Keigo Higashino, le professeur Yukawa à la plage et une mort suspecte

La troisième apparition sous nos latitudes du professeur Yukawa s’intitule Manatsu no hõteishiki, dans sa version originale. Elle paraît en 2011, trois ans après la précédente, Un Café maison, et est traduite par Sophie Réfle en 2014 sous le titre de L’Equation de plein été.

Kyohei Esaki change de train, après le Shinkansen, il trouve sans difficulté celui qui l’amènera chez son oncle et sa tante, à Hari-Plage. A presque dix ans, il se débrouille assez bien pour voyager seul. Son père se posait la question mais sa mère était persuadée que c’était possible. Dans le wagon, il finit par trouver une place face à un homme en pleine lecture et non loin d’un couple de personnes âgées. Alors qu’il vient à peine de s’installer, son téléphone, un modèle simple, pour enfants, sonne, sa mère vérifie que tout se passe bien et lui rappelle de bien se comporter une fois arrivé. L’homme âgé lui fait remarquer que l’usage du téléphone est interdit dans la zone où ils se trouvent et lui demande de se déplacer, le téléphone risquant de sonner de nouveau à tout moment, puisqu’un modèle pour enfant est conçu pour qu’on ne puisse pas l’éteindre. Alors que sa femme lui demande de se calmer, le voisin face à Kyohei, emballe son téléphone dans du papier d’aluminium, il ne pourra ainsi plus recevoir d’appel. Même si la situation semble apaisée, quand le train se vide de ses passagers, au fur et à mesure des gares desservies, le jeune garçon décide de se déplacer et de rejoindre celui qui lui a sauvé la mise et qui a également changé de siège. Une conversation s’engage dans laquelle il comprend que son interlocuteur est un scientifique et qu’il se rend également à Hari-Plage.
Une fois arrivés à destination, le professeur Yukawa, puisqu’il s’agit de lui, demande à Kyohei où il va loger et le garçon lui explique qu’il est accueilli par son oncle et sa tante dans leur hôtel. Plus tard dans la journée, après avoir été accompagné jusqu’à l’auberge par sa cousine, Narumi, Kyohei voit débarquer le professeur Yukawa. Il est le seul client de l’hôtel avant qu’un autre homme ne vienne également s’y installer.

Yukawa est à Hari-Plage en tant que consultant dans une opération qui ne fait pas que des heureux. Il s’agit d’envisager l’exploitation des fonds marins au large de la commune. Narumi, la cousine de Kyohei, fait parti des opposants au projet.
Après une première réunion d’information, elle croise Yukawa dans un bar où sa mère l’a accompagné pour boire un verre. Tandis que sa mère repart, reconduite jusqu’à l’auberge par un autre des opposants au projet, Narumi échange avec le scientifique, constatant qu’il n’est pas venu pour soutenir coûte que coûte la société voulant exploiter les ressources du littoral, comme l’avait d’ailleurs déjà laissé penser son intervention lors de la réunion. Pendant ce temps, Kyohei et son oncle tirent un feu d’artifice dans le terrain derrière l’auberge.
Le lendemain, la disparition de l’autre client est constatée. Peu de temps après, son corps est retrouvé au pied de la digue, sur des rochers, le crâne enfoncé. La police découvre en fouillant dans ses affaires qu’il s’agit d’un policier à la retraite, Masatsugu Tsukahara.
Alors que tout porte à croire dans un premier temps à un accident, aux yeux de la police locale notamment, plusieurs éléments finissent par poser question. Etant donné l’identité de la victime et ses dernières fonctions, la police de Tokyo s’intéresse à l’affaire et une enquête est confiée à Kusanagi, de manière non officielle.
Tandis que son ami conduit ses investigations, Yukawa entreprend d’aider Kyohei à faire ses devoirs de vacances et à s’intéresser à la science en mettant au point plusieurs expériences.

Dans cette troisième apparition du professeur Yukawa, Higashino change sa manière de nous raconter l’histoire. Nous ne connaissons pas le coupable dès le départ. Nous suivons les différentes enquêtes menées parallèlement à Tokyo et à Hari-Plage. Les différentes découvertes nourrissent et enrichissent notre connaissance de l’affaire.

Dans le même temps, Yukawa invente des expériences pour intéresser Kyohei, discute avec Narumi pour comprendre son intransigeance dans la préservation de l’environnement. Il finit par donner un coup de main à Kusanagi tout en menant sa propre enquête sans en avoir l’air. Il est au cœur des découvertes de la police, témon des différentes investigations qu’elle mène su place.
Comme souvent, l’enfance prend une part importante dans l’intrigue, celle de Kyohei puis celle de Narumi. Il y a aussi cette enquête qui a marqué Tsukahara et qui oscille entre Tokyo et Hari-Plage.

L’année suivante paraît au Japon un roman qui a été traduit l’année dernière en France et qui se démarque des romans que nous connaissons de l’auteur, Les Miracles du Bazar Namiya.

Keigo Higashino, le professeur Yukawa aide de nouveau Kusanagi pour le meurtre de Mashiba

En 2008 paraît le quatrième opus de la série ayant pour personnages récurrents l’inspecteur Kusanagi et le professeur Yukawa, le deuxième à arriver jusqu’à nous. Trois ans après Le Dévouement du suspect X, et deux ans après un détour du côté de l’inspecteur Kaga dans Les Doigts rouges,nous les retrouvons sous la plume de Keigo Higashino dans Seijo no Kyûsai. Le roman est traduit quatre ans plus tard par Sophie Refle sous le titre Un Café maison.

Alors qu’ils se préparent à recevoir les Ikai à dîner, Yoshitaka Mashiba annonce à sa femme Ayané que son plan de développement personnel l’oblige à divorcer. C’était entendu, annoncé, depuis leur engagement. Pour Yoshitaka, la raison d’être d’un mariage est d’avoir des enfants. Il lui avait annoncé que si, au bout d’un an, ils n’en avaient pas, ils divorceraient. Ayané insiste pour la forme, l’obligeant à réexpliquer son point de vue et l’importance qu’il accorde à son plan de développement personnel.
Une fois prêts, ils descendent dans leur salon pour préparer l’arrivée de leurs invités, Hiromi Wakayama, l’assistante d’Ayané est là, se proposant de les aider. Alors que la maîtresse de maison s’affaire aux derniers préparatifs, Yoshitaka et Hiromi discutent discrètement. A la fin du repas, Ayané annonce à leurs amis qu’elle part pour trois jours rendre visite à ses parents à Sapporo. Le lendemain, elle passe voir Hiromi pour lui confier les clés de leur maison pendant son absence, elle compte sur elle pour ses plantes et éventuellement aider Yoshitaka s’il le demande.
Hiromi retrouve Yoshitaka dès le soir même. C’est la première fois que les amants vivent leur liaison dans la maison des Mashiba. Elle repart le lendemain pour aller donner les cours de patchwork que l’école d’Ayané propose même le dimanche. Alors qu’ils doivent se rencontrer le soir, elle l’appelle et il ne répond pas. Elle essaie plusieurs fois, sans succès. En arrivant à la maison, elle découvre le cadavre de Yoshitaka.
La police arrive très vite à la conclusion que la mort est due à l’absorption d’arsenic dans le café qu’il s’était préparé. Malgré cela, tout porte à croire qu’il s’agit d’un meurtre et non d’un suicide.
L’inspecteur Kusanagi fait parti de l’équipe qui se met en place pour mener l’enquête, sous les ordres de Mamiya. Une jeune collègue travaille également avec eux, Kaoru Utsumi. Bien vite, elle trouve que Kusanagi manque d’objectivité, il est tombé sous le charme d’Ayané Mashiba et semble incapable d’imaginer qu’elle puisse être la coupable. Ils cherchent tous les deux à comprendre les faits qui se révèlent toutefois particulièrement difficiles à établir. Utsumi décide de s’adresser au professeur Yukawa qui a déjà souvent prêté assistance à Kusanagi pour ses enquêtes, même s’il y a renoncé depuis une affaire qui l’a particulièrement marqué.

Des théories s’affrontent mais ne parviennent pas à reposer sur du concret. Les enquêteurs ne comprennent pas comment le poison a pu atterrir dans la tasse de la victime en l’absence d’autres personnes. Ayané était chez ses parents et Hiromi donnait ses cours.
Comme pour le précédent, nous savons qui est coupable du meurtre, nous avons vu Ayané se saisir d’une pochette plastique contenant une poudre blanche. Nous avons également vu Hiromi expliquer à Yoshitaka comment faire un bon café, lui qui n’en fait jamais. Mais, avec les policiers, nous ne savons pas comment le meurtre a réellement été perpétré et l’énigme s’avère rapidement très difficile à résoudre.
Le professeur Yukawa accepte de collaborer avec la police parce qu’il s’agit d’un mystère intéressant mais aussi parce que Kaoru Utsumi lui parle des sentiments de Kusanagi.

Comme pour le premier opus de la série, Keigo Higashino a concocté une intrigue particulièrement subtile. C’est une nouvelle fois, pour lui, l’occasion de nous offrir une galerie de personnages très réussie. Ils ont chacun quelque chose qui ne peut que susciter notre empathie. La victime n’étant pas très sympathique, s’avérant peu encline à éprouver des sentiments, nous nous intéressons aux autres personnages, notamment Hiromi et Ayané, qui nous apparaissent comme les véritables victimes.
L’affrontement entre Kaoru, dont les déductions s’avèrent très logiques, et Kusanagi est également captivant, L’arbitrage de Yukawa étant savoureux alors qu’il s’efforce de les empêcher de s’enfoncer dans leurs a priori et souhaite avant tout les aider à résoudre ce qui pour lui a tout du crime parfait.
On prend décidément plaisir à la lecture des romans de Higashino, un mystère bien compliqué et des personnages auxquels il s’intéresse et nous intéresse, constituent les ingrédients de ses histoires. Il joue sur l’intrigue pour mieux nous décrire des humains comme vous et moi… ou presque.

Le cinquième opus de la série, L’équation de plein été, paraît trois ans plus tard.

Keigo Higashino, le professeur Yukawa retrouve Ishigami

En 2005, six ans après La Lumière de la nuit, paraît au Japon Yogisha X no Kenshin. Il est traduit en 2011 par Sophie Rèfle sous le titre Le Dévouement du suspect X. Il s’agit de la troisième apparition du professeur Yukawa, la première traduite en français.

Ishigami parcourt son chemin habituel pour se rendre dans le lycée où il enseigne les mathématiques. Il ne prend pas le plus court, empruntant les berges aménagées de la Sumida, occupées par un campement de SDF, puis achetant le menu du jour chez le traiteur Bententei, dont la vendeuse n’est autre que sa voisine, Yasuko Hanaoka. C’est son plaisir du matin de la voir même si elle le traite comme tous les autres clients.
Yasuko, après le coup de feu des ventes matinales, aident ses patrons à la préparation du reste de la journée. Sa patronne gérait l’un des bars où elle a travaillé autrefois comme entraîneuse. Désormais, Yasuko mène une vie calme, aux horaires diurnes, s’occupant de sa fille de quinze ans, Misato. Tout pourrait être idéal si, une nouvelle fois, elle ne voyait débarquer Togashi, son ex-mari, qui, depuis leur divorce, se manifeste de loin en loin pour lui emprunter de l’argent, lui qui n’a plus de travail et n’en trouve plus. Elle l’a quitté à cause de sa violence et de cette dégringolade dans laquelle elle n’a pas voulu se trouver entraînée. Après une entrevue dans un café, qu’elle abrège, il la relance chez elle, interpelant Misato au passage. L’adolescente ne le supporte plus et alors qu’il tarde à partir après avoir obtenu l’argent qu’il était venu chercher, elle le frappe avec un vase en cuivre pour l’empêcher de menacer encore Yasuko. Alors qu’il se relève et laisse sa violence s’exprimer, Yasuko l’étrangle avec le cordon électrique de la table chauffante.
Ishigami a tout entendu. Il vient frapper une première fois à la porte de ses voisines qui s’excusent pour le bruit et le dérangement qu’il a causé. Ne croyant pas à leur mensonge pour expliquer ce qui s’est passé, il revient et leur propose son aide. Il faut se débarrasser du corps après l’avoir rendu impossible à identifier.
Alors qu’il affronte Yukawa aux échecs, l’inspecteur Kusanagi est appelé par un collègue. Enervé par le constat porté par le physicien sur son absence de logique dans le jeu, il se rend sur les bords de la Kyu-Edogawa où un cadavre a été retrouvé. La tête écrasée à coups de marteau, les doigts brûlés rendent tout identification impossible. Un vélo retrouvé non loin de là portant plusieurs empreintes et des vêtements partiellement brûlés permettent toutefois d’identifier la victime, il s’agit d’un certain Shinji Togashi. L’enquête amène la police à s’intéresser à son ex-femme, Yasuko Hanaoka. En interrogeant son voisin, Kusanagi découvre qu’il est un ancien étudiant de l’université Teito, celle où enseigne et a étudié son ami, Yukawa, qui l’aide parfois dans ses enquêtes. Quand il apprend que Kusanagi a croisé Ishigami, Yukawa reprend contact avec ce dernier.
Pendant ce temps, l’enquête s’avère difficile, peu de suspects, la seule qui pourrait faire l’affaire, l’ex-femme, dispose d’un alibi difficile à remettre en cause.

Keigo Higashino nous offre un mystère à la Columbo, une enquête inversée. Nous connaissons les coupables et nous demandons comment la police va découvrir la vérité. Mais bien vite, l’intérêt du roman réside dans les personnages, leur vie, leurs doutes et leur intelligence. Sur l’enquête et ce qui la rend difficile.
Le professeur Yukawa, physicien, comprend l’implication d’Ishigami, ancien étudiant brillant en mathématiques ayant abandonné ses études pour ne plus dépendre de ses parents. Ishigami a renoncé à une carrière brillante de chercheur et s’est isolé, vivant seul entre son appartement et le lycée privé où il travaille, continuant ses recherches par lui-même, seul encore. Il est celui qui mène le jeu, qui conseille la mère et la fille.
De l’autre côté, nous observons l’inspecteur Kusanagi se démener mais s’enferrant dans une recherche qui tourne en rond. Il s’entête sans parvenir à comprendre d’où vient le problème. Yukawa, quant à lui, ne se contente plus de conseiller son ami policier, il se rend sur les lieux, rencontre Ishigami et Yasuko Hanaoka. Son implication dans l’enquête contrarie dans un premier temps le policier puis il l’accepte comme une investigation parallèle.

C’est un roman d’Higashino construit un peu comme celui qui le précède en français, la résolution de l’énigme passe par une découverte approfondie des personnages. C’est finalement autant l’énigme qui intéresse que les conséquences du meurtre sur les différents protagonistes.
Il y a une grande précision chez le romancier, une grande acuité, un grand intérêt pour l’ensemble de l’univers qu’il crée et la mécanique qu’il met en place, sans que celle-ci ne devienne trop pesante ou tombe dans la démonstration. Avec des personnages très réussis, au premier plan desquels, je placerai Ishigami pour ce roman-ci.

Le professeur Yukawa, héro récurrent dans l’œuvre de Keigo Higashino, réapparaît trois ans plus tard dans un quatrième opus, Un Café maison, mais avant cela, un autre personnage récurrent de l’auteur nous arrive, l’inspecteur Kaga, dans Les Doigts rouges.