Stuart Neville, Jack Lennon et Serena Flanagan face à la disparition de Raymond Drew

En 2014, un an après le précédent, paraît le cinquième roman de Stuart Neville, The final silence. La traduction de Fabienne Duvigneau a été publiée par les éditions Rivages en 2017, il y a quelques semaines, sous le titre Le silence pour toujours. Il marque le retour de Jack Lennon et l’apparition d’un nouveau personnage, Serena Flanagan.

Raymond Drew n’en peut plus. Il veut mourir. Pour cela, il doit s’éloigner de tous, son cœur malade qu’il refuse de soigner s’occupera du reste. Il sait qu’il laisse à Ida une bien sombre découverte mais le monstre qui est en lui est épuisé.

Jack Lennon, de son côté, traîne son fardeau. Physiquement, il souffre encore des séquelles de son affaire précédente, celle l’ayant vu aux prises avec la mafia lituanienne. Il n’a bien sûr pas dû affronter que cette mafia mais également une certaine pourriture à l’œuvre dans son pays. Et la conclusion de cette histoire, le poursuit toujours, l’empêchant de reprendre son boulot…

Rea Carlisle aide sa mère, Ida, à vider la maison de cet oncle qu’elle a à peine connu. C’est une affaire vite menée, il n’y avait pas grand-chose. Rea a du mal à imaginer la vie de cet homme à l’aune du peu qu’il a laissé. Rien de réellement personnel dans ce qu’elles ont décroché, dans les tiroirs qu’elles ont vidés. Un intérieur, témoin d’une vie, vite déblayé. Il ne reste plus qu’une chambre, fermée à clé, quand Ida repart. Rea est d’autant plus pressée d’achever le nettoyage que ses parents lui ont expliqué que cette maison pourrait devenir la sienne. Une perspective inespérée pour cette femme de 34 ans ayant perdu son emploi quelques mois plus tôt. Elle parvient à forcer la porte et ce qu’elle découvre va la glacer. Son oncle a tenu un journal, agrémenté d’archives, coupures de journaux ou autres, racontant les différents meurtres qu’il a commis. Passé l’horreur de la découverte, Rea contacte ses parents. Qui s’opposent à révéler la découverte à la police, cela pourrait nuire à la carrière de son père, Graham, député, en passe de progresser encore dans les responsabilités politiques. Une telle affaire mettrait fin à la réalisation de ses ambitions.

Graham Carlisle avait autrefois défendu des opinions libérales, mais peu à peu, sous les yeux de Rea, il était devenu un exécutant de l’unionisme, formaté par le parti, de plus en plus conservateur à mesure qu’il progressait dans les rangs. Ayant laissé ses convictions dépérir dans l’ombre de son ambition, il n’était plus un homme de principe mais un employé dévoué qui se conformait aux ordres de ses supérieurs.

Une fois ses parents partis, Rea ne peut se résoudre à une telle décision. Elle contacte une vieille connaissance qui pourrait l’aider, Jack Lennon. Lorsqu’elle l’emmène dans la maison de son oncle, elle constate la disparition du registre de son oncle… soupçonnant son père. Lennon veut l’aider mais cette disparition pousse à douter de l’existence même des mémoires de l’assassin. Il la laisse dépitée, déçue, en colère.

Lennon, installé depuis quelques mois chez Susan, la voisine attentive des précédents opus, a bien d’autres préoccupations. Luttant contre une propension à la déchéance, à se laisser glisser vers le fond, à coup d’antalgiques et d’alcool, pour pouvoir continuer à prendre soin de sa fille, Ellen, celle qui est là depuis Les fantômes de Belfast. L’une des victimes, toujours si réceptive, si sensible, à certains contacts, certaines manières de communiquer. Sa seule raison de vivre, à en perdre la raison.

Mais un rebondissement va le pousser en avant, au chœur de cette histoire dont il n’avait pas besoin. Il va ainsi croiser Serena Flanagan, une collègue, luttant elle aussi contre un mal intérieur qui pourrait bien la vaincre. Il va de nouveau devoir lutter pour ne pas sombrer. Tandis que d’autres sont également au bord du gouffre.

C’est une constante chez Stuart Neville, les années de guerre civile, de lutte armée entre les unionistes et les républicains, n’en finissent pas de laisser des traces, de remonter à la surface au gré des accès de violence qui jaillissent de temps en temps, telle des éruptions, dans le calme et la paix retrouvés.

L’évolution de l’écrivain, quant à elle, le pousse un peu plus à chaque fois du côté du suspens pur. Après une ouverture et un début plus que prometteur, les personnages principaux perdent en épaisseur, sont un peu délaissés, pour laisser la place à une lutte contre le temps. Pour éviter une hécatombe programmée.

Heureusement, il y a toujours Jack Lennon que Neville ne peut cantonner au simple rôle de perdant, personnage trop profond pour ne devenir qu’une silhouette, un faire-valoir à l’intrigue. De son côté, Serena Flanagan, après une première esquisse intéressante, ne parvient pas non plus à s’effacer complètement. Et c’est tout ce qui fait le sel des romans de l’écrivain irlandais, ces personnages en perpétuel lutte avec eux-mêmes, tentant de vaincre à eux seuls des éléments bien plus forts qu’eux.

On passe sur la fin, la résolution de l’intrigue, qui n’est qu’un passage obligé, assez réussi malgré tout, et on attend avec impatiente une nouvelle apparition de l’inspecteur-chef Serena Flanagan dans le roman suivant, Those we left behind.

Stuart Neville, Jack Lennon et la Lituanie

En 2011, paraît outre-Manche le troisième roman de Stuart Neville, Stolen Souls. Il nous parvient en 2013, traduit par Fabienne Duvigneau, sous le titre très fidèle d’Ames volées. C’est la deuxième fois que l’inspecteur Jack Lennon est l’un des personnages principaux, mais ce livre constitue la suite des deux précédents… ne serait-ce que par la présence de sa fille Ellen.

Les événements qui nous sont racontés commencent à la veille de Noël… et se poursuivent le jour même de cette fête. Pas une fête pour tout le monde…

Jack Lennon vit désormais avec sa fille, Ellen. Il vit dans l’appartement de Belfast qu’on lui connaît, en voisin de Susan et de sa fille Lucy… Susan qui Ames volées (Rivages, 2011)continue à lui garder Ellen quand il le demande, Susan qui lui donne toute son attention. Et justement, il va de nouveau la solliciter car il doit assurer un tour de garde au commissariat en espérant que rien ne se passera tant qu’il sera de service. Mais, bien sûr…

Rien ne se passe comme il l’aurait voulu car, au même moment, une prostituée tue l’homme qu’elle recevait, un lituanien, affilié au grand banditisme. Alors que le corps est transporté pour être caché par deux autres hommes qui craignent les représailles du chef de bande, accessoirement frère du macchabée, la fille parvient à s’enfuir… S’ensuit une chasse dans laquelle s’affrontent les forces de l’ordre et cette mafia venue de l’est…

Les points de vue alternent, l’histoire en change et se centre sur l’un ou l’autre des personnages au fur et à mesure que l’intrigue progresse. Il y a, bien sûr, Jack Lennon, mais aussi Galya, la fille venue de Lituanie et en fuite après avoir occis celui qui aurait pu être son premier client, Billy Crawford, au nom changeant, recueillant Galya, mais à la personnalité abîmée et représentant un grand danger pour la jeune femme, et enfin, Herkus, un lituanien, chauffeur et homme à tout faire, exécuteur des basses œuvres, d’Arturas Strazdas, l’homme à la tête d’une filière plutôt lucrative de trafic d’humains…

En parallèle de la course-poursuite et de la course entre Lennon et Herkus pour retrouver la fille, qui elle tente d’échapper à son geôlier, les personnages sont décrits avec une grande force. Des personnages détruits, aux prises avec leurs démons. Ceux qui hantent Lennon, ressurgis des aventures précédentes, ceux qui poussent Billy Crawford à la folie, ceux que Strazdas tente de fuir en s’enfonçant un peu plus dans la consommation de drogue… Les démons de Galya sont ceux qu’elle doit affronter tout au long d’une intrigue qui en fait le personnage central, le noyau de l’histoire.

C’est un troisième roman fort et prenant que nous offre Neville. Un roman qui s’approche de plus ne plus du thriller comme nous l’avait laissé présager l’évolution déjà perçu entre son premier et son deuxième opus. Mais un roman, je le répète, qui nous donne à lire, à rencontrer, des humains à la personnalité dérangée. Un roman d’une grande violence, d’une grande âpreté. Aucun ne peut en sortir sans cicatrice. Aucun, pas même le lecteur, ne peut en sortir inchangé…

Cette fois, Stuart Neville s’est détaché de l’intrigue des deux premiers romans, l’histoire récente de l’Irlande n’est plus au centre des événements, elle n’en est plus la cause directe. Belfast en revanche garde toute son importance.

La grisaille, la pluie, la haine, il y avait quelque chose ici qui vous tapait sur les nerfs. Même l’air qu’on respirait vous fichait les boules.

Il s’agit plutôt du début d’une série, celle qui voit Jack Lennon encaisser les coups et les coups bas. Celle qui le voit agir malgré lui, sans réfléchir, juste mu par son instinct, faisant des choix dictés par une morale qui ne peut que lui mettre à dos un maximum de gens.

Jack Lennon avait agi en imbécile quand il s’était engagé dans la police. Quand il avait décliné les honneurs après avoir sauvé la vie d’un collègue qui essuyait une attaque par balles. Quand il avait abandonné sa fille encore dans le ventre de sa mère. Quand il avait entraîné un tueur nommé Gerry Fegan de l’autre côté de la frontière pour satisfaire une vengeance.

Lennon savait qu’il s’était comporté en imbécile toute sa vie, mais cela ne l’avait jamais arrêté.

Une série qui s’amorce et dont l’un des personnages récurrents m’a plus marqué que les autres, il s’agit d’Ellen, la fille de Lennon et de Mary McKenna. Une enfant qui a souffert dans les deux premières histoires, une enfant qui n’est pas sans rappeler Gerry Fegan, autre personnage marquant de Neville. Elle vit les enquêtes de son père, la violence faite aux victimes innocentes au travers de ses rêves. Et on de demande comment elle pourra grandir avec l’accumulation de souffrances qu’elle engrange.

Neville va abandonner sa série le temps d’un roman, Ratlines, avant d’y revenir.

Stuart Neville, Jack Lennon et Gerry Fegan

En 2010, un an après le premier roman de Stuart Neville, paraît le deuxième, Collusion. Comme pour Les fantômes de Belfast, il nous parvient deux ans plus tard, traduit par Fabienne Duvigneau, sans changer de titre.

Tout commence sur une route d’Irlande du Nord. On y retrouve trois personnages croisés dans Les fantômes de Belfast, les malfrats de république d’Irlande qu’accompagnait Campbell, le flic infiltré. Malfrats qui finançaient la cause indépendantiste par des vols généralement accompagnés de Collusion (Rivages, 2010)violence. Ces trois compères sont sur une route déserte et commencent à redouter la voiture qui les suit. Jusqu’au moment où ils tombent dans une embuscade et où le traitement qui leur est réservé s’avère plutôt violent… compte-tenu du fait, notamment, qu’il est perpétré par les forces de l’ordre…

A Belfast, pendant ce temps ou juste après, Jack Lennon, quant à lui, est un flic en difficulté. Catholique chez les flics, en Irlande, ça ressemble déjà à une trahison pour les siens, à l’instar d’un autre flic, Sean Duffy, quelques années plus tôt et sous la plume d’un autre écrivain irlandais, Adrian McKinty. Jack Lennon est un personnage que nous avions également croisé dans le précédent opus du romancier, nous ne l’avions pas croisé en chair et en os, si l’on peut dire, mais en creux, décrit par d’autres personnages. Et notamment Mary McKenna, la mère d’Ellen, que Gerry Fegan avait prises sous sa coupe, tentant de leur faire traverser les événements en restant le plus indemnes possible… Jack Lennon est un flic désabusé, tenant surtout, après l’avoir abandonnée, à retrouver sa fille, justement, Ellen. Mais ça n’est pas si simple. Après une surveillance en sous-marin et une intervention efficace, il réintègre l’unité dans laquelle il officiait quelques mois auparavant et des indices d’une affaire qu’on a voulu étouffer remonte jusqu’à lui. Une affaire étouffée, classée, qui n’est autre que celle qui nous était conté dans Les fantômes de Belfast. Une affaire que Lennon veut faire remonter puisqu’elle lui permettrait de savoir où sont passées Mary et Ellen… Ses actions commencent à gêner aux entournures ses supérieurs. Supérieurs qui préféreraient le voir rentrer dans le rang, chose qu’il a toujours eu du mal à faire…

En parallèle nous suivons d’autres personnages. Le Voyageur, un tueur à gage, engagé par Bull O’Kane, celui que nous connaissons, pour faire le ménage en éliminant ceux qui en savent trop sur ce que nous avons lu précédemment. Un tueur à gage qui ressemble étrangement à Gerry Fegan, si ce dernier n’avait pas éprouvé de remords. Nous suivons également Gerry Fegan, justement, exilé à New York et travaillant comme simple ouvrier, sans autre ambition que passer inaperçu, rester sous les radars, mais ça n’est pas si simple quand on s’appelle Fegan et que l’on a une réputation.

La piste sanglante que le Voyageur sème derrière lui intrigue sérieusement Lennon, tandis que ses supérieurs, refusant de relier les nouveaux événements aux anciens, persistent dans leur opinion qu’il ne s’agit que de coïncidences… Les nouvelles victimes, étroitement liées à l’ancienne affaire, ne seraient que celles d’accidents malheureux ou explicables par leurs occupations…

Décidément, la violence n’est pas morte en Irlande du Nord. Et les anciens membres des groupes paramilitaires n’ont pas beaucoup de choix de reconversion, n’ayant appris que la guerre et les trafics, ils ne peuvent que continuer. Sous une forme différente. Mais pour cela, ils doivent se préserver et les collusions sont nombreuses, l’argent ayant remplacé les croyances, ayant remplacé l’appartenance à l’une ou l’autre des religions chrétiennes en lutte. Il y a quelque chose de pourri dans cette province du Royaume-Uni. Les anciennes complicités basées sur la terreur ont toujours droit de cité, le partage des territoires entre les uns et les autres existe toujours. Avec l’assentiment de tous et même les efforts de chacun pour les maintenir en l’état. Auquel s’ajoutent les réticences de certains, peut-être mus par la volonté de maintenir un semblant de stabilité… Juste un vernis.

Avec ce deuxième roman, Neville ne joue plus sur la surprise, celle qui avait été la nôtre pour le premier. Sa force de frappe, l’impact de son intrigue et de son style, particulièrement directs tout en étant teintés de remords, hantés par des fantômes, nous les connaissons. C’est peut-être pourquoi nous suivons les évolutions des personnages en étant moins pris par la noirceur ambiante mais toujours scotchés par cette description d’un pays pas si loin du nôtre et dont nous avons suivi d’un œil lointain, pas toujours concerné, les soubresauts au long des années… Ça n’est pas reluisant et un pays en reconstruction ne peut pas faire table rase du passé. Neville nous l’assène avec une certaine violence, celle qui a toujours été irlandaise, dans un style si particulier, demandant de l’accepter, car nous sommes aussi des acteurs de nos lectures.

Décidément, Neville est un auteur à lire. Le chantre d’une Irlande toujours hantée par ses démons, ceux d’un vingtième siècle de violence et de bombes.

Son troisième roman est paru deux ans plus tard, il s’intitule Ames volées.