Léo Malet, Nestor Burma de la petite ceinture au paradis

Le quatrième et dernier épisode des Nouveaux mystères de Paris à paraître en 1955 se déroule dans le 14ème arrondissement. Il s’intitule Les rats de Montsouris et prend place dans l’un des arrondissements voisins du 6ème précédemment visité dans La nuit de Saint Germain des Près.

 

Burma affronte de nouveau l’été. Celui qui avait débuté son exploration des quartiers de Paris en janvier débarque dans un bistrot minable, à la hauteur de son allure dépenaillée. C’est qu’il est en service commandé le Nestor et que pour une fois, son Les rats de Montsouris (Robert Laffont, 1955)client, avec lequel une première approche a été mise au point, d’où ses frusques, son client donc n’est pas passé à l’état de macchabée. Il s’agit de Ferrand, un ancien compagnon de stalag, tout juste sorti de prison et qui a besoin de l’aide du détective privé. Après une première approche codée, juste pour le rassurer, les deux hommes vont jusqu’à la chambre où loge le repris de justice.

Quelques heures plus tard, Burma se rend chez un autre client, autrement plus solvable, ancien avocat général. M. Gaudebert l’a contacté parce qu’il est victime d’un chantage de la part de Ferrand, justement. C’est la raison pour laquelle le détective de l’Agence Fiat Lux a accepté de voir le délinquant. Deux affaires qui n’en font bientôt plus qu’une quand Ferrand est retrouvé mort, égorgé dans sa chambre. Une enquête de Burma sans cadavres n’étant pas imaginable, voilà que les choses rentrent dans l’ordre. Il va pouvoir arpenter le 14ème en long et en large, principalement les abords du parc Montsouris, le long de l’ancienne ligne de chemin de fer de la petite ceinture.

Outre la très jeune femme du vieillissant Gaudebert, une autre rousse croise le chemin de l’enquêteur narrateur, l’épouse d’un peintre habitant Villa des Camélias et aimant s’encanailler avec le premier homme qui passe. Quelques anciennes connaissances se rappellent également au bon souvenir de Burma, un sculpteur surréaliste notamment, l’occasion de se rapprocher de l’auteur du roman et de sa vie passée.

 

Une nouvelle fois, les cadavres tombent à la pelle et Burma doute, suppose et se trompe tout en nous gratifiant de bons mots et d’un cynisme qui font sa singularité.

Epaulé par la toujours charmante Hélène, secrétaire dont on finit par se dire qu’elle est bien proche de son patron tout en lui passant bien des choses, le détective va et vient dans ce quartier où une bande organisée de voleurs sévit, où la ligne de la petite ceinture s’avère être encore en service pour les usines du coin et où l’orage finit par éclater.

Personne n’est ce qu’il paraît être, en dehors des artistes croisés. Et l’avocat général, qui se faisait un devoir d’envoyer sur l’échafaud tous ceux qui passaient devant lui, est lui-même revenu de tout, après cette prison où il a été enfermé à la libération comme tant d’autres.

 

Après des rebondissements en pagaille, la fin vaut son pesant de cacahuètes et clôt une aventure rondement menée pour le privé. Comme toujours il n’est pas le dernier à prendre des coups ou à en donner et tout cela se retrouve dans le final, lorsque les masques tombent enfin.

Un opus sympathique des nouveaux mystères de Paris.

 

 

La série se poursuit en 1956, traversant la Seine, elle s’installe dans le 10ème. C’est M’as-tu vu en cadavre ?

 

Alors que l’été s’est achevé, laissant la place à octobre et un automne naissant, Nestor Burma reçoit, à l’agence Fiat Lux, la visite de Nicolss, un acteur sur le retour. Celui-ci ne vient pas précisément le voir, c’est Hélène, la fidèle secrétaire du détective privé, qu’il veut rencontrer. Mais elle n’est pas là et il devra repasser. Ce qu’il fait en l’absence de notre M'as-tu vu en cadavre (Robert Laffont, 1956)narrateur et enquêteur.

En tant que comédien vieillissant, sa démarche n’a rien de surprenant, il vient la taper de quelques billets. Les cachets ne tombent plus si facilement et il est un peu dans la dèche, ayant besoin de se renflouer pour obtenir de nouveaux engagements. Il s’adresse à Hélène parce qu’elle est la fille d’un ancien ami et celle-ci ne peut refuser. Comme elle n’avait pas de liquide sur elle, son patron lui propose d’être le prêteur, il est en fond, il faut en profiter. Ils se rendent donc tous les deux au rendez-vous fixé par l’artiste au Batifol pour n’y trouver qu’un lapin posé par ce dernier…

Ne réussissant pas à le retrouver, ils renoncent à l’aider. Quelques jours plus tard, une impresario demeurant rue du Paradis, Madeleine Souldre, contacte Burma pour qu’il enquête sur l’un de ses protégés, la vedette du moment, Gil Andréa. Il n’est plus le même depuis quelques jours et elle s’inquiète.

Décidément, le 10ème pousse le détective du côté du music-hall. Accompagné d’Hélène, il mène l’enquête, de la série de concerts donnée par le bellâtre à son club d’admiratrices en passant par les victimes de son charme, il en sait bientôt beaucoup sur le chanteur sans pour autant découvrir le lourd secret qui pourrait expliquer sa nervosité nouvelle.

 

De suppositions approximatives en déductions psychologiques à deux centimes, notre privé ne progresse guère. Comme d’habitude. Pourtant, les coups sont là, le laissant sur le pavé à quelques centimètres de son auto, une Dugat 12. Les cadavres eux manquent, là où ils tombent par grappe habituellement les voilà qui se font attendre…

C’est Hélène qui impulse une nouvelle fois une avancée décisive à l’intrigue. Et, originalité de l’opus, elle prend même la place de narratrice le temps de deux chapitres.

C’est, comme toujours bien écrit, que ce soit sous la dictée de Burma ou de sa secrétaire, les bons mots fusent et le créateur de l’agence Fiat Lux en prend, encore une fois, pour son grade. On croise de nouveau les artistes qui peuplent Paris, après ceux du quartier latin, plutôt portés sur la littérature, puis ceux de la villa des Camélias s’adonnant à la peinture ou la sculpture, vous l’aurez compris, on est, cette fois, du côté des saltimbanques, ceux des salles de spectacle parisiennes, différents des acrobates de cirque déjà rencontrés également.

Ce n’est pourtant pas mon épisode favori des Nouveaux mystères de Paris. Un peu trop alambiqué pour moi, trop “résolu dans les dernières lignes”. Mais la prose de Léo Malet nous tenant toujours, on a malgré tout envie d’ouvrir le suivant et de nous diriger en compagnie du détective qui met le mystère k.o. vers le 8ème arrondissement avec Corrida aux Champs-Elysées.

Léo Malet, Nestor Burma entre ours en peluche et sapin

Léo Malet poursuit l’exploration de Paris par Nestor Burma avec les troisième et sixième arrondissements. Les nouveaux mystères de Paris explorent cette fois les quartiers du Marais puis de Saint Germain des Près. Il s’agit de L’ours et la culotte et Le sapin pousse dans les caves, deux romans qui seront retitrés au début des années 70.

Après le premier et le deuxième arrondissements, Burma, détective privé qui met le mystère K.O., se trouve cette fois dans l’un des appartements d’une vieille demeure de la rue des Francs-Bourgeois. S’il est immobile, c’est qu’il vient de renouer avec l’une de ses L'ours et la culotte ou Fièvre au marais (Robert Laffont, 1955)sales manies, débarquer là où se trouve un cadavre. Un coupe-papier planté dans le cœur, l’homme a rendu son dernier souffle.

Pour une fois, ce n’est pas une enquête qui l’a amené dans cet endroit, ni un rendez-vous avec un client potentiel. Non. Il est là en tant que client,justement parce que les enquêtes se font rares. Après avoir longuement tergiversé, il s’est décidé à aller gager quelques bijoux de famille pour surmonter la mauvaise passe qui est la sienne et qui retombe aussi sur les employés de l’agence Fiat Lux. Seulement voilà, lorsqu’il s’est décidé, le Crédit Municipal était fermé, il a donc traversé la rue pour aller chez un prêteur privé, Samuel Cabirol. Qui gît dans son appartement, faisant office d’office dans la journée.

Burma est à l’affût d’un moyen de se renflouer, mais fouiller dans le portefeuille du mort pourrait ne pas être une si bonne idée. D’autant qu’il se fait assommer alors qu’il examine les lieux après le contenu du porte-monnaie, apercevant dans l’état de demi conscience subséquent une paire de hauts talons assez caractéristiques. Lorsqu’il revient à lui, il n’a plus qu’un souci, repartir.

Il quitte l’appartement aussi discrètement que possible en espérant être passé inaperçu. Pas la peine de se vanter de cette découverte et de ce qu’elle lui a rapporté. Sa curiosité est quand même attisée, même s’il ne portait pas la victime dans son cœur, la vue d’un ours en peluche dans les objets engagés n’ayant pas contribué à améliorer l’image qu’il en avait. Plusieurs détails titillent son envie d’en savoir plus, un parfum, la trace de rouge à lèvres sur la bouche de la victime et cette paire de talons hauts… Cherchant à raser les murs, Burma évite Faroux sans y parvenir complètement, celui-ci finissant parle joindre.

Quelques jours plus tard, remis du coup pris sur la tête et d’une filature infructueuse devant l’immeuble du prêteur sur gage, Burma se retrouve nez à nez, pour ainsi dire, avec la fameuse paire d’escarpins.

Pris entre deux feux, obtenir une enquête bien payée et satisfaire sa curiosité, Burma effectue quelques allers-retours entre son bureau et le quartier du Marais. Pris entre une enquête consistant à retrouver un mari volage et les retombées redoutées de sa découverte macabre, le détective est en plus livré à lui-même, étant dans l’impossibilité de rémunérer ses habituels collaborateurs. Seule Hélène, la fidèle secrétaire, est là.

Il hésite alors, comme à son habitude, entre une théorie et une autre, s’intéressant tout à tour à un étudiant adepte de vieilles pierres et passant son temps aux archives nationales voisines, quelques truands, des acrobates de cirque, des fondeurs et la jeune fille particulièrement séduisante dans les bras de laquelle il ne lui faudrait pas grand-chose pour tomber… Faroux continue à vouloir éloigner Burma de l’enquête sans que cela anéantisse la poisse qui colle aux basques du détective dès qu’il s’intéresse de près à une affaire…

… Nestor Burma, l’homme qui, sous ses pas, fait se lever les macchabées comme sauterelles en près fleuris…

Ça tire, ça fait le coup de poing, ça intrigue et ça joue avec différentes armes.

Un Burma rythmé, qui plonge dans un Paris entre artisanat et petits commerces, entre histoire et présent, d’Isabeau de Bavière à un bandit récemment évadé.

Le style de Malet est toujours savoureux, jouant des mots, entre calembours et réparties bien senties, dans une langue particulièrement riche et ciselée.

En 1972, L’ours et la culotte sera retitré Fièvre au Marais, peut-être pour permettre de mieux situer l’aventure.

 

Quelques mois plus tard, dans Le sapin pousse dans les caves, c’est à Saint Germain des Près que Burma traîne ses guêtres.

En ce mois de juin, il fait chaud sur la capitale. Burma, à peine sorti du métro, longe le Mabillon pour gagner le calme et l’ombre de l’Echaudé. Il échange avec le patron, le serveur et le barman en attendant celle avec qui il a rendez-vous. Deux vieilles connaissances qu’il n’a plus revues depuis longtemps sont également là. Tintin, ancien Le sapin pousse dans les caves ou La nuit de Saint Germain des Près (Robert Laffont, 1955)amant d’une comédienne devenue actrice qui monte quand lui connait la trajectoire inverse, et Bergougnoux, venant de signer sous le pseudonyme de Germain St Germain un best-seller. Marcelle, son rendez-vous,arrive enfin. Ils se rendent tous deux à l’hôtel, le Diderot-Hôtel. C’est pour affaire que le détective est là, la jeune femme lui servant de couverture pour qu’il puisse rencontrer discrètement un autre client du lieu. Il se rend dans la chambre de Charlie Mac Gee mais il est déjà trop tard. Etendu sur son lit, tenant dans sa main un revolver avec silencieux, il a rendu son dernier souffle. Burma fouille pas acquis de conscience. Ce qu’il cherche n’est bien sûr pas là.

Le patron de l’agence Fiat Lux a été engagé pour remettre la main sur des bijoux volés, une affaire qui a défrayé la chronique quelques mois plus tôt. La compagnie d’assurance préférant mettre la main par des moyens détournés sur le butin plutôt que de dédommager la victime. Burma agit en étroite collaboration avec l’assureur, Jérôme Grandier, tout en arpentant le quartier.

Même s’ils travaillent parfois ensemble les buts d’un détective et d’un assureur sont rarement les mêmes, la vérité important peu aux seconds. Et essayer de doubler la police dans une enquête n’a pas les mêmes conséquences pour l’un ou pour l’autre.

Je ne suis pas un ancien bourre qui fait dans le privé, moi, et qui peut espérer l’indulgence de ses ex-collègues. Je me suis établi détective, un peu comme je me serai installé poète. Sauf que j’ai une plaque à ma porte, au lieu d’avoir une plaquette dans mon tiroir. Je suis un franc-tireur. Je gagne mon bœuf au jour le jour, sans l’aide de personne ou presque, semblable à celui qui s’enfonce dans la jungle, un fusil aux pognes, pour chasser ses deux repas et son paquet de gris quotidien.

Certaines envolées de Burma peuvent friser le lyrisme.

Entre le Flore et l’Echaudé, l’appartement de St Germain, fréquenté par toute une clique hétéroclite, et l’élection de Miss Poubelle dans une cave abritant une boîte de nuit, le privé suit les nombreuses pistes qui s’offrent à lui, butant plus souvent qu’à son tour dans des cadavres. Bizarrement, il n’y a pas que les bijoux qui expliquent l’augmentation de la mortalité entre le jardin du Luxembourg et la rue Dauphine.

Malet porte un regard cynique sur ce quartier qu’il semble pourtant connaître, y faisant croiser des personnes réelles à son personnage de fiction. Les écrivains,poètes ou autres artistes et les caves, café, n’y sont pas toujours fréquentables. L’inspiration vient de partout, de la Chasse du comte Zaroff de Schoedsack et Pichel, projeté régulièrement, à La tête d’un homme de Simenon.

Après de multiples fausses pistes et rebondissements, tout cela se termine par un violent règlement de compte, entre vengeance, haine et recherche de l’idée pour un roman.

La vie est certainement plus compliquée et fertile en péripéties que tout ce que vous pouvez accumuler dans vos livres […]. Mais elle est aussi plus secrète. […] Vous, avec votre imagination, vous concluez. La vie ne conclut pas.

Comme le précédent, c’est un Burma rythmé, agréable, qui sera retitré en 1973 à l’occasion d’une réédition, devenant La nuit de Saint Germain des près. Le titre original n’était pourtant pas si mal…

 

Avant de s’éloigner un peu de la Seine et de gagner le 14èmearrondissement voisin avec Les rats de Montsouris, Burma s’échappe de Paris les temps d’une nouvelle, Faux-Frères, publiées dans “Mystères Magazine”. Une brève histoire de sosies et de règlement de compte un premier avril après une rencontre avec Faroux. Léger et distrayant.

Léo Malet, Nestor Burma du 1er au 2ème arrondissement

En 1954, Léo Malet se lance dans sa grande idée, celle de situer les enquêtes de son détective dans différents quartiers de Paris, l’occasion d’une description de la capitale, de son exploration. Cette idée qui lui est venue alors qu’il observait la ville depuis le pont Bir Hakeim lors d’une promenade avec son fils et qui s’appellera “les nouveaux mystères de Paris, comme une résurgence, une actualisation, de l’œuvre d’Eugène Sue.

Pour commencer, il procède assez logiquement en s’intéressant au premier arrondissement, c’est Le soleil naît derrière le Louvre.

 

Nestor Burma arpente les rues du centre de la capitale. Il est rue des Lavandières-Sainte-Opportune puis rue Jean Lantier, à la recherche d’un client, Louis Lheureux. Il sait à quel hôtel il est descendu, le même que les fois précédentes, l’hôtel de Province, rue de Le soleil naît derrière le Louvre (Robert Laffont, 1954)Valois. Mais il aime les rues de Paris même dans le froid de janvier. A force de persévérance, il le déniche dans un restaurant, la Riche-Bourriche, non loin de la fontaine des Innocents. A peine ont-ils échangé quelques mots et dégusté leur repas que celui qu’il est engagé pour retrouver et renvoyer dans ses pénates lui fausse compagnie. C’est la première en deux ans qu’il lui fait le coup. Non seulement l’habituelle escapade parisienne est plus précoce que les deux années précédentes mais, en plus, voilà que Lheureux ne semble pas enchanté de le voir !

En sortant seul du restaurant, Burma tombe sur un attroupement rue Pierre Lescot. Le commissaire Florimond Faroux en l’apercevant l’invite à le suivre dans une cave. Comme il y a un cadavre et que Burma est là le policier a pensé qu’il devait le connaître ou que cela avait un rapport avec une enquête en cours, mais il s’agit d’un certain Etienne Larpent dont le privé n’a jamais entendu parler.

 

Comme d’habitude, on démarre sur les chapeaux de roues. Deux chapitres et déjà un mort et un client qui s’est volatilisé. A cela vont venir s’ajouter un autre client qui accoste au port du Louvre, le client retrouvé envoyé à l’hôpital, un tableau de Raphaël volé dont une copie était sur le mort, une mannequin en perte de vitesse logeant dans un palace, un gigolo groupie de la vedette, un grec dilettante, une clocharde se prétendant ancienne duchesse, un oiseleur… et tout ça dans le secteur du Louvre derrière lequel Burma voit naître le soleil depuis un balcon.

Il est en terrain de connaissance, son agence, Fiat Lux, ayant ses bureaux rue des Petits-Champs. Il va donc rester dans le secteur. Cette fois, effectivement, en plus des ingrédients auxquels nous a habitué l’écrivain, femme séduisante, coups de feu et de poing, déductions approximatives et égarements du détective, il y a Paris que l’on visite entre deux rebondissements. Un Paris des années 50, où l’on fait encore mûrir des fruits dans les caves, où les abords du Palais Royal sont déserts en hiver.

 

L’intrigue est également l’occasion d’une évolution, les deux employés de l’agence Fiat Lux, que nous avions croisés occasionnellement jusqu’ici, sont parties prenantes de l’enquête. Zavater protège le client arrivé en bateau au port du Louvre et Reboul surveille Lheureux durant son séjour à l’hôpital. Il y a toujours les relations savoureuses d’Hélène, elle aussi mise à contribution, et de son patron et celle de qu’il a avec Faroux. Marc Covet, le journaliste-éponge du Crépuscule, est un peu en retrait cette fois, ne contribuant pas vraiment à la résolution du mystère que Burma cherche, comme le slogan de son agence le claironne, à mettre k.o.

 

C’est un roman qui se lit avec plaisir, le style de Malet est bien là et les saillies du détective narrateur ne gâtent pas l’ensemble, nous poussant bien souvent à sourire. Il n’a pas peur du ridicule, sûr de lui, s’engouffrant dans la gueule du loup sans s’en rendre compte, croyant toujours devancer ses adversaires. Les seules prédictions qui se réalisent sont celles des autres…

 

 

Quelques mois plus tard, en 1955, c’est au tour du deuxième arrondissement d’accueillir notre détective dans Des kilomètres de linceul.

Tout commence porte Saint Denis pour Burma, sous le signe de la famille. Il est là sur les conseils de Florimond Faroux, à la recherche d’une mineure ayant fugué et d’un homme qui pourrait lui apporter des informations. Après avoir enfin dégotté celui qui ne lui a finalement pas été d’une grande aide, il s’offre un verre dans un bistrot de la rue Blondel. Et se trouve pris entre deux feux. Il se réfugie derrière une voiture et attend que çDes kilomètres de linceuls (Robert Laffont, 1955)a se calme en compagnie de deux autres voulant aussi éviter de devenir des victimes collatérales. Burma est tout de même repéré par la marée-chaussée et Faroux. Il apprend ainsi que ce sont des corses qui sont venus faire le coup de feu sur d’autres bandits. Quatre victimes au final… et ça ne fait que commencer !

Une vieille connaissance appelle ensuite l’agence Fiat Lux, voulant renouer avec son patron. Une femme qu’il a connu dans les années 30, Esther qui se prénommait alors Alice. Une juive amoureuse alors d’un de ses amis, Moreno, dont elle croit qu’il est de retour. De l’eau a coulé sous les ponts, Esther est défigurée et se cache derrière un voile ou ses cheveux. Elle vit dans l’immeuble qui abrite également l’entreprise familiale dirigée par son frère, qui en son temps avait coupé court aux volontés d’émancipation de sa sœur. Une Levyberg ne pouvait frayer avec un anarchiste.

Burma accepte tout d’abord l’affaire, retrouver Moreno, bien qu’il sache que celui-ci est mort lors de la guerre d’Espagne, fusillé par les franquistes. Il veut comprendre la famille et ce René Levyberg qu’il a toujours détesté. Comprenant que celui-ci est victime d’un maître-chanteur, il cherche de ce côté et les victimes continuent de tomber… surtout quand Burma s’y intéresse d’un peu près…

 

Le détective privé se fourvoie encore dans mille et une pistes. Passant d’un journal ne servant qu’à abriter les activités d’un maître-chanteur à des journaux ayant davantage pignon sur rue, dont le Crépuscule où sévit Marc Covet. Le suspects se multiplient avant de tomber ou de disparaître au moment où Faroux et la police judiciaire sont sur les dents à la recherche d’un dangereux gazier en fuite depuis des années.

Le luxueux immeuble abritant l’entreprise des Levyberg constitue le centre vers lequel Burma revient, à l’affût des allers et venues de ceux qui le fréquentent. Hélène paraît toujours avoir bien plus la tête sur les épaules que son patron qui continue à se laisser mener par ses déductions bien trop rapides. Heureusement, la secrétaire est souvent là pour sauver la mise à un Burma qui sans cela pourrait facilement être accusé de bien des choses.

Toutes ces aventures, au long des rues d’un arrondissement pas mal loti mais pouvant se transformer en coupe-gorge une fois la nuit venue, nous font avancer à la suite du créateur de l’agence Fiat Lux qui frôle bien souvent le pire. Entre clandé, feuille de chou et beaux draps. Prostituées, bandits, journalistes, policiers, arrivistes…

Reboul et Zavater confirment leur retour au premier plan tandis que le journaliste éponge Covet reste de nouveau en retrait.

 

Un final en feu d’artifice révèle un pot-aux-roses assez éloigné de ce qu’imaginait Burma… comme souvent.

 

La même année, à la suite de son personnage récurrent, Léo Malet poursuit son exploration des arrondissements de la capitale de manière plus aléatoire, passant du troisième au sixième avec deux romans qui changeront de titre quelques années plus tard.

Léo Malet, Nestor Burma et les retombées de la guerre

En 1949, quelques mois après Gros plan du macchabée, paraît une nouvelle enquête du détective de l’agence Fiat Lux, Les paletots sans manches.

 

Alors qu’il baguenaude dans les environs de Sceaux, en attendant l’heure exacte du rendez-vous fixé par un nouveau client, Burma laisse échapper sa toute nouvelle pipe, à tête d’indien. Elle tombe dans une décharge dans laquelle il découvre un cadavre, celui d’un arabe dont la puanteur est plus forte que ne devrait l’être un cadavre ordinaire. Les paletots sans manches (SEPE, 1949)Obnubilé par le client qui l’a contacté, le détective décide de ne pas s’attarder, c’est que celui qui lui a donné rendez-vous semble, d’après les renseignements qu’il a obtenu et la demeure impressionnante où il l’attend, posséder une fortune certaine. Et Burma est toujours attiré par ce qui peut lui rapporter.

Gérard Flauvigny, riche industriel, quelque peu éprouvé par l’épuration de l’après-guerre, s’inquiète pour son fils, Roland. Ce dernier fréquente, d’après sa sœur, un endroit ayant mauvaise réputation, l’Antinéa, une boîte de nuit tenue par des arabes. Ce que lui verse le patron, pour lequel même Burma a bossé à un moment de sa vie, motive particulièrement celui-ci. Malheureusement, accompagné d’Hélène, il découvre bien vite que Roland a passé l’arme à gauche. Un accident, le gaz qui s’est échappé alors que ce dernier était enfermé dans sa chambre parisienne sous les toits dans un état second, dû à l’absorption de haschich.

De retour chez Flauvigny, accompagné de son médecin traitant, Burma informe son client de la triste nouvelle et décide avec son accord, et une petite rallonge, d’enquêter sur ceux qui ont fait du fils tant aimé un drogué. La descente de Burma dans la boîte de nuit, alors qu’il essaie de passer inaperçu, est rapidement repéré… drogué, il vit une fuite hallucinée, parvenant à semer ses geôliers sans bien comprendre comment. Il se réveille dans le lit de la fille de Flauvigny, Joëlle, et apprend bientôt que c’est le médecin de ce dernier qui est mort dans la nuit… une demi-surprise puisque Burma, dans son évasion délirante, en avait eu des visions…

 

Comme d’habitude, l’intrigue est menée tambour battant. Les rebondissements se succèdent et Burma, entre deux verres et deux bouffardes, est entraîné dans ce maelström plutôt qu’il ne domine la situation. Ses suppositions se succèdent en étant systématiquement battus en brèche par les événements suivants.

Après plusieurs intrigues situées pendant la guerre et quelques-unes juste avant, Léo Malet évolue et passe cette fois dans l’immédiate après-guerre. La place qu’il donne aux arabes et le vocabulaire employé pour les désigner rend quelques passages nauséabonds, surtout après la lecture de son roman précédent, Le soleil n’est pas pour nous. Mais on découvre rapidement que le cadavre découvert dans la décharge n’est pas inconnu du détective et qu’il y a là une autre motivation pour celui-ci à poursuivre son enquête, en plus de l’envie de soutirer le maximum à son client. Les arabes ne sont pas que des truands, ils sont aussi les victimes d’un trafic lié à leur envie de connaître la France, une vague migratoire qui peut en rappeler de plus récentes ou carrément actuelles. Le prix à payer pour arriver jusqu’en métropole est particulièrement élevé et Malet dresse un portrait peu ragoûtant des profiteurs de cette période, continuant, pour certains, sur des années de guerre qui les ont porté à la tête de divers trafics.

Le roman n’a rien d’une thèse ni d’une démonstration, il s’inscrit juste pleinement dans la réalité de l’époque, comme Malet a su jusqu’ici si bien le faire. Les travers de la société sont pointés sans tabous mais avec force rebondissements et dans le cadre d’une intrigue rocambolesque, frisant souvent l’invraisemblance, mais le romancier nous a également habitués à cet univers…

 

Hélène prend une importance qu’elle n’avait pas jusqu’ici dans la résolution de l’énigme, Reboul, le collaborateur manchot de l’agence Fiat Lux, confirme son retour au premier plan et Faroux constitue l’un des ressorts incontournables du roman. Marc Covet, l’ami journaliste est un peu en retrait, contrairement aux dernières enquêtes. Et Malet poursuit dans la veine qui a fait de Burma un détective marquant, peu doué pour les raisonnements au point que les siens sont toujours particulièrement alambiqués, attiré par le sexe opposé sans toutefois être un tombeur. Il se croit toujours plus malin que la police et finit souvent au même niveau qu’eux, sinon légèrement en retard. Il prend des risques inconsidérés, à l’aune de raisonnements pas toujours judicieux. Bref, tout cela forme un ensemble qui rend l’univers des Nestor Burma attachant, réjouissant. En ajoutant que le ton employé par le détective pour nous raconter ses aventures est léger, il s’écoute parler et nous gratifie de nombres de bons mots qui nous offrent une récréation à chaque fois qu’on ouvre un des bouquins le mettant en scène. Celui-ci particulièrement.

 

L’année suivante, la publication du Burma prévu, Direction cimetière, est annulée du fait de la liquidation de la maison d’édition qui devait s’en charger. Cette aventure ne paraîtra qu’en 1969 sous le titre Un croque-mort nommé Nestor.

Avant de donner un nouvel élan à sa série en en faisant “les nouveaux mystères de Paris” et d’abandonner progressivement les différents pseudonymes sous lesquels il a publié au cours des années 40, Malet publie une nouvelle mettant en scène Burma, Pas de veine pour le pendu, d’abord titrée Entreprise de transports pour “Mystère Magazine”.

C’est une nouvelle rapide, rythmée, et qui nous présente Burma sous un jour nouveau. Alors qu’il a rendez-vous avec un client, il le découvre pendu dans sa cabane au fond du jardin. L’enquête est confiée à la police de Sceau et l’inspecteur Lepetit. Un enquêteur avec lequel notre détective ne s’entend pas d’entrée de jeu, celui-ci étant trop sûr de lui, trop épris de certitudes. Et c’est un Burma faisant profil-bas mais suivant son idée que nous découvrons. Un Burma qui s’avérera en fin de compte avoir raison… plutôt inhabituel pour lui. Quasiment antinomique. Il nous offre là le profil habituel de ses collègues, ceux présents dans tous les romans du genre et perd de sa singularité.

C’est au final une enquête très classique et singulière au point d’en être presque banale.

 

Avant de se lancer dans “les nouveaux mystères de Paris”, Léo Malet signe un dernier roman one-shot avant longtemps, Enigme aux Folies-Bergères.

Léo Malet, Nestor Burma fait son cinéma

En 1949, paraît la cinquième ou sixième aventure du détective parisien, Gros plan du macchabée. Cinquième ou sixième selon que l’on prend en compte ou pas Coliques de plomb, paru l’année précédente mais retravaillé par la suite pour devenir en 1971 Nestor Burma court la poupée. Je parlerais de cette réécriture et non de la première version ; pour le blog, il s’agit donc de la cinquième apparition de Nestor Burma. Sans compter la nouvelle Solution au cimetière publiée en 1946 dans “Images du monde”.

Quelques mois après Le dernier train d’Austerlitz, sans Burma, et Le cinquième procédé, avec, Léo Malet signe un nouveau roman. D’abord intitulé par l’auteur Un certain Nestor Burma, parce qu’il s’agit chronologiquement de la première enquête de son personnage, il est retitré par l’éditeur sans doute pour mieux convenir à l’image de la série. Léo Malet y renoue non seulement avec le fondateur de l’agence Fiat Lux mais également avec un milieu qu’il a fréquenté, celui du cinéma. Il y a été en effet plusieurs fois figurants, pour Marcel Lherbier, Claude Autant-Lara, Marcel Carné, Pierre Prévert ou encore Louis Daquin, avant d’y intervenir, dans les années qui suivront, en tant que scénariste ou auteur de l’histoire originale.

Lors de sa sortie, ce court roman est accompagné d’un autre comprenant encore moins de pages, Hélène en danger.

 

Nestor Burma ne se reconnaît pas en se regardant dans le miroir. Transformé par un maquilleur russe, il se fait peur. Dans le même temps, l’habilleuse s’affaire autour de Julien Favereau, la vedette du grand écran, dans la loge duquel la présence du détective Gros plan du macchabée (SEPE, 1949)est autorisée, pour la bonne raison qu’il a été engagé par l’acteur pour sa protection à la suite de menaces épistolaires. Curieusement, ce dernier ne semble redouter qu’on attente à ses jours que dans le studio… mais Burma n’a qu’à peine le temps de s’interroger sur cette bizarrerie et de s’en entretenir avec son client que celui-ci meurt sous ses yeux dès le tout début du roman.

Alors qu’il prévient la police, un autre figurant vient utiliser l’un des taxiphones à côté du sien. Il s’empresse de révéler lui aussi la nouvelle et Burma comprend que, tout comme lui, il exerce un autre métier. Les présentations se font devant un verre, rempli d’un liquide que ni l’un ni l’autre ne dédaigne… le journaliste s’appelle Marc Covet, celui que nous connaissons bien. Il s’agit là de leur première rencontre.

La police arrive ensuite, elle rencontre un Nestor Burma pas encore connu et dont elle ne se méfie pas pour le moment. Le commissaire Petit-Martin est chargé de l’enquête et la mène en compagnie du détective à l’orée de sa carrière.

Julien Favereau n’est pas mort de mort naturelle, l’empoisonnement est bientôt attesté par le médecin-légiste et Burma et Petit-Martin suivent toutes les pistes, s’égarant systématiquement dans de fausses déductions. Il faut dire qu’ils ont de quoi faire, Favereau était aussi détesté de ceux qui travaillaient avec lui qu’il était adoré des midinettes.

… j’avais commencé à comprendre que Favereau était une teigne à qui le plus doux des hommes aurait préféré offrir un verre d’arsenic plutôt que de le voir crever de soif.

C’est une aventure sympathique que nous offre là Léo Malet. Les bons mots de son narrateur-détective sont déjà présents, sa vantardise aussi. Une aventure sympathique, rapide, qui n’a pas l’épaisseur d’autres enquêtes même si l’écrivain ne recherche pas cela, l’épaisseur, avec les intrigues qu’il fait vivre à son personnage récurrent.

Nous visitons les coulisses d’un tournage de cinéma, rencontrons les différents métiers qui y sévissent et nous immergeons dans l’atmosphère d’urgence qui peut y régner. Marc Covet et Nestor Burma y font connaissance, s’imbibent comme il se doit, et l’agence Fiat Lux n’existe pas encore. Cet aperçu d’un Nestor Burma avant l’heure est le côté le plus intéressant du bouquin, pourvu qu’on s’intéresse au personnage.

La conclusion est comme souvent rapide et dénuée de morale… très humaine…

 

Avec ce court roman, ce que l’on appellerait maintenant une novella vient en bonus, Hélène en danger. Comme pour Solution au cimetière, le format court semble particulièrement adapté au dynamisme inhérent à la série.

Hélène Châtelain, la fidèle secrétaire de l’agence Fiat Lux, se trouve au cœur de l’intrigue qui débute, comme pour Nestor Burma contre CQFD par le souci de se procurer du tabac. Nous sommes en février 1944 et la guerre s’éternise, le débarquement tant annoncé se fait attendre et il faut trouver des moyens de se procurer le nécessaire, qui passe pour le détective par sa pipe et du café.

L’aventure, qui marque le retour de Reboul, pousse Burma à s’inquiéter pour sa secrétaire, d’abord emprisonnée par la Gestapo puis au cœur d’un piège qu’il parvient à déjouer en ne comprenant les tenants et les aboutissants de l’aventure qu’en cours de route, comme d’habitude. Situer l’intrigue dans un passé immédiat et une époque difficile donne un intérêt supplémentaire à l’histoire. Léo Malet semble décidément dans son élément quand il se coltine à une réalité qu’il a vécue, marquante… il nous l’avait déjà prouvé, il nous le confirme ici.

C’est une bonne nouvelle !

 

Alternant toujours entre ses différents pseudonymes, Malet signe de son nom dans les mois qui suivent le deuxième volet de sa “trilogie noire”, Le soleil n’est pas pour nous, puis la dernière aventure de Burma, Les paletots sans manches, avant de lui faire vivre les “nouveaux mystères de Paris”.

Léo Malet, Nestor Burma d’un côté à l’autre de la ligne de démarcation

Au cours du deuxième trimestre 1948, paraît le deuxième roman signé Léo Malet publié cette année-là. Après le “roman doux” et noir, La vie est dégueulasse, Nestor Burma est de retour dans Le cinquième procédé. Un retour après deux ans et Nestor Burma et le monstre.

 

Dans une villa aux environs de Marseille, Burma est coincé en plein milieu d’un larcin qu’il commet pour le compte d’un client. Un paquet de lettres d’amour à récupérer parce que compromettantes pour un homme marié. Le paquet ficelé en main, il n’a pas de solution de repli après le retour prématuré de Jackie Lamour, la danseuse destinataire Le cinquième procédé (SEPE, 1948)des missives enflammées et occupante de la villa. Elle n’est pas revenue seule mais malgré cela, Burma joue son va-tout et menace par surprise le couple. Après les avoir assommés, il s’enfuit. Il n’a plus qu’à rendre la commande à son client… qui n’est autre que celui qu’il a assommé pour pouvoir se carapater.

Plus lourd d’une commission substantielle et n’ayant aucune envie de s’attarder, pressé de retrouver son Paris habituel, Burma monte dans le train de nuit pour la capitale. Après une altercation avec les passagers de son compartiment, un passage de la ligne de démarcation qui ne peut être que délicat en ce début novembre 1942 et le rasage de la moustache qu’il s’était laissé poussé, suscitant davantage les regards amusés que séduits, il aperçoit de l’agitation à sa descente à Paris. Des policiers se précipitent dans un wagon dans lequel Burma se dépêche également de monter. Un cadavre gît et ceux avec qui le détective avait échangé des propos passionnés sont bouleversés de le voir. Et pour cause, le cadavre lui ressemble beaucoup, tant par les vêtements, identiques aux siens, que par sa physionomie, à la différence que le trépassé a, lui, toujours ses bacchantes. Quand Florimont Faroux débarque, il se trouve embarqué pour un interrogatoire en compagnie des homologues allemands du commissaire français.

L’identité du décédé, un croate, pousse les policiers à proposer à Burma d’accepter de passer pour la victime. C’est donc en tant que mort que le détective poursuit l’intrigue. Convaincu d’avoir été pris pour cible, il décide de retourner à Marseille pour dire à celui dont il soupçonne d’avoir commandité son exécution tout le bien qu’il en pense… Avec l’aide de Marc Covet, il trouve un moyen de repasser le ligne de démarcation, chose ardue pour un mort. Lors de son séjour dans la clinique psychiatrique chargée de lui fournir ce moyen, de nouveaux événements se déroulent… qui vont accentuer encore la motivation de Burma à poursuivre son enquête.

 

Les rebondissements tombent comme à Gravelotte. Les aventures du fondateur de l’agence Fiat Lux sont rocambolesques en même temps qu’elles s’ancrent dans une réalité bien sombre, la deuxième guerre mondiale et la lutte que se livrent les différents belligérants à la moindre occasion. L’intrigue est l’occasion d’un de ces affrontements tandis que Burma navigue d’une clinique à une entreprise de production de pâtes de fruit, de clients d’un cabaret à des extracteurs de pétrole. D’une déduction brillante, sur le coup, à une autre qui la détrône pour s’avérer ensuite tout aussi erronée. Tout y passe, y compris un jeu de chat et de souris entre les polices françaises et d’occupation…

Au milieu de tout cela, Nestor Burma tente de faire son chemin, de résoudre l’énigme dont les différents événements dont il est le témoin constituent des facettes. Sans que son esprit remarquable ne le comprenne tout de suite, bien sûr.

C’est savoureux, raconté à la première personne comme d’habitude, avec la gouaille et l’esprit du détective parisien. Contrairement à L’homme au sang bleu, l’éloignement de Paris ne nuit pas à l’intérêt de l’intrigue ni à son rythme. Epaulé de Covet, Burma trace sa route en continuant à se jouer de Faroux et en y ajoutant l’occupant.

 

Un Burma hautement recommandable !

Pour clore l’année 1948, Léo Malet signe un troisième roman, Le dernier train d’Austerlitz, sans Burma puis un avec le détective, Coliques de plomb, qui sera réécrit et de nouveau publié en 1971 sous un nouveau titre, Nestor Burma court la poupée, et dont je parlerai à ce moment-là. Pour ce qui nous concerne, le détective de l’agence Fiat Lux effectue son retour dans Gros plan du macchabée publié l’année suivante.

Léo Malet, Nestor Burma, arsenic et vieille gazette

En 1946, est publiée la quatrième aventure – quatrième et demi si l’on inclut dans le décompte la nouvelle parue au début de la même année dans Images du mondedu détective privé imaginé par Léo Malet, Nestor Burma et le monstre. Elle se déroule à Paris, un retour, et est éditée par la SEPE dans la collection “Le labyrinthe”, comme les précédentes. Il s’agit en fait de la réécriture d’un roman paru en 1942 dans la collection “Minuit” de Georges Ventillard sous le titre La mort de Jim Licking signé Leo Latimer, un des nombreux pseudos de l’écrivain.

 

Dans son agence Fiat Lux, Burma tue le temps. Sans affaire, il partage son ennui avec ses deux employés, Reboul et Zavatter, en attendant des jours meilleurs. Hélène, sa secrétaire, donne l’illusion de l’occupation. Alors qu’il vient de se décider à envoyer ses Nestor Burma et le monstre (SEPE, 1946)collaborateurs à différentes taches, Zavatter miser pour lui dans une course automobile et Reboul en savoir plus sur un journaliste, René Galzat, qui tente de lui faire de l’ombre, un garçon entre.

Jacques Bressol a quinze ans et tout d’un gangster. Il a réussi à s’octroyer le monopole de la distribution des journaux dans son quartier de Saint-Ouen. Malheureusement, il est persuadé que les petites luttes qu’il a l’habitude d’affronter ont pris de l’ampleur, deux de ses livreurs viennent de passer l’arme à gauche, deux garçons de treize ans… L’un des deux étant le fils de Ferdinand Béquet, un homme qui a involontairement sauvé la vie de notre détective, Burma s’empresse de sortir de sa torpeur estivale pour s’en aller poser des questions. Sur place, il rencontre Florimond Faroux. Chargé de l’enquête sur le deuxième mort, Jean Tanneur, ce dernier l’entraîne à sa suite.

Mais l’histoire prend un tour étrange. Le père de la deuxième victime est suspecté par la police et, alors qu’il vient d’être arrêté et qu’il commence à être interrogé, débarque quai des Orfèvres Thomas Jannet, l’avocat habituel de la mafia marseillaise et corse. Ça ne simplifie pas les choses.

Voilà Burma embarqué dans une histoire quelque peu emberlificotée. Une histoire qui en entremêle deux et qui va recouper toutes les préoccupations du moment de notre détective. La lutte avec Galzat, journaliste sans scrupule, la présence de la mafia corse et de son parrain, Paoli, et des chocolats à l’arsenic qui tuent au hasard… Dans son enquête, il croise un toubib ayant eu des théories plutôt exterminatrices dans sa jeunesse – à l’aune de celles de l’époque qui vient de prendre fin en même que la guerre -, sa belle-sœur, quelques balles et son doute habituel fait de certitudes aussitôt contredites par d’autres demi-certitudes. Zavatter, Reboul, Hélène, Faroux et Marc Covet constituent de nouveau ses acolytes, devenant récurrents.

Toujours aussi savoureuses, les sentences de Burma, empruntes d’une sagesse dont il pense être le seul à devoir s’exonérer, parsèment cette enquête rondement menée.

Quand je pense qu’il m’arrive de frôler dans le métro des citoyens qui savent qu’il existe des endroits appelés hippodromes, sur lesquels on fait galoper des chevaux montés par des espèces d’avortons nommés jockeys, et entraînés par des gars entraîneurs, et que ces citoyens se figurent candidement que ce qui fait gagner tel ou tel cheval ce sont la valeur et les pattes du solipède, il me prend une douce et méprisante envie de rigoler et je me dis que tant qu’il existera des gourdes de ce calibre, il y aura de beaux jours pour les escrocs et que, tant pis pour les couleuvres, elles continueront à se faire avaler, les pauvres !

 

C’est rapide, plein de rebondissements. Burma n’est pas le dernier à se faire avoir et à être prêt de passer l’arme à gauche avec sa manie de parler souvent et de s’exposer encore plus.

Léo Malet s’amuse et nous amuse.

 

Il faut attendre 1948 pour que de nouveaux romans signés Malet paraissent. Ils ne seront pas moins de trois. D’abord, un retour à ce qu’il appelle les “romans doux” avec le premier volet de sa trilogie noire, La vie est dégueulasse, puis un retour à Burma avec Le cinquième procédé et enfin un roman isolé, Le dernier train d’Auterlitz.

Léo Malet, Nestor Burma, Paris sous les bombes et retour en arrière

Deux ans après le premier roman signé Léo Malet, 120 rue de la gare, première apparition de Nestor Burma, et un an après le deuxième, sans Burma, L’ombre du grand mur, paraissent deux nouvelles aventures du détective, Nestor Burma contre CQFD et L’homme au sang bleu. Nous sommes en 1945, la guerre s’achève mais les deux intrigues décrivent une France qui a disparu, celle de l’occupation et celle de l’entre-deux-guerres.

 

Nous retrouvons tout d’abord Nestor Burma dans son Paris, un Paris occupé où se procurer du tabac n’est pas une mince affaire. Nous sommes en 1942, le 17 mars très exactement, quelques mois après la précédente aventure du détective. C’est Marc Covet, son ami journaliste contacté par Hélène Chatelain, la secrétaire si dévouée, qui lui a Nestor Burma contre CQFD (SEPE, 1945)dégoté un revendeur à Vanves, et, du même coup, une nouvelle enquête. Son achat effectué et tandis qu’un bombardier de la Luftwaffe rase les toits, Burma s’arrête devant la vitrine d’une librairie fermée et se fait presque bousculer par une jeune femme sortant d’un immeuble. Alors qu’il la suit, une alerte retentit, les sirènes hurlent et Burma s’apprêtant à se réfugier dans un abri est témoin d’une altercation entre un policier et la jeune femme qui refuse d’aller à l’abri…

La jeune femme n’étant pas vilaine, Nestor Burma la suit en quittant l’abri une fois l’alerte terminée, avant de se faire semer. Il est rattrapé quelques minutes plus tard par cette épisode, au fond si typique du Paris sous la guerre, quand l’inspecteur Florimond Faroux de la P.J., la “tour pointue”, l’alpague. Un meurtre a été commis lors de l’alerte, dans un immeuble proche de l’abri où Burma s’était réfugié et juste à côté de la librairie où il est revenu, attiré par le bouquin qu’il a aperçu en vitrine un peu plus tôt. La victime est un certain Briancourt et on ne l’a pas loupé, comme le dit Burma dans son style si savoureux.

Deux balles, histoire de voir ce qu’il avait dans le ventre, s’y étaient frayés un chemin et n’avaient plus voulu en sortir. La vie, dégoûtée d’un pareil voisinage, s’était enfuie par les trous qu’elles avaient fait.

Burma va alors être porté par les événements et sa curiosité. De Bois-le-Roi à son propre bureau, les rebondissements se multiplient, convoquant, pêle-mêle, une attaque, avant-guerre, d’un train contenant de l’or, un journal nauséabond, le C.Q.F.D., faisant penser au Je suis partout de sinistre mémoire, une couturière, un nain de cirque, un médecin et sa femme… Comme pour sa précédente enquête, Burma échafaude des théories qui s’effondrent les unes après les autres, il agit sans toujours être sûr de tout comprendre, mais finit par conclure ou, en tout cas, connaître le fin mot de l’histoire.

La guerre est omniprésente, sans les affrontements comme dans  120 rue de la Gare, mais avec tout ce qu’elle peut changer dans la vie de gens qui doivent continuer à vivre, qui doivent s’accommoder de nouvelles réalités, qui doivent cherche un emploi, ou se déplacer. Les alertes ne sont que des aléas d’une vie que l’on tente de mener malgré tout, et Nestor Burma s’y entend pour continuer, l’air de rien, à vivre, pour s’enticher d’une suspecte prénommée Lydia, pour mentir à Faroux ou se quereller avec Hélène, sa secrétaire si précieuse… Et tout cela dans un style qui rend les choses légères, ou s’y attache, qui nous fait sourire plus d’une fois tout en se faisant prenant quand les choses deviennent sérieuses.

Un Nestor Burma réussi !

 

La même année paraît L’homme au sang bleu. Une enquête particulière du détective, une enquête qui se distingue des autres. Une enquête qui constitue un retour dans le temps par rapport aux précédentes.

Dans cette France des années trente, pas encore en guerre, Burma débarque à Cannes après avoir été appelé par un client. A peine arrivé, il est témoin d’une fusillade puis retrouve un ancien collaborateur de l’agence Fiat Lux qui tient un hôtel, celui où il a décidé de descendre. Ce dernier lui apprend qu’un ancien collaborateur, un autre, habite L'homme au sang bleu (SEPE, 1945)quelques maisons plus loin… Puis le téléphone lui transmet une nouvelle qui le laisse coi.

En effet, Burma a débarqué à Cannes légèrement trop tard puisque son client, Pierre de Fabrègues, vient de mettre fin à ses jours. Non sans oublier Burma, puisqu’il lui a adressé une lettre avant de s’occire, lettre dans laquelle il lui annonce qu’un paiement l’attend chez son notaire. Du coup, le détective décide de s’installer et de mener l’enquête. Le climat l’a attiré là, mener quelques investigations est une manière comme une autre d’en profiter. D’autant que les familiers du détective et l’action font du coin une sorte d’extension de Paris et des activités de l’agence Fiat Lux.

Fabrègues s’était trouvé lié à une affaire de fausse-monnaie quelques temps avant de s’adresser à celui qui met le crime k.o. Burma s’active donc à sa suite, provoquant l’agacement du commissaire Ange Pellegrini, chargé de l’enquête.

Dans ses allers et retours, car il en fait des kilomètres, véhiculé par les uns et les autres, il croise une romancière en mal de publication, un puis deux aquafortistes, des journalistes, un prisonnier fraîchement libéré, des acrobates, des manieurs de gâchette, des strip-teaseuses, des domestiques, … Un ensemble pittoresque… qui m’a moins convaincu que dans les précédentes aventures.

Burma semble mal assorti avec le cadre choisi, moins intéressant. L’éloignement de son environnement habituel lui fait perdre de l’attrait, de la gouaille, même s’il est finalement rejoint par Hélène, sa secrétaire, dans une tentative de recréer complètement le voisinage ordinaire du détective. Léo Malet persiste pourtant l’année suivante à dépayser Nestor Burma. Une nouvelle, Solution au cimetière, l’envoie de nouveau dans le sud et, cette fois, l’aventure est beaucoup plus convaincante. Le détective n’y perdant pas en réplique mordante et en indécision, ni dans ce côté malotrus qui fait un peu de son charme…

 

La même année que cette Solution au cimetière paraît un nouveau roman, Nestor Burma et le monstre.

Léo Malet, Nestor Burma de Lyon à Paris

En 1943 paraît la première enquête de Nestor Burma, le détective privé de l’agence Fiat Lux, 120 rue de la Gare. Une enquête qui s’inscrit dans l’époque, en pleine deuxième guerre mondiale, sans toutefois s’approcher trop près du conflit en lui-même, une toile de fond pour ponctuer certains événements. Un roman signé Léo Malet, pour la première fois… L’histoire s’inscrit dans l’époque mais aussi dans la vie de son auteur. Elle commence dans un endroit que celui-ci a aussi connu.

 

Nestor Burma est au stalag XB, entre Hambourg et Brême. Prisonnier de guerre, il y est employé à la Aufnahme, service chargé de recenser les occupants du camp sur des fiches déclinant leur identité et tout ce qui peut aller avec. Seulement, Burma se trouve bien 120 rue de la gare (SEPE, 1943)impuissant ce matin-là, un matin de juillet 1941, quand l’homme qui se présente à lui est incapable de lui donner le moindre renseignement. Un amnésique que ceux qui ont été pris en même temps que lui ont surnommé La Globule. Un homme capturé sur un chemin alors qu’il rampait hors d’un bois.

Le sort de l’amnésique intéresse Burma. Il suit son évolution et cherche le secret de cette mémoire défaillante. Mais La Globule meurt en ne lui ayant murmuré que quelques mots énigmatiques.

Dites à Hélène… 120 rue de la gare…

Ces mots intriguent d’autant plus le fondateur de l’agence Fiat Lux, mise en sommeil du fait de son engagement, qu’à sa libération du stalag, alors qu’il arrive à Lyon, Colomer, ancien collaborateur de l’agence, lui murmure les mêmes mots alors qu’il se fait tuer sur le quai de la gare. Burma tentant de sauter alors du train pour partir à la poursuite du meurtrier se blesse assez gravement pour être hospitalisé. Son séjour à Lyon en est prolongé…

 

Burma arrive sur scène, dans le paysage littéraire, avec ironie. Il ne respecte pas vraiment les conseils des autres, n’en fait qu’à sa tête et n’épargne personne. Il mène sa propre enquête, ne dévoilant pas tout à la police qui semble pourtant prête à l’accepter dans l’enquête. Mais Burma est un indépendant, un homme qui n’a confiance en personne et tous vont d’ailleurs en prendre pour leur grade dans cette première aventure. A commencer par lui-même. Dont les éclairs de génies, les grandes réflexions, se révèlent souvent quelque peu erronés. L’interprétation de la fameuse phrase, entendue deux fois, donne lieu à des déductions plutôt alambiquées ; la Hélène de Nestor, sa secrétaire en faisant presque les frais…

Léo Malet lorgne du côté des anciens, pas si anciens que ça d’ailleurs, disons ceux de la décennie précédente, Hammett et Chandler notamment. Il va chercher le nom de son personnage chez Sax Rohmer, l’auteur de la série des Fu Manchu. Et nous offre ainsi un personnage de dure-à-cuire comme les anglo-saxons en avaient déjà mais un personnage qui s’ancre dans son temps, dans sa ville et qui acquiert ainsi une spécificité qui lui permet de se démarquer de ses quelques glorieux anciens. C’est léger et savoureux, proche du roman-feuilleton et de ses rebondissements à la pelle, tout en constituant un témoignage sur la vie de l’époque, celle de ceux qui vivaient dans la France occupée et qui continuaient, malgré la guerre, à vaquer à leurs occupations, essayant de vivre. Occupations légales ou non… L’héritage d’un gangster de l’avant-guerre soumit ici aux convoitises de bien des gens, avec au milieu, un Burma tentant de mettre le mystère KO mais prenant plus de coups qu’il n’en donne, naviguant à vue, un peu perdu jusqu’à la résolution finale qui, ici, reprend la bonne vieille réunion de tous les suspects pour finir par pointer le doigt sur le coupable…

Un roman qui se calque sur les classiques, les constructions éprouvées mais qui offre dans le même temps un renouvellement par le ton employé. Renouvellement qui va se confirmer avec le deuxième opus de la série, Nestor Burma contre CQFD.

 

Mais avant cela, Malet signe de son nom un roman sans Burma, L’ombre du grand mur… Et continue à en signer d’autres de ses divers pseudonymes…