En 1953, un an après Le Scalpel, paraît le sixième et dernier roman d’Horace McCoy, This is Dynamite. Comme pour le précédent, il adapte l’un des scénarios qu’il a écrit pour Hollywood. Contrairement à l’autre, celui-ci a été porté à l’écran, par William Dieterle sous le titre Le cran d’arrêt (The Turning Point, 1952). C’est dans sa traduction française, due à Jacques-Laurent Bost, qu’il paraît d’abord, sous le titre Pertes et fracas. Il ne sera publié qu’en 1959 aux Etats-Unis, retitré Corruption City après que McCoy ait refusé à plusieurs reprises de le remanier, résistant aux habituelles pressions pour chacun de ses romans auxquelles il avait fini par s’accoutumer. C’est qu’une nouvelle fois, il met à mal ce fameux rêve états-unien tant vanté.
A quatre heures du matin, l’entrepôt abritant les réserves de papier des deux plus grands quotidiens de l’état est en feu. Les pompiers sont sur place aussi vite que possible mais il est déjà trop tard, les cinq étages ont flambés. Pour que ça soit aussi rapide, il n’y a qu’une explication, un incendie criminel avec plusieurs départs de feu. Les patrons du Morning Press et du Star Journal assistent, dès le lendemain, à une réunion dans le bureau du gouverneur en présence du district attorney, Dave Fogel, et de quelques autres huiles. La coupe est pleine et il n’y a aucun doute quant au commanditaire du crime, le Consortium de Nemo Crespi a mis ses menaces à exécution. Il ne tolère pas qu’on lui résiste et quand il veut faire main basse sur quelque chose, il ne lésine pas sur les moyens. Mais cette fois, le gouverneur décide de mettre les moyens aussi pour répliquer. Devant le refus du district attorney de prendre en main l’enquête qu’il veut diligenter, il décide de nommer un procureur spécial disposant de tous les moyens qu’il peut mobiliser.
Le doyen Roughhead est tout désigné pour cette tâche. Mais il refuse et propose à sa place le plus brillant enseignant de son université, John Conroy. Jeune professeur déjà promis à un bel avenir malgré ses vingt-sept ans. Après avoir un peu hésité, Conroy accepte et part le jour même pour la ville où il a grandi. Il a une dette dans cette ville vis-à-vis de son père, flic intègre qui n’a pas eu l’évolution qu’il méritait, supplanté dans les promotions par des collègues corrompus.
Sur place, John Conroy s’entoure d’une équipe en qui il peut avoir confiance, commençant par embaucher son père. Il décide ensuite de s’entourer de certains de ses anciens étudiants dont le discours était sans concession lors de leur passage à l’université. Ils ont malheureusement bien changé et il ne parvient à en convaincre que deux, dont Amanda Waycross, fille d’une juge à la réputation de grande probité. A cette équipe vient s’ajouter un ancien avocat déchu, Cicero Smith, tombé dans l’alcool et qui voit là l’occasion de se racheter.
La partie ne s’annonce pas facile, Nemo Crespi ayant acquis un pouvoir énorme et disposant de complices un peu partout. Même là où on ne pourrait l’imaginer.
C’est un roman noir pur et dur que nous offre là Horace McCoy. Le roman d’une société corrompue qui tente de se réveiller bien tardivement, d’échapper à la mainmise du crime organisé qu’elle a pourtant laissé s’épanouir et prospérer jusqu’ici.
John Conroy se montre inflexible et déterminé. La partie gagne en intensité au fur et à mesure que les deux adversaires prennent la mesure du danger que représente l’autre. La peur gagne et les coups se font de plus en plus durs, en laissant quelques-uns sur le carreau.
McCoy décrit une violence installée, acceptée, ayant eu raison de toute résistance. Une société gangrénée qui a intégré la corruption et accepté de faire une place aux truands. Il le fait à un rythme soutenu, dans un style épuré, direct, où l’action domine. Les sentiments sont là, exprimés dans des élans irrépressibles, l’amour, la haine, le doute, le sens du devoir et un certain instinct de préservation.
Contrairement à Un linceul n’a pas de poches, la presse apparaît comme l’un des seuls remparts à la collusion entre le pouvoir et le banditisme. L’un des autres remparts étant la justice, ou quelques hommes en son sein, une évolution depuis Adieu la vie, adieu l’amour… Mais sur le fond, c’est bien toujours cette société malade que nous décrit le romancier, ne constatant aucun progrès depuis On achève bien les chevaux.
Le roman est publié aux Etats-Unis en 1959, après la mort de son auteur, sous une forme proche du scénario qu’il était au départ, alors qu’il a été publié bien plus tôt en France sous la forme d’un véritable roman. Plus direct, plus proche du behaviorisme que ses autres intrigues, il reste une attaque contre la société dans laquelle il a vécu, ne déparant pas avec l’ensemble de son œuvre romanesque.