En 1977, Marc Behm voit son premier roman publié, The Queen of the Night. Il est traduit par Nathalie Godard pour les éditions Sombres Crapules en 1989 sous le titre de La Reine de la nuit, huit ans après son deuxième roman, Mortelle randonnée.
Edmonde Kerrl est née le 13 janvier 1915 à Bad Tölz. Prénommée ainsi par la passion de son père pour Shakespeare, et son traitre préféré dans l’œuvre du dramaturge, Edmund, fils bâtard de Gloucester dans Le Roi Lear. Un père passionné par Shakespeare, une mère par Wagner. Edmonde a perdu sa mère tôt, à dix ans, et son père et elle se sont alors petit à petit débarrassés de leurs meubles. Elle les hait depuis.
A onze ans, elle s’est mise à fumer avec Lisa, des cigarettes données par Herr Dopmuller contre la vue de leur gorge. Elle a arrêté au départ de Lisa, sa meilleure amie, sa première amante, celle avec laquelle elle a découvert sa sexualité.
Erich Kerrl, le père d’Edmonde était dramaturge, comédien et acteur. A sa disparition, elle a dû accepter des travaux de secrétariat dans l’école qu’elle fréquentait, une école française où l’une des enseignantes était devenue sa maîtresse.
Sa vie a ensuite connu un tournant lorsqu’elle a rencontré Ernst Röhm, le chef de la Stormabteilung, les SA, les chemises brunes. Par ce biais, elle fait son chemin dans le parti nazi qui accède au pouvoir.
Pour son premier roman, Marc Behm s’attaque à un sujet pour le moins risqué, celui de la vie d’une femme évoluant dans les allées du pouvoir fasciste. Elle y évolue au gré des liens qu’elle noue, frayant avec tous les hommes au pouvoir, devenant la maîtresse d’une certaine Eva Braun. Nous la suivons au long de l’ascension du nazisme, de la guerre qu’il déclenche. Elle en parcourt bien des aspects.
Après s’être liée avec Ernst Röhm, homosexuel notoire, devenu dirigeant des SA et dont Berlin se méfie, elle se rapproche de Himmler, Hitler, Goebbels, échappe à la nuit des longs couteaux, exerce différents métiers dans les ministères, entre dans la SS, va de Paris à l’Ukraine.
Edmonde touche du doigt toutes les facettes de la guerre, devenant la maîtresse d’une résistante française, restant la maîtresse d’Eva Braun, obtenant l’estime d’Hitler et continuant, de loin en loin, à rencontrer Lisa, son premier amour. Elle s’intègre petit à petit à un système, évoluant au fur et à mesure, ses désillusions la poussant à en adopter également la façon d’agir, entre violences et trahisons. Elle en accepte tous les aspects, s’en approchant au gré de ses missions et du niveau de considération qui est le sien dans les hauts-lieux du pouvoir. Passant d’une affectation à Paris, en tant que traductrice, y découvrant les pratiques de la Gestapo, à une autre en Ukraine où l’armée s’enlise et qu’elle finit par fuir.
C’est un roman prenant, glaçant, raconté à la première personne. Les années passent et le seul souci d’Edmonde est de vivre, de masquer ses trahisons, de cacher ses aventures avec des femmes pas forcément en odeur de sainteté dans la nébuleuse nazie. Et d’échapper à ce chien qui la poursuit, la hante. Tout comme les souvenirs de son père.
C’est un roman qui fascine par la description de ce parcours qui s’embarrasse de moins en moins de morale, qui accepte la violence, la torture, et qui finit par s’en arranger. Une allemande férue de culture états-unienne s’accommodant fort bien au final de l’abjection dans laquelle elle évolue.
Marc Behm nous raconte tout ça de manière rythmée, iconoclaste, ne cherchant absolument pas à jouer sur une éventuelle séduction de l’époque, nous la décrivant dans tout ce qu’elle a pu avoir de délétère, de monstrueux.
C’est un roman qui marque, qui bouscule et où l’appétit sexuel semble gouverner une bonne partie des choix, où l’humain est surtout porté par son côté destructeur, égoïste, amoral.
Pour son roman suivant, Marc Behm reprend son observation d’une femme déroutante, qui fascine par son instinct de survie, son égoïsme, sa course ne avant perpétuelle, un instinct ne s’embarrassant pas de compassion. Ce sera Mortelle Randonnée.