Paul Colize, Jean Villemont et Franck Jammet

Fin 2015 est paru le onzième ou douzième roman de Paul Colize, selon le point de vue, si l’on considère Quatre valets et une dame et Le valet de cœur comme deux ouvrages distincts ou non. Après Krakoën et La Manufacture de Livres, c’est Fleuve Noir qui s’est chargé de l’édition de celui-ci, Concerto pour quatre mains. Un an après la récréation qu’avait pu constituer L’Avocat, le Nain et la Princesse masquée, Colize revient à une veine plus sérieuse et s’avance de plus en plus clairement du côté du thriller.

Après avoir assisté à la sortie de prison d’un homme attendu par les journalistes et qui annonce en aparté à l’une d’entre eux qu’il compte désormais entrer dans la légende, nous sommes les témoins du casse du siècle. Un des nombreux casses du siècle. Celui-ci a Concerto pour 4 mains (Fleuve Noir, 2015)lieu à l’aéroport de Zaventem et prend à peine quelques minutes. Il n’en faut en effet pas plus à un commando visiblement bien entraîné pour subtiliser plus de cinquante millions d’euros de diamants bruts non taillés…

Jean Villemont, avocat pénaliste, est de son côté contacté par un homme dont le fils vient d’être incarcéré à la suite d’une tentative de hold-up. Nous sommes au lendemain du fameux casse du siècle et les affaires continuent dans la capitale belge. Après quelques hésitations, dues à un emploi du temps particulièrement chargé, Villemont accepte de défendre Akim Bachir, si toutefois son père parvient à le convaincre d’accepter un avocat, lui qui a décidé de se défendre seul. En parallèle, nous suivons l’histoire de Frank Jammet, un braqueur qui s’est rendu célèbre par ses coups plus qu’audacieux et sa volonté d’agir sans violence… point commun avec le fameux et spectaculaire “casse du siècle”…

Les différentes intrigues progressent parallèlement. Jean Villemont, en plein désarroi conjugal, commence à croire que son client n’est pas entré dans le bureau de poste pour un hold-up mais pour échapper à des poursuivants ; sa thèse étant étayée par le départ précipité de sa femme et son fils à la suite d’un appel passé en pleine action. Frank Jammet s’est lancé dans le banditisme par appât du gain mais aussi pour l’adrénaline et en ayant la volonté de réussir des coups sans blesser qui que ce soit. Il finit par couler des jours paisibles dans le sud de la France, avec Julie sa femme et ancienne complice, quand ce fameux casse le rattrape et lui vaut d’être interrogé… son alibi tient la route même si le fait que deux anciens de sa bande aient été retrouvés morts, exécutés, à la suite du vol des diamants, continue de jeter le doute sur sa culpabilité.

Les intrigues progressent en parallèle… des liens se font jour. L’une dans le temps, les années, l’autre au présent.

Paul Colize nous a habitué à cette construction, ces intrigues parallèles, ce retour en arrière de plusieurs années pour l’une tandis qu’on s’ancre dans l’instant pour l’autre. Il nous y a habitué et ses romans les plus réussis possèdent cette marque de fabrique, cette structure narrative, La troisième vague, Back up, ou encore Un long moment de silence. C’est une mécanique particulièrement efficace sous la plume du romancier belge.

Une mécanique efficace alliée à ce qui fait la force des intrigues de l’écrivain, un travail de documentation exemplaire. On sait que ce qui nous est dit, on le sent, est très proche d’une certaine réalité, on sait que l’on va en apprendre un peu, de nouveau… Sur le milieu carcéral ou la machine judiciaire, en l’occurrence.

Tous les gages d’un excellent roman. Mais qui m’a moins emporté que les précédents, les trois que je citais précédemment et ceux tournant autour d’Antoine Lagarde.

Peut-être qu’à force de connaître toutes ces qualités chez Colize, j’en attends toujours plus ? J’ai eu l’impression que l’action primait sur la réflexion, que l’enchaînement des différentes phases de l’histoire primait sur un temps plus calme parfois, le temps de connaître les personnages, de les fouiller davantage… il m’a manqué une prise sur ces personnages, le plus sympathique au final étant celui de Frank Jammet. Il m’a manqué peut-être certaines des excentricités véritablement littéraires présentes dans les livres précédents de l’auteur, excentricités littéraires qui leur donnaient une saveur toute particulière… à l’image de ce “concerto pour quatre mains” du titre, que j’ai trouvé être une superbe idée, malheureusement pas assez exploitée. Une idée qui rappelle le côté mélomane de l’écrivain déjà perçu dans Back up mais qui peut paraître au final un peu déplacée car pas assez approfondie… Et je trouve qu’on passe à côté du personnage de Villemont dont les doutes sont effleurés… et vite évacués pour laisser la mécanique reprendre son cours. Comme est effleurée sa passion pour la montagne, impression renforcée après avoir lu il n’y a pas si longtemps L’homme des hautes solitudes de James Salter

Au final, ce livre est une lecture plaisante mais qui tend peut-être trop vers la description détaillée de chaque casse, au détriment des personnages et de cette humanité qui caractérisait les précédents ouvrages de Paul Colize. La mécanique, l’engrenage des faits, le respect de certains codes, primant sur les interrogations des personnages principaux. Il m’a sûrement manqué les vrais morceaux de Colize que l’on retrouvait jusque là, à travers certains personnages souvent si proches de lui. Toujours est-il que le romancier reste un conteur, un auteur. Un auteur que je continuerai à lire, dont l’évolution est intéressante, passionnante, et qui oscille tellement entre le plaisir du lecteur et celui de l’écrivain, celui de transmettre des émotions… les deux allant de paire, bien sûr, souvent, mais parfois on aimerait quelques défauts dans la cuirasse, une mécanique un peu moins huilée, laissant la place à ces échappées dont Colize a le secret… à cette façon de se livrer, de nous livrer un peu de lui-même…

Mais le roman à venir nous surprendra sans aucun doute…

Emile Gaboriau, Tirauclair et la veuve Lerouge

Après plusieurs ouvrages décrivant la société de son époque et les gens qui la font, Emile Gaboriau abandonne un peu son côté chroniqueur, pour se lancer dans le roman. Le feuilleton. A la manière de Paul Féval dont il fut le secrétaire et peut-être même le nègre.

En 1863 selon les uns, en 1865 selon d’autres, paraît son premier roman dans le journal Le pays, sans grand succès. Il suscitera l’intérêt en paraissant de nouveau en 1866 dans Le soleil. Il y introduit, dans son envie de continuer à détailler la société, la description d’une enquête policière, c’est L’affaire Lerouge. Il ne s’en cache pas, il s’essaie à ce roman après L'affaire Lerouge (Dentu, 1865)avoir lu les nouvelles d’Edgar Allan Poe mettant en scène le chevalier Dupin. Et après la lecture du Jean Diable de Féval.

L’affaire commence par la découverte d’un corps, celui de la veuve Lerouge et suit, presque au gré du hasard, différents personnages impliqués dans l’intrigue. Ce sera tout d’abord Tabaret, dit Tirauclair, qui aide bénévolement la police, la rue de Jérusalem à l’époque. Il observe avec acuité la scène du crime, en tire des conclusions saisissantes et rapides. Plus rapides que celles des professionnels patentés, impressionnant en cela le juge d’instruction, Daburon. Par un heureux hasard, alors que le passé de la veuve Lerouge est plutôt flou, Tabaret découvre son histoire grâce à ses voisins… Voisins, dont le fils avocat a été victime d’une machination à la naissance. Nous suivons ensuite ce fils avocat pour revenir à Tabaret faisant la révélation de ses découvertes à Daburon, le juge. Juge qui se trouve également proche des protagonistes de l’histoire, ayant nourri des sentiments plus que profonds pour celle qui est la fiancée de celui qui a usurpé l’héritage de l’avocat et peut-être commis le meurtre…

Nous allons de rebondissement en rebondissement, suivant au gré du récit l’histoire de chaque personnage mêlé à l’intrigue de manière plus personnelle que d’ordinaire. Les chapitres alternent les points de vue. Suivant un protagoniste puis l’autre, puis encore un autre. Ce sont les pensées, les souvenirs, les sentiments, de ces personnages qui nous sont exposés. Ce sont les pensées de chacun, les tentatives de raisonnements objectifs parasités par des sentiments moins nobles, qui apparaissent au fil des pages. C’est aussi le cheminement de la justice avec ses défauts, ses contradictions. Le dilemme entre mener à bien et promptement une enquête et prendre le temps de la réflexion pour ne pas se laisser emporter par de trop faciles évidences. Chacun est confronté à ses contradictions sans s’en rendre compte, nous seuls, extérieurs, voyons les difficultés à mener rationnellement une enquête quand on s’y implique de manière très personnelle… prenant parti pour l’un ou l’autre. Même sans se l’avouer.

Le comte et le vicomte de Commarin, au cœur de l’intrigue, voient leur vie bouleversée, leurs relations remises en cause… Mais ils ne sont pas les seuls que cette enquête touche au plus profond, Daburon, le juge d’instruction, Tabaret, l’enquêteur hors pair admiré d’un personnage très secondaire, apparaissant à peine, Lecoq, ne sont pas non plus épargnés.

C’est, au final, le cours de la justice qui est remis en cause, cette justice faillible puisque menée par des hommes, aux prises avec leurs propres sentiments aussi bien que leurs convictions. Un questionnement plutôt qu’une remise en cause, un questionnement qui insiste sur l’interrogation suivante : pour cent coupables arrêtés et châtiés justement, peut-on accepter l’arrestation et la condamnation d’un innocent, un seul ? Est-ce un prix à payer et vaut-il de l’être ?

Comme le cours de la justice, les mœurs de l’aristocratie sont également disséquées, les grands principes des relations avec le reste de la société également…

Avec L’affaire Lerouge, Gaboriau a donc commis un roman policier, comme ceux que nous connaissons actuellement, remontant le fil d’une enquête, partant du meurtre et des premières constatations pour fouiller la vie des différents protagonistes et suspects. Un roman policier mâtiné d’étude de mœurs et lorgnant du côté de certains courants littéraires de l’époque comme le naturalisme. Tout ceci pour nous offrir une intrigue qui se lit avec une certaine avidité et une certaine curiosité, nous découvrons ou redécouvrons un monde, une époque, sous l’angle de ses travers…

Après ce premier succès, Gaboriau devient feuilletoniste et peut poursuivre l’œuvre qu’il vient d’entamer. D’autres enquêtes, d’autres romans, vont pouvoir voir le jour. Un personnage secondaire va venir sur le devant de la scène dès l’histoire suivante. Il deviendra récurrent.

Dupin, la rue Morgue, Marie Roget et la lettre volée

En 1841, paraît dans le Graham’s Magazine un conte, une nouvelle, signée d’Edgar Allan Poe, intitulée Double assassinat dans la rue Morgue (The murders in the rue Morgue). Elle sera plus tard traduite par Charles Baudelaire en 1856.

On y voit apparaître un chevalier, Auguste Dupin, féru de logique et d’observation de ses contemporains et de leurs pensées. Ce chevalier s’installe avec un ami états-unien, le narrateur, Double assassinat dans la rue Morgue dans un appartement parisien du faubourg Saint-Germain, ils adoptent un mode de vie qui leur permettra d’assouvir leur passion de la lecture. Un mode de vie qui les isole du reste du monde… Ne sortant qu’à la nuit tombée, fermant de lourds rideaux dans la journée pour ne pas être envahis par la lumière du jour… Mais cet isolement n’est pas complet puisque la lecture des journaux va faire entrer un fait divers dans leur cocon.

Un double meurtre fait la une de tous les journaux, la police se trouve rapidement dans une impasse, incapable de résoudre ce mystère. Deux femmes ont été découvertes chez elle, dans une pièce close, sauvagement assassinée. Les témoignages se contredisent, les suspects ne le restent pas longtemps.

Dupin fait alors appel à ses connaissances dans la police pour accéder aux lieux du crime… Nous avons auparavant pu approcher ses capacités à deviner les circonvolutions d’une pensée quand il explique au narrateur, lors d’une promenade, le cheminement qu’a suivi la pensée de celui-ci…

Dupin va réussir là où tout le monde se casse les dents grâce à ses grandes qualités d’observation et de déduction. Si Sherlock Holmes n’était pas arrivé plus tard, on pourrait croire à une sorte d’hommage. Les deux personnages ne sont pas absolument semblables mais leurs manières d’analyser les faits les rapprochent. Ils sont de plus accompagnés d’un acolyte qui va narrer leurs aventures, comme Poirot plus tard.

Ce que nous offre Poe avec ce premier duo, ce premier détective, ce sont les bases de ce que nous allons souvent rencontrer ensuite. Un détective qui gène la police aux entournures tout en lui étant d’un grand secours, qui mène son enquête comme en dilettante, juste pour confirmer son analyse de l’âme humaine.

En 1842, Dupin revient. Il revient et va nous offrir une aventure immobile. C’est Le mystère de Marie Roget (The mystery of Marie Roget).

Poe se sert de Dupin pour revenir sur un fait divers qui a passionné aux Etats-Unis. Comme bien d’autre après lui, il va revisiter une affaire qui n’a pas connu d’épilogue, qui est toujoursLe mystère de Maire Roget non résolue… Une manière d’exorciser, comme, bien plus tard, James Ellroy ou David Peace ?

Cette fois, Dupin ne se déplace pas, il résout l’énigme de chez lui, sans bouger de son fauteuil.

Marie Roget est une jeune femme dont le cadavre a été découvert flottant sur la Seine. Tout comme Mary Rogers l’avait été sur l’Hudson… Le parallèle avec l’affaire états-unienne ne nous est d’ailleurs pas caché, les notes nous éclairant sur les véritables protagonistes et les lieux du crime originel. Dupin résout l’énigme de chez lui en s’aidant uniquement de la lecture des journaux. Il les lit ou les fait lire par le narrateur et analyse ce qu’il y a à prendre ou à laisser dans les différents articles, nous offrant au passage une leçon d’esprit critique vis-à-vis de la presse en cherchant les raisons qui auraient pu pousser une journaliste ou un rédacteur à privilégier telle ou telle piste, raisons pas toujours mues par la recherche de la vérité.

C’est un autre pan de ce qui fait le sel de bien des romans policiers ou noirs, l’usage de la presse, de sa prose et de son envie de vendre en racolant parfois, que nous offre Poe. Un usage qu’il pousse bien loin puisqu’en prenant ses distances, Dupin finit par séparer le bon grain de l’ivraie et proposer une solution à l’énigme non résolue.

Quand il fouille l’esprit humain, Dupin fouille celui des témoins, comme dans le Double assassinat… ou celui d’autres personnages tout aussi importants, ces messieurs les journalistes. Pour compléter son exploration, il va, dans un troisième volet de ses aventures, s’intéresser à la police.

Le troisième et dernier opus voyant apparaître Dupin et son narrateur s’intitule La lettre volée (The purloined letter) et est publié en 1845.

Comme je l’ai dit plus haut, Dupin va, cette fois, s’attaquer à l’esprit des policiers. Dans chacune des nouvelles où il apparaît, le chevalier s’applique à atteindre la vérité en étudiant les La lettre voléeschémas de pensées humains. Après s’être joué de l’imagination qui peut fausser la perception de la réalité dans le Double assassinat dans la rue Morgue puis de l’esprit des journalistes à la recherche du sensationnel dans Le mystère de Marie Roget, il se méfie du cheminement mécanique du raisonnement dans les investigations policières.

C’est le préfet G. qui demande l’aide de Dupin dans une affaire délicate. Le voleur est connu mais il n’a pu être confondu au moment de son forfait parce que cela aurait mis en position délicate la victime. La lettre volée comporte, en effet, des informations qu’il vaut mieux ne pas divulguer pour le bien de certaines personnes. L’affaire est délicate et la lettre se révèle par la suite introuvable malgré les perquisitions en profondeur menées par la police.

Dupin va, un fois de plus, résoudre l’énigme en se jouant des apparences et en se méfiant des évidences. Il va également vaincre l’esprit retord du voleur, un esprit brillant. Outre la police, Dupin se mesure donc à un adversaire à sa taille… figure classique de bien des énigmes policières que nous avons pu lire depuis.

En trois nouvelles, Poe et son personnage de détective dans un Paris quelque peu imaginaire auront balayé un large éventail de situations possibles et de manières de résoudre une énigme. Le champ de l’énigme policière était défriché, il ne restait plus qu’à quelques illustres écrivains à approfondir et faire évoluer le genre vers différents horizons. Quand je dis “il ne restait plus”, la tâche n’était pas si simple et il fallut bien des talents encore pour enrichir cette littérature… et parvenir jusqu’à nous.

Jean Amila et Géronimo

Deux ans après Le grillon enragé, Amila amène dans son univers un héro qui deviendra récurrent, Edouard “Doudou” Magne, alias Géronimo. Ce flic à l’allure pas vraiment classique apparaît dans La nef des dingues (référence à Jérôme Bosch et sa nef des fous ?).

Nous sommes en 1972 et l’accoutrement des jeunes n’est plus tout à fait dans la droite lignée des ainés. La mode est à la peau de mouton, aux cheveux longs… Et, comme pour valider La nef des dingues (1972)cette tendance, Amila invente ce flic ayant adopté cette nouvelle ligne vestimentaire. Un flic aux idées non-violentes… dans certaines limites.

Nous ne croisons pas tout de suite l’officier de police Magne, l’histoire commence avec un couple se voulant bohème. Dorf, peintre tirant le diable par la queue et vivant au crochet de Brigitte, dite Bri. Ces deux-là ne savent plus trop où ils en sont, hippies dont les convictions non-violentes et anti-bourgeoises sont mises à mal. Ils nous entraînent dans un périple jalonné de personnages sur le fil, comme eux. Il y a Meyer, promoteur immobilier en passe de tomber pour un délit d’initié et aux convictions bibliques presque intégristes, sa compagne, Solange, amie de Bri. Il y aura aussi Bob et Pipou, deux jeunes sans foi ni loi, et certains services de l’Etat, plus ou moins secrets, aux méthodes radicales.

Doudou Magne est appelé à la rescousse par Bri et se naviguer en eaux troubles, parmi ces personnages peu recommandables, au final. Naviguer et essayer de ne pas perdre le fil…

Amila dézingue la société de son époque, une révolution qui aura fait long feu chez certains, des magouilles, une jeunesse à l’abandon et des barbouzes, cousins lointains de ceux croisés dans Le grillon enragé. Quand je dis qu’il dézingue joyeusement, ce n’est pas qu’une façon de parler puisque ça tombe comme à gravelotte et que nous assistons à tout ça en se demandant si ça s’arrêtera.

C’est un Amila désabusé et léger que l’on lit avec curiosité et dont le personnage de flic intrigue, coincé entre ses convictions et son métier et sous les ordres du commissaire Verdier déjà croisé avec Lentraille et que nous retrouverons de nouveau… Amila commence à exploiter l’univers qu’il s’est créé au fil des romans et nous accueille désormais dans celui-ci. Nous le retrouvons avec intérêt. Les bateaux (cette fameuse “nef” du titre), les compromissions et une absence de morale de plus en plus criante…

C’est un roman plus léger que les précédents, plus à l’emporte-pièce, partant dans tous les sens. Peut-être écrit plus vite… Une nouvelle ligne narrative qui déstabilise et se perd peut-être parfois. Se perd pour finalement se resserrer au moment du dénouement final et nous faire retrouver un sens au bazar ambiant…

Quelques mois plus tard, Doudou Magne reprend du service. L’officier de police revisite une affaire qui a fait grand bruit deux décennies plus tôt, l’affaire Dominici. En effet, dans Contest-flic, Amila se penche de nouveau sur ce fait divers qu’il avait déjà abordé dans La tragédie de Lurs, l’un de ses derniers bouquins signés Meckert.Contest-flic (1972)

J’en ai déjà parlé ailleurs, voici ce que j’en disais :

Jean Amila s’attaque à l’affaire Dominici. Et comme on pouvait s’y attendre, ça ne ressemble absolument pas à ce que l’on pourrait attendre.

Une famille allemande est sauvagement assassinée à proximité de la Grange-Rouge dans les Basses-Alpes et tout naturellement, les soupçons se portent sur les occupants de cette ferme isolée. La presse s’empare du sujet, l’affaire se répand, occupe le devant de la scène en ce mois d’août… Géronimo, surnom donné à l’O.P. Edouard Magne à cause de ses longs cheveux et de sa tenue vestimentaire, est envoyé là-bas, sur ses congés et non officiellement, pour appuyer la thèse de son chef, le commissaire Verdier.

Il va s’intéresser à certains témoignages laissant penser que l’affaire n’est pas aussi simple qu’elle y parait. Cela va l’amener à croiser les services secrets, le grand banditisme… et une jeune journaliste teutonne sans scrupule, chasseuse de scoops.

Jean Amila n’est tendre avec personne. Les policiers, les journalistes, les services secrets et les collusions qui les unissent en prennent pour leur grade. Il prend plaisir à greffer sur ce sujet sérieux une aventure au ton rocambolesque.

Jean Amila nous offre là un bon moment de lecture, un vrai plaisir comme on en a à chaque fois que l’on ouvre l’un de ses romans !

Avec ce deuxième opus des aventures de l’OP Géronimo, Amila semble avoir adopté une démarche identique au premier. Une intrigue qui pourrait être sérieuse et qui prend un ton léger pour en dénoncer le plus possible. Les années soixante-dix n’ont décidément rien d’idylliques sous la plume du romancier… Il a toutefois donné un ton quelque peu journaliste à la narration avant de se laisser aller à une intrigue plus improbable. Plus extravagante.

Deux ans plus tard, la suite des aventures de Géronimo arrive. Il s’agit de Terminus Iéna. Ce troisième et dernier volet des enquêtes de l’O.P. Edouard Magne confirme une tendance entrevue lors des deux précédents, une tendance lorgnant parfois, de manière surprenante, du côté du grand guignol.

Terminus Iéna (1973)Après une référence à la peinture puis à l’un de ces faits divers marquant épisodiquement notre société, Amila va voir du côté du cinéma et de la littérature. Le terminus évoqué ici doit son nom à la bataille napoléonienne et au traitement que lui a fait subir Balzac dans Une ténébreuse affaire. Le roman du grand Honoré est en cours d’adaptation cinématographique et c’est au milieu du tournage que débarque Doudou Magne pour interroger un acteur de second rôle, de seconde zone, sur la disparition de sa femme… Acteur que l’officier de police avait d’abord cru mort noyé après la découverte d’un corps lui ressemblant quelque peu et la déclaration de son épouse le croyant disparu mais se refusant à le reconnaître dans ce cadavre. Jusqu’ici, tout est simple. Ou presque. Mais les choses vont se compliquer. Le film en cours est une coproduction franco-est-allemande et elle intéresse pas mal de personnes… à commencer par ces fameux services secrets qu’Amila poursuit depuis quelques bouquins déjà, depuis Les fous de Hong-Kong pour être exact. C’est une obsession commune au romancier et à son personnage récurrent. Alors que l’intrigue suit son cours, multipliant les individus louches, elle emprunte un chemin étonnant… Nous sommes tout à coup bringuebalés entre le passé et le présent, aux prises avec des personnages ne sachant plus s’ils sont encore dans les années soixante-dix ou l’année 1806, date de la fameuse bataille…

A noter, de manière anecdotique, que le roman marque le retour de Mad, l’amie de Géronimo, l’un des personnages de La nef des fous que le policier hippie avait délaissée lors de son enquête dans les Basses-Alpes.

Comme pour les deux opus précédents, on a parfois l’impression de sauter du coq à l’âne et de ne pas bien comprendre la progression de l’histoire. Impression que l’écrivain hésite entre deux façons d’aborder l’intrigue, deux façons de nous narrer les rebondissements qui lorgnent du côté de Ponson du Terrail ou de ce que l’on en imagine. C’est surprenant, déstabilisant. Perturbant.

Ça n’est, au final, pas déplaisant.

Avec cette “trilogie”, Amila a enfoncé le clou de sa vision peu reluisante de cette police parallèle que sont les services secrets. Il a privilégié des intrigues à rebondissements au détriment des personnages sur lesquels il se centrait jusque là pour étayer son propos. C’est plus ou moins réussi, pas désagréable. Curieux…

Une parenthèse ?

Paul Colize sous mes yeux

Il aura donc fallu attendre son cinquième opus pour que j’ouvre un roman de Paul Colize. Comme je l’ai déjà dit, j’avais croisé sa prose au travers de nouvelles en ligne, accessibles facilement. Je l’avais croisée avec un certain plaisir tellement les textes de Colize donnent l’impression d’une simplicité, d’une complicité, qui doit sans doute beaucoup au travail.

Fenêtres sur court (2007)Entrer dans l’univers de Paul Colize par les nouvelles peut d’ailleurs être une bonne idée. Lisibles en ligne pour certaines, elles ont été éditées pour d’autres et nous donnent à voir ce qu’il nous offre. Des personnages savoureux, dont on sent qu’il a pris un certain plaisir à les croquer, des histoires où l’on perd pied tout comme ces fameux personnages. Je pense, par exemple, au recueil Fenêtres sur court qu’il a commis avec d’autres et qui est paru en 2007 chez MMS, nouvelle étape de son parcours éditorial.

Prisant plus particulièrement les romans, je vais reprendre le fil de l’évocation de son œuvre avec le suivant, paru également chez MMS en 2007. Sun Tower m’est apparu comme un exercice de style, élégant, certes, mais ressemblant à un jeu. Une récréation, peut-être, pour Paul Colize qui venait de commettre Quatre valets et une dame et avait sûrement besoin de s’éloigner un peu d’une certaine noirceur et d’aller se reposer sous le soleil, monégasque pourquoi pas. Comme entrée dans son univers romanesque, ce fut un plaisir mitigé, comme je l’ai dit ailleurs, le plaisir de découvrir un auteur intéressant pas le biais d’une œuvre légère…Sun Tower (2007)

Voici ce que j’écrivais justement :

Voilà un roman qui me laisse une impression en demi-teinte. L’impression de passer à côté de quelque chose ou, en tout cas, de n’avoir pu le savourer pleinement, à sa juste valeur.

Je l’avais feuilleté dès qu’il avait atterri chez moi et à la lecture des premières pages, je m’étais dit que cela laissait présager de bons moments. Je l’avais mis de côté, poursuivant ma lecture du moment.

Sa lecture m’a finalement laissé une impression différente de celle que j’attendais.

C’est une histoire classique, un type qui se retrouve embringué dans une aventure qui le dépasse. Bousculé, il se démène tant bien que mal pour s’en sortir. Une sombre histoire de meurtre dans le milieu de la haute finance, des grosses holdings et des grands patrons. On l’a lu cent fois, ou du moins en a-t-on l’impression. Le parcours semble balisé, bien balisé, bien maîtrisé. Les rebondissements sont là, la dose de méchanceté, de roublardise et de naïveté. Tout y est, on a l’impression d’être dans un de ces brillants thrillers états-uniens, avec son pesant de clins d’œil vers Hitchcock (c’est peut-être Monaco qui m’y a fait penser le plus).
Mais il n’y a pas que ça dans ce roman. C’est mon premier Colize (en dehors des nouvelles que l’on peut lire sur le site ou le forum) et j’ai découvert un ton particulièrement plaisant. Le sourire vous quitte rarement à la lecture de ses pages, même quand l’intrigue se fait plus sérieuse. Il y a de petites perles disséminées ici et là (chaque personnage d’abord décrit pas sa taille, l’hyperhydrose du personnage central, les conseils de son patron qu’il se remémore régulièrement). Des personnages que l’on jurerait avoir déjà croisé, ici ou là, sur ce forum même (passion du cinéma, passion de percer pour la jeune journaliste). Un recul qui donne toute sa saveur au bouquin. On ne s’ennuie pas, on parcourt tout ça avec légèreté.

L’impression de demi-teinte, mitigée, est sans doute due au fait qu’avec ce ton, ce style, on se prend à imaginer ce que pourrait donner une histoire moins balisée, plus surprenante…

Je le répéte, Sun Tower est un livre que l’on prend plaisir à lire, une entrée en matière qui donne envie de lire d’autres Colize.

Après cette première lecture, j’attendais le roman suivant. Le ton, le style, m’avaient plu, c’est souvent suffisant pour revenir vers un auteur. Et j’y suis revenu. Avec d’autant plus de La troizième vague (2009)plaisir que cette fois, son ton léger se mariait à une histoire beaucoup plus sérieuse, sombre… proche de pas mal d’auteurs que je prise. Paul Colize avait décidé de s’attaquer à un fait divers, de s’en inspirer pour nous offrir une histoire prenante. Un fait divers qui avait connu deux vagues et dont Colize imagine la troisième.

Avec cette troisième vague, parue en 2009, il s’agit une nouvelle fois d’un thriller, genre dans lequel il s’ébat avec une certaine élégance. Mais un thriller marqué par des tueries qui ont ébranlées le royaume d’où nous vient Colize.

Nous suivons Vassili qui, pour la mémoire d’un ami, va s’improviser enquêteur et frôler plus d’une fois la correctionnelle ou pire. Nous tournons les pages à un rythme soutenu, poussés ou tirés par l’envie de connaître la suite et la fin.

Cette fois, j’ai eu la sensation que le style, le ton, et le sujet se mariaient plutôt pas mal pour nous donner une œuvre dont on peut se souvenir…

L’édition est, de plus, étoffée d’un dossier bien documenté venant compléter, étayer, la variation autour d’un fait divers que nous propose Paul Colize. J’en ai également parlé .

C’est aussi une nouvelle étape dans le parcours de Colize avec un nouvel éditeur, la petite fabrique de polar que sont les éditions Krakoën l’accueille en son sein.

Comme nous le voyons en parcourant l’œuvre de Paul Colize, il est en constante évolution, nous proposant à chaque fois un roman différent, un nouveau point de vue sur ses centres d’intérêt, ses préoccupations.

Avec Le baiser de l’ombre, il confirme cette volonté, cette envie de changer. Et de partager.Le baiser de l'ombre (2010)

Nous retrouvons à l’occasion de ce septième roman un personnage que certains de ses lecteurs avaient déjà rencontré, Antoine Lagarde, celui de Quatre valets et une dame. Il va de nouveau se trouver embarqué dans une intrigue rocambolesque aux multiples rebondissements. Et nous allons le suivre avec plaisir… D’autant plus de plaisir qu’avec ce roman m’est apparu plus clairement l’un des aspects majeurs de l’œuvre de Colize, son intérêt pour la documentation. Le travail que j’évoquais plus haut quant au style est également très présent dans cette volonté de ne pas raconter n’importe quoi, de s’imprégner des lieux et des sujets évoqués. Avec Paul Colize, vous apprenez en vous distrayant. Avec Le baiser… vous connaîtrez un peu mieux Klimt, vous pourrez briller dans les dîners en ville. Ou, comme pour moi, vous pourrez passer un bon moment tout en satisfaisant votre curiosité.

Curiosité qui n’est pas le moindre défaut de Lagarde. Au final, Colize tout en nous dépaysant et nous offrant un bon bol de suspens, d’aventures, nous présente les bons et les mauvais côtés de cette curiosité.

J’en ai aussi parlé par ici.

Depuis 2010 et Le baiser de l’ombre, Paul Colize a accordé à ses fidèles sur le tard une séance de rattrapage en publiant une nouvelle version de Quatre valets et une dame. Antoine Lagarde dans ses premières aventures, cette fois intitulées Le valet de cœur.

Le valet de coeur (2011)C’est un retour en arrière mais un retour intéressant puisqu’il nous permet de connaître un peu mieux ce Lagarde si sympathique, si rassurant, avec tous ces défauts qui le rendent si proche de nous.

Alors que pour le baiser, il se laissait entraîner par sa curiosité à la suite de la mort du père de sa maîtresse du moment, nous le suivons cette fois alors que son propre père vient de décéder. Il se méfie de sa curiosité et se débat avant tout avec sa propre histoire, histoire qui le poussera malgré lui à se pencher sérieusement sur le passé de son paternel.

C’est encore une fois une lecture agréable, avec des héros particulièrement bien vus, bien décrits, si familiers ou pouvant le devenir. Des héros si intéressants qu’on en deviendrait gourmand et que je me suis pris à regretter que Colize ne se soit pas attardé autant sur chacun, notamment sur Janice, qu’il ne l’a fait pour Antoine. Avec cet auteur, on en veut toujours plus.

Le valet de cœur est, à ce jour, le dernier roman de Paul Colize, le troisième paru aux éditions Krakoën. Après l’auto-édition des premiers, il a intégré un circuit plus classique… Et ce n’est pas fini puisque le prochain Colize est annoncé aux éditions de la Manufacture de livres. Un auteur en évolution permanente, exigeant pour nous offrir un roman différent à chaque fois et qui évolue aussi dans son parcours éditorial. Quand je vous disais qu’il ne pouvait que nous intéresser.