Dorothy L. Sayers, Lord Peter enquête sur son frère

En 1926, trois ans après son premier roman, Lord Peter et l’inconnu, Dorothy Sayers fait revenir son enquêteur pour une nouvelle affaire, Clouds of Witness. D’abord traduit en 1948 par Roger Loriot pour la collection La Tour de Londres sous le titre Le duc est un assassin, il l’est de nouveau en 1954, pour la Librairie des Champs-Elysées et sa collection « Le Masque », par Jean-Marc Mendel, devenant Trop de témoins pour Lord Peter.

Lord Peter se prélasse dans son lit de l’hôtel Meurice, goûtant un repos bien mérité et nécessaire après son enquête sur le meurtre de Battersea. D’abord loin de tout, en Corse, isolé et refusant de lire quoi que ce soit venant de Londres, nouvelles ou lettres, il a rejoint Paris et c’est là, sortant de son bain, qu’il a la surprise de voir Bunter, son valet, collaborateur et homme à tout faire, ranger ses affaires dans sa valise. Son domestique a pris cette initiative à la lecture du Times alors qu’ils devaient rester deux semaines dans la capitale française. Bunter sait que son maître ne pourra être que d’accord avec lui. La situation ne laisse aucun doute. En effet, le frère aîné de Lord Peter, le duc de Denver, vient d’être arrêté pour meurtre. Denis Cathcart, le fiancé de lady Mary, leur sœur, a été retrouvé mort alors qu’il passait quelques jours à Riddlesdale Lodge avec quelques personnes, dont le duc bien sûr.
Après avoir pris connaissance des différents éléments de l’enquête et son retour en Angleterre, Wimsey se rend dans le Yorkshire, à Riddlesdale, pour mener ses propres investigations. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les différents éléments ne manquent pas, tout comme les témoins, comme le souligne le titre. A l’exception de son frère et de sa sœur qui préfèrent se murer dans le silence ou l’enfermement pour ne rien dire.
Peter Wimsey s’attelle d’abord à reconstituer les différents événements de la soirée et de la nuit qui ont vu la découverte du corps de Cathcart. Les faits et déclarations amènent différentes questions ou conjectures et poussent notre enquêteur à aller plus loin. Des secrets sont mis à jour, des faiblesses, des défauts et autres petites cachotteries que chacun aurait préféré ne pas voir exposé ou révélé. Mais une enquête est à ce prix. Et c’est bien sûr ces dissimulations qui pourront amener Lord Peter à comprendre puis dévoiler la vérité.

Comme dans les romans de détection de l’époque, nous sommes dans la bonne société. Une bonne société qui se suffit à elle-même, parée de tous les défauts de la nature humaine. Pourtant, ses investigations mènent Lord Peter hors de ce cocon pas forcément fréquentable. Il parcours la campagne environnante, rencontrent les habitants du coin, certains indices laissant supposer une intervention extérieure. Et ce sont les secrets qui se font jour.
Sayers mène son intrigue de main de maître, nous emportant à la suite de Wimsey dans une série de suppositions plus ou moins vraisemblables qu’il lui faut éliminer une à une. Il s’y attelle, finissant par bénéficier l’aide de Parker, l’inspecteur de Scotland Yard, en sus de celle de Bunter.
Nous nous prenons à imaginer les tenants et les aboutissants de l’histoire, échafaudant à la suite du Lord détective une ribambelle de suppositions. La solution ne sera bien évidemment pas si simple, ni de celles que nous pouvions supposer, ça serait trop facile et retirerait une grande part de l’intérêt de ce genre de lecture.
L’autre aspect donnant du sel à l’intrigue et cette porosité entre une certaine caste et le commun des mortels, le simple sujet, qui lui est loin d’être présenté à son avantage. Une posture de Sayers qui amène parfois une certaine gène devant ce qui pourrait relever de la caricature.

Heureusement les mots d’esprits sont là, l’impression que Lord Peter ne fait pas, en ce qui le concerne, de distinction entre noblesse et simple citoyen. Il se trompe, cherche, fouille et se livre corps et âme à la découverte de la vérité. Tant pis pour sa famille si cela peut déranger… il sera encore temps ensuite de se poser la question de la façon de présenter cette vérité pour indisposer le moins possible ceux qui pourraient en pâtir.

Prenant un rythme de croisière, Lord Peter Wimsey revient l’année suivante pour une nouvelle enquête, Arrêt du cœur.

Dorothy L. Sayers, Lord Peter et un cadavre dans une baignoire

En 1923 paraît le premier roman de Dorothy L. Sayers. Il s’intitule Whose Body ? Sa traduction ne nous arrive que seize ans plus tard pour « Le Masque ». Avec L. Servicen, il devient Lord Peter et l’inconnu. Une autre traduction nous arrive en 1995 toujours sous le même titre.

Avant que l’intrigue ne nous soit proposée, un « avant-propos » ouvre le livre. Il est rédigé par Paul-Austin Delagardie, à la demande de Miss Sayers. Delagardie est l’oncle de Lord Peter Wimsey et il est chargé de le présenter à travers son parcours avant cette première intrigue. Nous apprenons ainsi que le détective amateur a v u son éducation confiée à cet oncle maternel. Quelques faits saillants de sa vie nous sont dévoilés, ses études d’histoire à Oxford, son amour pour une fille, Barbara, trop jeune pour lui d’après ses parents puis son engagement dans la guerre. On apprend aussi qu’il s’est ensuite illustré dans l’affaire des émeraudes d’Attenbury en tant que principal témoin de la partie civil ayant réussi à résoudre l’affaire.
A partir de ce moment, outre la recherche d’éditions rares de livres, il s’est adonné à la résolution en amateur d’énigme policière.

Lord Peter Wimsey, alors que son taxi démarre et s’insère dans la circulation londonienne de manière audacieuse, s’aperçoit qu’il a oublié le catalogue de la vente à laquelle il se rend. A sa demande de revenir à leur point de départ, son chauffeur entame une manœuvre dangereuse. Arrivé entier au 110A Picadilly, il gravit les marches, entre dans son appartement au moment où Bunter, son majordome, annonce au téléphone que lord Wimsey est absent puis se ravise en le voyant. C’est la duchesse douairière, sa mère, qui est au bout du fil et lord Peter se décide à lui parler tandis que Bunter part à la recherche du catalogue. La nouvelle que lui apprend sa mère est peu ordinaire. L’architecte chargé de la réfection du toit de l’église de Denver, paroisse de la famille, vient de se décommander parce qu’un cadavre a été retrouvé dans sa baignoire, le corps d’un homme portant en tout et pour tout un lorgnon. Lord Peter accepte de se rendre sur place, à Battersea, tandis qu’il charge Bunter d’aller à la vente aux enchères. Ses deux passions viennent de se télescoper.
Lorsqu’il arrive dans l’appartement, le corps n’a pas encore été déplacé et Wimsey peut effectuer ses propres constatations et interroger Thipps, l’architecte, sur les circonstances de la découverte. Le seul élément que regrette Thipps est l’oubli par sa domestique de fermer la fenêtre de la salle de bain. Lord Peter apprend également que l’inspecteur chargé de l’enquête et Sugg, un homme avec lequel il n’est pas toujours d’accord, cherchant à se creuser la tête le moins possible et prenant parfois des raccourcis hasardeux.
Alors que l’affaire ne s’avère pas simple, une autre s’ajoute aux occupations du détective amateur, la disparition d’un certain Lévy, un spéculateur redoutable. Mais le corps retrouvé n’est pas celui de Lévy et les deux affaires tournent au casse-tête. Bunter et Lord Wimsey passent à l’inspection fine, scientifique, relevés d’empreintes, analyses en tous genres. L’inspecteur Parker se joint à eux, très proche de Sa Seigneurie, il peut au moins lui apporter un peu de sérénité.
Peter Wimsey déploie tous les efforts possibles pour résoudre ses enquêtes. Bien que détective amateur, il bénéficie d’une tolérance de la part des autorités et son aide est même vue d’un bon œil. Il a fait ses preuves.

Dans cette intrigue, Dorothy Sayers développe autant la résolution des enquêtes, les mystères à résoudre, que la description de son personnage principal, de son domestique et du policier qui leur prête main forte ainsi que de leur méthode, leur organisation. Il y a aussi tout l’aspect des relations, des convenances à respecter.
C’est un personnage singulier que nous propose Dorothy Sayers, qui est passionné par la résolution du mystère qui s’offre à lui mais qui s’interroge également sur la manière de confronter le coupable à la vérité, de le confondre tout en le respectant. L’énigme résolue bien avant les dernières pages est suivie par ce questionnement du respect du coupable et de la meilleure manière de conclure.
Dorothy Sayers installe son personnage récurrent avec du recul, de l’humour et un intérêt élargi. Lord Peter ne parvient pas à la vérité du premier coup, il lui faut tâtonner pour y arriver. Un essai erreur qui permet de progresse en s’appuyant toujours sur les constatations faites grâce cette science en plein développement, la criminologie.

Ce premier opus ayant eu un certain succès, Dorothy Sayers a poursuivi la narration des aventures du lord détective. L’enquête suivante paraît trois ans plus tard et s’intitule Trop de témoins pour Lord Peter.

Dorothy L. Sayers, Toile et étagères

Avec l’été, les lectures ne s’arrêtent pas et ça peut être le moment de parler d’un auteur pas encore évoqué ici. En l’occurrence, il s’agit d’une auteure, une écrivaine de l’âge d’or du roman de détection, ou à énigme, en Angleterre. Elle a sévi aux côtés de la reine du crime et fait parti des auteur·e·s qui ont marqué l’entre-deux-guerres pour ensuite se retrouver à l’ombre d’Agatha Christie et tomber dans l’oubli de ce côté-ci de la Manche, au même titre qu’une Josephine Tey encore très prisée chez les anglo-saxons.

C’est à l’occasion d’un numéro de l’Indic sur le roman policier anglais et dans la continuité du précédent sur les romancières ayant également contribué au genre dès ses débuts que j’ai commencé à lire cette romancière que je ne connaissais que de nom.
En regardant sur notre grand pourvoyeur d’information qu’est la Toile, on peut constater rapidement qu’effectivement, par chez nous, Sayers n’a pas la même place que chez les anglophones. Il suffit pour cela de comparer l’article que lui consacre Wikipédia en français et en anglais. D’un côté un texte rapide qui s’attarde principalement sur la liste de ses publications, de l’autre, une biographie et une étude de l’œuvre bien plus approfondie. Ses romans traduits en français ne sont pas faciles à dénicher, leur liste est consultable sur Polars Pourpres. Pour une liste exhaustive des livres originaux, le site Book series in order constitue toujours une référence intéressante.
Pour se convaincre de son importance outre-Manche, une société se consacre à Dorothy L. Sayers et nous propose son site. R.L. Smith s’est penché tout récemment sur elle dans sa série sur les « grand dames of crime ». On peut également constater que l’œuvre de Sayers, écrivaine féministe avant l’heure, passionne encore et continue à soulever des questions à travers cet article sur la place et l’image des juifs que ses fictions véhiculent.

Je vais bientôt passer en revue ma lecture de quelques uns de ses romans, sachant qu’il n’est pas simple de les acquérir tous, ce sera donc un parcours tronqué de l’œuvre romanesque de Dorothy L. Sayers.