Léo Malet poursuit l’exploration de Paris par Nestor Burma avec les troisième et sixième arrondissements. Les nouveaux mystères de Paris explorent cette fois les quartiers du Marais puis de Saint Germain des Près. Il s’agit de L’ours et la culotte et Le sapin pousse dans les caves, deux romans qui seront retitrés au début des années 70.
Après le premier et le deuxième arrondissements, Burma, détective privé qui met le mystère K.O., se trouve cette fois dans l’un des appartements d’une vieille demeure de la rue des Francs-Bourgeois. S’il est immobile, c’est qu’il vient de renouer avec l’une de ses
sales manies, débarquer là où se trouve un cadavre. Un coupe-papier planté dans le cœur, l’homme a rendu son dernier souffle.
Pour une fois, ce n’est pas une enquête qui l’a amené dans cet endroit, ni un rendez-vous avec un client potentiel. Non. Il est là en tant que client,justement parce que les enquêtes se font rares. Après avoir longuement tergiversé, il s’est décidé à aller gager quelques bijoux de famille pour surmonter la mauvaise passe qui est la sienne et qui retombe aussi sur les employés de l’agence Fiat Lux. Seulement voilà, lorsqu’il s’est décidé, le Crédit Municipal était fermé, il a donc traversé la rue pour aller chez un prêteur privé, Samuel Cabirol. Qui gît dans son appartement, faisant office d’office dans la journée.
Burma est à l’affût d’un moyen de se renflouer, mais fouiller dans le portefeuille du mort pourrait ne pas être une si bonne idée. D’autant qu’il se fait assommer alors qu’il examine les lieux après le contenu du porte-monnaie, apercevant dans l’état de demi conscience subséquent une paire de hauts talons assez caractéristiques. Lorsqu’il revient à lui, il n’a plus qu’un souci, repartir.
Il quitte l’appartement aussi discrètement que possible en espérant être passé inaperçu. Pas la peine de se vanter de cette découverte et de ce qu’elle lui a rapporté. Sa curiosité est quand même attisée, même s’il ne portait pas la victime dans son cœur, la vue d’un ours en peluche dans les objets engagés n’ayant pas contribué à améliorer l’image qu’il en avait. Plusieurs détails titillent son envie d’en savoir plus, un parfum, la trace de rouge à lèvres sur la bouche de la victime et cette paire de talons hauts… Cherchant à raser les murs, Burma évite Faroux sans y parvenir complètement, celui-ci finissant parle joindre.
Quelques jours plus tard, remis du coup pris sur la tête et d’une filature infructueuse devant l’immeuble du prêteur sur gage, Burma se retrouve nez à nez, pour ainsi dire, avec la fameuse paire d’escarpins.
Pris entre deux feux, obtenir une enquête bien payée et satisfaire sa curiosité, Burma effectue quelques allers-retours entre son bureau et le quartier du Marais. Pris entre une enquête consistant à retrouver un mari volage et les retombées redoutées de sa découverte macabre, le détective est en plus livré à lui-même, étant dans l’impossibilité de rémunérer ses habituels collaborateurs. Seule Hélène, la fidèle secrétaire, est là.
Il hésite alors, comme à son habitude, entre une théorie et une autre, s’intéressant tout à tour à un étudiant adepte de vieilles pierres et passant son temps aux archives nationales voisines, quelques truands, des acrobates de cirque, des fondeurs et la jeune fille particulièrement séduisante dans les bras de laquelle il ne lui faudrait pas grand-chose pour tomber… Faroux continue à vouloir éloigner Burma de l’enquête sans que cela anéantisse la poisse qui colle aux basques du détective dès qu’il s’intéresse de près à une affaire…
“… Nestor Burma, l’homme qui, sous ses pas, fait se lever les macchabées comme sauterelles en près fleuris…”
Ça tire, ça fait le coup de poing, ça intrigue et ça joue avec différentes armes.
Un Burma rythmé, qui plonge dans un Paris entre artisanat et petits commerces, entre histoire et présent, d’Isabeau de Bavière à un bandit récemment évadé.
Le style de Malet est toujours savoureux, jouant des mots, entre calembours et réparties bien senties, dans une langue particulièrement riche et ciselée.
En 1972, L’ours et la culotte sera retitré Fièvre au Marais, peut-être pour permettre de mieux situer l’aventure.
Quelques mois plus tard, dans Le sapin pousse dans les caves, c’est à Saint Germain des Près que Burma traîne ses guêtres.
En ce mois de juin, il fait chaud sur la capitale. Burma, à peine sorti du métro, longe le Mabillon pour gagner le calme et l’ombre de l’Echaudé. Il échange avec le patron, le serveur et le barman en attendant celle avec qui il a rendez-vous. Deux vieilles connaissances qu’il n’a plus revues depuis longtemps sont également là. Tintin, ancien
amant d’une comédienne devenue actrice qui monte quand lui connait la trajectoire inverse, et Bergougnoux, venant de signer sous le pseudonyme de Germain St Germain un best-seller. Marcelle, son rendez-vous,arrive enfin. Ils se rendent tous deux à l’hôtel, le Diderot-Hôtel. C’est pour affaire que le détective est là, la jeune femme lui servant de couverture pour qu’il puisse rencontrer discrètement un autre client du lieu. Il se rend dans la chambre de Charlie Mac Gee mais il est déjà trop tard. Etendu sur son lit, tenant dans sa main un revolver avec silencieux, il a rendu son dernier souffle. Burma fouille pas acquis de conscience. Ce qu’il cherche n’est bien sûr pas là.
Le patron de l’agence Fiat Lux a été engagé pour remettre la main sur des bijoux volés, une affaire qui a défrayé la chronique quelques mois plus tôt. La compagnie d’assurance préférant mettre la main par des moyens détournés sur le butin plutôt que de dédommager la victime. Burma agit en étroite collaboration avec l’assureur, Jérôme Grandier, tout en arpentant le quartier.
Même s’ils travaillent parfois ensemble les buts d’un détective et d’un assureur sont rarement les mêmes, la vérité important peu aux seconds. Et essayer de doubler la police dans une enquête n’a pas les mêmes conséquences pour l’un ou pour l’autre.
“Je ne suis pas un ancien bourre qui fait dans le privé, moi, et qui peut espérer l’indulgence de ses ex-collègues. Je me suis établi détective, un peu comme je me serai installé poète. Sauf que j’ai une plaque à ma porte, au lieu d’avoir une plaquette dans mon tiroir. Je suis un franc-tireur. Je gagne mon bœuf au jour le jour, sans l’aide de personne ou presque, semblable à celui qui s’enfonce dans la jungle, un fusil aux pognes, pour chasser ses deux repas et son paquet de gris quotidien.”
Certaines envolées de Burma peuvent friser le lyrisme.
Entre le Flore et l’Echaudé, l’appartement de St Germain, fréquenté par toute une clique hétéroclite, et l’élection de Miss Poubelle dans une cave abritant une boîte de nuit, le privé suit les nombreuses pistes qui s’offrent à lui, butant plus souvent qu’à son tour dans des cadavres. Bizarrement, il n’y a pas que les bijoux qui expliquent l’augmentation de la mortalité entre le jardin du Luxembourg et la rue Dauphine.
Malet porte un regard cynique sur ce quartier qu’il semble pourtant connaître, y faisant croiser des personnes réelles à son personnage de fiction. Les écrivains,poètes ou autres artistes et les caves, café, n’y sont pas toujours fréquentables. L’inspiration vient de partout, de la Chasse du comte Zaroff de Schoedsack et Pichel, projeté régulièrement, à La tête d’un homme de Simenon.
Après de multiples fausses pistes et rebondissements, tout cela se termine par un violent règlement de compte, entre vengeance, haine et recherche de l’idée pour un roman.
“La vie est certainement plus compliquée et fertile en péripéties que tout ce que vous pouvez accumuler dans vos livres […]. Mais elle est aussi plus secrète. […] Vous, avec votre imagination, vous concluez. La vie ne conclut pas.”
Comme le précédent, c’est un Burma rythmé, agréable, qui sera retitré en 1973 à l’occasion d’une réédition, devenant La nuit de Saint Germain des près. Le titre original n’était pourtant pas si mal…
Avant de s’éloigner un peu de la Seine et de gagner le 14èmearrondissement voisin avec Les rats de Montsouris, Burma s’échappe de Paris les temps d’une nouvelle, Faux-Frères, publiées dans “Mystères Magazine”. Une brève histoire de sosies et de règlement de compte un premier avril après une rencontre avec Faroux. Léger et distrayant.