Derek Raymond, suite et fin (oeuvre 3ème partie)

Je vais finir mon parcours de l’œuvre de Robin Cook avec ses deux derniers romans. Finir mon parcours de l’œuvre romanesque du monsieur, j’y reviendrai sûrement par le biais de la biographie, celle qu’il a écrite notamment, Mémoire vive. J’y reviendrai aussi dès que le dernier de ses opus sera traduit en français… ce qui est en cours. Mais revenons à ces deux dernières histoires.

En 1993, arrive sur les étals Le mort à vif (Dead man upright). Il arrive chez les anglo-saxons avant de venir également échouer dans les meilleures de nos boucheries. Et puis dans les Le mort à vif (1993)autres. Il aura donc fallu trois ans à Robin Cook pour passer à autres choses, pour se défaire de Dora Suarez. Mais pas de ces préoccupations qui le hantaient, pas de ces questionnements qui se faisaient peut-être de plus en plus pressants, et qui hantent plus ou moins chacun d’entre nous.

Le mort à vif est le dernier volet de la série sur l’Usine, the Factory. Cinquième et dernier volet. Le sergent sans nom, celui du service A 14, les ­­­“décès non élucidés”, en reprend pour un tour. Cette fois, il a vent d’une affaire grâce à un ancien de la maison qui soupçonne son voisin de quelques exactions. Les exactions en question vont s’avérer particulièrement sérieuses. Et l’enquête va prendre un aspect inhabituel sous la plume de Cook. L’intérêt va se porter sur les victimes puis sur le coupable, et le biais utilisé par Cook pour s’attarder sur le coupable passe par une nouvelle figure chez lui, une nouvelle figure qui va se répandre dans les romans de ses collègues à une vitesse assez affolante. Nous voyons apparaître un profileur, un type qui s’intéresse aux circonvolutions du cerveau des tueurs en série… Cook innove encore.

Une fois de plus, comme je le disais plus haut, nous suivons un homme qui marche vers sa fin, un homme qui n’a rien trouvé d’autre pour exister que de tuer, qui n’existe pas en dehors de ça. Un homme qui marche vers sa fin, à l’image du personnage principal de Cauchemar dans la rue, à l’image de beaucoup d’autres personnages de Cook. Une fois de plus, Cook nous donne à voir, à lire, la lente agonie d’un humain, broyé et qui détruit avant de disparaître. Comme si c’était la seule voie.

Je dis une fois de plus mais ça n’a rien d’un décalque de ses romans précédents, nous avons une nouvelle approche, un nouvel angle d’attaque. Chaque roman de Cook enrichit son œuvre, et nous enrichit.

Un an plus tard paraît son dernier roman. Un roman hors de la série de l’Usine, même si le sergent sans nom apparaît, le sergent sans nom et le service A 14. Mais ils ne sont qu’une partie de l’histoire, des personnages importants mais périphériques.

Quand se lève le brouillard rouge (Not till the red fog rises) arrive donc en 1994. Cook nous y propose comme un retour sur sa période Derek Raymond. Y sont convoqués les servicesQuand se lève le brouillard rouge (1994) spéciaux que l’on avait croisés pour son retour à la littérature dans Le soleil qui s’éteint, ces services spéciaux vont croiser les malfrats paumés qui ont peuplé depuis toujours. Gus en est un, nous allons le suivre de sa sortie de prison à sa croisade, sa dernière rebuffade, résistance au rôle que d’autres veulent lui assigner. Le contre-espionnage anglais et l’ex-KGB ne vont pas se révéler plus reluisants que les tueurs que Cook a suivi tout au long de se série sur l’Usine. Nous sommes en pleine actualité, en pleine dégringolade à l’est, mais rien ne change vraiment. Le monde que nous décrivait Cook précédemment ne fait qu’avancer, réservant un sort voisin à chacun, une lente déchéance, une inéluctable chute. Ce qui intéresse Cook est certainement la manière dont chacun y résiste ou s’en accommode.

Avec Cook, ce ne sont pas seulement de grandes questions qui sont ressassées mais également des personnages qui sont fouillés, disséqués, leur raison d’être, leur manière de se coltiner avec l’existence, de parcourir leur propre histoire. Il y a une profondeur dans toute l’œuvre de Robin Cook car elle ne tombe jamais dans la facilité. Une œuvre d’une grande exigence de la part d’un auteur qui sera allé très loin dans le questionnement, l’étude de l’âme humaine. Il n’a pas hésité à pointer la noirceur inhérente à notre existence, inévitable.

Un auteur qui a donné au roman noir une importance, une ampleur rare.

Robin Cook devient Derek Raymond (œuvre 2ème partie)

 Robin Cook a donc disparu du paysage littéraire britannique (le PLB ?) pendant plus de dix ans. A-t-il réellement cessé d’écrire pendant cette période ? A-t-il été capable de renoncer à la page blanche alors qu’il avait déjà commis pas moins de six romans ? Autant de questions qui restent, pour moi, sans réponse. L’article de François Guérif pour l’encyclopédie Universalis ne s’attarde pas sur cette période. Il faudrait peut-être s’adresser à son exécuteur littéraire, l’écrivain gallois John Williams (oui, l’écrivain, pas le musicien spielbergien !).

Il a de nouveau bourlingué, enchaînant les petits métiers, s’installant en France, dans le sud, l’Aveyron. Une impasse porte son nom à Rodez.

Et puis, il est revenu à la littérature. Au roman noir.

Ce premier roman du retour, Le soleil qui s’éteint (Sick Transit) a d’abord été publié en France, en 1983. Il le sera peut-être bientôt en Angleterre mais il leur faudra retrouver d’abord le Le soleil qui s'éteint (Gallimard)manuscrit original, la seule version existante étant, à ce jour, la française. Dans Le soleil qui s’éteint, on retrouve certaines obsessions de Cook,  certains leitmotivs, la décadence de la société anglaise notamment. Mais on voit poindre un autre thème, celui de la lente déchéance d’un homme déjà détruit. On pouvait l’avoir senti avec Quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre mais seulement senti.L’arrivée des femmes au premier plan même si elles n’étaient pas absentes des ouvrages précédents… Là, l’absente est au premier plan.

Ce n’est pas un roman majeur de Cook mais c’est son roman du retour, un roman qui annonce l’arrivée d’un nouveau Robin Cook et d’une série qui marquera le roman noir. Mon avis sur ce livre se trouve, encore et toujours, sur Pol’Art Noir, ici.

Il est mort les yeux ouverts (He died with his eyes open) marque le début de la série appelé l’Usine, the Factory dans sa version originale. Il confirme le retour de Robin Cook et nous prouve qu’il n’a rien perdu de la vigueur, de la force qui avait été la sienne dans les bouquins qu’il a appelé ses « romans de jeune homme » (Ceux que j’ai évoqués précédemment).Il est mort les yeux ouverts (Gallimard)

Il confirme le retour de Robin Cook, à tel point qu’il va de nouveau être édité dans sa langue maternelle Mais là, un souci se pose. Pendant sa longue interruption, un autre Robin Cook s’est fait connaître, un auteur de thrillers médicaux venu des Etats-Unis. Robin Cook, l’original, le premier sur la place, va donc changer de nom pour les éditions anglo-saxonnes, il sera désormais Raymond Derek. Il l’est toujours…

Il est mort les yeux ouverts, qui fut d’abord intitulé dans sa version française On ne meurt que deux fois et fut adapté sous ce titre par Jacques Deray, marque l’arrivée de ce sergent sans nom affecté à la section A14, celle des crimes non résolus. Ce sergent désabusé mais qui s’accroche comme un forcené aux enquêtes qu’on lui confit, ce sergent, ou sa déclinaison, que l’on retrouvera dans les opus suivants de l’Usine.

Robin Cook donne le sentiment d’enquêter sur lui-même dans cette fiction. N’est-ce qu’un sentiment ?

C’est Patrick Galmel himself qui a chroniqué ce roman sur le site Pol’Art Noir, mon avis apparaît un peu plus bas, je le reproduis ici in extenso, il date de janvier 2007 :

« Avec ce roman, Robin Cook entame une série, un an après être revenu dans le monde des romans publiés… c’était en 1983.
Il revient et il nous raconte l’histoire d’un type qui a mis du temps à se décider à écrire. Il nous raconte l’enquête menée par un flic sur ce type et pour mener cette enquête, le flic, sans nom, se laisse petit à petit couler dans le monde de la victime, Staniland.
C’est un roman prenant, difficile à lâcher, même si la découverte du coupable n’est pas ce qui importe. Ce qui importe, c’est la découverte de la victime. L’histoire est racontée à la première personne et elle s’intéresse à ce Staniland qui a une vie étrangement semblable à celle de Cook lui-même. On est captivé par cet auteur qui finalement mène l’enquête sur lui-même et n’épargne rien à ses personnages principaux. Des personnages trop lucides pour supporter de vivre, trop lucides sur eux-mêmes et leurs contemporains.
On peut aimer ce livre pour de nombreuses raisons. La principale étant peut-être d’avoir entre les mains l’œuvre d’un grand romancier.
Un grand romancier douloureusement lucide.
 »

Le deuxième opus de la série de l’Usine paraît en 1984. Le sergent sans nom revient et après avoir mené l’enquête du point de vue de la victime, il cherche à comprendre le meurtrier. Ça s’appelle Les mois d’avril sont meurtriers (The devil’s home on leave). De nouveau, Cook nous propose une histoire dont on se souviendra. Les meurtres sont particulièrement barbares Les mois d'avril sont meurtriers (Gallimard)et ne peuvent laisser indifférents.

Ce roman a également été adapté au cinéma, cette fois par Laurent Heynemann, avec plus de bonheur. Même si bonheur n’est sûrement pas le bon mot. Disons qu’on y retrouve l’univers de l’écrivain et une certaine vision de celui-ci… Une légère trahison, mais est-ce que ce ne sont pas les trahisons qui font les meilleures adaptations ?

Toujours est-il que ce roman, qui n’a pas la qualité de la précédente, mais qui est parmi les Série Noire marquantes, en annonce d’autres. On pense notamment à l’excellent J’étais Dora Suarez, roman emblématique de Cook, auquel on a malheureusement tendance à réduire son œuvre mais qui sans doute l’un de ses plus dérangeants. L’un de ceux qui porte haut son approche du roman noir.

Dans Les mois d’avril…, on assiste à la lente descente d’un homme, une fois de plus mais pas une fois de trop. Robin Cook n’est pas n’importe qui, je le rappelle et chacun de ses romans se savoure.

C’est Freddie Noon qui l’a chroniqué sur Pol’Art Noir, mon avis, lisible plus bas, est le suivant :

« Un sergent de police, qui croit en son boulot et qui s’y accroche puisqu’il n’a plus rien en dehors, se voit confier une enquête. Une enquête sur un meurtre. On a retrouvé un corps difficile à identifier puisqu’après l’avoir tuée, on a fait cuire la victime, rendant toute empreinte inexistante, on lui a également broyé la mâchoire et ôté les dents. Le corps a ensuite été enfermé dans quatre sacs plastiques trouvé dans un dépôt abandonné…

Le policier-narrateur dont on ne connaîtra jamais le nom est épris de justice et travaille à l’A14, au service des décés non éclaircis, service qui s’intéresse aux victimes sans importance, qui n’intéresse personne et dont les meurtres seraient habituellement classés rapidement. Il va mener son enquête avec sérieux, application, sans se laisser influencer car finalement ce meurtre sans importance va se révéler d’un grand intérêt, relié à une affaire qu’on avait soigneusement évité de mener à fond étant donné ses connections avec les relations internationales et le contre-espionnage. Comme il n’en à rien à faire, comme il a renoncer à sa carrière, le sergent va aller au bout de son affaire.

Robin Cook nous offre là son deuxième opus de la série sur l’Usine. Cette série qui dépeint des policiers revenus de tout, anonymes, et allant au bout de leurs affaires, jusqu’à se détruire.

Dans le premier opus, le policier s’intéressait à la victime, au point de suivre sa trace, de prendre presque sa place. Dans ce deuxième volet, il s’intéresse au coupable, lui rendant visite plus qu’il ne faut, discutant avec lui au-delà de ses obligations professionnelles, le forçant à l’accepter pour recueillir des confidences plus qu’approfondies. Au final, comme toujours, c’est un roman singulier que Robin Cook nous donne à lire. Une photographie plutôt noire de l’Angleterre des années 80 sur fond de contre-espionnage, thème qu’il avait déjà abordé pour son retour à la littérature dans Le soleil qui s’éteint. Le contre-espionnage n’est qu’un prétexte pour aborder la violence humaine, sa noirceur, sa propension à trahir. Il nous offre également le portrait d’un flic blessé, perdu, ne sachant vraiment où il est que quand il travaille.

C’est un roman moins touchant peut-être que le premier opus de la série, Il est mort les yeux ouverts, peut-être moins personnel, mais d’une qualité indéniable et d’une telle sensibilité, sans concession, qu’elle provoque parfois le malaise ou, en tout cas, un sentiment assez dérangeant…

“Les assassins sont comme les militaires : ennuyeux et dérangeant en même temps.” »

Le troisième opus de la série de l’Usine paraît en 1986. Inexplicablement, ce sera le dernier de Cook à être édité dans la Série Noire. Inexplicablement parce qu’à cette époque, et certainement grâce aux adaptations de ses deux précédents bouquins, Robin Cook rencontre le succès.Comment vivent les morts (Gallimard)

Je me souviens avoir vu la première adaptation, celle de Deray à sa sortie, la deuxième peu de temps après, et pourtant, Robin Cook n’a pas été à cette époque un nom qui a fait tilt pour moi. Comme je l’ai déjà dit, ça viendra beaucoup plus tard.

Le troisième opus s’intitule Comment vivent les morts (How the dead live). Cette fois, le sergent sans nom, récurrent de la série, part enquêter en dehors de Londres. Sur l’affaire Mardy. La disparition d’une femme. C’est un roman particulier dans la série puisque le personnage principal ne se met à la place ni de la victime ni du meurtrier. Il découvre la vie d’une petite communauté, ses petits arrangements, qui vont finir par le dégoûter. Il parvient tout de même à suivre la lente déchéance d’une personne et les résistances de ceux qu’il doit côtoyer pour l’occasion ne l’empêcheront d’aller au bout. Dernier objectif qu’il peut se fixer, auquel il peut se raccrocher même s’il sait qu’il y aura des conséquences…

J’en ai parlé sur Pol’Art Noir, ici.

Avant de poursuivre sa série, Robin Cook a commis un roman qui en sort. A part. Un roman fort, un roman qui se déroule dans cette France devenue la deuxième patrie de l’écrivain.

Cauchemar dans la rue (Nightmare in the street) fut, comme je l’ai dit plus haut, refusé par Gallimard. Cook alla voir ailleurs et ce fut chez Rivages et la collection dirigée par François Cauchemar dans la rue (Rivages)Guérif qu’il atterrit, on pourrait tomber plus mal mais difficilement mieux. La collection Rivages/Noir va l’éditer et se charger des suivants ainsi que de ses œuvres de jeunesse, « de jeune homme », non éditée en France jusque là.

Cauchemar dans la rue paraît en 1988. Pour un roman, Cook s’échappe donc de l’Usine mais reste dans son univers et nous offre un roman âpre, dur, lucide et désabusé.

Il nous conte la lente déchéance, la fin, d’un policier au bout du rouleau. Un policier qui en perdant son boulot va tout perdre.Qui en se voyant s’enfoncer, en sachant où il va, ne peut que regretter sa fin. Si étroitement liée à la fin d’un amour qu’il ne croyait jamais pouvoir vivre et auquel il doit renoncer… Ça peut paraître à l’eau de rose, romantique, mais c’est un romantisme noir, sombre. Un romantisme de fin du monde.

Un grand roman qui, pour moi, est l’égal de Quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre ou de Il est mort les yeux ouverts.

J’en parle également ici, si cela peut compléter mon propos ou l’enrichir.

En 1990, Robin Cook offre à ses lecteurs ce qui est, pour beaucoup, son chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre qui ne doit, à mon avis, en aucun cas faire oublier le reste. Un arbre qui ne peut cacher la forêt. J’étais Dora Suarez (I was Dora Suarez) est certainement l’un de ses romans les plus prenants, les plus captivants, mais il ne doit en rien occulter les autres bouquins deJ'étais Dora Suarez (Rivages) ce grand auteur, son œuvre ne peut se résumer à ce roman que d’aucuns qualifieront de « majeur ». Il y a toujours intérêt à se pencher sur des ouvrages « mineurs » si tant est que ça puisse exister. En particulier chez Robin Cook.

Dans ce roman, on retrouve le sergent sans nom. Il va se coltiner à une affaire qui pourrait être la quintessence de ses préoccupations et des préoccupations de son auteur. Le policier va suivre, au point d’en faire une croisade personnelle, la destinée d’une fille détruite par cette société dont elle ne voulait pas. Cette société qui lui a rendu au centuple sa trahison, on ne peut s’en échapper sans payer un prix et le prix que devra payer Dora Suarez est un prix exorbitant, un prix que l’on ne pourrait souhaiter à son pire ennemi, comme on dit. En même temps qu’il suit cette destinée malheureuse, on constate que son meurtrier est aussi détruit qu’elle. Laminé, anéanti par les mêmes forces…

Dora Suarez n’est pas seulement l’un des grands romans de Cook, c’est un grand roman tout court, par delà les frontières du genre, de ce noir qu’il a contribué à lancer ou relancer en Angleterre. C’est un grand roman tout court comme quelques autres de ses œuvres, vous l’aurez compris.

J’arrête là mon parcours au long de la bibliographie du monsieur n’ayant pas encore lu ses ouvrages suivants. Je reviendrai à Robin Cook plus tard, pour évoquer ses deux dernières fictions, Le mort à vif et Quand se lève le brouillard rouge.

Je reviendrai également sur sa vie, ce qu’on en dit, une fois que j’aurai parcouru le numéro spécial que la revue Polar lui avait consacré lors de sa disparition ainsi que celui de la revue 813 parut à la même époque quand je me le serai procuré… Et si d’autres ouvrages le concernant me tombent entre les mains, je les évoquerai également…

Je me pencherai peut-être ensuite sur ses nouvelles.