Blacksad sur la route

En novembre 2013 est paru le cinquième opus de la série de bande dessinée au chat détective récurrent, Amarillo. La déclinaison des couleurs se poursuit et elle est annoncé dès le titre, Amarillo (Dargaud, 2013)le jaune aura la priorité. L’exploration des années 50 aux Etats-Unis se poursuit également, une exploration en forme d’hommage au cinéma, à la littérature et à la musique de ces années-là. La musique a à voir avec le blues et le jazz, la littérature avec la “beat generation”, pour cette fois. Et John Blacksad traverse pour l’occasion certains états des Etats-Unis, à la suite de poètes et autres romanciers de ce courant littéraire.

A l’instar des épisodes précédents, peu de temps a passé depuis sa dernière aventure. Blacksad est toujours à la Nouvelle Orléans, coincé, sans assez de fond pour regagner ses pénates new yorkaises. Il accompagne à l’aéroport Weekly, le journaliste naviguant en eaux troubles, bien loin d’un Pulitzer, et trouve un boulot en même temps qu’un portefeuille, alors qu’il se demande comment regarnir son compte en banque.

Le portefeuille est celui d’un riche texan, ou ce qui y ressemble. Et, comme Blacksad lui rend son maroquin, il lui propose de ramener pour lui sa voiture à Tulsa, Oklahoma, pas tout à fait le Texas, donc. Une voiture jaune, presque dorée, une Eldorado.

Blacksad eldorado

La bande dessinée prend la route, une road-BD. Elle prend la route à la suite du chat détective et va, comme lui, croiser le chemin d’un duo, Chad Lowell et Abraham Greenberg. Deux poètes-routards, de ceux qui n’ont pas la soif du succès, juste le besoin des mots, de continuer à avancer, à bouger. Pas la soif du succès mais une autre soif, inextinguible celle-ci, celle des espaces et de l’alcool. Celles de se cacher, de fuir on ne sait quoi. Celle de vivre pleinement, sur la route.

Parce qu’ils ont subtilisé la voiture dont ils avaient la charge, Blacksad les poursuit, et tous les moyens de transports y passent, moto, train, car. De bars en gares routières ou ferroviaires, en passant par un cirque, spectacle ambulant presqu’idéal pour se cacher.

Blacksad cirque

Les poursuivants se multiplient, Blacksad se retrouve flanqué d’un avocat, les flics leur emboitent le pas… Et tout cela avec un roman écrit sur un rouleau de papier. Ça pourrait en rappeler un autre.

Les citations foisonnent sans empêcher l’originalité de l’histoire. Une histoire dans cet univers que nous connaissons, sous le trait toujours aussi inspiré de Guarnido.

Pour coller à ce nouveau pan de littérature, Diaz Canales a abandonné le monologue du privé, nous proposant l’action pure, une errance le long de la route 66. Cette route qui passe notamment par Amarillo, Texas, et son monument à la gloire de l’automobile, ces fameuses Cadillac plantées dans le désert.

La série est décidément savoureuse et on attend avec impatience les prochains opus annoncés pour 2016.

Cris et ronronnements

Je me trouve face à un mystère… Je me souviens parfaitement avoir lu le premier tome des aventures du cher chat détective privé, mais je ne me souviens pas comment il a atterri entre mes mains. Tout est imaginable.

Après quelques questions autour de moi, il semblerait que j’ai émis le désir de lire cette BD, mais d’où me venait cette envie ? Elle a débarqué chez moi à ma demande, je parle de la BD. Voilà tout ce que je sais. Alors d’où m’est venu l’idée d’y jeter un œil et d’aller jusqu’à l’acquérir ? Un blog ou un site fréquenté assidument en aurait fait une critique, une critique attirante ? Pas le moindre souvenir. J’aurai découvert l’existence de la série au travers d’une descente chez le libraire ? Décidément, ma mémoire flanche. Elle serait apparue sur mon écran au travers d’un clic qui en aurait entraîné un autre ? Vraiment, j’ai beau me triturer les quelques neurones qui peuplent ma boîte crânienne, je ne trouve, je ne vois pas, je n’ai même pas le moindre embryon d’un début de souvenir…

Je ne sais pas si s’est grave mais c’est comme ça. Il y a parfois des mystères. Toujours est-il qu’un tome a succédé à l’autre puis un autre encore et encore un autre. Je ne me suis pas lassé et j’espère que Diaz Canales et Guarnido nous offriront bien d’autres aventures dans leur monde animal si fidèle reflet du nôtre.

Ça ne peut pas être sur suggestion de mon chat, je ne comprends que très rarement ce qu’il tente de me dire…

J’ai lu les albums au fur et à mesure et c’est ainsi que je vais les évoquer.

Le premier à m’être tombé dans les pattes est donc celui qui est paru en 2000 et dont le titre ne déparerait pas sur un blog consacré au roman noir, Quelque part entre les ombres.

Blacksad, Quelque part entre les ombres (2000)Ses aventures commencent bien mal pour notre détective. John Blacksad a été convié sur le lieu d’un meurtre. La victime lui est familière, une ancienne cliente. Plus que familière d’ailleurs, une ancienne cliente, actrice à la beauté fatale, au charme de laquelle il n’avait pu résister… Ça remue des souvenirs qui faisaient déjà mal avant cette issue criminelle, radicale.

John Blacksad, privé comme on se les est cent fois imaginés, va mener l’enquête. Il n’a pas le choix. Une enquête qui le mènera loin, très loin, beaucoup trop loin, mais il ne peut qu’aller jusqu’au bout. Plus humain que beaucoup d’entre nous.

La couverture annonçait la couleur, nous sommes plongés dans la noirceur, celle du hard-boiled et de beaucoup des pages que l’on a pu tourner. Celle de ces détectives qui n’ont plus rien à perdre plus rien à gagner. L’atmosphère est sombre, les pensées du personnage principal à l’avenant, désabusées. Un personnage qui a arrêté de croire en son prochain et qui se contente de traverser… en tentant de rectifier quelques criantes injustices. Un de ces héros solitaires.

C’est un hommage que nous proposent les deux auteurs, un hommage au roman et au film noirs. Un bien bel hommage.

La qualité de la série va se confirmer avec le deuxième opus, paru en 2003. Arctic-Nation nous convie de nouveau au pays du roman noir et au cœur de ce que les Etats-Unis ont pu connaître de plus répugnant. Si proche de ce que l’on vit encore.

John Blacksad, dessiné par Guarnido, ancien des studios Disney, qui nous offre-là une autre facette de ce que l’anthropomorphisme animalier peut apporter à la description de l’homme, Blacksad, Arctic-Nation (2003)une facette plus dérangeante, John Blacksad, donc, est de nouveau plongé dans une histoire peu reluisante. Et peut-être même beaucoup moins que la première. Après avoir parcouru les alentours du cinéma des années 50 au cours desquelles le film noir a connu l’une de ses apogées, cette fois nous sommes toujours dans les années 50 mais du côté des relents nauséabonds de la ségrégation et autre klu klux klan. Cette fois, c’est la disparition d’une enfant noire dans ce quartier où il faut mieux ne pas l’être qui amène notre greffier.

La couleur dominante, comme sur la couverture, est le blanc, comme le poil de la plupart des animaux du milieu dans lequel Blacksad enquête. Les images tendent au noir et blanc. Et l’histoire tend une nouvelle fois à cette couleur tellement prisée quand il s’agit de décrire les mœurs humaines. Tellement en accord avec elles.

Les dialogues sont une fois de plus à la hauteur de ces observations frappées au coin d’un certain désespoir que l’on attend d’un privé digne de ce nom…

En 2005, le duo d’auteur nous offre une nouvelle déclinaison des aventures de ce chat noir que nous avons fini par adopter. Une déclinaison qui aura, cette fois, des teintes vermeilles. Blacksad, Âme Rouge (2005)Nous sommes toujours aux Etats-Unis et toujours dans les années cinquante, mais après le cinéma et tous ceux qui se laissent attirer par ses lumières, après le racisme, nous allons naviguer, avec Âme rouge, dans les eaux troubles de la chasse aux sorcières et du milieu auquel elle s’attaque, celui des intellectuels ayant quelques sympathies communistes.

Une nouvelle fois, ce qui intéresse nos deux auteurs, ce sont les relations humaines et tout ce qui peut les biaiser, les altérer, les rendre viciées. John Blacksad va fourrer ses pattes, risquer ses griffes, dans le milieu des contempteurs de la guerre froide et autres partisans d’un rééquilibrage entre les deux superpuissances qui s’affrontent désormais sur la scène international. Blacksad va encore se laisser aller à son romantisme et à son intérêt pour ses semblables, pourtant englués dans certaines mesquineries bien basses au regard des discours nobles qu’ils affichent.

Notre privé est à la hauteur, il ne se laisse pas impressionner et finira par aller au bout, même si, une fois de plus, la vérité qu’il découvre n’est pas bien reluisante.

Il aura fallu attendre cinq ans pour qu’un nouvel opus vienne enrichir la série. En 2010, paraît L’Enfer, le silence. Cette fois, la couverture est dans les tons bleus. Un autre pan des années 50 nous est proposé, son versant musical. Le blues, bien sûr, si proche de l’univers noir. Un hommage à la Nouvelle Orléans nous est annoncé par les auteurs en préambule, unBlacksad, L'Enfer, le silence (2010) hommage qui vient s’ajouter à celui qu’ils rendent d’album en album au noir.

Bluesies et déglingués, c’est ainsi que vont nous apparaître cette aventure et les personnages qui la jalonnent. Une belle galerie de personnages que les auteurs vont cette fois privilégier à une intrigue bien ficelée. Même si l’intrigue reste intéressante, on sent transpirer à chaque page leur passion pour cette musique et tout ce qu’elle peut véhiculer comme légendes et histoires. On est à New Orleans et le rythme ne peut être que syncopé, alternant certaines plages de plaisir simple, comme cette scène de carnaval, avec d’autres plus dramatiques, plus sombres et désespérées…

Au long des différents opus, Diaz Canales et Guarnido nous ont offert à chaque fois une approche différente, une vision, un angle différent, pour nous parler de ce que nous aimons, le roman noir. Ils ont adopté des points de vue sans cesse nouveaux pour nous permettre de revisiter ces territoires arpentés si souvent.

Un véritable hommage, plein de respect, et d’un intérêt allant au-delà de la simple copie des univers que nous avons auparavant visités.

L’intérêt et le plaisir d’ouvrir chacune des aventures, de les relire, nous font saliver en attendant le prochain numéro

Blacksad, coups de griffes dans la Toile

Je vais m’attaquer non pas à un homme, un auteur, mais à un chat, un personnage, le personnage principal d’une bande dessinée. Les auteurs (ils sont deux, l’un au stylo, l’autre aux pinceaux) sont Diaz Canales et Guarnido. Et ces deux-là, pas mal doués il faut le dire, nous offrent les aventures d’un chat détective privé. Un détective privé tout ce qu’il y a de plus classique… états-unien, désabusé et prêt à aller jusqu’au bout de ses enquêtes même s’il doit y risquer l’une de ses sept (neuf ?) vies.

Un album de la série, le quatrième, est paru en 2010, cinq ans après le précédent, la présence du chat à l’imperméable est donc assez importante sur la Toile. Je ne m’étendrai pas trop sur les nombreux endroits où les aventures sont évoquées, je me contenterai de citer quelques-uns d’entre eux, ceux qui m’ont paru intéressants.

Il y a tout d’abord une série de sites qui se sont spécialisés dans le sujet. Blacksad.com recense, depuis 2009, tout ce qu’il faut savoir sur les différentes éditions et leur format des dessins ou des albums de Blacksad. Dans le même état d’esprit et toujours sur tous les formats et supports des dessins ainsi que sur les albums, il y a également le site Blacksadmania.

Ensuite, pour se faire un avis sur la série, quelques autres sites proposent des critiques ou chroniques sur la lecture des différents tomes. J’ai retenu deux pages, celle de l’article que lui a consacré Yohan sur son site Lecture et cinéma qui reprend les trois premiers tomes de la série et celle reprenant les différentes chroniques du Bar à BD.

Avec ces quatre sites, vous pourrez vous faire une idée des illustrations et de leur qualité ainsi que des scénarii, pas moins intéressants à mon avis…

Pour connaître un peu mieux les auteurs, deux endroits m’ont paru à retenir, un entretien avec Guarnido sur le site de l’Express, qui fait partie du dossier que propose le magazine sur la série, et le blog, Todos reyes, todos poetas, de l’autre compère de la série, Diaz Canales, blog qui propose les illustrations et quelques commentaires, pour les hispanophones, de celui qui signe les histoires du privé félin…

Avec tout ça, si vous ne connaissez pas encore Blacksad, vous aurez sûrement un aperçu intéressant du sujet… Je vous en reparle dans pas longtemps.