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Entretien avec Craig Johnson (décembre 2016)

Quand vous avez été publié pour la première fois, vous écriviez depuis longtemps ?

Craig Johnson : Oui, j’ai pour ainsi dire écrit toute ma vie. Je viens d’une famille de conteurs. J’ai compris très tôt qu’être capable de raconter une bonne histoire était un avantage non négligeable. Il semble que les gens de ma famille ont le truc pour ça, même si j’étais le moins doué. Je me suis dit que si je ne pouvais pas raconter si bien les histoires, je pouvais peut-être développer ma capacité à en écrire. J’avais donc le grand espoir d’être un jour un auteur. Mais essayer d’être un auteur c’est, de bien des manières, comme essayer d’être un astronaute, vous avez toutes les probabilités contre vous, les chances sont telles que vous n’avez qu’à le garder pour vous, il est mieux de ne le dire à personne. Mes études étaient tournées vers l’écriture et c’est devenu l’occasion d’essayer de m’améliorer. Je n’ai jamais vraiment écrit quoi que ce soit, quelle que ligne que ce soit, avant Little Bird, avant que je ne me lance dans le premier opus des Walt Longmire.

Les gens me demandent toujours comment j’ai commencé. Je pense qu’il y a deux raisons qui vous font commencer. La première est que vous avez trouvé une histoire qui est suffisamment captivante pour valoir le coup d’être écrite. Quand vous êtes un écrivain, c’est comme être un parieur sur une course de chevaux, vous évaluez vos idées comme un parieur observe les chevaux, en vous demandant si celle-ci tiendra la distance et si elle peut remporter la course ou pas. Vous trébuchez sur une idée, par hasard, en pensant que ça pourrait être celle-là, que vous pourriez en faire un roman entier en ayant quelque chose à dire. La seconde chose qui vous fait commencer à écrire est que vous avez épuisé toutes les excuses pour ne pas le faire, que vous en êtes arrivé à ce point particulier. Parce que vous allez trouver des excuses jusqu’à la tombe et ne faire aucune des choses que vous voulez vraiment faire. Vous vous asseyez sur votre chaise et vous écrivez, c’est tout ce dont il s’agit. Je pense que beaucoup de gens n’arrivent pas jusque là, beaucoup de gens continuent de mettre des excuses en travers de leur chemin et n’arrivent pas jusque là.

Ecrivez-vous beaucoup dans une journée ?

Craig Johnson : Oui, c’est ma vie. C’est plus qu’un gagne-pain. C’est dur, parce qu’écrire relève de l’addiction, une grosse addiction. Psychologiquement, physiquement, tout devient très important sur un temps très court. Après avoir écrit mon premier roman, je ne pouvais pas attendre pour commencer le deuxième. La première chose que je fais, dès j’ai fini un roman, est d’écrire les premières phrases du suivant, parce que j’ai pensé à ce nouveau roman depuis un an quand je finis celui sur lequel je travaille. Pour moi, c’est une manière de prolonger l’élan.

C’est devenu une partie de ma vie de tous les jours. L’exemple type est que quand je travaille sur le ranch, parce que j’ai un ranch dans le Wyoming et donc beaucoup de travail physique à faire dehors. C’est un équilibre entre une vie intellectuelle et une vie physique, et l’une ou l’autre peut être épuisante par moment. L’une des choses dont je me moque est que quand je rentre après avoir travaillé au ranch, que j’ai été dehors à me battre avec l’irrigation, une clôture ou le bétail, et que je suis couvert de boue, écorché, affamé, ma femme me regarde et dit, va prendre une douche et écrire, et tout ira bien. Et elle a raison la plupart du temps.

A propos de Walt, c’est un homme, mais entouré de femmes…

CJ : Exactement. Quand j’ai commencé à écrire les livres, l’un des aspects dont je suis devenu particulièrement conscient était le fait que, si j’écrivais à la première personne, si vous étiez dans la tête de Walt pendant 500 pages, cela voulait dire que les livres auraient une tonalité très masculine. J’ai pensé que la manière d’équilibrer ça, de le ramener vers un point plus central, serait d’avoir de personnages féminins forts. Si vous analysez les romans, Walt est au centre et il est bien abimé, il est éclopé, mais il est entouré de toutes ces femmes qui sont chacune en charge d’un aspect de sa vie. L’affectif, les émotions, sont liés à sa fille, son épouse étant morte. Il y a Ruby la standardiste, qui est responsable de l’organisation de sa vie et qui lui laisse plein de notes sur sa porte chaque jour, afin qu’il sache ce qu’il a à faire. Il y a Dorothy, la propriétaire du Busy Bee Café, qui est chargée de le nourrir, car il se laisserait mourir de faim s’il était livré à lui-même. Il est effectivement entouré de femmes, ce qui n’est pas une situation assez enviable !

Il y a aussi beaucoup de femmes qui souffrent, ce sont souvent les victimes.

CJ : C’est une honnêteté fondamentale. Tellement souvent, les victimes d’un grand nombre de violences domestiques, les victimes de beaucoup de crimes constatés sont des femmes. C’est un problème d’une grande importance pour Walt, c’est son signal d’alarme. Ayant une fille et ayant perdu sa femme, il a très peu de compréhension pour ce genre de chose. Ce thème est celui de chacun des romans.

Oui. Mais dans Tous les démons sont ici, il n’y a pas de femmes. Juste lui et Raynaud Shade.

CJ : La seule femme est celle qui pique les clés pour Raynaud Shade. C’est le seul personnage féminin. De toute évidence, elle s’avère être également une victime.

Mais, il y a aussi des personnages comme celui de Vic et bien d’autres personnages féminins qui ne sont en rien des victimes. Pour moi, il est important d’avoir cet équilibre. Mais il est également important d’être réaliste et de se dire, je ne sais pas quels sont les pourcentages exacts, soixante-dix pour cent, je crois, des crimes violents sont perpétrés contre des femmes et je crois que quatre-vingt pour cents d’entre eux le sont par des hommes qu’elles connaissent. Il est inévitable de se dire que si vous voulez être honnête, vous avez à traiter ce sujet.

Un nouveau personnage vient de nous arriver en France, Lolo Long, la recroiserons-nous ?

CJ : Oui, elle réapparait. Elle est chef de la police tribale de la réserve des Cheyennes du Nord et elle est nouvelle à ce poste. Elle débute à peine. Elle et Walt ont quelques points communs. Quand vous regardez bien, quand Walt a commencé, il y a pas mal d’aspect de sa carrière qui ont été très proches de celle de Lolo Long. Et il est intéressant de voir comment elle s’adapte à l’univers principalement masculin des forces de l’ordre et également comment elle est traitée par la société extérieure.

Dans A vol d’oiseau, elle n’obtient pas de résultats. L’affaire va lui être retirée et elle se rend rapidement compte que Walt pourrait être un allié intéressant parce qu’il a une réputation, même s’il n’a aucune autorité juridictionnelle dans la réserve. Cela pourrait être utile qu’il l’aide sur cette affaire.

Elle réapparaitra.

Elle est un peu comme Vic…

CJ : Elle n’est pas aussi cinglée que Vic. Vic a des côtés bien plus tranchants que Lolo Long.

Mais c’est aussi ça, la différence entre les deux sociétés, comment elles réagissent devant un personnage féminin fort. Comment les Indiens réagissent devant un personnage féminin fort, comment la société « extérieure », « majoritaire », réagit à un personnage féminin fort. C’est la comparaison que j’ai essayé de faire.

Merci beaucoup, M. Craig Johnson, d’avoir répondu à ces questions.