John Harvey, Charlie Resnick dernière

En 2014, deux ans après son précédent roman, Lignes de fuite, et six ans après la dernière apparition de Charlie Resnick dans Cold in hand, paraît Darkness, Darkness. C’est la douzième et dernière enquête du policier de Nottingham, comme nous l’annonce son auteur en postface. Le roman est traduit l’année suivante par Karine Lalechère sous le titre Ténèbres, ténèbres.

 

Il neige sur le cortège qui accompagne Peter Waites à sa dernière demeure. Charlie Resnick est du nombre, lui qui a rencontré le défunt lors des grèves de 1984, chacun d’un côté, le mineur et le flic. Ils ont sympathisé, se sont voué une certaine estime et Resnick est naturellement présent pour ses funérailles. Il se souvient de leur première conversation lors de ces événements qui ont marqué tout un pays et qui planent encore au dessus des anciens comme le souligne la présence du syndicat des mineurs au grand mécontentement des enfants du disparu. La plaie est présente et Resnick ne sait pas qu’elle va se rouvrir un peu plus dans les jours qui vont suivre.

L’ancien inspecteur principal est désormais à la retraite mais il n’a pas pu raccrocher complètement et il fréquente encore les commissariats dans le cadre de la réserve citoyenne. Il mène des interrogatoires, classe des papiers, met des dossiers en ordre et continue de côtoyer ses anciens collègues. Il faut dire qu’il n’a plus que ça, redevenu célibataire par la force des choses et n’ayant plus qu’un seul chat des quatre qu’il avait encore six ans plus tôt. Six ans se sont en effet écoulés depuis la tragédie qui l’a frappé et qui le hante encore, qui nous a bouleversés et qui hante encore cette maison où il continue malgré tout à vivre.

Lors de travaux destinés à raser définitivement les dernières maisons d’un village de mineurs, Bledwell Vale, un corps est retrouvé, enterré sous une extension. Il s’agit de celui de Jenny Hardwick, disparue en 1984, épouse d’un mineur non-gréviste et militante engagée du côté des grévistes. Une figure, jusqu’à sa mystérieuse disparition quelques jours avant Noël. L’autopsie confirme ce qui était évident, elle a été assassinée.

 

Une enquête est ouverte mais l’affaire semble périlleuse et elle est confiée à Catherine Njoroge, ses supérieurs redoutant de la prendre en charge eux-mêmes. On lui refile la patate chaude en lui conseillant de ne pas faire de zèle. Pour former son équipe, elle décide de faire appel à un policier qu’elle a croisé six ans plus tôt et qui était actif à l’époque du meurtre et dans le coin en question, Charlie Resnick.

Catherine et Charlie et leur équipe multiplient les déplacements entre Nottingham et le nord du comté, à la recherche des protagonistes de l’époque qui, depuis trente ans, ont vécu bien d’autres choses, sont partis ailleurs pour certains, ont disparu pour d’autres. L’enquête ne s’annonce pas simple.

La narration alterne entre Charlie et Catherine, entre le présent et le passé. Jenny Hardwick était une femme forte, pleine de convictions, passionnées. Les relations avec son mari n’étaient pas évidentes, chacun d’un côté, gréviste contre non-gréviste. Tout dans le mouvement l’attirait, l’engagement, monter sur l’estrade pour prendre la parole, et jusqu’à l’un de ceux envoyés là pour faire nombre dans les piquets de grève.

Les manifestants viennent de partout, comme les renforts de la police, les mêmes procédés d’un côté comme de l’autre mais avec un objectif différent, pour des motivations opposées.

 

Comme il l’a fait de plus en plus au fur et à mesure des opus de la série, John Harvey approfondit le portrait de la victime, une femme comme bien des fois. Il approfondit ses personnages féminins, Jenny et Catherine tout particulièrement. Charlie est comme auparavant un témoin, un observateur actif cherchant avant tout à comprendre ses contemporains, cette fois de manière plus évidente puisqu’il ne dirige pas l’enquête. Il erre le reste du temps, un peu désemparé, écoutant les morceaux de jazz qu’il aime, mangeant ses sandwiches si particuliers, mais on sent moins d’enthousiasme, moins d’implication. La vie l’a déserté, il n’est plus là que pour les autres, loin de cette communauté vers laquelle il se tournait quand il en avait besoin…

Catherine et Jenny sont deux femmes fortes mais en même temps sensibles et fragiles. C’est une nouvelle fois la condition féminine que le romancier met en avant. Le rôle des femmes pendant les grèves de 1984, une nouvelle étape dans leur long chemin vers l’égalité, celles d’aujourd’hui devant malgré tout composer encore avec un emploi et des responsabilité tout en étant toujours traitées en inférieures dans les relations privées. La violence guette toujours les femmes et Jenny et Catherine en font chacune l’amère expérience.

 

C’est une nouvelle fois un roman fort et sensible au style classique et précis que nous offre Harvey. Un roman où les victimes sont si nombreuses, jalonnant une intrigue qui hésite, avance puis revient en arrière, comme l’enquête qu’elle décrit. La vérité est si difficile à trouver, enfouie dans des strates de non-dits, d’oublis plus ou moins volontaires.

C’est un roman dont on tourne les pages avec plaisir, que l’on a du mal à refermer, tant il est emprunt de cette humanité dont Harvey à fait preuve depuis le début.

Resnick a été abîmé depuis Cœurs solitaires, il a souffert dans sa chair et son cœur, mais il continue à avancer même si ce monde n’est plus tout à fait le sien, même si sa vie n’a plus vraiment de sens, pas celui qu’il avait un temps imaginé, rêvé. Au détour d’un chapitre, on apprend la mort de Millington, son ancien second, et c’est comme si son ancienne équipe avait définitivement disparue.

On gardera en souvenir un policier touchant, émouvant, et tellement humain, l’un des plus marquants parmi tous ceux que nous avons croisés au détour des pages d’un polar. Avec l’envie de dire toute notre gratitude à son auteur, merci M. Harvey (et merci David Peace de lui avoir donné envie de parler après vous de ces événements marquants).

John Harvey, le retour de Charlie Resnick

En 2008, dix ans après sa dernière enquête, Charlie Resnick est de retour sous la plume de John Harvey. Il est de retour dans Cold in Hand qui nous arrive deux ans plus tard, traduit, pour cette fois, par Gérard de Chergé avec un titre inchangé. Un titre reprenant celui d’une chanson de Bessie Smith.

En ce 14 février, Lynn Kellogg est sur le chemin du retour. Un retour chez elle après une journée bien chargée, occupée notamment par une négociation avec un homme ayant pris en otage sa famille après avoir découvert l’infidélité de sa femme. Lynn est devenu négociatrice, entre autre, cold-in-hand-payot-rivages-2008depuis que nous l’avons quittée. Elle est également inspectrice principale, mais pour le moment, ce qui occupe ses pensées, c’est de rentrer chez elle et de pouvoir offrir le cadeau qu’elle a préparé pour la Saint Valentin, le DVD d’un concert de Thelonious Monk. Que pourrait-elle offrir d’autre que du jazz à celui qui partage sa vie, Charlie Resnick ? Alors qu’elle circule dans les rues envahies par les enfants sortant de l’école, elle répond à un appel concernant un affrontement entre deux bandes non loin de là où elle est… Une fois sur place, ne réussissant pas à attendre les secours, l’affrontement semblant s’envenimer, elle intervient et sépare deux filles qui se battent au milieu du cercle formé par les autres. Mais, alors qu’elle maîtrise celle qui est armée d’un couteau, elle reçoit une balle dans la poitrine et s’écroule tandis que la jeune fille qu’elle vient de désarmer en reçoit une dans le cou…

Heureusement, Lynn portait un gilet pare-balles, ce qui n’était pas le cas de l’autre victime…

C’est le début d’une intrigue qui mêle les enquêtes et voit s’entrecroiser Resnick et Kellogg. Ils partagent leurs vies, Lynn s’est installée dans la grande maison de Resnick, et leurs enquêtes ne sont jamais loin l’une de l’autre. D’autant que Resnick, qui opérait dans une nouvelle unité de répression des vols, se voit débauché pour enquêter sur le meurtre auquel s’est trouvé mêlée Lynn. Une enquête délicate puisque le père de Kelly Brent, la victime, est particulièrement vindicatif, reprochant notamment à Lynn de s’être servi de sa fille comme d’un bouclier… Dans le même temps, Lynn est préoccupés par une de ces anciennes enquêtes qui doit passer au tribunal. Elle a l’impression d’avoir mis en danger l’un des témoins, une roumaine employée dans un sauna proposant bien plus que des massages. Lorsqu’elle apprend que le procès est reporté du fait de la disparition de l’autre témoin important, Lynn se soucie de plus en plus d’Andreea et de Stuart Daines, un policier venu des douanes et mettant en place une opération destinée à démanteler un vaste réseau de trafic d’armes mais en qui elle n’a aucune confiance…

Resnick de son côté tente de mener l’enquête délicate dont il est chargé…

John Harvey entremêle les enquêtes et revient à son personnage récurrent en resserrant nettement la focale sur Lynn et Charlie, ceux qui avaient pris de plus en plus de poids au fur et à mesure. Lynn est devenue l’égale de Resnick et leur relation est empreinte d’une grande tendresse…

Après avoir chroniqué l’Angleterre de la fin du vingtième siècle au travers des enquêtes de Resnick, Harvey revient vers son inspecteur de la police de Nottingham pour chroniquer cet univers qu’il a créé. Il parcourt les précédents romans de la série au travers des souvenirs de Resnick ; les personnages disparus de la série, partis ailleurs, refont une apparition, juste de la figuration, parfois plus. Une chronique qui sombre dans une immense tristesse, cet univers subissant une violente secousse… Je ne sais pas si cette intrigue touche davantage les fidèles de la série mais elle aura été particulièrement émouvante, touchante, déprimante, pour l’habitué que je suis. J’ai été touché par le rebondissement intervenant au milieu du livre, l’arrivée de Karen Shields dans l’intrigue, celle-là même que nous avions déjà croisé dans le second opus de la trilogie ayant comme personnage central Frank Elder, De cendres et d’os. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun avec ce roman, Resnick se rapprochant imperceptiblement de cet autre flic de Nottingham, comme si c’était à son tour de trinquer, d’en prendre plein la figure… et c’est un Resnick ébranlé que nous suivons puis que nous quittons… ébranlé mais toujours empreint de cette humanité qui le caractérise…

Harvey insuffle dans sa série un peu de ce qu’il avait apporté à son œuvre en s’en éloignant. Il y revient en impliquant beaucoup plus ses personnages dans les intrigues, en ne leur laissant pas la place de simple observateur. Une intrigue toujours teintée de blues et d’une cuisine élaborée, gourmande, sur fond de miaulements de chats… et d’un grand bouleversement. Une intrigue fouillant dans les doutes des uns et des autres, dans leurs certitudes pour mieux les bousculer, nous bousculer…

Avant de revenir une dernière fois à Resnick, Harvey va retrouver les deux policiers qu’il nous avait présenté dans Traquer les ombres en 2007, Grayson et Walker, avec Le deuil et l’oubli. Il y aura ensuite Lignes de fuite et, donc, l’ultime opus de la série Resnick, Ténèbres, ténèbres.

John Harvey, Charlie Resnick s’efface

En 1998 paraît la dixième aventure de Charlie Resnick, Last Rites. Elle nous parvient six ans plus tard, traduite par Jean-Paul Gratias sous le titre de Derniers sacrements. Ce n’est plus un secret en France, il s’agit alors de la dernière enquête de l’inspecteur principal, puisqu’un peu plus tôt dans l’année, a été publiée la traduction du roman suivant de Harvey, Couleur franche… Resnick va donc se retirer, pour un temps au moins, ce qui nous est confirmé à la fin du livre avec une coda signé du romancier et remerciant tous ceux qui lui ont permis de donner vie à cette série, à cette équipe, au premier rang desquels apparaît Elmore Leonard… Mais il ne faut pas brûler les étapes, revenons à ces Derniers sacrements et une aventure plus rythmée qu’auparavant, s’engouffrant davantage dans une délinquance calibrée, que l’on rencontre sous bien des plumes.

Une femme regrette de n’avoir pas revu un homme depuis douze ans, nous allons bien vite comprendre de qui il s’agit. Resnick se réveille chez lui, au milieu de ses chats, Hannah et lui semblent s’éloigner irrémédiablement, reprendre leur vie de célibataire. En Derniers sacrements (Payot & Rivages, 1998)arrivant dans son équipe, il est informé d’une bagarre dans un bar entre ce qui pourrait ressembler à deux bandes rivales, une rixe à connotation raciale. Lorraine se lève chez elle, couvée par son mari Dexter, c’est le jour de l’enterrement de sa mère, qu’elle a veillée jusqu’à son dernier souffle. Cet enterrement soulève bien des sentiments, un mélange plein de contradiction qu’il faut supporter.

La bagarre va bien vite se révéler n’être que le point de départ de règlements de compte ayant à voir avec le trafic de drogue, deux bandes rivales régnant sur ce marché très lucratif. L’enterrement est l’occasion d’une sortie de prison pour Michael Preston, le frère de Lorraine, qui trouve là une opportunité pour s’évader malgré les deux matons qui lui collent aux basques et parce que la violence ne lui fait pas peur.

Les histoires sont multiples et se développent parallèlement, se télescopant à certains moments… Elles accaparent le temps de l’équipe de Resnick. Une équipe remaniée. Mark Divine a pris une retraite anticipée, Lynn Kellogg a été mutée dans l’opus précédent, Eau dormante, seuls restent Millington et Naylor. Mais leurs personnages ont perdu en épaisseur, quasiment relégués au rang de figurants, on ne les croise plus que sur leur lieu de travail, leur vie familiale n’est plus évoquée. Deux nouveaux sont venus renforcer l’équipe, en plus de Carl Vincent, arrivé depuis quelques temps déjà, il s’agit de Sharon Garnett et de Ben Fowles. Sharon dont nous avons suivi l’évolution et les mutations depuis Lumière froide grâce à son amitié avec Kellogg et ses collaborations occasionnelles avec Resnick et ses inspecteurs. Ben Fowles est le véritable petit nouveau mais nous ne saurons pas grand-chose de lui, en dehors du fait qu’il sévi dans un groupe rock et qu’il a des manières d’opérer à la limite de la légalité…

Les deux enquêtes sont menées en parallèle et vont voir une multitude de personnages secondaires passer. Il y aura Maureen, la belle-sœur de Lorraine, Finney, un flic des stups aux vies multiples, Sheena Snape, le dernier rejeton de la famille croisée dans Proie facile, tombée dans la dope, Raymond Cooke, au nom évoquant décidément un autre romancier anglais, celui d’Off Minor, gérant du magasin de son oncle et receleur et trafiquant à l’occasion. Mais le personnage qui gagne en poids et en intérêt au fur et à mesure des investigations et de la narration, c’est Lorraine, la sœur de l’évadé, en proie à une incapacité à affronter bien des aspects de notre société et de ses obligations sociales, une de ces victimes silencieuses que Harvey s’attache à mettre en avant… l’une des singularités de son univers, ce qui participe de son humanisme. Car ce sont bien, toujours, les petits, les sans-grades, que Resnick et Harvey persistent à défendre…

Mais, l’impasse que l’on ressentait dans l’opus précédent se fait plus évidente. L’équipe de Resnick est devenue secondaire, les personnages que la série persiste à faire évoluer se résumant à Resnick et Kellogg… ceux qui nous ont d’ailleurs toujours été les plus proches car plus intimes.

C’est un épisode avec de l’action, de la violence, de celle que l’on rencontre, comme je l’ai déjà dit, dans nombre de polars actuels, et la petite musique d’Harvey paraît y être mise en sourdine à certains moments… L’impression d’une certaine lassitude de la part de l’auteur, d’un besoin de se renouveler qui va se confirmer avec les romans suivants, abandonnant Resnick et explorant d’autres univers, pas si éloignés mais sous un angle différent.

Derniers sacrements reste un roman de qualité, un roman incontestablement signé Harvey, mais en refermant le livre on a surtout hâte de voir vers quoi l’auteur a décidé d’aller, vers quoi il a voulu évoluer, les nouveaux terrains qu’il a voulu explorer… Ça commence, trois ans plus tard, dans Couleur franche, avec un enquêteur amateur déjà croisé chez Resnick…

John Harvey, Charlie Resnick, des femmes et des tableaux qui disparaissent

En 1997, paraît Outre-manche le neuvième opus de la série ayant pour personnage central l’inspecteur principal Charlie Resnick. Il s’intitule Still Water et nous parvient cinq ans plus tard, traduit par Jean-Paul Gratias, sous le titre d’Eau dormante. Respectant le rythme de la série, il est publié un an après Proie facile, épisode qui avait vu l’équipe de Resnick une nouvelle fois ébranlée par la violence qu’elle tente d’enrayer.

L’affaire a commencé un soir où Resnick espérait assister au concert de Milt Jackson. Il était assis dans la salle au moment où le musicien s’apprêtait à jouer ses premières notes quand son bipeur a sonné, retardant de quelques secondes l’entrée en matière du jazzman mais obligeant le policier à renoncer à ce plaisir. Une femme inconnue venait d’être repêchée dans un canal de Nottingham. La victime n’ayant pu être identifiée, l’affaire se vit vite mise en attente…

Quelques mois plus tard, Resnick se souvient de cette affaire alors qu’il partage de plus en plus son existence entre sa maison et celle d’Hannah, l’enseignante rencontrée dans l’opus précédent. Ils partagent de plus en plus de choses, à commencer par les dîners Eau dormante (Payot & Rivages, 1997)avec des amis et nous retrouvons le couple alors qu’il reçoit une collègue d’Hannah et son mari, un dentiste. Les Peterson pourraient être de bonne compagnie si le mari, Alex, n’accaparait pas la parole et n’avait pas besoin de démontrer qu’il maîtrise un grand nombre de sujets d’une manière n’appelant pas la discussion. Il paraît tenter en permanence de dominer son épouse, Jane, dans tous les domaines, acceptant difficilement la contradiction… Mais Resnick reste en retrait, ses préoccupations vont d’avantage vers son équipe dont il sent qu’elle vit une mauvaise passe, mauvaise passe qui pourrait la voir voler en éclat.

Mark Divine est en arrêt depuis l’affaire racontée dans Proie facile. Il est arrêté et fait des siennes, provoquant des esclandres partout où il passe, dans tous les bars où il s’alcoolise, sortant à l’occasion un cutter quand il n’utilise pas les choppes qu’il a sous la main pour agresser les clients. Resnick tente de l’épauler mais ça n’est pas simple. Lynn Kellog, quant à elle, a réussi le concours d’inspecteur et elle veut être mutée… L’équipe est dans une phase difficile et Resnick se demande s’il n’aurait pas mieux fait de postuler pour diriger la nouvelle unité qui se monte, celle qui aura pour attribution les crimes majeurs…

Les interrogations sont légions et pourtant, il faut continuer à assurer ce pour quoi ils sont là.

Alors que le cadavre d’une autre femme est repêché dans une autre agglomération, un personnage fait son retour dans l’univers de John Harvey. Un autre personnage d’origine polonaise mais qui a choisi d’agir de l’autre côté de la loi. Il s’agit de Grabianski, le cambrioleur croisé dans Les étrangers dans la maison. Un cambrioleur érudit dont la spécialité est surtout l’art, le vol d’œuvres d’art. Et justement, deux tableaux d’un impressionniste anglais viennent de disparaître de chez leur propriétaire alors que Grabianski avait récemment été aperçu fouinant dans les parages…

Resnick dirige de front les différentes enquêtes, confiant celle sur les tableaux au nouveau venu de l’équipe, Carl Vincent, et collaborant pour l’occasion avec Scotland Yard. Il collabore également avec la toute nouvelle équipe chargée des crimes majeurs sur la première affaire confiée à celle-ci. Cette première affaire est la série de meurtres de femmes retrouvées dans des canaux ou des rivières, Resnick est concernée plus particulièrement par le dernier d’entre eux, celui de Jane Peterson, retrouvée morte une semaine après avoir disparu du domicile conjugal… Pour l’occasion, Resnick collabore avec Helen Siddons, croisée dans Lumière froide, l’inspectrice en charge de la toute nouvelle unité, et se voit attribué comme collaborateurs de cette unité deux familiers, Lynn Kellog, fraîchement mutée, et Anil Kahn, croisé dans Proie facile.

Les deux affaires alternent, celle concernant Jane Peterson et celle concernant le vol de tableaux et un trafic beaucoup plus lucratif d’œuvres d’art que Scotland veut démanteler. Les deux affaires alternent tandis que Resnick vit entre sa maison et celle d’Hannah…

Pour la première fois de manière aussi évidente, de mon point de vue, le roman est centré sur la victime, Jane Peterson. Une femme que l’on apprend à connaître et dont les zones d’ombre sont difficiles à éclaircir mais Resnick s’y emploie, plongé plus que jamais dans l’investigation. La vie des membres de l’équipe n’est pas détaillée, à peine effleurée. Laissée en plan. Lynn s’entend toujours aussi bien avec Sharon Garnett, l’inspectrice adjointe croisée régulièrement depuis Lumière froide. Resnick laisse avancer sa relation avec Hannah. C’est tout ce que nous apprenons des uns et des autres… Au fur et à mesure que l’on perçoit mieux Jane, les interrogations se multiplient et notamment celle sur cette femme restée avec un homme qui ne semblait pas lui convenir, qui la maltraitait, une enseignante restée avec un homme qui la rabaissait, comme un écho à un autre roman, postérieur à celui-ci, français, celui d’Eric Reinhardt, L’amour et les forêts, lui-même lointain écho d’une certaine Madame Bovary… Au fur et à mesure que l’on perçoit mieux Jane et son entourage, les suspicions se précisent et permettent à cette intrigue singulière de gagner en suspens, la conclusion restant indécises jusqu’aux toutes dernières pages…

C’est un roman singulier qui, pour un temps, a laissé l’équipe de Resnick presque en surplace, en retrait… Laissant de côté ce qui fait le sel de la série, ce qui en fait le moteur et son originalité, mais conservant malgré tout de l’attrait… Comme si John Harvey cherchait ailleurs, comme si ses personnages récurrents n’étaient plus son centre d’intérêt et, il est vrai, qu’il fouille particulièrement les personnages apparaissant dans ce roman et dans ce roman seulement, il maîtrise leur description qui nous les rend proches, familiers, en quelques lignes. C’est une évolution importante dans sa narration, dans la construction de son intrigue, donnant l’impression qu’il tente de s’échapper de la série, de s’en démarquer…

L’année suivante paraît malgré tout le dixième volume des enquêtes de Resnick et son équipe, Derniers sacrements.

John Harvey, Charlie Resnick entre romance et violence

L’aventure annuelle de Charlie Resnick en 1996 s’intitule Easy Meat. Jean-Paul Gratias la traduit cinq ans plus tard sous le titre de Proie facile. Après Preuve vivante, le quotidien habituel reprend le dessus à Nottingham.

Norma Snape se remémore la dernière phrase qu’elle a dite à son fils, Nicky, 14 ans, avant qu’il ne parte à l’école ce jour-là. Une école qu’il ne fréquente plus que très occasionnellement et où sa prof d’anglais, Hannah Campbell, est toute surprise de le croiser… Le cours à peine fini et après l’avoir quelque peu perturbé, Nicky disparait avec le portefeuille d’Hannah qui décide de porter Proie facile (Payot & Rivages, 1996)plainte. Dans le même temps, Lynn Kellogg est à la recherche d’un ado, Martin Hodgson, ayant fugué du foyer où il a été placé.

Nicky est le troisième enfant d’une famille monoparentale dont les deux autres rejetons, Shane et Sheena, donnent également du fil à retordre à leur mère. Une famille que Resnick a déjà croisée.

Nicky poursuit sa journée, à la recherche d’argent pour s’acheter une nouvelle paire de chaussures. Après avoir négocié les cartes de crédit de son enseignante et grâce à l’argent volé à sa mère, il peut satisfaire son envie. Il croise ensuite Martin, ils partent en virée… au retour, sur le chemin vers sa maison, Nicky est attiré par une maison, toutes lumières éteintes et il s’y introduit. Seulement les propriétaires sont là et la rencontre est violente, barre de fer contre jeunesse. Au matin, Resnick est informé de l’affaire. Elle est rondement menée et Nicky est embarqué rapidement, enfermé dans un centre pour mineur. On l’y retrouve, quelques jours plus tard, pendu…

Nous suivons en parallèle, comme d’habitude, l’enquête et la vie des différents membres de l’équipe de Charlie Resnick… Une équipe qui, après avoir mené l’enquête qui a conduit à l’arrestation de Nicky Snape, doit collaborer à celle sur sa mort puis à la mort d’un policier… Une enquête qui mobilise différents services de la police de Nottingham. Une enquête qui ébranle quelques peu les policiers que nous connaissons, eux qui n’en ont pas forcément besoin.

Lynn Kellogg se débat toujours, aux prises avec les séquelles psychologiques de Lumière froide et les questionnements qu’elles entraînent, notamment sur sa relation avec Resnick… Pendant ce temps, Resnick s’éprend d’Hannah Campbell et apprend de nouveau à vivre une relation suivie, ce qu’il n’avait pas vécu depuis Rachel Chaplin dans Cœurs solitaires, le premier opus de la série. Cette relation semble raviver son intérêt pour la gente féminine, et l’intérêt que celle-ci lui porte, d’Hannah à Lynn en passant par la fille d’un collègue. Une relation qui ravive ses intérêts et ses doutes.

Dans le même temps, les affaires se succèdent, reliées les unes aux autres, des agressions sexuelles sur des hommes…

Dans l’équipe, outre la romance de Resnick et les doutes de Lynn, Naylor et sa femme essaient d’avoir un deuxième enfant et Divine continue à tenir des propos plus que déplacés, les agressions qui semblent homophobes lui en donnant de nouvelles occasions. Deux nouveaux venus collaborent, Khan et Carl Vincent, un indien et un noir, ajoutant richesse et professionnalisme à l’équipe…

Et, comme un fil rouge, la famille de Norma Snape est au centre de l’intrigue, le lien entre les affaires, de Nicky, cambrioleur violent au suicide énigmatique, à Sheena, laissant tomber son boulot pour fréquenter une bande de filles infréquentable, en passant par Shane, l’aîné, pris entre ses paris sur les courses de chevaux et ses amitiés plutôt extrémistes…

C’est un épisode riche, pour les personnages récurrents comme pour ceux qui ne font que passer. Un épisode riche, passant de la délinquance et de la violence, lot quotidien des forces de l’ordre, aux interrogations sur les relations dans les couples. Riche pour nous, lecteurs, nous poussant à vivre tout cela à la fois. Et cette violence qui entraîne la violence. Ces êtres qui auraient besoin d’être protégés et que l’on livre aux prédateurs. Ce mal subit qui pousse à le faire subir à d’autres… et qui, une nouvelle fois, n’épargne pas l’équipe de Resnick.

Malgré la multiplicité des intrigues, ce roman est d’une grande unité, chaque nouveau rebondissement influençant les pensées de chacun.

Harvey est décidément un chroniqueur d’une grande finesse, le chroniqueur d’une Angleterre de la fin du deuxième millénaire si proche de nous. Un romancier particulièrement humain, ne jugeant pas ses personnages et nous offrant avec Charlie Resnick un homme d’une grande profondeur, un personnage marquant du monde du polar…

Le roman suivant paraît un an plus tard, respectant ainsi le rythme de la série, et s’intitule Eau dormante.

John Harvey, Charlie Resnick parmi les auteurs de polar

Toujours avec la même régularité, l’aventure annuelle, la septième, de Resnick s’intitule en 1995 Living Proof. Toujours dans le même délai, elle nous parvient cinq ans plus tard, traduite par Jean-Paul Gratias sous le titre Preuve vivante.

Un homme court au milieu de la rue, complètement nu à l’exception d’une chaussette. Il court, comme en fuite, presque par automatisme. Tombe, se relève. Un dimanche, au petit matin. Lorsque Resnick en est informé, l’homme a été hospitalisé, sa vie Preuve vivante (Payot & Rivages, 1995)n’est pas en danger, malgré les plaies qu’il a sur le corps, a priori dues à des coups de couteaux. Une affaire qui pourrait n’être que fait divers, mais pour la police de Nottingham, elle a une autre importance, puisque ça n’est pas le premier homme à être trouvé dans cet état. Pour que l’opinion ne s’emballe pas, il faut que le ou les coupables de ses agressions sur des clients de prostituées soient arrêtés.

Dans le même temps, Charlie Resnick est convoqué par son supérieur, le commissaire Skelton, pour une mission particulière. Le festival du roman policier de la ville qui va débuter a besoin de l’aide de la police. En effet, des lettres de menace ont été envoyées à Cathy Jordan, l’auteure à succès, la principale invitée. Resnick approche un milieu qu’il ne connaît pas…

Alors que les enquêtes se déroulent, prenant de l’ampleur, connaissant quelques rebondissements, la vie de l’équipe de l’inspecteur Resnick, à la police criminelle, poursuit son chemin. Millington apparaît davantage comme le second de l’inspecteur. Divine, Naylor et Kellogg, sont sur le terrain. Contrairement au premier drame qui avait frappé l’équipe dans Off Minor, celui qui a pris place dans le précédent, Lumière froide, continue de peser sur ses différents membres. Et plus particulièrement sur Kellogg et Resnick. Cette intrigue secondaire prend de l’importance au fur et à mesure que les questions se font plus prégnantes… à travers les rendez-vous chez la psychiatre, les remarques d’une amie perdue de vue et retrouvée. Le malaise grandit, un malaise dû principalement aux non-dits.

Mais le boulot accapare, un meurtre et des agressions à répétitions prennent le dessus.

Harvey poursuit sa description d’un groupe de personnes, enrichit les relations de l’équipe que nous suivons depuis quelques temps maintenant. Il continue de recentrer les questionnements sur Resnick, son inspecteur principal, si adroit à comprendre les ressorts des motivations humaines quand il ne s’agit pas de lui. Si incapable d’accepter ce qui le concerne, si emprunt d’incertitudes…

Le romancier s’amuse aussi à confronter son univers romanesque à celui qu’il connaît, celui des auteurs de romans policiers. Qu’il ne dénigre pas. Il ne s’amuse pas, comme d’autres l’on fait avant lui, à insister sur les libertés que prennent les écrivains avec la réalité de terrain, celle de la vraie vie. Au contraire, on suit un Resnick curieux de découvrir cet univers. Intéressé par la lecture même des romans de celle qu’il doit protéger. Quelques invités apparaissent, dont Ian Rankin, l’écossais, le créateur de John Rebus… Harvey s’amuse principalement à opposer deux figures de la littérature policière, Cathy Jordan, la romancière états-unienne aux intrigues violentes, et Dorothy Birdwell, tenante d’une certaine tradition anglaise où le crime n’est là que pour permettre de titiller les cellules grises.

Les “preuves vivantes” se multiplient sous nos yeux, celles qui concernent Cathy Jordan, comme celles qui concernent la série en cours contre les clients de prostituées.

C’est à la fois riche et léger. Et Resnick prend, pour moi, résolument le rôle principal, les membres de son équipe confirmant qu’ils sont des personnages secondaires… Mais nous n’en avons pas fini avec eux…

L’année suivante, toujours au même rythme, donc, paraît Proie facile.

John Harvey, Charlie Resnick, réminiscences et Noël glaçant

En 1993 est publiée la cinquième enquête de Charlie Resnick, Wasted Years. C’est la dernière à être éditée chez Viking. Elle nous parvient cinq ans plus tard, traduite par Jean-Paul Gratias, sous le titre Les années perdues. Le quatrième opus de la série avait été mouvementé, celui-ci l’est moins, plus centré sur Resnick, il visite son passé au travers d’événements qui lui en rappellent d’autres.

1969, Resnick est un policier en uniforme, de service le samedi, en heure supplémentaire, pour maintenir l’ordre lors des rencontres de Nottingham County à domicile. Une fois le travail accompli, il rejoint Ben Riley au pub, La Chaloupe, pour écluser quelques bières et écouter chanter Ruth James. L’écouter chanter du blues et notamment Les années perdues… En sortant du pub, Les années perdues (Payot & Rivages, 1993)ayant décliné l’invitation de son ami à accompagner l’amie de la fille sur laquelle il a des vues pour la soirée, Resnick bouscule une jeune femme, lui marchant sur les pieds. Elle s’appelle Elaine et, bien qu’elle lui ait tapé dans l’œil, il ne la croisera de nouveau que cinq ans plus tard…

1992, une série de cambriolages de banques et de fourgons blindés s’abat sur la ville, Nottingham, bien sûr. Skelton, le supérieur de Resnick mène la chasse et l’équipe de Resnick est sur la brèche. L’attaque d’une petite agence, une attaque ratée, s’ajoute à la série. Sans être, de toute évidence perpétrée par la même bande que pour les autres. Les malfaiteurs n’étant, entre autre, que deux au lieu de cinq et que des amateurs. Les empreintes de l’un sont retrouvées, le signalement de l’autre est établi. La caissière, qui ne s’est pas laissée impressionnée par les menaces, semble particulièrement motivée pour aider la police, surtout Kevin Naylor. L’attaque a tout de même fait une victime, un homme âgé qui n’a pas voulu laisser faire… De plus, Resnick apprend que John Prior est sur le point d’obtenir sa libération conditionnelle.

1981, une série d’attaques semblables à celles de 1992 sévit à Nottingham. John Prior est soupçonné d’en être l’un des instigateurs. Resnick est parti prenante de l’enquête dirigée par Skelton, inspecteur chef. Il est particulièrement impliqué par l’un de ses partenaires, Rains, enquêteur aux méthodes plutôt contestables… Alors qu’il mène ses propres investigations, Resnick découvre l’infidélité d’Elaine… Dans le même temps, des émeutes éclatent à Londres et tout laisse craindre qu’elles se répandent à travers toutes l’Angleterre…

Les éléments de l’enquête qu’il mène, les événements qui entourent cette enquête, poussent Resnick à se remémorer le passé. Une autre enquête dans laquelle un de ses collègues a eu un comportement plus que douteux et qui a conduit à l’arrestation de John Prior, celui qui s’apprête à sortir de prison. Celui qui était devenu le mari de Ruth James, la chanteuse de blues de La Chaloupe en 1969. L’un des acolytes du hold up raté s’avère être le fils du batteur de la même chanteuse, Rylands.

Pour ce cinquième opus, la focale se ressert sur Resnick. Resnick et ses souvenirs. Même si les autres membres de son équipe ne sont pas oubliés, particulièrement Naylor essayant toujours de renouer avec sa femme, nous naviguons avant tout à la suite de l’inspecteur principal. Nous retournons le long de son histoire avec Elaine, des moments saillants, et nous suivons dans le même temps l’évolution de musiciens qui n’ont pas percé dans les années 60, quand le blues n’avait pas encore été relégué à la marge.

C’est, une nouvelle fois, un roman empreint d’une grande humanité. Les différents personnages sont fouillés, assaillis par le doute et frayant avec, chacun à leur façon. Un aperçu d’une évolution de la ville pas si spectaculaire que ça, puisque les mêmes méfaits peuvent être commis à des années d’intervalle.

L’année suivante, un nouveau roman est publié, Cold Light. C’est le premier à l’être chez William Heinemann. Et c’est de nouveau Jean-Paul Gratias qui s’y colle pour la traduction, cinq ans plus tard, sous le titre de Lumière froide.

Nottingham au moment des fêtes de fin d’année. Outre la routine habituelle, quelques affaires occupent l’équipe de Resnick, l’agression d’un chauffeur de taxi puis celle d’une employée d’un service de logement par un homme jeune, père de famille, vivant dans des conditions plus que précaires, logé dans une maison sans chauffage avec sa femme et ses deux enfants. Resnick arrive dans les locaux du service de logement alors que Gary James, en colère, séquestre Nancy Phelan, pour se faire entendre et peut êtreLumière froide (Payot & Rivages, 1994) obtenir des conditions de vie plus acceptables. Mais Gary est en période de probation et la police s’intéresse à sa vie, notamment Karl, son jeune fils de deux ans, qui présente une contusion au visage pouvant très bien résulter d’une violence paternelle. Soutenu par sa compagne, Michelle, la mère de ses enfants, Gary s’en sort, mais sa violence semble difficile à contenir.

Noël est là et le réveillon du 24 est l’occasion pour les membres de l’équipe de se détendre ensemble, une salle étant réservée pour la police de la ville. L’occasion de voir Naylor filant de nouveau le parfait amour avec sa femme, d’entendre Divine toujours aussi trivial, obsédé et beauf, et d’entrapercevoir la solitude de Lynn Kellogg, dont le père malade est la principale source de préoccupation. Resnick évolue au milieu de ce petit monde, observant son chef, Skelton, visiblement attiré par une collègue, Helen Siddons, alors que sa vie conjugale se délite, tentant de remonter le moral de Kellogg, et croisant Nancy Phelan, participant à un réveillon dans une autre salle… Nancy Phelan qui s’en va et dont la colocataire Dana signale la disparition le lendemain…

L’équipe de Resnick se mobilise pour retrouver la jeune femme, Millington revenant même de congés pour l’occasion. Les anciens petits amis sont interrogés alors que les parents de la disparues arrivent, vindicatifs.

Tandis que l’enquête se déroule, les personnages défilent, et les histoires s’imbriquent, progressant parallèlement. Nous suivons la famille de Gary James tout en assistant aux différents rebondissements des investigations sur le kidnapping de Nancy Phelan. Les petits amis, la famille, tout y passe mais l’évidence apparaît bientôt, celle d’un psychopathe ayant déjà sévi…

Comme pour le précédent roman, la focale se resserre sur Resnick, tout surpris de vivre une nuit plutôt chaude. Se posant des questions sur la relation qui s’instaure et qu’il ne sait comment envisager. L’autre membre de l’équipe mis en avant est Lynn, désemparée alors que sa mère s’appuie sur elle pour prendre en charge son père, l’assister dans ces moments douloureux. Lynn qui s’inquiète pour la famille de Gary James et qui finit par s’impliquer dans l’enquête sur l’enlèvement de Nancy.

Alors que John Harvey croise les histoires, le doute s’insinue. Le romancier ne cherche pas à nous cacher ce qui pourrait arriver, il nous le montre, provoquant un sentiment d’impuissance devant les événements attendus qui se produisent effectivement… Le lecteur sait ce qui va arriver en ne peut qu’y assister. Et le style précis, fluide de l’auteur nous emmène.

L’équipe, après Off Minor, est de nouveau ébranlée, touchée… La fin joue sur le suspens, comme dans les meilleurs romans populaires à épisodes. La conclusion faisant planer de grosses interrogations sur l’évolution de l’équipe de Resnick.

La suite, il nous la conte l’année suivante dans Preuve vivante.

John Harvey, Charlie Resnick et des disparitions d’enfants

En 1992 paraît la quatrième enquête de Charles Resnick, Off Minor. Elle est publiée en 1997 chez nous, traduite par un nouveau traducteur et non des moindres, Jean-Paul Gratias. Elle ne change pas de titre dans la langue de Hugo puisque ce dernier fait allusion à un morceau de Thelonious Monk.

Le premier chapitre s’ouvre sur les mésaventures de Raymond Cooke et les mesures qu’il prend pour se protéger. L’achat d’un cran d’arrêt pour éviter une nouvelle fois de se faire molester par une bande de jeunes en goguette. Le chapitre suivant nous remet en Off Minor (Payot & Rivages, 1992)présence de Resnick dans une période de calme, après un match de foot puis lors d’une soirée au club polonais, alors que sa dernière affaire remonte à septembre, la disparition d’une petite fille, Gloria Summers, toujours portée disparue deux mois après… Resnick est toujours seul, dans un entre deux, après avoir recroisé son ex-femme dans l’opus précédent. Ex-femme qu’il croise de nouveau d’ailleurs, dans une chambre d’hôpital, au moment où l’affaire prend une nouvelle tournure, le cadavre de la petite Gloria est découvert par Raymond Cooke dans un hangar où il avait emmené sa conquête inespérée de la soirée.

Ce rebondissement est l’occasion, pour nous, d’un retour dans le commissariat et de l’entrée en scène du reste de l’équipe de Resnick. Dans le même temps, un couple apparaît, Michael et Lorraine. Un couple marié avec enfant, Emily, la fille de Michael et de Diana, sa première femme. On suit notamment un samedi pour chacun d’entre eux. Millington, plein de ressentiments pour n’être encore qu’inspecteur, en plein devoir matrimonial, jouant les plombiers ; Divine, plein de ressentiments également pour n’être pas reconnu comme il le mérite, se réveillant aux côtés d’une jeune femme peut-être mineure ; Naylor dans sa maison vide ; Patel, oubliant pour quelques heures la discrimination dont il fait parfois l’objet, après un rendez-vous galant la veille ; Lynn Kellogg, s’éloignant également de la discrimination dont elle peut parfois être victime, en visite chez sa mère…

Harvey poursuit sa chronique d’une époque au travers d’affaires policières. Soulignant ici, lors d’un dialogue, la recrudescence de l’insécurité, ces bandes de jeunes au comportement agressif qui traînent presque impunément, insistant là sur la vie de tout un chacun, sortant le chat au réveil ou enfilant un jogging au retour du travail.

En nous faisant lire au plus près de la vie des différents protagonistes, John Harvey les rend proches de nous, avec leurs imperfections, leurs questionnements. Un traitement particulièrement humain des personnages.

Naylor affronte sa séparation et l’absence de sa femme et de sa fille à ses côtés, Patel vit sa liaison en devenir tout en s’investissant dans l’enquête et Resnick s’interroge. Au fur et à mesure que l’investigation progresse, il se pose des questions sur son comportement avec ses proches et celui qu’il a avec les individus qu’il rencontre dans le cadre professionnel. Il continue à nourrir ses chats, à élaborer des sandwiches qu’il savoure ensuite, à se détendre en écoutant les morceaux qui le tentent sur le moment, à ressasser sa relation avec Elaine, son ex-femme… à s’interroger sur pas mal de choses, le sort que quelques humains font subir à leurs semblables, qu’on s’appelle Lester Young ou qu’on soit une enfant.

Qu’est-ce donc qui nous pousse à nous emparer d’un homme qui, en dépit de sa maladie et des doutes qui le rongent, est capable de créer une telle splendeur, un Noir de trente-quatre ans à la peau claire, pour le jeter dans une prison militaire au fin fond de la Géorgie en lui déniant tous ses droits ? Qu’est-ce qui nous poussent à nous emparer d’une fillette blonde aux yeux d’un bleu de porcelaine, pour briser son corps et l’enfouir dans des sacs poubelles dans l’obscurité d’un terrain vague ?

Les personnages gagnent à chaque opus en épaisseur, les protagonistes d’un livre nous sont familiers rapidement. L’humanisme de Harvey devient contagieux et l’on éprouve de la compassion pour les drames et les doutes de chacun…

Parallèlement, le suspens monte et on se prend à se questionner sur lequel des suspects est finalement le coupable… et puis un ultime rebondissement concernant l’un des membres de l’équipe rend bizarrement le reste moins prenant alors que le sujet en question était quand même important, la pédophilie et l’enlèvement d’enfants, ses êtres plus souvent victimes qu’à leur tour, sans défense et subissant la volonté des adultes sans pouvoir lutter. Mais John Harvey n’attaque pas de front ce sujet, faisant appel à notre propre pouvoir d’évocation. Refusant de céder à un quelconque voyeurisme, il s’y frotte par petites touches qui finissent par faire mouche. Par rendre inquiétant le moindre détail, effrayante la moindre pensée…

Sous les doigts, le contact du bois fraîchement tourné était incomparable, lisse et soyeux, encore tiède du feu de la lame, comme la peau douce d’une enfant sous laquelle coule un sang chaud.

Le roman suivant de l’écrivain anglais s’intitule Les années perdues et il paraît en 1993.

John Harvey, Charlie Resnick et l’hôpital en état d’urgence

En 1991, Viking, comme pour les deux précédents, publie la nouvelle aventure de Charlie Resnick, Cutting Edge. John Harvey y retrouve son inspecteur-chef de la brigade criminelle de Nottingham. Il nous parvient en 1995, traduit une nouvelle fois par Olivier Schwengler, sous le titre de Scalpel.

Charlie Resnick a décidé de rester dans sa maison, pour ses chats, parce qu’il ne se voit pas déménager. Le temps du livre, il y accueille Ed Silver, un ancien saxophoniste en perdition, et continue de nourrir ses chats, d’écouter du jazz, de savourer ces Scalpel (Payot & Rivages, 1991)sandwiches qu’il faudra sûrement un jour répertorier dans un livre de recettes. Il continue de tenter de se faire à sa vie de divorcé, célibataire, alors qu’Elaine, son ex-femme, se rappelle à son bon souvenir et que leur divorce nous apparait sous un jour différent, une synthèse des deux aperçus que nous en avions jusqu’ici… Sa faute à elle, son adultère, sa faute à lui, son envie d’enfants…

L’équipe de Resnick s’enfonce également un peu plus chaque jour dans la dépression, se débattant avec les difficultés à avoir une vie normale tout en étant flic.

Une nouvelle affaire les mobilise. Une affaire qui commence par l’agression d’un interne en médecine à la sortie de l’hôpital, le soir, tard. Tim Fletcher est en effet la victime d’une attaque violente à l’arme blanche, une attaque qui le laisse meurtri, probablement handicapé à vie, sauvé du pire par son amie, Karen Archer, venue à sa rencontre. Pas simple à résoudre car aucun indice ne permet d’identifier l’agresseur sur place. Les soupçons se portent alors sur Ian Carew, l’ancien petit ami de Karen, mais rien ne peut le rattacher à l’agression. Jusqu’à ce qu’il viole celle-ci…

Puis un autre employé de l’hôpital est violemment attaqué. A l’arme blanche… Et rien ne peut rattacher Ian Carew à cette nouvelle affaire…

Les membres de l’équipe de Resnick sont petit à petit tous mobilisés sur l’affaire. Naylor, Divine et Kellog sont dessus dès le début, Patel est relevé de la surveillance d’un entrepôt, Millington finira par les rejoindre après que son enquête sur des vols de camions transportant des cigarettes soit abandonnée, semblant tourner en rond…

Les fausses pistes se multiplient, Lynn Kellog est obnubilée par Carew qui pourrait s’en sortir malgré ce qu’il a fait subir à Karen. Kevin Naylor a de plus en plus de mal à supporter la dépression de sa femme, Debbie, et l’absence chronique de leur fille, trop souvent confiée à sa belle-mère. Ditpak Patel continue à croire à sa vocation de policier, Divine tente de faire avec ses opinions racistes, violentes, et Graham Millington essaie d’accepter sa condition, celle d’un flic ayant peu grimpé dans les échelons. Skelton, leur supérieur, tente, quant à lui, de se remettre, de faire avec ce qu’il a découvert sur sa fille dans l’opus précédent.

John Harvey approfondit ses personnages, ceux de l’équipe de Resnick. Il approfondit leur personnalité par petites touches, petites incursions hors du commissariat, dans leur vie privée. Celle de Resnick n’étant plus la seule, même si elle reste la plus importante. Resnick étant définitivement le personnage central.

John Harvey approfondit ses personnages et nous offre une intrigue à rebondissement, qui accapare de plus en plus chacun… un meurtre venant ponctuer la série criminelle en cours… Il faudra fouiller, il faudra l’implication de chacun. Compulser les archives de l’hôpital, y trouver des dossiers communs aux différentes victimes. Jusqu’à la résolution.

On consacrait la moitié de sa vie à la recherche de la perfection, de l’accord suprême et, un beau soir on glissait et tout n’était plus que feuilles mortes entre les doigts.

C’est un roman prenant. Un roman qui se fait de plus en plus choral en ce qui concerne les membres de l’équipe, toujours à la manière de McBain, même si Resnick reste le point d’ancrage de la série. Resnick et sa vie personnelle faite de souvenirs…

L’histoire de l’équipe de flics de Nottingham se poursuit l’année suivante avec Off-Minor.

John Harvey, Charlie Resnick et des cambriolages en série

En 1990, un an après le premier, Cœurs solitaires,  paraît le deuxième roman signé John Harvey, Rough Treatment, deuxième opus de la série ayant pour personnage central Charlie Resnick, inspecteur-chef de la brigade criminelle de Nottingham. Il est de nouveau traduit par Olivier Schwengler et nous parvient cinq ans plus tard sous le titre de Les étrangers dans la maison.

Charlie Resnick a pris la décision de vendre sa maison, celle dans laquelle il a tant de souvenirs, ceux de son mariage, ceux de sa liaison dans le roman précédent, ceux de l’agression violente qui s’y est déroulé… Il a du mal à accepter de se fier à une agence immobilière, sa femme étant partie avec l’un de ces agents.

En même temps, il continue à diriger son unité, à tenter de gérer les égos. A nourrir ses chats, à se faire des sandwiches élaborés, à écouter du jazz, et à enquêter avec la ténacité qu’on lui a découvert. Une affaire retient son attention alors qu’il arrive un matin, il s’agit d’un cambriolage présentant des similitudes avec d’autres commis en série quelques mois auparavant. Un cambriolage dont nous aLes étrangers dans la maison (Payot & Rivages, 1990)vons été les témoins, un cambriolage perpétré par un binôme, Grabianski et Grice, pas complètement assorti. Binôme tombé nez à nez avec Maria Roy, la maîtresse de maison, et ayant réussi à la convaincre de les aider sans usage de violence. Une maîtresse de maison troublée par l’un des deux, une maîtresse de maison dont le mari, Harold, semble s’être désintéressé. Le seul hic, c’est que dans le cambriolage, un kilo de cocaïne a été dérobé, drogue qui n’appartenait pas aux cambriolés et que Maria espérait peut-être cacher en se montrant coopérative… Il y a de l’affolement et le témoignage de la femme se contredit selon le policier qui l’interroge. Resnick s’accroche et navigue entre son commissariat, les agents immobiliers, les agents d’assurance, les conseillers en sécurité et la production télévisée. Resnick et son équipe. Il navigue entre grande incertitude et doute… tentant de maîtriser ses propres questionnements, ses propres humeurs…

Resnick avait appris, avec le temps, à reconnaître deux signes comme véritables points de repère de son humeur : lorsqu’il ne supportait plus de boire du café et lorsqu’il promenait ses doigts d’un bout à l’autre de sa collection de disques sans parvenir à en choisir un.

Un homme qui n’aime plus le jazz, n’aime plus la vie. Quelqu’un avait dû écrire ça quelque part, il ne savait plus qui, ni même, d’ailleurs si le poids de l’écrit donnait vraiment un caractère plus définitif au théorème. Il savait seulement qu’il ne s’aimait plus lorsqu’il était ainsi.

L’enquête sur les cambriolages est le ressort principal de l’intrigue mais d’autres petites affaires se greffent à celle-ci, des vols dans un centre commercial notamment. Toutes ces histoires, celle de Resnick et la vente de sa maison, celle de la liaison entre la victime et l’un de ses cambrioleurs, celle du mari et de ses démêlés avec son producteur, donnent à ce roman un ton, un intérêt singulier. Toutes ces histoires et celles du commissariat et des inspecteurs, les propos douteux de Divine à l’encontre de Patel, l’indien de l’équipe, les soucis de Naylor avec sa femme, jeune mère dépressive, Lynn dont la solitude est pesante, et jusqu’à Resnick qui, sans le dire, se remet difficilement de sa liaison avec Rachel dans l’opus précédent, sont un instantané de l’époque. Un témoignage de l’air du temps, un témoignage où les plus malhonnêtes, les moins épris de justice, pour en revenir à l’aspect policier de l’intrigue, ne sont pas forcément ceux que l’on croit… Où la communauté polonaise, de Nottingham et d’ailleurs, a décidément des ramifications qui s’étendent partout, d’un côté et de l’autre de la barrière de la loi…

C’est une nouvelle fois un plaisir de lecture que ce livre de John Harvey, un plaisir de lire une écriture aussi précise, simple, classique. De lire des descriptions de personnages qui s’enrichissent à chaque ligne, qui n’en font plus de simples êtres de papier. De lire une si grande humanité qui ne tombe jamais dans le pathos, dans une grandiloquence qui lui ait souvent inhérente. Pas de jugement. Parfois proche de Simenon, quand on y pense…

John Harvey semble avoir trouvé son rythme puisque l’épisode suivant des aventures de Charlie Resnick paraît l’année suivante. Il s’intitule chez nous Scalpel.