Après vingt ans d’absence de la scène littéraire, parti voguer du côté du cinéma et de la télévision, Pagan vient de commettre un nouveau roman. Dernière station avant autoroute connait son successeur et c’est Profil perdu. L’écrivain est resté fidèle à son éditeur, Rivages, et à son fondateur, François Guérif. Et pour ne pas revenir seul, il nous offre une nouvelle apparition de Schneider.
Un interrogatoire, Bugsy et Meunier face-à-face, le dealer et le flic. Bugsy tient bon et ne reconnait pas la femme sur la photo que Meunier lui montre. L’interrogatoire prend fin sur un conseil de Bugsy à Meunier, celui de poser la question de l’identité de la femme à Schneider, lui saura sûrement de qui il s’agit. C’est le 31 décembre 1979 et Minnie, la femme de Meunier s’inquiète de son retour. Il va rentrer. Et d’autant plus vite qu’il ne parvient pas à trouver Schneider, déjà parti de l’Abattoir, l’annexe de l’Usine, l’autre nom du commissariat.
Schneider n’est plus à l’Abattoir, il est sur le bord du lac tandis que Catala, Charles Catala, son fidèle subordonné, l’attend dans la voiture. Alors qu’il reprend le volant, Catala lui apprend que Meunier a tenté de le joindre sans donner un caractère urgent à sa demande, Schneider décide donc de passer chez Bubu Wittgenstein pour une petite conversation et récupérer quelque chose qu’il lui a demandé, dont il a besoin pour la soirée. Une soirée chez Monsieur Tom avec comme thème Cotton Club. C’est une Lincoln Continental 1969 que Bubu lui prête, un petit bijou d’automobile.
Tandis que Schneider se rend chez Monsieur Tom, Meunier rentre chez lui, non sans avoir essuyé une nouvelle fois les remarques vexatoires et menaçantes de ses collègues des stups et de son chef, leur chef, Stern.
A la soirée déguisée, outre Monsieur Tom et Marina, sa compagne, Schneider rencontre une jeune femme qui le subjugue et qu’il subjugue, une jeune femme avec laquelle il repart et qui lui dit s’appeler Cheroquee. A peine rentré chez lui, Meunier ressort, pour ne plus revenir. Une affaire qui va être confiée à Schneider et son équipe.
Comme pour Vaines recherches, la deuxième apparition de Schneider sous la plume de Pagan, Profil perdu nous offre une variation sur la relation entre le flic et Cheroquee. Il s’agit cette fois de leur rencontre, celle dont la jeune femme s’était justement souvenue dans le roman précédent. Une variation aussi glaciale, météorologiquement parlant, que celle d’avant était étouffante, caniculaire. Ces deux romans se situant avant La mort dans une voiture solitaire, première intrigue du romancier et première apparition des deux personnages.
En plus de Cheroquee, on y croise les personnages des deux bouquins cités, Charles Catala, Louis Dumont, Müller… Les membres de l’équipe de Schneider, cette « criminelle B » qui n’a plus de nom cette fois. Un retour en arrière légèrement décalé.
C’est, en effet, un roman intemporel que nous offre Pagan, un roman qui se situe dans un passé dans lequel l’écrivain avait l’habitude de sévir. Il situe ce passé de manière précise, au soir du 31 décembre 1979. Un choix de date devenant plus vague, plus flou, par quelques détails rendant l’histoire encore plus intemporelle. C’est une année 1979 en avance sur son temps puisqu’on peut y écouter Chris Isaak, dont les premiers enregistrements ne datent que de quelques années plus tard, on peut y lire une nouvelle de Stephen King publiée par chez lui un peu plus tard encore que les vinyles du chanteur à la voix de velours. D’autres détails brouillent encore les repères, on nous parle ainsi d’un service sévissant à l’époque, la BSN, en nous expliquant qu’il s’agit de l’ancêtre de la BAC, cette même BAC évoquée quelques pages plus tôt comme existant déjà, alors que dans les romans précédents, chronologiquement postérieurs à celui-ci, il s’agissait bien de la BSN, sans équivoque. On peut déjà payer avec sa carte de crédit pour faire le plein d’essence en self-service ou dans un restaurant. Ou évoquer la lambada pour décrire un personnage. Un flou volontaire ou un flou dû à une relecture trop rapide ? A mon avis, un peu des deux, l’atmosphère est là, un peu embrouillée, sans contours nets, comme les perceptions de certains personnages. Comme cette neige qui tombe et finit par tout changer.
Mais pas comme les personnages. Eux sont clairs et précis, bien décrits. On s’y attache, comme à chaque fois, un peu plus. Même si cette netteté est parfois éloignée des incertitudes qui les définissaient jusque là. Sauf pour Schneider. Le policier est toujours ce bloc de contradictions impossible à cerner, pétri d’un passé déjà sombre. Ce bloc inébranlable, fort de certaines convictions forgées dans la tourmente. Toujours aussi franc-tireur, hanté par son passé. Un passé dont il aimerait ne pas parler.
“Il ressassait des choses mortes qui n’avaient plus de raison d’être.”
L’intrigue se déroule sous nos yeux. Une intrigue ancrée dans la vie d’un commissariat, avec ses petites et ses grandes affaires, ses rivalités. Les rivalités se trouvent exacerbées par l’affaire, les petites affaires ne le sont pas tant que ça et les grandes obligent à frayer dans un monde assez nauséabond.
Et puis, il y a Cheroquee qui fait affleurer les doutes, la peur, les sentiments.
C’est un roman noir plus positif que les précédents… même si l’on connait la suite, on se prend à espérer. Parfois. Plus positif mais toujours hanté par la mort.
“La vie n’est pas faite de mystères : seulement d’énigmes, que l’on finit toujours par résoudre un jour ou l’autre. Ou pas. Une énigme non résolue reste une énigme. Seule la mort est un mystère.”
Ce côté positif et le style de Pagan, plus léger, moins teinté de blues, sont les évolutions les plus palpables de l’écrivain. Il ne reste plus qu’à découvrir les autres dans les romans qui viendront et que nous attendons déjà avec impatience, après cette remise en route, ce désengourdissement.