial polar du magazine, celui d’avril 2016… vous aurez reconnu Yan Lespoux…

Et pour compléter ce tour d’horizon, on ne peut oublier le site de l’écrivain lui-même, Tim Dorsey ! Un écrivain qui mérite qu’on en parle et surtout qu’on le lise… Je vais à mon tour essayer de partager le plaisir qu’il y a à le lire en parcourant son œuvre après avoir rapidement parlé de ma rencontre avec ses romans.