Fin 2015 est paru le onzième ou douzième roman de Paul Colize, selon le point de vue, si l’on considère Quatre valets et une dame et Le valet de cœur comme deux ouvrages distincts ou non. Après Krakoën et La Manufacture de Livres, c’est Fleuve Noir qui s’est chargé de l’édition de celui-ci, Concerto pour quatre mains. Un an après la récréation qu’avait pu constituer L’Avocat, le Nain et la Princesse masquée, Colize revient à une veine plus sérieuse et s’avance de plus en plus clairement du côté du thriller.
Après avoir assisté à la sortie de prison d’un homme attendu par les journalistes et qui annonce en aparté à l’une d’entre eux qu’il compte désormais entrer dans la légende, nous sommes les témoins du casse du siècle. Un des nombreux casses du siècle. Celui-ci a lieu à l’aéroport de Zaventem et prend à peine quelques minutes. Il n’en faut en effet pas plus à un commando visiblement bien entraîné pour subtiliser plus de cinquante millions d’euros de diamants bruts non taillés…
Jean Villemont, avocat pénaliste, est de son côté contacté par un homme dont le fils vient d’être incarcéré à la suite d’une tentative de hold-up. Nous sommes au lendemain du fameux casse du siècle et les affaires continuent dans la capitale belge. Après quelques hésitations, dues à un emploi du temps particulièrement chargé, Villemont accepte de défendre Akim Bachir, si toutefois son père parvient à le convaincre d’accepter un avocat, lui qui a décidé de se défendre seul. En parallèle, nous suivons l’histoire de Frank Jammet, un braqueur qui s’est rendu célèbre par ses coups plus qu’audacieux et sa volonté d’agir sans violence… point commun avec le fameux et spectaculaire “casse du siècle”…
Les différentes intrigues progressent parallèlement. Jean Villemont, en plein désarroi conjugal, commence à croire que son client n’est pas entré dans le bureau de poste pour un hold-up mais pour échapper à des poursuivants ; sa thèse étant étayée par le départ précipité de sa femme et son fils à la suite d’un appel passé en pleine action. Frank Jammet s’est lancé dans le banditisme par appât du gain mais aussi pour l’adrénaline et en ayant la volonté de réussir des coups sans blesser qui que ce soit. Il finit par couler des jours paisibles dans le sud de la France, avec Julie sa femme et ancienne complice, quand ce fameux casse le rattrape et lui vaut d’être interrogé… son alibi tient la route même si le fait que deux anciens de sa bande aient été retrouvés morts, exécutés, à la suite du vol des diamants, continue de jeter le doute sur sa culpabilité.
Les intrigues progressent en parallèle… des liens se font jour. L’une dans le temps, les années, l’autre au présent.
Paul Colize nous a habitué à cette construction, ces intrigues parallèles, ce retour en arrière de plusieurs années pour l’une tandis qu’on s’ancre dans l’instant pour l’autre. Il nous y a habitué et ses romans les plus réussis possèdent cette marque de fabrique, cette structure narrative, La troisième vague, Back up, ou encore Un long moment de silence. C’est une mécanique particulièrement efficace sous la plume du romancier belge.
Une mécanique efficace alliée à ce qui fait la force des intrigues de l’écrivain, un travail de documentation exemplaire. On sait que ce qui nous est dit, on le sent, est très proche d’une certaine réalité, on sait que l’on va en apprendre un peu, de nouveau… Sur le milieu carcéral ou la machine judiciaire, en l’occurrence.
Tous les gages d’un excellent roman. Mais qui m’a moins emporté que les précédents, les trois que je citais précédemment et ceux tournant autour d’Antoine Lagarde.
Peut-être qu’à force de connaître toutes ces qualités chez Colize, j’en attends toujours plus ? J’ai eu l’impression que l’action primait sur la réflexion, que l’enchaînement des différentes phases de l’histoire primait sur un temps plus calme parfois, le temps de connaître les personnages, de les fouiller davantage… il m’a manqué une prise sur ces personnages, le plus sympathique au final étant celui de Frank Jammet. Il m’a manqué peut-être certaines des excentricités véritablement littéraires présentes dans les livres précédents de l’auteur, excentricités littéraires qui leur donnaient une saveur toute particulière… à l’image de ce “concerto pour quatre mains” du titre, que j’ai trouvé être une superbe idée, malheureusement pas assez exploitée. Une idée qui rappelle le côté mélomane de l’écrivain déjà perçu dans Back up mais qui peut paraître au final un peu déplacée car pas assez approfondie… Et je trouve qu’on passe à côté du personnage de Villemont dont les doutes sont effleurés… et vite évacués pour laisser la mécanique reprendre son cours. Comme est effleurée sa passion pour la montagne, impression renforcée après avoir lu il n’y a pas si longtemps L’homme des hautes solitudes de James Salter…
Au final, ce livre est une lecture plaisante mais qui tend peut-être trop vers la description détaillée de chaque casse, au détriment des personnages et de cette humanité qui caractérisait les précédents ouvrages de Paul Colize. La mécanique, l’engrenage des faits, le respect de certains codes, primant sur les interrogations des personnages principaux. Il m’a sûrement manqué les vrais morceaux de Colize que l’on retrouvait jusque là, à travers certains personnages souvent si proches de lui. Toujours est-il que le romancier reste un conteur, un auteur. Un auteur que je continuerai à lire, dont l’évolution est intéressante, passionnante, et qui oscille tellement entre le plaisir du lecteur et celui de l’écrivain, celui de transmettre des émotions… les deux allant de paire, bien sûr, souvent, mais parfois on aimerait quelques défauts dans la cuirasse, une mécanique un peu moins huilée, laissant la place à ces échappées dont Colize a le secret… à cette façon de se livrer, de nous livrer un peu de lui-même…
Mais le roman à venir nous surprendra sans aucun doute…