Hugues Pagan, de retour avec Schneider

Après vingt ans d’absence de la scène littéraire, parti voguer du côté du cinéma et de la télévision, Pagan vient de commettre un nouveau roman. Dernière station avant autoroute connait son successeur et c’est Profil perdu. L’écrivain est resté fidèle à son éditeur, Rivages, et à son fondateur, François Guérif. Et pour ne pas revenir seul, il nous offre une nouvelle apparition de Schneider.

Un interrogatoire, Bugsy et Meunier face-à-face, le dealer et le flic. Bugsy tient bon et ne reconnait pas la femme sur la photo que Meunier lui montre. L’interrogatoire prend fin sur un conseil de Bugsy à Meunier, celui de poser la question de l’identité de la femme à Schneider, lui saura sûrement de qui il s’agit. C’est le 31 décembre 1979 et Minnie, la femme de Meunier s’inquiète de son retour. Il va rentrer. Et d’autant plus vite qu’il ne parvient pas à trouver Schneider, déjà parti de l’Abattoir, l’annexe de l’Usine, l’autre nom du commissariat.

Schneider n’est plus à l’Abattoir, il est sur le bord du lac tandis que Catala, Charles Catala, son fidèle subordonné, l’attend dans la voiture. Alors qu’il reprend le volant, Catala lui apprend que Meunier a tenté de le joindre sans donner un caractère urgent à sa demande, Schneider décide donc de passer chez Bubu Wittgenstein pour une petite conversation et récupérer quelque chose qu’il lui a demandé, dont il a besoin pour la soirée. Une soirée chez Monsieur Tom avec comme thème Cotton Club. C’est une Lincoln Continental 1969 que Bubu lui prête, un petit bijou d’automobile.

Tandis que Schneider se rend chez Monsieur Tom, Meunier rentre chez lui, non sans avoir essuyé une nouvelle fois les remarques vexatoires et menaçantes de ses collègues des stups et de son chef, leur chef, Stern.

A la soirée déguisée, outre Monsieur Tom et Marina, sa compagne, Schneider rencontre une jeune femme qui le subjugue et qu’il subjugue, une jeune femme avec laquelle il repart et qui lui dit s’appeler Cheroquee. A peine rentré chez lui, Meunier ressort, pour ne plus revenir. Une affaire qui va être confiée à Schneider et son équipe.

Comme pour Vaines recherches, la deuxième apparition de Schneider sous la plume de Pagan, Profil perdu nous offre une variation sur la relation entre le flic et Cheroquee. Il s’agit cette fois de leur rencontre, celle dont la jeune femme s’était justement souvenue dans le roman précédent. Une variation aussi glaciale, météorologiquement parlant, que celle d’avant était étouffante, caniculaire. Ces deux romans se situant avant La mort dans une voiture solitaire, première intrigue du romancier et première apparition des deux personnages.

En plus de Cheroquee, on y croise les personnages des deux bouquins cités, Charles Catala, Louis Dumont, Müller… Les membres de l’équipe de Schneider, cette « criminelle B » qui n’a plus de nom cette fois. Un retour en arrière légèrement décalé.

C’est, en effet, un roman intemporel que nous offre Pagan, un roman qui se situe dans un passé dans lequel l’écrivain avait l’habitude de sévir. Il situe ce passé de manière précise, au soir du 31 décembre 1979. Un choix de date devenant plus vague, plus flou, par quelques détails rendant l’histoire encore plus intemporelle. C’est une année 1979 en avance sur son temps puisqu’on peut y écouter Chris Isaak, dont les premiers enregistrements ne datent que de quelques années plus tard, on peut y lire une nouvelle de Stephen King publiée par chez lui un peu plus tard encore que les vinyles du chanteur à la voix de velours. D’autres détails brouillent encore les repères, on nous parle ainsi d’un service sévissant à l’époque, la BSN, en nous expliquant qu’il s’agit de l’ancêtre de la BAC, cette même BAC évoquée quelques pages plus tôt comme existant déjà, alors que dans les romans précédents, chronologiquement postérieurs à celui-ci, il s’agissait bien de la BSN, sans équivoque. On peut déjà payer avec sa carte de crédit pour faire le plein d’essence en self-service ou dans un restaurant. Ou évoquer la lambada pour décrire un personnage. Un flou volontaire ou un flou dû à une relecture trop rapide ? A mon avis, un peu des deux, l’atmosphère est là, un peu embrouillée, sans contours nets, comme les perceptions de certains personnages. Comme cette neige qui tombe et finit par tout changer.

Mais pas comme les personnages. Eux sont clairs et précis, bien décrits. On s’y attache, comme à chaque fois, un peu plus. Même si cette netteté est parfois éloignée des incertitudes qui les définissaient jusque là. Sauf pour Schneider. Le policier est toujours ce bloc de contradictions impossible à cerner, pétri d’un passé déjà sombre. Ce bloc inébranlable, fort de certaines convictions forgées dans la tourmente. Toujours aussi franc-tireur, hanté par son passé. Un passé dont il aimerait ne pas parler.

Il ressassait des choses mortes qui n’avaient plus de raison d’être.

L’intrigue se déroule sous nos yeux. Une intrigue ancrée dans la vie d’un commissariat, avec ses petites et ses grandes affaires, ses rivalités. Les rivalités se trouvent exacerbées par l’affaire, les petites affaires ne le sont pas tant que ça et les grandes obligent à frayer dans un monde assez nauséabond.

Et puis, il y a Cheroquee qui fait affleurer les doutes, la peur, les sentiments.

C’est un roman noir plus positif que les précédents… même si l’on connait la suite, on se prend à espérer. Parfois. Plus positif mais toujours hanté par la mort.

La vie n’est pas faite de mystères : seulement d’énigmes, que l’on finit toujours par résoudre un jour ou l’autre. Ou pas. Une énigme non résolue reste une énigme. Seule la mort est un mystère.”

Ce côté positif et le style de Pagan, plus léger, moins teinté de blues, sont les évolutions les plus palpables de l’écrivain. Il ne reste plus qu’à découvrir les autres dans les romans qui viendront et que nous attendons déjà avec impatience, après cette remise en route, ce désengourdissement.

Hugues Pagan, son œuvre (2ème partie)

Après avoir enchaîné les livres à raison d’un à deux par an, Pagan adopte un nouveau rythme pour ce qui sera, pour lui, une trilogie. On sait qu’à cette période, il va également faire une expérience qui le marquera fortement. En 1988, il est l’un des OPJ appelé sur les lieux d’une catastrophe ferroviaire (celle des sous-sols de la gare de Lyon en juin 1988). Voilà peut-être qui explique également son changement de rythme et la teneur des trois bouquins qui vont suivre.

En 1990, trois ans après son dernier roman, Pagan publie un nouveau roman chez Albin-Michel. Il s’intitule L’étage des morts. Avec ce nouvel ouvrage, il s’affirme définitivement comme un des grands auteurs français du roman noir. C’est, L'étage des morts (Albin Michel, 1990)en tout cas, mon sentiment. Il semble aller encore plus loin que pour ces bouquins précédents. Il porte assez haut ce qui faisait son style, jusque là.

On retrouve un flic à la dérive, un flic dans la lignée de Katz (Boulevard des allongés) ou de Schneider (La mort dans une voiture solitaire et Vaines recherches). Un flic sans nom, à la manière de Robin Cook et de sa série sur l’Usine. Un homme, une ville et le désespoir, le blues et la musique qui pourrait aller avec.

Sur le site Pol’Art Noir, c’est MacOliver qui s’est collé à la chronique du roman. Mon avis est un peu plus bas, le voici :

« Pagan nous offre une fois de plus une plongée dans la ville, dans la nuit. Une fois de plus mais pas une fois de trop. Avec Pagan, ça n’est jamais une fois de trop, il y a trop de talent chez cet auteur-là pour bouder le plaisir qu’il nous offre à chacun de ses bouquins ouvert.

Un flic raconte à la première personne son errance. Peut-être son dernier coup d’éclat. Un flic errant qui s’accroche à ces convictions, c’est tout ce qu’il lui reste pour ne pas sombrer complètement. Il nous raconte la mort d’un de ses collègues pas forcément plus paumé que lui ou que ceux qu’il côtoie chaque jour.
Comme toujours chez Pagan, il nous présente un personnage au bord de l’abîme, un personnage qui colle tellement à son style, sans cesse en équilibre, si près de se casser la gueule. Mais c’est de nouveau un plaisir, un grand plaisir et l’on se prend à regretter amèrement qu’il n’y ait pas plus de bouquins de cet auteur, qu’il se soit détourné de la littérature beaucoup trop prématurément. Ou peut-être avait-il tout dit ?

« Je m’étais battu, sans doute pas très bien, pour que des gosses – les leurs, les miens, ceux de tout le monde -cessent de se piquer et de crever de surdose, pour que les promoteurs immobiliers cessent de faire griller des vieilles dans les immeubles qu’ils convoitent, pour qu’on arrête de traiter les blacks, les biques, les basanés et ceux qui n’ont pas eu de chance comme des chiens. Moi aussi je m’étais battu pour un monde plus juste et plus fraternel, jour après jour, nuit après nuit. Bien sûr que ça n’était pas raisonnable, mais je n’avais jamais été raisonnable, seulement fidèle autant que je l’avais pu à la devise de mon ordre. J’avais rêvé d’un monde où les flics cesseraient de faire des pipes aux gros et aux riches, et de latter les pauvres et les laissés-pour-compte, où les commissaires ne se sucreraient plus sur les expulsions et les vacations funéraires… J’avais rêvé… C’est lorsqu’on est tombé tout en bas, avec l’angle de dérive d’une plaque de fonte lancée dans un égout, qu’on se rend compte… D’abord on rêve, après on meurt. Nul n’est jamais aussi fort ni endurant qu’il le croit. Je m’étais battu et j’avais perdu.
Rideau. »

Oui, peut-être qu’il a tout dit. »

Le désespoir de Pagan est peut-être plus profond, plus personnel…

Trois ans plus tard, paraît chez Rivages Tarif de groupe. Cette fois, c’est un flic qui a franchi le pas, un flic qui n’en est plusTarif de groupe (1993) un, il a quitté l’Usine mais on ne peut pas se défaire de ce métier et il le rattrape avec une affaire non élucidée, trop vite classée. Le flic replonge et nous plonge dans les travers de la police. Pagan règle ses comptes avec cet homme désabusé, au bord de l’abîme, de la folie, et qui ira jusqu’au bout. Le flic a, cette fois, un nom, Chess. Mais son nom n’ôte rien au désespoir, à l’échec d’où il vient et vers lequel il retourne irrémédiablement. Sur une bande son bien à lui (rien qu’à lui ?) et qui vaut également le détour.

Je l’ai chroniqué sur Pol’Art Noir, si vous voulez aller plus loin, elle est .

Il faut attendre quatre ans pour que le dernier roman de Pagan débarque sur les gondoles. Il s’agit d’un roman qui mériterait d’y être encore en tête tellement il nous emmène loin. Dernière station avant autoroute.

De nouveau la musique, de nouveau la nuit, de nouveau un flic sans nom au bord du gouffre. Ça ressemble aux précédents dit comme ça, mais chaque roman de Pagan se détache du précédent pour aller plus loin, nous proposer de nouveaux tours et détours, un nouveau chemin que l’on arpente en long, en large, avec ce désespoir, ce blues qui colle Dernière station avant l'autoroute (1997)tellement à tout, à chaque seconde.

Voici ce que j’en disais sur Pol’Art Noir à la suite de la chronique de MacOliver :

« Un flic sans nom, le narrateur, nous raconte sa lente dégringolade.

Les affaires se succèdent à la brigade de nuit dont il est le commandant. Mais il ne croit plus à grand-chose. Quasiment plus à rien.

La vie, on a bien fini par s’en rendre compte, c’est jamais qu’un de ces tristes bouis-bouis où jamais on ne repasse les plats.

Les affaires se succèdent, petites ou grandes, délicates ou pas. Un incendie dans une cave tue une dizaine de squatter, un sénateur se suicide dans la chambre d’un hôtel qui tient à sa réputation, à la discrétion, une femme en tue une autre… Il doit en même temps se battre, combattre sa hiérarchie, qui lui reproche sa trop grande indépendance. Il aurait pu finir plus haut, grimper les échelons mais il y a renoncé. Peut-être à la suite de l’enquête que l’on suivait dans L’étage des morts dont quelques personnages sont évoqués au passage et qui nous était également raconté par un flic sans nom de l’Usine, lointain cousin de celui de Robin Cook. L’univers des deux écrivains est si proche qu’on ne peut s’empêcher de penser au maître du roman noir britannique quand on lit les romans de Pagan.

L’affaire du sénateur suicidé va poursuivre notre narrateur, le pousser un peu plus vite dans la pente. Il a eu la mauvaise idée d’être là le premier pour les constatations et on redoute qu’il ait mis la main sur des documents compromettants, il a en plus la mauvaise idée de s’approcher de beaucoup trop près de l’ancienne épouse de l’homme politique.

Pagan nous offre un condensé de Pagan. On retrouve dans ce roman tout ce que l’on a pu trouver au long de ses romans précédents, un personnage principal complètement désabusé qui ne voit plus l’intérêt de continuer à faire semblant, à se conformer à des codes sans intérêt, sachant que nous finirons tous de la même façon et que c’est vers cela qu’il faut aller quelle que soit la manière.

C’est jamais le même chemin qu’on suit, c’est quand même bien au même endroit qu’on va.”

Dernière station avant l’autoroute est le dernier livre à ce jour de Hugues Pagan. Un chant du cygne, un bilan presque, sans en avoir la lourdeur, l’aspect rébarbatif. Comme son personnage, on se dit que le romancier a tout dit. Dit tout ce qu’il avait à dire, qu’il en a fait le tour. Il va même plus loin que précédemment, montrant un personnage qui se décide à renoncer à tout ou presque, qui se laisse couler.

C’est un grand roman, un roman dérangeant, un roman exigeant. Le roman d’un romancier qui aura marqué le polar français de son empreinte et dont l’importance mérite une plus grande reconnaissance… même si il est évident que Pagan ne court pas après.

Plus rien de grave ne peut se produire depuis l’invention de l’aspirine.”

Après cette dernière station, on se demande qu’elle est l’autoroute empruntée, pas sûr de ne pas avoir tout simplement suivi le cauchemar d’un homme revenu de tout, pas sûr que ce que l’on a lu fasse partie d’une certaine réalité ou du rêve. Un rêve sacrément noir. Pas sûr que le narrateur ne soit pas entré dans sa propre fiction. Plus sûr de rien. Et tout cela, comme toujours, accompagné d’un blues désespéré, d’une bande son de qualité.

Il n’y a rien au-dessus du blues, sauf peut-être le blues.”

Je le dis et le redis, Pagan est un auteur à lire, un auteur à savourer pour tous les amateurs de roman noir, tous les amateurs de grande littérature car elle n’est pas toujours là où on nous le dit.

Hugues Pagan, son œuvre (1ère partie)

Hugues Pagan est né en 1947, donc. Après des études de philosophie, il devient enseignant puis entre dans la police. C’est alors qu’il exerce dans cette administration qu’il commet son premier roman.

En six ans, Pagan va publier pas moins de sept romans. Des romans qui seront d’abord publiés dans la collection Fleuve Noir puis chez Albin Michel et enfin Rivages.

En 1982 paraît le premier de ses romans, La mort dans une voiture solitaire dans la collection Fleuve Noir. Ce roman sera de nouveau publié en 1994 chez Rivages/Noir dans une version comprenant une quarantaine de pages La mort dans une voiture solitaire (Fleuve Noir, 1982)supplémentaires. Pages qui avaient été supprimées de la première version.

Dans ce roman, l’univers de Pagan s’installe et l’un de ses personnages récurrents, l’inspecteur Schneider, entre en scène. Dès ce premier roman, Pagan nous offre un bouquin d’une grande tenue, d’une grande qualité. Le blues, la ville, accompagnent les pérégrinations de l’histoire, en sont des personnages à part entière. Un bouquin prenant avec un personnage principal flic, revenu de tout. Schneider, comme souvent dans le roman noir se bat contre tous pour mettre à jour une vérité que personne ne tient réellement à voir révélée. Il se bat contre sa hiérarchie et contre une certaine société, la nôtre, qui comme lui a renoncé à pas mal de choses.

C’est un grand roman, avec un personnage écorché qui n’est pas sans nous rappeler le flic sans nom de Robin Cook, ce flic qui allait apparaître bientôt dans la Série Noire. Ces deux romanciers, par lesquels j’ai commencé mon blog me semblent très proches dans leurs thèmes et leur vision de la société. Ce sont deux grands romanciers par leur style également, j’en ai cité quelques extraits dans la chronique que j’ai faite de ce livre sur Pol’Art Noir.

Quelques mois plus tard, en 1983, paraît le deuxième roman de Pagan, de cet auteur qui a déjà marqué les esprits dès son entrée dans le paysage noir français.

L’eau du bocal adopte un tout autre ton que le premier roman du monsieur. Il s’agit d’une histoire sérieuse traité sur un mode loufoque, un peu déjanté, légèrement décalé. Une histoire qui n’a rien de franchement drôle et qui meL'eau du bocal (Fleuve Noir, 1983)t une nouvelle fois aux prises un flic et sa hiérarchie. Le roman est noir, résolument, avec une vague d’attentats qui se répand, mais, encore une fois, la manière de le raconté est légère et ironique. C’est un roman comme on n’en croise pas si souvent dans l’univers littéraire français, un roman un peu doux dingue et qui n’est pas sans rappeler par le ton adopté Robin Cook, encore une fois, son deuxième roman en particulier, Bombe surprise. Une histoire de terrorisme narré sur un mode humoristique. C’est un roman curieux et qui confirme définitivement le talent hors norme de Pagan, capable d’écrire sur tous les tons avec un égal bonheur. J’en parle également .

Le troisième roman de Pagan paraît la même année. Il s’agit de Je suis un soir d’été. Roman que je n’ai pas encore lu à ce jour et dont je ne pourrai pas vous dire grand-chose puisqu’il est l’un de ceux les moins évoqués de son œuvre. J’y reviendrai quand il sera enfin tombé entre mes mains.

En 1984, Pagan commet une nouvelle fois deux romans. Le premier d’entre eux, son, déjà, quatrième s’intitule Boulevard des allongés. Après L’eau du bocal et, peut-être, Je suis un soir d’été, Pagan signe là un retour radical au roman noir pur jus. On retrouve un flic désabusé, un lointain cousin de son premier flic, Schneider. J’en ai également parlé sur Boulevard des allongés (1984)le site Pol’Art Noir, à la suite de la chronique de Patrick Galmel, voici ce que j’en disais :

“Hugues Pagan poursuit son exploration de la ville, de ses côtés sordides ou inavouables. Et de la police qui se débat pour mettre un peu d’ordre dans le désordre, en se perdant parfois, en franchissant les limites qu’elle veut imposer aux autres.

Katz est un flic sur le fil, infréquentable, franc-tireur, solitaire. Qui s’enfonce un peu plus chaque jour.

« Des voitures roulaient dehors, dans la rue, il les entendait à peine. Un néon palpitait et incendiait par intermittence les hautes vitres de l’atelier, mauve et tarabiscoté, mais il ne le voyait pas, il en avait seulement conscience, comme il avait conscience de ceux qui rôdaient dans la nuit, inlassables, et tissaient leurs toiles, habiles et patients ou maladroits et furtifs, de toutes les manières promis au même sort, bientôt happés et englués, piqués par les autres habitants de l’ombre, sucés, vidés, et Katz au petit matin retrouvait leur enveloppe livide sur le marbre de l’institut médico-légal, et il fallait encore les ouvrir, les découper, à moins qu’on dût se livrer à une séance de puzzle macabre, la nuit était une mer qui déposait sur la grève ses restes au petit matin, quand la lumière grise et sans relief tombait d’en haut et se dissolvait, et ne détaillait rien, une mer sans conscience, sans mémoire, sans remords. Sans haine. »

Katz est un flic détruit qui s’est approché trop près de ce contre quoi il luttait. Qui s’est laissé casser par son métier…
Alors, bien sûr, on se perd un peu au début du roman, on ne sait parfois plus où l’on en est. Mais les personnages sont comme nous, la réalité les dépasse, ils n’en connaissent qu’une partie et c’est déjà trop. Pagan ne nous perd jamais complètement et on finit par se repérer dans cet univers où les sentiments de chacun, des sentiments exacerbés, n’ont pas leur place. Il faut faire taire les moindres faiblesses qui pourraient nous perdre.

Le style de Pagan est à la mesure de ce qu’il raconte, fort et désespéré. Prenant pour peu que l’on soit prêt à s’enfoncer dans les côtés sombres de la société, dans la noirceur qui va de pair avec l’homme, avec tout homme.”

C’est de nouveau un roman poignant que Pagan nous offre.

Son deuxième roman de l’année 1984 est Vaines recherches, le roman qui marque le retour de l’inspecteur Schneider. C’est également le dernier de ses livres à paraître dans la collection Fleuve Noir.

Schneider est un alter ego de l’auteur et il va de nouveau devoir affronter une sale affaire.

J’en avais parlé en marge de la chronique de MacOliver sur Pol’Art Noir :

“La criminelle « B » est de permanence. La criminelle « B », c’est celle que commande Schneider, le flic plus que désabusé Vaines recherche (Fleuve Noir, 1984)que Pagan nous avait présenté dans son premier roman, La mort dans une voiture solitaire. Et comme à chaque fois que la « B » est de permanence, de sales affaires pleuvent. La poisse ! D’autant que le temps est à la poisse, avec la canicule qui s’est abattue sur la ville. De sales affaires qui s’acharnent sur Schneider, qui lui en veulent personnellement. Le viol de la maîtresse de Catala, l’un de ses équipiers, et un fou qui zigouille les femmes au hasard à la manière d’un tireur d’élite et qui adresse des messages à Schneider.

Pagan nous offre une plongée dans un commissariat, avec le tout venant et les plus grosses affaires que doivent se coltiner les membres de la criminelle. C’est un roman court mais quand c’est du Pagan, court ou pas, cela reste un plaisir à lire. Il n’approfondit pas les différents événements, reste en surface, avec la chaleur et les affaires qui se succèdent, les flics n’ont pas le temps, Pagan non plus.

C’est un plaisir léger que nous offre le romancier, un plaisir qu’il serait dommage de bouder. Une prose d’une telle qualité est tellement rare !”

Pagan confirme un ton, une manière d’appréhender la fiction avec ce roman, il colle à la réalité et décide parfois de ne pas entrer dans des détails auxquels nous n’aurions pas accès dans la réalité.

Son roman suivant, publié chez Albin Michel en 1985, va s’attaquer à un autre thème, un thème qu’il n’avait pas abordé Last affair (1985)jusque là ou pas aussi frontalement, un thème qui semble un peu éloigné de son univers, l’espionnage, le contre espionnage et, plus familier pour lui, la manipulation. Last Affair aborde le versant caché de notre société, celui que l’on veut dérober à notre vue.

C’est, encore une fois, un roman légèrement à part dans la bibliographie de Pagan mais il reste bien de lui, en ce sens que son talent est toujours là, intact, tellement prenant pour le lecteur. Celui que je suis en tout cas. Je l’avais chroniqué ici.

Avant d’entamer une trilogie qui marquera en même temps la fin de son œuvre romanesque, Pagan fait une première incursion chez Rivages avec Les eaux mortes. Nous sommes en 1986.

Une nouvelle fois, l’histoire se déroule devant nous sans qu’il y ait pléthore d’explications, de retours en arrière. OnLes eaux mortes (1986) devinera le passé du personnage principal en creux, dans certaines évocations en passant, sur lesquelles il ne s’appesantira pas.

C’est à nouveau un homme lessivé, usé, mais qui a sauté le pas, un ex-flic qui s’est rangé des voitures mais sur lequel une nouvelle affaire va tomber. Un personnage croisé jusque là est important dans ce roman, il s’agit de la voiture, celle du héro, enfin héro… Cette humanisation d’une voiture m’a rappelé Belletto et sa trilogie lyonnaise où les automobiles avaient également une grande importance, parfois les dernière compagnes des narrateurs. J’ai également évoqué mes impressions de lecture de ce bouquin par .

Je reviendrai prochainement sur la trilogie de Pagan qui a suivi ces romans. Une trilogie qui lui a demandé un autre rythme d’écriture et qui a donc également été son adieu à la littérature, le voyant ensuite voguer vers une autre forme d’écriture, les scénarii.

Hugues Pagan et la Toile

La présence ou non d’un auteur sur beaucoup de sites n’est bien sûr en rien représentatif de son talent… Peut-être un peu plus de l’intérêt qu’il suscite.

Après Robin Cook, je m’interroge une nouvelle fois, à l’heure où le polar fait l’objet d’articles de plus en plus nombreux, comment se fait-il que quelques-uns de ses représentants les plus intéressants ne soient que si peu évoqués ? Si peu connus ou reconnus quand leur talent, leur importance sont soulignés par beaucoup d’amateurs éclairés du genre ? Il est vrai que j’évoque le polar alors qu’un auteur comme Pagan est sans doute à ranger du côté du roman noir. Distinction subtile.

Alors, est-ce que ce sont ces cases dans lesquelles on veut ranger le moindre romancier qui cloisonnent à ce point le paysage littéraire ? Les maisons d’édition s’engouffrent allégrement dans cette tendance, créant des collections de plus en plus spécialisées, de plus en plus ciblées, quand le talent devrait être le critère principal… Le talent est il est vrai une denrée au combien difficile à évaluer, à comptabiliser. Une denrée tellement mise à toutes les sauces qu’on n’est plus sûr de ce qu’elle signifie vraiment, de ce qu’elle désigne.

Pagan a eu la chance d’être édité mais pas d’accéder à la reconnaissance qu’il méritait… et il est parti voir ailleurs ! La notoriété pour continuer à écrire est indispensable… Une certaine notoriété.

Mais la popularité sur le Net est-elle si essentielle ? Si représentative de celle d’un auteur ailleurs ? J’arrête là mes questions, j’y reviendrai sans doute un jour ou l’autre.

Pagan n’est donc pas un auteur très connu, pas tellement facile à connaître étant donnés les canaux actuels de la reconnaissance. C’est un peu pourquoi j’en parle aujourd’hui, pour rétablir à mon tout petit niveau cette absence injuste de l’auteur dans les conseils que l’on peut donner quand la question porte sur les auteurs de référence du roman noir. Pour moi, Pagan est une référence. Mais comment ai-je fini par accéder à son œuvre ?

Contrairement à Robin Cook, il n’avait pas, à l’époque, eu les honneurs d’une adaptation cinématographique. Il les a eu depuis mais malheureusement le résultat n’a pas été à la hauteur du bouquin adapté (L’étage des morts devenu au cinéma Diamant 13) et le succès (là, je ne dirais pas malheureusement, il a été au niveau de la qualité du film) n’a pas été au rendez-vous… Et bien, une nouvelle fois, c’est par curiosité, telle personne aimait tel auteur que j’aimais et conseillait Pagan, j’ai donc tenté le coup. Ça devait être encore une fois sur le site Pol’Art Noir, sur son forum plus exactement. Il existe bien d’autre endroit sur la toile pour s’y retrouver et dénicher l’auteur qui va nous subjuguer, nous plaire et devenir l’un des incontournables des rayons de notre bibliothèque perso. Soyons curieux !

Je reviendrai sur l’œuvre d’Hugues Pagan dans mon prochain billet bien évidemment, histoire d’enfoncer un peu plus le clou.

Hugues Pagan sur la toile

Après Robin Cook, j’aborde un nouvel auteur incontournable et trop méconnu, à mon goût, du roman noir, Hugues Pagan.

Je croyais Hugues Pagan discret sur la toile… Il l’est peut-être mais moins que je le pensais. De nombreux sites l’évoquent. Trouver des informations sur l’homme qu’il est n’est pas si difficile. Pas si proche de l’envoi d’une bouteille à la mer, comme je l’imaginais au départ.

En sélectionnant, on parvient à en savoir pas mal sur lui, même si ce que l’on apprend concerne le plus souvent son actualité immédiate, son actualité la plus récente. Et Pagan a ceci de particulier qu’il a cessé d’écrire des romans depuis pas mal de temps. Il continue à écrire mais sous une autre forme et avec un certain succès, il est devenu scénariste.

Ceux qui aimaient ses romans se sont fait une raison ou, ils sont comme moi, à espérer encore un retour à la forme romanesque.

En parcourant la toile, on peut donc en apprendre pas mal sur lui.

Pour commencer, son CV est accessible, il permet de garder en tête son actualité, tout au moins une actualité récente. Je ne sais pas si la page est mise à jour régulièrement mais on peut le supposer. Pagan est né à Orléansville le 17 avril 1947, il a enseigné la philo avant de devenir flic puis écrivain. Son parcours dans la police est évoqué par Sandro sur AgoraVox dans un article intéressant donnant un avis sur le bonhomme. Oui, Pagan est sans doute l’un des auteurs français de roman noir les plus talentueux qu’il nous soit permis de lire, c’est, vous vous en doutez, pourquoi je l’évoque ici. Les liens proposés par Sandro, contributeur et modérateur de ce site incontournable qu’est AgoraVox, sont également éclairants, un article intéressant, je le répéte. En continuant à fouiner sur le Net, et en ne s’attardant pas sur l’article particulièrement succinct proposé sur Wikipédia (il a le mérite d’exister, Pagan n’ayant même pas les honneurs d’un article dans l’Encyclopedia Universalis), on peut approfondir la connaissance l’écrivain grâce à un article datant de 1997, signé Patricia Tourancheau. Il est de l’époque où Pagan publiait son dernier roman, dernier paru encore à ce jour, Dernière station avant l’autoroute. On ne le savait pas au moment où P. Tourancheau rédigeait son papier. Pagan a donc arrêté les romans pour se consacrer au scénario. Les raisons de cette évolution sont évoquées ici, même si on peut se dire que ce n’est pas si simple. Pagan en avait fini avec une trilogie, il évoquait un flic revenu de tout, tel qu’il l’avait été lui-même à l’époque et c’est à ce moment qu’il avait quitté la police. En écrivant dessus peut-être est-il devenu évident que c’était le moment pour lui de quitter l’écriture romanesque pour continuer dans une écriture différente. C’est ce que peut laisser supposer également cet article sur le site scribd. Il peut aussi laisser espérer quelques manuscrits au fond d’un tiroir ou en cours et se situant ailleurs qu’en ville, personnage privilégié des œuvres du romancier jusque là.

Pour continuer à approfondir la connaissance de Pagan, deux articles me paraissent incontournables, une interview, accordée à Franck Frommer et Patricia Osganian, et un article écrit par Pagan lui-même dans la revue Passant ordinaire et intitulé Pédadogie de la violence ?

Pour conclure avant de revenir sur mon approche de l’œuvre de Pagan et ce que j’en pense, deux liens vers des écrivains (Hervé Sard et Eric Fouassier) qui confirment que les grands auteurs ne peuvent laisser indifférents. Quoi ? Je suis de parti pris ?