Le troisième roman de Dorothy B. Hughes sort en 1941, l’année suivant la parution des deux premiers. Il s’intitule The Bamboo Blonde et est édité, comme les précédents, par Duell. De ce côté-ci de l’Atlantique, il paraît, comme L’ours a fait un testament, aux éditions des Deux Mondes dans la collection “La main rouge”, traduit par Renée Vally sous le titre très fidèle de La Blonde du Bar Bambou.
Griselda et Conrad sont en lune de miel. Ils viennent de se remarier et, sur un coup de tête, Conrad a décidé d’aller à Long Beach pour ce passage incontournable de tout mariage qu’ils espèrent plus réussi que le premier et la première.
Très vite, Griselda a compris que la destination n’a rien d’un hasard et qu’en fait de tendres moments, son mari a d’autres préoccupations à l’esprit. Il n’y a qu’à voir ceux qui sont là, comme eux, de manière imprévue. Certes Barjon Garth, chef de l’espionnage, n’est pas là bien qu’on ne parle que de lui, mais il y a tout ceux qui traînent souvent dans son voisinage. Kew Brent, autre journaliste, pas seulement collègue mais également ami de Conrad, se trouve dans les parages, tout comme le major Pembrooke, un anglais plutôt effrayant, Dare Crandall, celle qui avait grandement contribué à l’échec du premier mariage de de Griselda et Conrad. La disparition de Mannie Martin occupe les esprits et les conversations. Walker Travis, l’un des derniers à l’avoir vu, est l’objet de toutes les préoccupations. Il doit détenir quelque information importante. Et les informations sont importantes en cette période troublée par la guerre mondiale, la lutte contre l’axe et l’obsession de la défense intérieure. Comme leur lune de miel pourrait en être une au milieu de tout ça ?
D’autant que lorsqu’ils sortent boire un verre, la porte du bungalow miteux dans lequel Conrad les a logé est à peine refermée qu’une voiture pointe ses phares sur eux. Kathie Travis est à la recherche de Walker, son mari. Comme ils ne l’ont pas vu, elle retourne à son hôtel. Les deux jeunes mariés débarquent au Bar Bambou. Après avoir été servi par le serveur que Conrad appelle Chang, ils aperçoivent Kew Brent. Une femme se fait remarquer, seule au bar. Conrad décide de lui venir en aide, elle paraît avoir déjà pas mal éclusé… Griselda rentre seule, furieuse.
Après une brève apparition au milieu de la nuit, Conrad est enfin de retour en début de matinée. Ils ne tardent pas à apprendre que la blonde dont il s’est occupé et qu’il a empêchée de commettre une bêtise en lui confisquant les balles de son revolver a été retrouvée morte. Le capitaine Thusby, le policier chargé de l’enquête concernant le meurtre, car s’en est un, ne tarde pas à faire résonner sa jambe de bois pour interroger Conrad…
Les événements s’enchaînent. Conrad (Ron dans le premier roman de Hughes) apparaît et disparaît en permanence. Les raisons d’avoir peur se multiplient. Et Griselda, personnage central, celle que nous ne quittons pas, est laissée de côté. Rien ne lui est dit mais elle subit chaque rebondissement. Faisant jouer son imagination pour comprendre les tenants et les aboutissants de toute l’histoire, ce qui n’est pas simple.
Comme pour ses deux premiers romans, Dorothy B. Hughes se concentre sur le point de vue d’un personnage, Griselda pour la deuxième fois après La Boule bleue. Cette fois, elle subit les événements tout en restant en périphérie de l’intrigue, elle ne sait pas tout ce qui se passe, elle ne peut avoir que des soupçons. Alors que tout lui était expliqué dans le roman précédent, elle ne sait pas grand-chose cette fois-ci. Et c’est tout le problème…
J’ai eu du mal à me sentir concerné, Griselda restant à la marge, il était difficile de ne pas rester étranger au roman. Le lecteur sait qu’elle a toutes les raisons d’être effrayée, de craindre pour la vie de Conrad, mais impossible d’éprouver une réelle angoisse quand on ne sait pas ce qu’il faut redouter.
En faisant évoluer sa manière de raconter son histoire, la romancière choisit un angle qui laisse l’intrigue tellement loin de nous que nous ne nous sentons pas impliqués. La recette est pourtant proche de ce qu’elle nous avait proposé jusque là, une femme ne sachant en qui avoir confiance au milieu d’une intrigue trop grande pour elle. Mais jusqu’ici, l’héroïne connaissait tout, elle était le témoin au cœur du suspens.
En nous tenant trop à l’écart, Hughes nous perd…
Nous découvrons avec ce roman l’une des facettes de l’auteure, son envie de ne pas se contenter de ce qu’elle sait, d’explorer. Quitte à se fourvoyer. Cette expérience lui sert toutefois pour le roman suivant, elle semble en tirer les enseignements pour nous offrir son meilleur jusque là. La Blonde du Bar Bambou, raté, s’avère finalement comme une étape importante pour en arriver à la réussite que constitue Chute libre.