Le dixième roman de Duane Swerczynski paraît en 2016, deux ans après le précédent, Canari. Il s’intitule Revolver et son titre ne change pas en traversant l’Atlantique, quatre ans plus tard, sous la plume traductrice de Sophie Aslanides.
Stan Walczak et George W. Wildey se désaltèrent en cette chaude après-midi du 7 mai 1965. Ils sont dans un bar qui fait le coin de Fairmount et de la 17ème rue à Philadelphie. Leur indic est en retard alors, pour patienter, George glisse quelques quarters dans le juke-box. Tandis que les chansons défilent, les deux flics échangent sur leur famille, le prochain match des Phillies ou les groupes que leurs fils apprécient, puis rient à l’écoute de la deuxième chanson programmée. Une polka d’un groupe de North Philly d’origine polonaise, comme Stan. Quand un homme entre dans le bar, revolver à la main, leur humeur change.
Le 7 mai 1995, l’inspecteur Jim Walczak amène Cary, son fils, au coin de Fairmount et de la 17ème pour déposer un bouquet et boire une bière, une Schmidt’s, à la santé de son père et de son équipier, tombés sous les balles trente ans plus tôt.
Le 7 mai 2015, Audrey Kornbluth assiste à l’inauguration d’une plaque en mémoire de Stan Walczak, son grand-père, et de George Wildey. Elle a vingt-cinq ans, revient à Philadelphie pour la première fois depuis longtemps et croise sans réel plaisir le reste de sa famille. Ses études en criminologie la tiennent loin de là, à Houston. Un choix personnel pour couper les ponts.
Swierczynski nous mène à la suite de trois générations autour d’une même affaire, celle qui a entraîné l’assassinat de Stan et George en 1965. Pour ces eux-là, il refait le parcours qui les a amenés dans ce bar le jour fatal. Pour Jim en 1995, c’est une enquête sur un meurtre précédé d’un viol et la sortie du meurtrier de son père qui l’occupent. Quant à Audrey, ce sont les études qu’elle peine à poursuivre et certaines questions qui la préoccupent concernant le meurtre de Stan et George qui la poussent à choisir de mener l’enquête cinquante ans plus tard pour les besoins d’un devoir universitaire.
En 1965, des émeutes ont lieu et Stan voit son équipier habituel blessé alors qu’un autre flic, un noir, leur avait été adjoint, George Wildey. Le duo se forme et commence à essayer de remuer quelques histoires sombres de la ville. Jim, de son côté, mène son enquête consciencieusement tout en filant le meurtrier de son père. Audrey, hostile à se famille, s’accordant difficilement avec les épouses de ses frères, devenus tous les deux flics, s’attaque à l’enquête comme pour appliquer ce qu’elle a appris et découvre très vite des contradictions entre la version officielle et ses propres constats.
Le romancier avait déjà exploré le passé de sa ville dans Date limite, ainsi que les différentes générations d’une même famille et un mystère originel. Il avait continué à mêler différentes générations à son intrigue dans Canari.
Dans cette nouvelle fiction et, comme évolution marquante du romancier, on peut constater que l’humour n’est plus à chaque coin de page ou de réflexion, seule Audrey fait preuve d’une causticité singulièrement développée. Le dézinguage, les saillies ravageuses ne sont plus de mise. Une évolution que l’on se prend parfois à regretter. On est dans un plus grand classicisme, l’Histoire ne se prêtant visiblement pas à un tel traitement.
C’est un roman agréable que nous propose, malgré tout, le romancier. L’un de ces romans basés sur des événements prenant place à différentes époques comme on en lit parfois dans la littérature états-unienne. Un passage obligé pour certains écrivains du genre, à l’image d’Ellroy ou de Lehane. On tourne les pages avec plaisir, chaque génération ayant sa part de secrets à révéler.
L’évolution constatée ici, ainsi que les remerciements, constituent une raison supplémentaire à l’attente du prochain opus de l’auteur. Quelle empreinte personnelle Duane Swierczynski va-t-il mettre à son incursion dans cette tendance déjà explorée par quelques prédécesseurs ?