En 1949, entre deux enquêtes de Nestor Burma, Gros plan du macchabée et Les paletots sans manches, paraît le deuxième opus de la “trilogie noire” de Léo Malet, Le soleil n’est pas pour nous. Il y dépeint une nouvelle fois la condition des laissés pour compte en s’inspirant de sa propre expérience.
1926, à la prison pour mineurs de la Petite Roquette, le réveil est ponctué des cris des enfants jaillissant des cellules. L’ambiance retombe dès que les gardiens réagissent. Deux mois qu’André, le narrateur, est enfermé là. Il a été embarqué par une patrouille alors qu’il dormait sous le pont Sully, emmené à la Petite Roquette pour faits de vagabondage. Il est au bord de la folie, l’enfermement et la proximité des autres ne lui réussissant décidément pas.
Il est finalement libéré, un non-lieu prononcé à la suite d’une lettre de son oncle, unique membre restant de sa famille. Sorti en même temps que Fernand, arrêté après avoir volé sa mère pour mené quelques jours la belle vie avec Odette. Ils errent ensemble, réfléchissant à un endroit où dormir. Devant les réticences d’André à “écorner ses cinquante balles”, Fernand décide qu’ils dormiront chez lui, chez sa mère. Il lui achète des fleurs et demande à son compagnon de l’attendre sur le trottoir. Soudain, André voit une femme défenestrée atterrir sur le trottoir et Fernand à la fenêtre lui balançant le bouquet. Il s’enfuit en vitesse, se retrouve aux halles où la police vient rarement faire des descentes. Dans un troquet, il échange avec Milo, un homme venu là pour embaucher, cherchant à ajouter quelques revenus à ceux qu’il a déjà avec son boulot de jour. André lui confie que c’est peine perdue et Milo l’invite à venir le voir parce qu’il y a du travail dans l’entreprise où il est salarié. C’est ainsi que le garçon de seize ans se retrouve à travailler pour les établissements Debêche, une fonderie, et à loger au foyer Végétalien. Presque sorti de sa condition de vagabond, de clochard. Mais bien vite Milo lui apprend qu’il a entendu que l’entreprise ne le garderait pas, il lui suggère alors une arnaque à l’accident de travail, le macadam.
De nouveau sans occupation, touchant quand même quelques temps l’argent de l’assurance pour son accident du travail, André rencontre Fredo, un jeune logeant dans la cité Jeanne d’Arc, un endroit qui a tout du taudis, uniquement peuplé de miséreux. Parmi eux, la sœur de Fredo, Gina, lui tape dans l’œil. Une attirance irrépressible. Et même si Fredo les empêche de se rapprocher, il n’y parvient pas…
C’est un adolescent décidé que nous décrit Léo Malet. Décidé à travailler quand il sort de prison mais bien vite rattrapé par sa condition et l’image qu’en ont les autres, décidé à vivre son amour avec Gina mais bien vite confronté à des réalités sordides.
“Pourquoi la misère se transmet-elle, comme un héritage, le plus sûr des héritages ?… Pourquoi ne peut-on jamais s’en sortir ?”
Un adolescent qui lutte et qui observe, ne pouvant pas non plus éviter les certitudes sans fondement, nauséabondes, les arabes, sous sa plume, sont des “bicots” ou des “krouïa”. Ils ne peuvent être que mauvais. Un racisme qui semble partagé par beaucoup. Par l’auteur puisqu’il s’inspire d’un moment de sa vie ? Et qui tend à nous empêcher d’éprouver de l’empathie pour André. Une époque, un milieu, peut-être…
C’est un roman noir, désespéré, résigné. S’enfonçant petit à petit. Une trajectoire qui conduit inexorablement à la chute.
Léo Malet se livre, s’inspirant d’une période de sa vie, de sa montée à Paris, de son incarcération à la prison de la Petite Roquette, du foyer Végétalien où il a vécu, des petits boulots qu’il a fait. Il se livre et nous livre sûrement aussi certaines analyses qui lui sont propres et qu’il revendiquera plus tard, comme ce racisme tellement assumé dans ce bouquin. Ce que j’avais pris à la première lecture comme un témoignage d’une époque, la description distanciée de marginaux et de leurs travers, ne l’est peut-être pas tant que ça.
Malet nous offre un roman sincère, nauséabond, décrivant une société qui ne l’est pas moins, où la destinée de chacun en fonction de sa naissance semble inéluctable.
“Lorsque la mistoufle te tient, elle te lâche pas comme ça… Faudrait un miracle pour en sortir… Le malheur, c’est qu’il y en a parmi nous qui y croit, aux miracles… Nous formons peut-être la Cour des Miracles, mais ça s’arrête là… Bon Dieu ! La misère est indécrottable… C’est pas pour rien qu’on l’appelle la merde… Tu peux te laver, il t’en reste toujours une vague odeur ou des particules dans les ongles ou les plis de la peau… Pire qu’un vidangeur. Vacherie de sort ! Tu crois te sauver et tu t’accroches toujours à des points d’appui qui foirent et tu retombes plus empanissé qu’avant… Comment veux-tu que le clochard se relève ?”
Quelques mois après ce deuxième volet de la “trilogie noire”, Léo Malet revient à Nestor Burma avec Les paletots sans manches, contenant encore quelques relents de ce racisme qu’il vient de nous dévoiler. Il faudra attendre vingt ans pour lire le dernier opus de cette trilogie, Sueur aux tripes, pourtant écrit dans la foulée de celui-ci.