Andrée A. Michaud, Marie Saintonge et Richard Dubois affrontent les intempéries sur le Massif Bleu

En 2019 paraît le douzième roman d’Andrée A. Michaud, deux ans après Routes secondaires. Il s’intitule Tempêtes et traverse l’Atlantique, des éditions Québec Amérique aux éditions Rivages, l’année suivante.

En plein blizzard, un homme épie l’habitante d’une maison depuis la forêt qui l’entoure. C’est du moins ce qu’il semble à cette occupante, dans cette environnement aveuglant et assourdissant.
Marie Saintonge est arrivée dans la maison de son oncle juste avant que ne se déclenche la tempête de neige annoncée et devant durer plusieurs jours. Elle s’est décidée à venir quand elle a appris qu’elle en était l’héritière à la suite du suicide de ce dernier. Il était venu la voir en ville pour lui en parler et la pousser à s’y installer. Elle n’avait alors pas compris ce qui trottait dans la tête d’Adrien, cette chute depuis la falaise au Loup.
Alors que le vent se déchaîne et que la visibilité si basse laisse la place à toutes les interprétations, tous les mirages, Marie voit un homme tourner autour de son habitation, un homme de glace ou de glaise. Bientôt, un autre homme, de chair et d’os, frappe à sa porte. Vue la météo, elle ne peut que le recueillir. Il ne sait pas qui il est et repart pour revenir plusieurs heures plus tard.
Pendant ce temps, l’isolement ne laisse à Marie que la possibilité de cogiter, d’affronter ses angoisses ou d’essayer de les vaincre à coup de vin ou d’alcool plus fort. La montagne gronde, jouant ce qui pourrait être une symphonie, elle a sa propre musique. La folie n’est pas loin dans cette bâtisse dont une partie est en travaux, laissant le vent siffler, souffler à travers les bâches calfeutrant les ouvertures. Les seules nouvelles de l’extérieur parviennent grâce à la radio, des hommes disparaissent, dont un certain Frank Fréchette, celui qui a pris soin de la maison avant son arrivée. Frank, prénom qu’elle décide de donner à l’amnésique, dont elle a peur, prête à s’en défendre les armes à la main, l’enfermant dans sa chambre pour ne plus le croiser.
Explorant la maison, Marie tente de se l’approprier, laissant traîner ses habits ici et là, les bouteilles là où elle les pose, trouvant de la peinture noire et créant une fresque sur le mur avec ces bonhommes bâtons qu’elle rencontre partout depuis son arrivée, sur un carton invitant à « manipuler avec précaution », gravés dans la cave…
Le blizzard laisse tous les cauchemars prendre vie, incitant à la violence, seule solution pour affronter la peur, l’horreur. Mais elle se produit quand même…
Après le blizzard, le temps perd toute consistance pour Marie, s’étirant jusqu’à l’été sans qu’elle s’en aperçoive. Jusqu’à ce que les événements de l’hiver la rattrape.

C’est à l’été qu’arrive Richard Dubois dans le Massif Bleu, que Marie avait renommé Cold Mountain. Il a loué une caravane dans le camping des Chutes rouges à la suite du suicide de Chris Julian. Il l’a découvert flottant dans sa piscine, une partie de la tête emportée par la balle qu’il s’est tiré. Richard était au service de Julian, ils avaient rendez-vous pour parler du dernier manuscrit de celui-ci. Julian a engagé Ric pour la partie production et vente de ses romans, il les apporte à l’éditeur et passe pour l’auteur auprès de ce dernier puis des médias. Mais là, le manuscrit est inachevé et, après avoir obtenu un à-valoir de son éditeur, il a décidé de se rendre sur les lieux de la dernière histoire inventée par Julian, pour en finir la rédaction.
Dans le snack de Fall-Jonction où Marie avait déjà effectué sa dernière halte avant l’isolement, il entend parler des disparitions de l’hiver, de la tempête qui approche. Arrivé au camping, la montagne gronde et il comprend que les tempêtes qui s’y succèdent en été vont cette fois-ci engendrer des drames. Ceux que Julian a imaginés, ou d’autres qui viendront compléter l’histoire en cours.

Les intempéries ont toujours eu une grande place dans les romans d’Andrée A. Michaud, elle se décide ici à en faire l’élément déclencheur de tous les drames, de la folie et de la violence qui se déchaînent autant que la météo dans cette montagne à la musique si singulière. La réalité et l’imagination se mêlent, s’emmêlent, embrouillent les esprits des deux personnages principaux.
Ce Tempêtes est un peu un prolongement du roman précédent. Michaud mêle désormais le roman noir à l’épouvante et à une certaine horreur. La nature, toujours très présente dans les livres de l’auteure, de la plage de La Fille de Sath à la forêt de Routes secondaires, en passant par les lacs de Bondrée ou Mirror Lake, les rivières du Pendu de Trempes et de Rivière tremblante ou la montagne qui surplombe l’intrigue de Lazy Bird, cette nature, donc, devient véritablement, explicitement, un personnage. Tout comme la météo qui avait toujours eu son importance jusqu’ici, mais plutôt comme personnage secondaire.
La nature domine les esprits.
Michaud nous offre un roman exigeant, avec une première partie, celle de Marie Saintonge, qui demande un effort, une deuxième partie, celle de Richard Dubois, plus abordable mais qui finit par rejoindre la première. Comme elle l’avait fait dans le roman précédent, la romancière gomme la limite entre la fiction et la réalité. L’imagination des personnages, la fiction de Chris Julian et la réalité imaginée par Michaud se mélangent, se confondent, s’entrecroisent.

L’évolution amorcée avec Routes secondaires se poursuit ici. Andrée A. Michaud a entamé un travail en profondeur, comme celui qui l’avait amené au roman noir. Il nous faudra patienter et attendre ses prochains romans pour voir où cela l’amène, où elle nous entraîne.

Andrée A. Michaud aux prises avec ses personnages

Trois ou quatre ans après son roman précédent, Bondrée, les dates diffèrent selon les sources, Andrée A. Michaud publie un nouveau bouquin, Routes secondaires. Il n’a les honneurs que d’une édition outre-Atlantique mais est accessible numériquement par chez nous.

Je dois m’appeler Heather. Elle doit s’appeler Heather.

Alors qu’elle marche sur le gravier d’une route qu’elle connaît depuis son enfance, le long d’un ruisseau, Andrée A. Michaud sent ces deux phrases surgir dans son esprit. Une injonction ou une supposition, ça n’est pas clair. Toujours est-il qu’alors que ces mots lui trottent dans la tête, une voiture apparaît derrière elle, ralentit à sa hauteur avec, au volant, une femme qui lui ressemble à s’y méprendre. Heather, c’est sûr. L’étonnement qui saisit les deux femmes abrège l’instant, la voiture reprend de la vitesse…
De retour chez elle, la romancière observe l’histoire se dérouler. Heather, après leur fugitive rencontre, a vu sa voiture quitter la route et emboutir un arbre. La Buick rouge est immobilisée, impossible qu’elle reparte. Heather Thorne est perdue dans ces bois. Une scène apparaît puis disparaît, celle d’une agression par deux motoneigistes. La femme explore son environnement et pourrait rencontrer un homme au fusil. Mais elle a elle-même une hache. Un homme qui lui dit qu’elle n’est pas celle qu’elle croit.
Le visage de l’homme au fusil l’intrigant, la romancière part à sa recherche. Pour en savoir plus sur Heather, elle contacte un ami qu’elle n’a plus revu depuis longtemps, V. Pendant ce temps, la vie suit son cours pour l’écrivaine, les saisons s’enchaînent alors que l’automne reste celle de son intrigue. Entre ses chats, son compagnon, P., et les diverses activités qu’elle peut avoir, elle mène l’enquête sur Heather et les personnages qui apparaissent au fur et à mesure qu’elle progresse dans l’intrigue. Elle en apprend plus sur son personnage principal et cherche à vérifier si ce qu’elle apprend est dans le roman ou dans la vie réelle, une vie réelle qui n’est qu’une autre fiction.
Andrée A. Michaud est petit à petit habitée par son histoire, assiégée par ses personnages, au point qu’elle vit aussi au cœur de celle-ci.

Vous l’aurez compris, c’est un roman très particulier que nous offre l’auteure québecoise. On ne sait plus, au bout de plusieurs pages, si ce qu’elle nous raconte d’elle et de ses interrogations fait partie de l’intrigue ou s’il s’agit du témoignage d’une romancière en pleine création.
Des personnages qu’elle cherche à comprendre en les rencontrant, en les cherchant ou en essayant de revivre ce qu’ils ont vécus, elle en apprend plus à chaque instant. Ils passent d’une simple initiale à un prénom puis une dénomination complète, nom prénom et même initiale entre les deux. En parallèle, le temps se déploie à un rythme différent de celui de l’intrigue, elle répare la clôture avec P., prend soin des chats, part faire une lecture ailleurs, s’aère autant que possible, malgré cette histoire qui l’envahit, envahit sa vie, s’immisce dans les différents moments de son existence. La pousse à la paranoïa ou à l’obsession, au point d’emprunter le moindre bout de réalité pour l’intégrer à son intrigue, la nourrir.
Jusqu’à ce que l’histoire devenant trop prenante, elle se décide à la vivre, à mener l’enquête jusqu’au bout, se substituant aux personnages, les affrontant, approfondissant chaque point de vue, poussant le drame à sa conclusion, essayant de l’infléchir, revenant vers le passé, un passé qui pourrait se confondre avec le sien, au risque de s’y perdre.

L’écrivaine doit revenir sur les lieux de ses drames, quitte à se geler les doigts, quitte à passer pour folle, quitte à être accusée de crimes qu’elle n’a pas inventés.

C’est un retour à une forme de narration et d’intrigue que l’on avait pu lire dans les romans de l’écrivaine avant qu’elle ne se lance franchement dans le roman noir, avant Mirror Lake. On retrouve des thèmes très proches de son premier livre, La femme de Sath. L’auteure est comme nous, lecteurs, elle fouille sa fiction, la laisse prendre sa place dans sa vie. Tiraillée entre son existence et l’échappatoire de son imagination.

Je veux m’écrouler seule et les mains libres, près d’un homme, P., qui me laissera m’enfoncer dans la lenteur de la terre.

On est proche du métaroman, ou peut-être est-on pleinement dedans. Une histoire qui pose des questions sur l’histoire en train de s’écrire. Sur son lien avec l’histoire de l’auteure.

Mon passé a pris une dimension surpassant de loin ce qu’il me reste d’avenir, et c’est vers lui que je me tourne, vers cette longue route poussiéreuse où mes pas s’enfoncent à l’ombre des arbres, lorsque la clarté, certains matins, ne parvient à susciter en moi aucune joie, aucune émotion, aucun espoir.

C’est un roman plaisant, intrigant, original. Peut-être s’agit-il d’une soupape pour l’auteure après Bondrée, roman prenant s’étant aventuré de manière claire dans son passé. Peut-être s’agit-il d’une étape supplémentaire dans le rapport à la fiction pour une écrivaine, son rapport à la création, sa relation avec ses personnages en gestation, ses œuvres, certains personnages ou éléments d’autres romans, un hibou échappé de Rivière tremblante, les jeunes victimes de Bondrée. Michaud explore tout cela à fond, interrogeant le pouvoir réel de l’auteure sur son intrigue, frôlant la folie, ce qui semble être une condition inhérente, inévitable, à toute création.

Pour mieux repartir dans un nouveau roman ? On le verra avec Tempêtes, paru en 2019 au Canada et cette année en France.

Andrée A. Michaud, disparitions, Marnie et Bill à Rivière-aux-Trembles

En 2011, deux ans après Lazy Bird, le deuxième volet de sa trilogie états-unienne, Andrée A. Michaud publie son neuvième roman, Rivière tremblante.

Marnie Duchamp est à Rivière-aux-Trembles pour les funérailles de son père. Devant le cercueil déposé dans la chapelle en attendant le printemps, elle s’interroge, ne sait pas quel chemin prendre, espérant un signe pour savoir que faire de son avenir. Un cri qui retentit dans la nuit tombante la décide, elle va revenir dans ce village qu’elle a fui bien des années plus tôt.
Elle avait onze ans et Michael douze quand le malheur est arrivé. Ils étaient inséparables, jouant en se racontant des histoires, en incarnant des êtres imaginaires, passés de l’écureuille (Squouirelle) et du hibou à Superman et Loïs Lane. Alors qu’ils sont au bord de leur bassin magique à collecter des cailloux, un orage éclate. Marnie se réfugie dans leur cabane tandis que Michael agit de manière étrange puis disparaît dans les bois. C’était en août 1979, on ne l’a jamais retrouvé. Au cours de l’enquête qui a suivi, Marnie est passée de témoin à jeune fille au lourd secret, montrée du doigt, traitée de sorcière. Son père et elle ont quitté Rivière-aux-Trembles au bout de quelques mois, s’éloignant de ceux qui soupçonnaient Marnie, la harcelaient.
Bill Richard a atterri à Rivière-aux-Trembles pour fuir un malheur, la disparition de sa fille, Billie. Il a choisi de s’enterrer dans ce trou pour ne plus subir les remontrances de sa femme Lucy-Ann. Trois ans que sa fille est introuvable, qu’elle a disparu entre son école et son cours de danse. Il l’a cherchée en vain, s’est retrouvé soupçonné par la police, a du affronter les reproches et le désespoir de sa femme quand il devait aussi faire face aux siens propres. Il a abandonné son travail de professeur, a quitté la maison familiale avec Pixie, le chat de Billie, avant de décider de partir loin de cette ville qui lui rappelait trop sa fille disparue. Où il ne pensait qu’à la retrouver.
Leur histoire ne les quitte pas, ils se trimballent des remords bien trop lourds. Si, si, si et si… Difficile de se reconstruire après une telle épreuve. Ou tout simplement de la surmonter pour aller de l’avant.

L’atmosphère est lourde dans ce coin du Québec où oublier ne serait-ce qu’un peu est impossible. Où vivre avec n’est pas plus simple. Surtout quand les histoires s’entrechoquent, quand les disparitions d’enfant continuent, que l’on ne voit plus qu’elles…
D’un chapitre à l’autre, Andrée A. Michaud passe de l’un à l’autre, de Marnie à Bill, dans ce roman où le point de vue à la première personne alterne. La femme revient sur le territoire de son passé et ressasse les souvenirs essayant de comprendre ce qui a pu lui échapper ce fameux jours d’août où tout a basculé. Même si elle a été témoin, elle reste persuadée de ne pas tout avoir compris, son esprit ayant peut-être déformé la réalité, une manière de se protéger. Le père, orphelin de sa fille, celle pour qui il inventait des histoires, celle qui était le centre de sa vie, ne peut s’empêcher de se dire qu’il n’aurait jamais dû laisser sa fille seule ne serait-ce qu’un instant. Même si il sait qu’il est trop tard pour se le dire.

Les disparitions de Mike et de Billie appartenaient au monde incompréhensible du hasard et de l’inattendu. Chercher à les expliquer aurait été aussi vain que d’essayer de comprendre pourquoi Dieu jouait aux dés avec des adversaires archi-nuls.

La folie guette les deux protagonistes, ils s’enfoncent dans des fantasmes issus de cet esprit cherchant à les préserver, activant des réflexes de défense. Certains événements sont tellement durs à accepter, à vivre. La folie les guette mais ils le savent et tentent de l’apprivoiser, de s’en servir, de l’accepter.

C’est un roman profond, délicat, inconfortable. Un roman qui flirte avec nos doutes, qui se coltine nos plus grandes peurs, qui affronte ce qu’il y a de plus noir en chacun. Car les victimes se laissent aussi emporter par de sombres pensées, en essayant en vain de comprendre comment un enfant peut disparaître, comment on peut s’en prendre à un enfant. Et qui, pour avoir été confrontés à une telle affaire, se trouvent soupçonnés, diabolisés, passant rapidement de victime collatérale à suspect potentiel, automatique.

Les enfants disparus n’ont droit à aucune véritable sépulture. Ils n’ont droit qu’à un trou, qu’à un coin de dépotoir, qu’au rivage d’un marais glauque planté de quenouilles.

Il y a comme l’écho du Pendu de Trempes dans l’histoire de Marnie, de Lazy Bird dans celle de Bill, avec toujours cette eau qui semble faire le lien entre la vie et la mort ou la causer, les hanter, l’une comme l’autre.

Le fait divers et son impact sur les hommes vont être de nouveau au cœur de son roman suivant, Bondrée, conclusion de sa trilogie états-unienne. Andrée A. Michaud est, encore une fois, de manière plus évidente à chaque roman, une auteure, une romancière majeure, importante, authentique.

Andrée A. Michaud, retour à Trempes

En 2004, dix-sept ans après le premier, La Femme de Sath, et trois ans après le précédent, Le Ravissement, bien difficile à trouver de ce côté-ci du globe, paraît le sixième roman d’Andrée A. Michaud, Le Pendu de Trempes. Pour l’occasion c’est un retour à l’éditeur de son premier livre, les Editions Québec Amérique, ce qui explique peut-être la plus grande facilité à se le procurer pour nous Européens.

Un animal au sommet d’une colline veille sur un village en contrebas. Il ne sait pas pourquoi il le fait mais cette mission lui semble assignée. Alors qu’il observe encore et toujours ces maisons comme pétrifiées, il aperçoit un homme arrivant au volant d’une voiture. Il s’arrête d’abord au bord d’un lac puis reprend sa route jusqu’à la rivière. L’animal comprend alors qu’il doit descendre pour le guider.
Après ce prologue, le narrateur prend la parole. Ou la plume. Depuis soixante-douze heures à Trempes, après vingt-cinq ans d’absence, il mesure les heures grâce à l’ombre du pendu, dans la clairière où il est venu retrouver ses souvenirs. Il est arrivé trop tard de quelques heures, Paul Faber s’est pendu juste avant son retour. Peut-être le narrateur aurait-il pu l’en empêcher s’il avait pu le voir juste avant qu’il mette à exécution son projet. Mais Paul Faber est là, au bout de la corde. Le narrateur décide de ne le dire à personne, venu retrouver le village de son enfance et quelques vérités sur lui et cette époque, il entame une introspection, aidé par cet ami pendu et la faune et la flore de cette forêt qu’il a autrefois parcourue.
Faber était comme un frère et pourtant, il ne l’a plus revu depuis son départ de Trempes. Imprégné de questionnements sur la foi et la religion, il le sait devenu prêtre du village. Il l’a découvert grâce aux corneilles qui volaient au-dessus de lui, en cercle. Et d’un coyote qu’il a trouvé là, une patte en moins, sûrement rongée pour se sortir d’un piège.
Au milieu de cette nature et de ce village presque oublié, la folie guette.

je m’interroge seulement sur le prix de la vie au regard de son poids

Le narrateur est venu à Trempes pour retrouver son passé. Le comprendre, en cerner les incidences sur sa vie depuis. Il était inséparable de Paul Faber et, du jour au lendemain, ils se sont trouvés séparés. De puis, le narrateur, qui finira par avoir un nom, n’a plus voulu s’attacher, éprouver de sentiments. Ou n’a plus su le faire.
Dans une langue riche et précise, Andrée A. Michaud développe son histoire. Chaque phrase est en équilibre, oscillant entre l’affirmation et le questionnement, entre le doute et la certitude, passant du constat à son analyse et une prise de distance teintée d’ironie.
La faune est bien présente, les oiseaux, naturalisés par un habitant du village qui accepte d’héberger l’homme de retour à Trempes, le ou les coyotes protégeant la forêt. La clairière abrite certains souvenirs. L’amitié passée refait surface, entre Paul et le narrateur, leur passion commune pour une fille, Anna. Dans cette forêt, traversée par la rivière des arbres morts, certains événements se sont produits, qu’il faut affronter. Dans toute leur violence, leur tragique.
Proche de la recherche de la mémoire de son premier roman, la romancière s’appuie cette fois sur celui qui détient ces souvenirs et qui doit les faire émerger. Celui qui doit les accepter pour les faire véritablement siens alors qu’il les a jusqu’ici maintenus au dehors. Cela suffisait-il vraiment à l’en préserver ?

Nous nous racontons nos histoires en scrutant l’horizon, comme si nous y cherchions de quoi apaiser le souvenir de nos drames, ou en regardant les branchages amassés sur le sable, les dessins qu’ils y forment, impuissants devant l’infini de l’horizon.

On trouve dans ce roman ce qui avait fait tout l’intérêt de la découverte de son auteure. Ce style qui se développe cette fois autour d’un seul point de vue. Dans un premier temps. Ce flou, ce doute, qui peuvent préserver ou détruire.
Les souvenirs sont une nouvelle fois le siège d’une incertitude engendrant l’appréhension, de l’interprétation et d’une réinvention permanente selon l’heure, l’humeur et la progression de la pensée du narrateur.
Ce que l’on voit n’est jamais certain, sans cesse réinventé par l’esprit.

C’était cela, la réalité, une dimension où la conformité de l’objet au modèle idéal n’existait pas, une forme de chaos, où l’imperfection luttait pour sa survie.

En deux parties encadrées par un prologue et un épilogue, le tout complété, en début de chapitre, de citations d’autres auteurs, Pascal Quignard ou Fred Vargas, par exemple, ou certains que nous ne connaissons pas, Anthony Hyde ou Chet Raymo, c’est un roman dérangeant, pour lequel il faut accepter de ne rien savoir avec précision et certitude. La vérité ne peut s’offrir d’emblée. Si jamais elle peut, à un moment, apparaître.

Deux ans après ce roman paraît le suivant, Mirror Lake.

Andrée A. Michaud, un homme et une femme à Sath et leur souvenir dans un cahier

Le premier roman d’Andrée A. Michaud paraît en 1987 au Canada. Il s’intitule La Fille de Sath et n’est pas édité de ce côté-ci de l’Atlantique mais peut facilement être trouvé, grâce notamment à sa réédition en 2012 dans une version revue et corrigée par l’auteur. C’est celle que j’ai lue.

Deux femmes et un homme descendent un soir du train qui dessert chaque semaine la gare de Sath. Ils sont ensuite aperçus ici et là, principalement aux abords de la plage ou de l’hôtel donnant sur celle-ci. Leur histoire perd de sa netteté au fur et à mesure. Y avait-il bien deux femmes ou une seule ? Quels étaient les liens entre eux ? Pourquoi ont-ils débarqué là, qu’y ont-ils fait ?
Il y a un soir plus marquant que les autres, autour du feu que les jeunes allument sur la plage durant la période estivale. On n’est pas sûr qu’ils se soient parlé. L’une des femmes était souvent aperçue à la fenêtre de sa chambre d’hôtel, attendant, comme l’homme, la nuit pour sortir. Et puis, ils sont sûrement repartis, sans que l’on sache vraiment quand.
C’est une histoire consignée dans un cahier qui nous raconte tout ça. Datée de 1939, elle parvient à une femme, la narratrice, en 1963, déposée devant sa porte.
Après l’avoir lue, des questions se posent à elle, auxquelles elle aimerait trouver des réponses.
Mais Sath n’existe plus. Elle formait un triangle avec deux autres villes, Noth et Euth, qui elles sont réapparues après le ras-de-marée qui avait tout emporté.
Quelques personnes subsistent de cette époque que la narratrice rencontre et dont elle nous livre les témoignages.

C’est une histoire et une atmosphère singulières qui règnent sur ce livre. Deux femmes et un homme dont on ne sait rien déambulent dans une ville sous les regards des habitants sans que rien ne soit clair. On doute même de leur présence, de leur nombre.
Les souvenirs sont flous et, en voulant les éclaircir, la narratrice se passionne, se perd un peu.
Les témoignages et les points de vue qu’elle accumule finissent par apporter un éclairage, par nous permettre de nous forger notre vérité sur ce qui s’est passé. Une vérité, peut-être différente pour chaque lecteur, qui peut avoir à voir avec nos propres expériences, notre propre histoire.

Avec ce premier roman, Andrée A. Michaud mène une enquête qui ne peut aboutir vraiment. Les souvenirs des uns et des autres s’emmêlent, se contredisent ou se complètent. Influencés par le regard de chacun.
Influencée par Duras, la romancière reconnaît la proximité de ce roman avec ceux de l’auteure. Il pourrait aussi y avoir quelque chose de modianesque dans cette quête d’une vérité impossible à établir.
Mais les comparaisons pourraient être nombreuses, un auteur est de toute façon influencé. Ce qui ressort de ce roman, c’est un univers, une écriture, uniques. A la recherche de la précision, cherchant à transcrire des points de vue différents, pour enrichir une intrigue qui tient tout au long des pages. Une écriture qui n’a pas peur des répétitions mais qui les utilisent quand même avec parcimonie pour décrire un été où les allers et retours se répètent malgré tout. Comme tous les étés.

Après ce premier roman, le suivant arrive quatre ans plus tard. Mais Portraits d’après modèles est difficile à se procurer dans notre pays, tout comme les trois suivants, Alias Charlie, Les derniers jours de Noah Eisenbaum et Le ravissement. En 2004, paraît Le Pendu de Trempes.