En 1967, quelques semaines après sa mort, est publié par Banner l’ultime roman de Goodis, Somebody’s done for. Il traverse l’Atlantique rapidement puisqu’il est traduit par Jean Rosenthal en 1968 pour la “série noire”, sous le titre de La pêche aux avaros. Un Goodis qui ne peut se renier.
Un homme est dans l’eau, sans une terre à l’horizon, il y est depuis tellement de temps qu’il sait qu’il ne pourra plus résister bien longtemps. Un orage l’a surpris alors qu’il partait pêcher et maintenant il n’a plus rien à quoi se raccrocher, quand il entend le bruit d’un moteur. Un moteur qui s’approche.
Ainsi débute l’intrigue. Calvin Jander n’est pas secouru par le canot à moteur qui lui tourne autour avant de repartir mais une bouée a été jetée là ou est tombée, peu importe toujours est-il qu’il peut regagner la terre ferme… Enfin ferme, c’est une zone de marais qu’il rejoint. Exténué, il s’endort sur la petite plage sur laquelle il a échoué. Une femme vient le chercher alors qu’il risque de nouveau la noyade, la marée étant montante. Une femme dont le visage lui semble familier, sans qu’il sache si cette impression n’est pas due à ce qu’il vient de vivre et aux émotions que cela a provoqué. Recueilli dans une cabane, elle s’occupe de lui mais ils sont bientôt découverts par un autre homme, l’un de ceux qui étaient dans le bateau et qui a refusé de le sauver.
Calvin Jander se trouve bientôt au milieu d’une bande de truands. Lui le publiciste, sa vie ne tient plus qu’à un fil parce qu’il a découvert bien malgré lui ce repère, cette planque. Mais, alors que la menace monte, une seule pensée trotte dans sa tête, celle de cette femme belle à couper le souffle et qu’il est de plus en plus sûr d’avoir déjà croisée.
Et cette pensée devient une obsession dont il ne peut se défaire.
Calvin Jander, publiciste, fait curieusement penser à un autre publiciste, un illustrateur alors que lui est dans la documentation. Il fait furieusement penser à James Vanning, celui de Nightfall. Il y fait penser pour plusieurs raisons, deux principalement, sa rencontre avec des truands et cette mémoire qui lui joue des tours et qu’il veut retrouver. Le rapprochement est intéressant car il s’agit d’un des meilleurs Goodis, de mon point de vue, et qu’il correspond à une période que le romancier avait abandonnée depuis longtemps. A ce premier aspect vient s’en ajouter un deuxième qui n’a pas toujours été un ingrédient de l’auteur, une femme fatale. Une beauté à laquelle on ne peut résister et sur laquelle il ne semble y avoir aucune prise, un peu comme Doris dans Cassidy’s Girl ou même Edna dans La blonde au coin de la rue, voire Dorothy dans Retour à la vie mais peut-être est-ce parce que je veux y voir une boucle se boucler.
Cet aspect de l’histoire qui en devient le centre apporte à l’intrigue une ambigüité qui en fait toute la richesse. Jander s’accroche à sa volonté de retrouver la mémoire même si cela devait le perdre. Il s’y accroche comme si il avait enfin trouvé un sens à sa vie et comme si le fait de se plonger pleinement dans cette recherche puis d’en accepter les conséquences allait de soi. On le sent gagner de la force, de la volonté, alors que son avenir devient plus incertain. Alors que cette partie de pêche initiale se transforme en une course aux ennuis, comme le titre français le suggère.
Quant au titre original, savoir qui est cette personne faite pour… et pour quoi ? C’est une ambigüité qui s’ajoute. Difficile de dire quelles sont les pensées réelles des personnages, Goodis ayant abandonné ce qu’il avait pourtant adopté depuis quelques livres, ces monologues intérieurs nous faisant pénétrer les pensées intimes d’un personnage.
Ce retour en arrière avec une intrigue ressemblant plutôt à celles qu’il explorait au début des années 50 et cette façon de traiter ses personnages datant de la même époque, on en vient à se demander si ce roman posthume ne serait pas plutôt de ces années-là, période prolifique de l’auteur. S’il ne s’agit pas d’un roman jamais publié sorti des tiroirs après sa mort et peut-être contre sa volonté…
C’est en tout cas une œuvre d’une grande qualité rappelant si c’était nécessaire l’écrivain remarquable qu’était David Goodis. Et dont il faut lire l’ensemble de l’œuvre !