Léo Malet, Nestor Burma entre ours en peluche et sapin

Léo Malet poursuit l’exploration de Paris par Nestor Burma avec les troisième et sixième arrondissements. Les nouveaux mystères de Paris explorent cette fois les quartiers du Marais puis de Saint Germain des Près. Il s’agit de L’ours et la culotte et Le sapin pousse dans les caves, deux romans qui seront retitrés au début des années 70.

Après le premier et le deuxième arrondissements, Burma, détective privé qui met le mystère K.O., se trouve cette fois dans l’un des appartements d’une vieille demeure de la rue des Francs-Bourgeois. S’il est immobile, c’est qu’il vient de renouer avec l’une de ses L'ours et la culotte ou Fièvre au marais (Robert Laffont, 1955)sales manies, débarquer là où se trouve un cadavre. Un coupe-papier planté dans le cœur, l’homme a rendu son dernier souffle.

Pour une fois, ce n’est pas une enquête qui l’a amené dans cet endroit, ni un rendez-vous avec un client potentiel. Non. Il est là en tant que client,justement parce que les enquêtes se font rares. Après avoir longuement tergiversé, il s’est décidé à aller gager quelques bijoux de famille pour surmonter la mauvaise passe qui est la sienne et qui retombe aussi sur les employés de l’agence Fiat Lux. Seulement voilà, lorsqu’il s’est décidé, le Crédit Municipal était fermé, il a donc traversé la rue pour aller chez un prêteur privé, Samuel Cabirol. Qui gît dans son appartement, faisant office d’office dans la journée.

Burma est à l’affût d’un moyen de se renflouer, mais fouiller dans le portefeuille du mort pourrait ne pas être une si bonne idée. D’autant qu’il se fait assommer alors qu’il examine les lieux après le contenu du porte-monnaie, apercevant dans l’état de demi conscience subséquent une paire de hauts talons assez caractéristiques. Lorsqu’il revient à lui, il n’a plus qu’un souci, repartir.

Il quitte l’appartement aussi discrètement que possible en espérant être passé inaperçu. Pas la peine de se vanter de cette découverte et de ce qu’elle lui a rapporté. Sa curiosité est quand même attisée, même s’il ne portait pas la victime dans son cœur, la vue d’un ours en peluche dans les objets engagés n’ayant pas contribué à améliorer l’image qu’il en avait. Plusieurs détails titillent son envie d’en savoir plus, un parfum, la trace de rouge à lèvres sur la bouche de la victime et cette paire de talons hauts… Cherchant à raser les murs, Burma évite Faroux sans y parvenir complètement, celui-ci finissant parle joindre.

Quelques jours plus tard, remis du coup pris sur la tête et d’une filature infructueuse devant l’immeuble du prêteur sur gage, Burma se retrouve nez à nez, pour ainsi dire, avec la fameuse paire d’escarpins.

Pris entre deux feux, obtenir une enquête bien payée et satisfaire sa curiosité, Burma effectue quelques allers-retours entre son bureau et le quartier du Marais. Pris entre une enquête consistant à retrouver un mari volage et les retombées redoutées de sa découverte macabre, le détective est en plus livré à lui-même, étant dans l’impossibilité de rémunérer ses habituels collaborateurs. Seule Hélène, la fidèle secrétaire, est là.

Il hésite alors, comme à son habitude, entre une théorie et une autre, s’intéressant tout à tour à un étudiant adepte de vieilles pierres et passant son temps aux archives nationales voisines, quelques truands, des acrobates de cirque, des fondeurs et la jeune fille particulièrement séduisante dans les bras de laquelle il ne lui faudrait pas grand-chose pour tomber… Faroux continue à vouloir éloigner Burma de l’enquête sans que cela anéantisse la poisse qui colle aux basques du détective dès qu’il s’intéresse de près à une affaire…

… Nestor Burma, l’homme qui, sous ses pas, fait se lever les macchabées comme sauterelles en près fleuris…

Ça tire, ça fait le coup de poing, ça intrigue et ça joue avec différentes armes.

Un Burma rythmé, qui plonge dans un Paris entre artisanat et petits commerces, entre histoire et présent, d’Isabeau de Bavière à un bandit récemment évadé.

Le style de Malet est toujours savoureux, jouant des mots, entre calembours et réparties bien senties, dans une langue particulièrement riche et ciselée.

En 1972, L’ours et la culotte sera retitré Fièvre au Marais, peut-être pour permettre de mieux situer l’aventure.

 

Quelques mois plus tard, dans Le sapin pousse dans les caves, c’est à Saint Germain des Près que Burma traîne ses guêtres.

En ce mois de juin, il fait chaud sur la capitale. Burma, à peine sorti du métro, longe le Mabillon pour gagner le calme et l’ombre de l’Echaudé. Il échange avec le patron, le serveur et le barman en attendant celle avec qui il a rendez-vous. Deux vieilles connaissances qu’il n’a plus revues depuis longtemps sont également là. Tintin, ancien Le sapin pousse dans les caves ou La nuit de Saint Germain des Près (Robert Laffont, 1955)amant d’une comédienne devenue actrice qui monte quand lui connait la trajectoire inverse, et Bergougnoux, venant de signer sous le pseudonyme de Germain St Germain un best-seller. Marcelle, son rendez-vous,arrive enfin. Ils se rendent tous deux à l’hôtel, le Diderot-Hôtel. C’est pour affaire que le détective est là, la jeune femme lui servant de couverture pour qu’il puisse rencontrer discrètement un autre client du lieu. Il se rend dans la chambre de Charlie Mac Gee mais il est déjà trop tard. Etendu sur son lit, tenant dans sa main un revolver avec silencieux, il a rendu son dernier souffle. Burma fouille pas acquis de conscience. Ce qu’il cherche n’est bien sûr pas là.

Le patron de l’agence Fiat Lux a été engagé pour remettre la main sur des bijoux volés, une affaire qui a défrayé la chronique quelques mois plus tôt. La compagnie d’assurance préférant mettre la main par des moyens détournés sur le butin plutôt que de dédommager la victime. Burma agit en étroite collaboration avec l’assureur, Jérôme Grandier, tout en arpentant le quartier.

Même s’ils travaillent parfois ensemble les buts d’un détective et d’un assureur sont rarement les mêmes, la vérité important peu aux seconds. Et essayer de doubler la police dans une enquête n’a pas les mêmes conséquences pour l’un ou pour l’autre.

Je ne suis pas un ancien bourre qui fait dans le privé, moi, et qui peut espérer l’indulgence de ses ex-collègues. Je me suis établi détective, un peu comme je me serai installé poète. Sauf que j’ai une plaque à ma porte, au lieu d’avoir une plaquette dans mon tiroir. Je suis un franc-tireur. Je gagne mon bœuf au jour le jour, sans l’aide de personne ou presque, semblable à celui qui s’enfonce dans la jungle, un fusil aux pognes, pour chasser ses deux repas et son paquet de gris quotidien.

Certaines envolées de Burma peuvent friser le lyrisme.

Entre le Flore et l’Echaudé, l’appartement de St Germain, fréquenté par toute une clique hétéroclite, et l’élection de Miss Poubelle dans une cave abritant une boîte de nuit, le privé suit les nombreuses pistes qui s’offrent à lui, butant plus souvent qu’à son tour dans des cadavres. Bizarrement, il n’y a pas que les bijoux qui expliquent l’augmentation de la mortalité entre le jardin du Luxembourg et la rue Dauphine.

Malet porte un regard cynique sur ce quartier qu’il semble pourtant connaître, y faisant croiser des personnes réelles à son personnage de fiction. Les écrivains,poètes ou autres artistes et les caves, café, n’y sont pas toujours fréquentables. L’inspiration vient de partout, de la Chasse du comte Zaroff de Schoedsack et Pichel, projeté régulièrement, à La tête d’un homme de Simenon.

Après de multiples fausses pistes et rebondissements, tout cela se termine par un violent règlement de compte, entre vengeance, haine et recherche de l’idée pour un roman.

La vie est certainement plus compliquée et fertile en péripéties que tout ce que vous pouvez accumuler dans vos livres […]. Mais elle est aussi plus secrète. […] Vous, avec votre imagination, vous concluez. La vie ne conclut pas.

Comme le précédent, c’est un Burma rythmé, agréable, qui sera retitré en 1973 à l’occasion d’une réédition, devenant La nuit de Saint Germain des près. Le titre original n’était pourtant pas si mal…

 

Avant de s’éloigner un peu de la Seine et de gagner le 14èmearrondissement voisin avec Les rats de Montsouris, Burma s’échappe de Paris les temps d’une nouvelle, Faux-Frères, publiées dans “Mystères Magazine”. Une brève histoire de sosies et de règlement de compte un premier avril après une rencontre avec Faroux. Léger et distrayant.

Léo Malet, Nestor Burma du 1er au 2ème arrondissement

En 1954, Léo Malet se lance dans sa grande idée, celle de situer les enquêtes de son détective dans différents quartiers de Paris, l’occasion d’une description de la capitale, de son exploration. Cette idée qui lui est venue alors qu’il observait la ville depuis le pont Bir Hakeim lors d’une promenade avec son fils et qui s’appellera “les nouveaux mystères de Paris, comme une résurgence, une actualisation, de l’œuvre d’Eugène Sue.

Pour commencer, il procède assez logiquement en s’intéressant au premier arrondissement, c’est Le soleil naît derrière le Louvre.

 

Nestor Burma arpente les rues du centre de la capitale. Il est rue des Lavandières-Sainte-Opportune puis rue Jean Lantier, à la recherche d’un client, Louis Lheureux. Il sait à quel hôtel il est descendu, le même que les fois précédentes, l’hôtel de Province, rue de Le soleil naît derrière le Louvre (Robert Laffont, 1954)Valois. Mais il aime les rues de Paris même dans le froid de janvier. A force de persévérance, il le déniche dans un restaurant, la Riche-Bourriche, non loin de la fontaine des Innocents. A peine ont-ils échangé quelques mots et dégusté leur repas que celui qu’il est engagé pour retrouver et renvoyer dans ses pénates lui fausse compagnie. C’est la première en deux ans qu’il lui fait le coup. Non seulement l’habituelle escapade parisienne est plus précoce que les deux années précédentes mais, en plus, voilà que Lheureux ne semble pas enchanté de le voir !

En sortant seul du restaurant, Burma tombe sur un attroupement rue Pierre Lescot. Le commissaire Florimond Faroux en l’apercevant l’invite à le suivre dans une cave. Comme il y a un cadavre et que Burma est là le policier a pensé qu’il devait le connaître ou que cela avait un rapport avec une enquête en cours, mais il s’agit d’un certain Etienne Larpent dont le privé n’a jamais entendu parler.

 

Comme d’habitude, on démarre sur les chapeaux de roues. Deux chapitres et déjà un mort et un client qui s’est volatilisé. A cela vont venir s’ajouter un autre client qui accoste au port du Louvre, le client retrouvé envoyé à l’hôpital, un tableau de Raphaël volé dont une copie était sur le mort, une mannequin en perte de vitesse logeant dans un palace, un gigolo groupie de la vedette, un grec dilettante, une clocharde se prétendant ancienne duchesse, un oiseleur… et tout ça dans le secteur du Louvre derrière lequel Burma voit naître le soleil depuis un balcon.

Il est en terrain de connaissance, son agence, Fiat Lux, ayant ses bureaux rue des Petits-Champs. Il va donc rester dans le secteur. Cette fois, effectivement, en plus des ingrédients auxquels nous a habitué l’écrivain, femme séduisante, coups de feu et de poing, déductions approximatives et égarements du détective, il y a Paris que l’on visite entre deux rebondissements. Un Paris des années 50, où l’on fait encore mûrir des fruits dans les caves, où les abords du Palais Royal sont déserts en hiver.

 

L’intrigue est également l’occasion d’une évolution, les deux employés de l’agence Fiat Lux, que nous avions croisés occasionnellement jusqu’ici, sont parties prenantes de l’enquête. Zavater protège le client arrivé en bateau au port du Louvre et Reboul surveille Lheureux durant son séjour à l’hôpital. Il y a toujours les relations savoureuses d’Hélène, elle aussi mise à contribution, et de son patron et celle de qu’il a avec Faroux. Marc Covet, le journaliste-éponge du Crépuscule, est un peu en retrait cette fois, ne contribuant pas vraiment à la résolution du mystère que Burma cherche, comme le slogan de son agence le claironne, à mettre k.o.

 

C’est un roman qui se lit avec plaisir, le style de Malet est bien là et les saillies du détective narrateur ne gâtent pas l’ensemble, nous poussant bien souvent à sourire. Il n’a pas peur du ridicule, sûr de lui, s’engouffrant dans la gueule du loup sans s’en rendre compte, croyant toujours devancer ses adversaires. Les seules prédictions qui se réalisent sont celles des autres…

 

 

Quelques mois plus tard, en 1955, c’est au tour du deuxième arrondissement d’accueillir notre détective dans Des kilomètres de linceul.

Tout commence porte Saint Denis pour Burma, sous le signe de la famille. Il est là sur les conseils de Florimond Faroux, à la recherche d’une mineure ayant fugué et d’un homme qui pourrait lui apporter des informations. Après avoir enfin dégotté celui qui ne lui a finalement pas été d’une grande aide, il s’offre un verre dans un bistrot de la rue Blondel. Et se trouve pris entre deux feux. Il se réfugie derrière une voiture et attend que çDes kilomètres de linceuls (Robert Laffont, 1955)a se calme en compagnie de deux autres voulant aussi éviter de devenir des victimes collatérales. Burma est tout de même repéré par la marée-chaussée et Faroux. Il apprend ainsi que ce sont des corses qui sont venus faire le coup de feu sur d’autres bandits. Quatre victimes au final… et ça ne fait que commencer !

Une vieille connaissance appelle ensuite l’agence Fiat Lux, voulant renouer avec son patron. Une femme qu’il a connu dans les années 30, Esther qui se prénommait alors Alice. Une juive amoureuse alors d’un de ses amis, Moreno, dont elle croit qu’il est de retour. De l’eau a coulé sous les ponts, Esther est défigurée et se cache derrière un voile ou ses cheveux. Elle vit dans l’immeuble qui abrite également l’entreprise familiale dirigée par son frère, qui en son temps avait coupé court aux volontés d’émancipation de sa sœur. Une Levyberg ne pouvait frayer avec un anarchiste.

Burma accepte tout d’abord l’affaire, retrouver Moreno, bien qu’il sache que celui-ci est mort lors de la guerre d’Espagne, fusillé par les franquistes. Il veut comprendre la famille et ce René Levyberg qu’il a toujours détesté. Comprenant que celui-ci est victime d’un maître-chanteur, il cherche de ce côté et les victimes continuent de tomber… surtout quand Burma s’y intéresse d’un peu près…

 

Le détective privé se fourvoie encore dans mille et une pistes. Passant d’un journal ne servant qu’à abriter les activités d’un maître-chanteur à des journaux ayant davantage pignon sur rue, dont le Crépuscule où sévit Marc Covet. Le suspects se multiplient avant de tomber ou de disparaître au moment où Faroux et la police judiciaire sont sur les dents à la recherche d’un dangereux gazier en fuite depuis des années.

Le luxueux immeuble abritant l’entreprise des Levyberg constitue le centre vers lequel Burma revient, à l’affût des allers et venues de ceux qui le fréquentent. Hélène paraît toujours avoir bien plus la tête sur les épaules que son patron qui continue à se laisser mener par ses déductions bien trop rapides. Heureusement, la secrétaire est souvent là pour sauver la mise à un Burma qui sans cela pourrait facilement être accusé de bien des choses.

Toutes ces aventures, au long des rues d’un arrondissement pas mal loti mais pouvant se transformer en coupe-gorge une fois la nuit venue, nous font avancer à la suite du créateur de l’agence Fiat Lux qui frôle bien souvent le pire. Entre clandé, feuille de chou et beaux draps. Prostituées, bandits, journalistes, policiers, arrivistes…

Reboul et Zavater confirment leur retour au premier plan tandis que le journaliste éponge Covet reste de nouveau en retrait.

 

Un final en feu d’artifice révèle un pot-aux-roses assez éloigné de ce qu’imaginait Burma… comme souvent.

 

La même année, à la suite de son personnage récurrent, Léo Malet poursuit son exploration des arrondissements de la capitale de manière plus aléatoire, passant du troisième au sixième avec deux romans qui changeront de titre quelques années plus tard.