Dennis Lehane et moi

Je crois bien être devenu un familier de Lehane de manière somme toute banale. C’était le début de ma période de coming out, je m’étais résolu à reconnaître mon attirance pour le roman noir et j’étais décidé à m’y intéresser sérieusement. J’avais jusque là picoré, lisant presque par hasard une œuvre du genre de temps en temps. Cette fois, je m’y mettais…

Cela ne changea pas foncièrement mes habitudes, je fréquentais toujours les mêmes endroits pas toujours surpeuplés, ces endroits regorgeant de pages, d’histoires, de cette odeur si particulière du papier et de la colle mélangés… Pour ma part, c’était également plutôt des endroits où le neuf avait toute sa place.

Et, donc, dans ma librairie préférée ou dans une autre, je n’hésitais plus à regarder, à longer lentement, les présentoirs de séries pas vraiment claires. Je feuilletais, je humais, je me disais qu’il ne fallait pas se tromper, qu’il fallait continuer à attiser mon intérêt naissant ou enfin reconnu.

Je connaissais déjà Manchette ou Ellroy mais je voulais en dévorer d’autres. Et, là, dans l’une de ces collections qui fait notre bonheur à tous, je vis quelques couvertures intéressantes, elles le sont toujours chez eux. Des couvertures et un titre qui me poussèrent à soulever le volume et à en parcourir la quatrième de couverture… Et, visiblement, il y avait tout, tout ce qu’on cherche dans un de ces bons vieux romans noirs mâtinés de hard-boiled. Un roman avec un privé qui parle à la première personne, un privé revenu de pas mal de choses, amoché et au bord de la déprime… J’avais quelque chose ressemblant à ce que je voulais lire.

Le tiroir caisse sonna et trébucha et j’emportai chez moi les pages collées et noircies… j’espérais en avoir pour un bout de temps avec l’auteur et je fus servi.

Dennis Lehane et ce qu’on en dit ici et là

Avant de m’attaquer à l’auteur incontournable qu’est Dennis Lehane dans le paysage du roman noir mondial, je vais d’abord aller voir avec vous ce que les autres en disent, ce que l’on peut lire sur lui sur l’immense toile planétaire… je privilégierai, bien sûr, les avis francophones…

Lehane fait parti de ces auteurs sur lesquels beaucoup ont un avis. Il fait parti de ces auteurs que beaucoup ont lus. Un auteur à succès, populaire et talentueux.

Pour commencer avec le monsieur, un article court, récapitulant les principales dates de sa carrière de romancier nous a été proposé en 2010 par 13ème rue. En un peu plus long, deux sites nous offrent une vision concise de l’auteur Lehane, tout d’abord, sur Bookreporter (en anglais) puis sur Babelio (dans la langue de Molière). Ces deux pages ont l’intérêt de comporter quelques liens vers des critiques ou des présentations de ses ouvrages.

C’est également le cas de Pol’Art Noir, dont je vous parle souvent, qui, en plus de sa biographie succincte, offre une approche bibliographique particulièrement fournie… à lire.

Après avoir approché l’auteur et son œuvre, il se peut que vous ayez envie de connaître mieux l’homme qui se cache derrière le romancier… Même si la curiosité est un vilain défaut, Internet est la caverne d’Ali Baba pour ce qui en souffre (je parle de la curiosité, pour peu qu’elle puisse faire mal). Il y a d’abord Wikipédia qui s’est fendu d’un article en français et d’un dans la langue de Shakespeare, preuve s’il en était besoin de la notoriété du bonhomme. Ils sont les plus faciles à trouver mais pas forcément les mieux fournis, les plus fouillés. Pour cela, il faut aller voir ailleurs, du côté des entretiens et des articles que lui a consacrés la presse écrite devenue informatisée.

Bruno Corty et Le Figaro nous ont proposé en 2010, un texte qui peut comporter quelque intérêt. C’est ensuite Le Soleil qui nous permet d’explorer les “zones grises” de l’auteur. Puis Entre deux noirs qui nous fait rencontrer l’auteur à l’occasion de la sortie d’Un jour à l’aube.

J’ai gardé le meilleur pour la fin. Il y a d’abord Alibi qui met en ligne un “profilage” du monsieur à lire. Puis un entretien accordé en 2009 à Emma Brockes du Guardian particulièrement intéressant…

Mais pour réellement savourer le monsieur et apprécier l’auteur, il faut faire comme moi et bien d’autres, se plonger dans ses romans.

Murakami Haruki et sa trilogie parallèle

Je ne savais pas comment le dire, mon titre est peut-être un peu grandiloquent, improbable, mais voilà ce dont il s’agit quand on ouvre 1Q84, la dernière œuvre en date de l’écrivain japonais. Dernière œuvre en date au titre imprononçable. A l’intrigue singulière, comme toujours.

1Q84, donc, roman ayant connu un succès énorme à sa sortie au Japon en 2009 et qui nous arrive précédé de ce succès et de bien des commentaires. Pour le replacer dans le travail de l’auteur, il s’agit d’un de ces romans qu’il appelle roman synthèse, comparable à Kafka sur le rivage, Les chroniques de l’oiseau à ressort ou encore, peut-être, La fin des temps. Un roman tellement total qu’il sera publié en trois volumes, trois parties dont deux viennent de paraître de ce côté-ci de la planète.

Le livre 1 se déroule d’avril à juin. Nous suivons alternativement Tengo et Aomamé dans leurs pérégrinations, leurs 1Q84 Livre 1 Avril-Juin (2009)occupations personnelles, professionnelles ou autres. Chacun des deux a un métier et s’est engagé dans une activité en parallèle. Tout commence avec Aomamé bloquée dans un taxi au milieu d’un embouteillage, une musique passe à la radio et le chauffeur lui donne un conseil si elle est pressée. Après quelques hésitations, elle accepte la proposition et emprunte une échelle de sortie destinée aux services d’entretien… Tengo est professeur de mathématiques et écrivain à ses temps perdus, un écrivain n’ayant jamais été publié. Il va également accepter une proposition, celle de son éditeur. Il va accepter de réécrire le roman d’une jeune fille de dix-sept ans.

Sans qu’ils le sachent, leur monde va basculer. Et Murakami nous décrit ce changement qui se niche d’abord dans des petits riens, quelques détails…

Nous sommes, une fois encore avec cet auteur, à la limite. La limite entre le monde tel que nous le connaissons et un monde qui pourrait être. Cette limite, cette frontière, son franchissement, se manifestent dans des petits détails, des observations qui pourraient être insignifiantes mais vont se révéler pleines de sens.

Et Murakami nous entraîne à sa suite et à la suite de ses personnages dans ce monde qui pourrait être le nôtre.

Le livre 2 de 1Q84 se déroule de juillet à septembre. Et la dérive continue. Lente, à peine perceptible, ou inéluctable, accomplie.

Tengo et Aomamé poursuivent leur évolution, approfondissent leur questionnement et continuent à être entraînés dans ce monde dont ils ont à peine conscience. Dont ils doutent. Ils continuent à être entrainés dans cette histoire, 1Q84 Livre 2 Juillet-Septembre (2009)cette intrigue dont ils ne sont que des éléments.

Tengo revient sur son passé, Aomamé ne peut que se repencher dessus tant ce qu’elle vit le ravive. Leurs pensées se rapprochent, ils se souviennent l’un de l’autre de manière de plus en plus prégnante. Je n’en dirai pas plus pour ne pas déflorer l’intrigue à ceux qui n’ont pas ouvert le premier livre.

Murakami, sans en avoir l’air, comme à son habitude, avec un style tout à l’économie, tout en simplicité, nous emporte, nous force à tourner les pages sans que nous soyons dans un livre à suspens. Il y a peut-être, quand même, du thriller chez lui. Ou un certain pouvoir peu ordinaire. Toujours est-il qu’il fascine, qu’il nous fascine et nous fait avancer.

On ressort différent de la lecture d’un de ses livres. Notre vision du monde change grâce à lui. Petit à petit.

Il ne nous reste plus qu’à patienter quelques mois avant la conclusion de cette trilogie… pour nous qui ne lisons pas le japonais.